L’opinion publique française face à la guerre en Ukraine, deux ans après le début du conflit

Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, la Fondation Jean-Jaurès et l’Ifop mènent des vagues d’enquête en France afin de mesurer l’état de l’opinion sur ce conflit à quelques mois d’intervalle. Jérôme Fourquet, directeur du pôle Opinion & stratégies d’entreprises de l’Ifop, analyse les résultats de cette sixième vague réalisée deux ans après le début de la guerre.

Alors que la guerre en Ukraine va rentrer dans sa troisième année, l’Ifop a réalisé pour la Fondation Jean-Jaurès un nouveau point de mesure de l’état de l’opinion publique française sur ce conflit. Effectuée du 7 au 8 février 2024 auprès d’un échantillon national représentatif de 1017 personnes, cette sixième vague d’enquête (la première ayant été réalisée au début du mois de mars 2022, soit dans les tout premiers jours des combats) nous livre plusieurs enseignements.

Une érosion de la « bonne opinion » de l’Ukraine

Si la Russie continue de souffrir d’une mauvaise image auprès d’une large partie de la population française (en effet, seuls 18% des sondés ont une bonne opinion de ce pays, contre 21% au déclenchement de la guerre et 16% il y a un an, en février 2023), la cote de popularité de l’Ukraine semble pâlir. En effet, 58% des personnes interrogées déclarent avoir une bonne opinion de l’Ukraine, quand la cote de ce pays atteignait 70% à la mi-juin 2023, au moment du début de la contre-offensive ukrainienne, et pas moins de 82% en mars 2022 au tout début de l’invasion russe. La sympathie de l’opinion française penche toujours clairement en faveur de l’Ukraine et nos concitoyens distinguent bien un agresseur et un agressé. Mais l’enlisement de la guerre semble générer un effet de lassitude et d’usure dans une partie de la population française, qui regarde avec un peu moins de bienveillance l’Ukraine. La cote de popularité de ce pays apparaît de fait en partie indexée sur la dynamique du conflit. La « bonne opinion » avait ainsi connu une érosion assez rapide entre mars 2022 (82%) et février 2023 (64%) au moment de la chute de la ville de Soledar et au début du siège de Bakhmout, avant de remonter ensuite à l’occasion du début de la contre-offensive ukrainienne (70% au début du mois de juin 2023). Si Kyiv a besoin d’afficher des gains ou des victoires sur le terrain pour maintenir la mobilisation patriotique dans sa population, des résultats militaires sont également nécessaires pour conforter le soutien des opinions publiques occidentales.

Dans la perspective des prochaines élections européennes, on note des clivages assez marqués sur cette question qui, à n’en pas douter, animera la campagne. À gauche, les sympathisants socialistes (80% de bonne opinion de l’Ukraine) et écologistes (77%) se montrent beaucoup plus philo-ukrainiens que les sympathisants des Insoumis (51% seulement de bonne opinion de l’Ukraine). L’électorat macroniste, à l’image de l’exécutif, affiche un fort soutien à la cause ukrainienne (84%), cause moins soutenue par les sympathisants des Républicains (53%) et du RN (43% de bonne opinion de l’Ukraine et 25% de bonne opinion de la Russie). Dans l’électorat zemmouriste, les deux pays sont renvoyés dos-à-dos : 32% de bonne opinion pour l’Ukraine et 31% pour la Russie.

Un tassement de l’approbation aux sanctions économiques et financières contre la Russie

Autre manifestation d’un phénomène d’érosion progressive du soutien à la cause ukrainienne, l’approbation des sanctions économiques et financières prises par les pays européens contre la Russie connaît un tassement de quatre points par rapport à l’enquête de juin dernier. Certes, une nette majorité de Français (62%) continue de soutenir les sanctions, mais l’approbation atteignait 72% au début du conflit. En deux ans, la proportion de personnes approuvant « tout à fait » les sanctions est passée de 48% à 32%. Ce tassement ne s’est pas traduit par une hausse significative de la part de ceux qui les désapprouvent (qui est passée de 16% à 20%), mais plutôt de celle de la proportion des « sans opinion » qui a progressé de 12% à 18%. Cette progression témoigne d’un scepticisme croissant quant à l’efficacité concrète de ces sanctions sur l’économie russe et sur les capacités militaires de Vladimir Poutine qui ne semblent guère diminuées.

Sociologiquement, le soutien aux sanctions est plus élevé parmi les CSP+ (71%), dont le pouvoir d’achat est moins affecté par la hausse du coût de l’énergie liée aux sanctions, que parmi les classes moyennes (62%) et dans les milieux populaires (59%), ressentant plus fortement les effets des sanctions.

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La moitié des Français approuve la livraison d’armes aux Ukrainiens par les Européens

Parallèlement aux votes de sanctions, la livraison d’armes a constitué l’autre volet du soutien des Occidentaux à l’Ukraine. Et sur ce plan également, un phénomène d’érosion se dessine. Une majorité absolue de Français (50%) approuve encore la fourniture d’armes aux Ukrainiens par les Européens, contre 34% qui désapprouvent cette initiative et 16% qui ne se prononcent pas. Mais l’approbation s’inscrit en recul de huit points par rapport à juin dernier et de 15 points par rapport au début du conflit. Après avoir baissé progressivement entre mars 2022 et février 2023 – qui correspond à la chute de Soledar –, l’approbation à la livraison d’armes européennes avait rebondi quelque peu (+ 4 points) en juin dernier au début de la contre-offensive ukrainienne. L’échec de cette contre-offensive a été sanctionné par un recul de l’adhésion à la fourniture d’armes occidentales. Et alors que les troupes ukrainiennes sont aujourd’hui en difficulté sur le terrain face à des Russes disposant de davantage de munitions et de moyens et que les considérations de politique intérieure bloquent l’envoi de nouveaux matériels américains, la politique de livraison d’armes par les Européens ne connaît pas de regain de soutien dans l’opinion française.

Comme lors des vagues d’enquête antérieures, le public masculin est plus allant (59% d’approbation) que le public féminin (seulement 44% d’approbation), parmi lequel les « sans opinion » atteignent 22% (contre 9% parmi les hommes). Politiquement parlant, les sympathisants socialistes (65%) et écologistes (72%) soutiennent très majoritairement la livraison d’armes alors que parmi les sympathisants de La France insoumise (LFI), une majorité relative (44%) désapprouve cette politique (contre 39% qui approuvent). Gageons que cette question du soutien militaire à l’Ukraine constituera un sujet de clivage à gauche dans le cadre de la campagne des élections européennes. Les sympathisants du camp présidentiel adhèrent également très majoritairement, à 65%, aux livraisons d’armes, sujet sur lequel Emmanuel Macron a récemment pris position. Adeptes d’une ligne souverainiste et isolationniste, les sympathisants du Rassemblement national (RN), à l’instar de ceux de LFI, penchent majoritairement (48%) en défaveur de l’envoi d’armes contre 40% qui les approuvent.

Les Français divisés sur la candidature de l’Ukraine à l’entrée dans l’Union européenne

Dans le contexte d’un conflit s’inscrivant dans la durée et d’une Ukraine en proie à une guerre d’usure sur son territoire, la perspective d’une candidature de ce pays à l’entrée dans l’Union européenne (UE) semble moins évidente et opportune. Symboliquement, une courte majorité de Français (51%) s’oppose désormais à cette perspective contre 49% qui y seraient favorables. Le soutien atteignait encore 58% en juin dernier et même 63% au début du conflit.

Les électorats de gauche historiquement les plus pro-européens continuent de souhaiter très majoritairement (73% des sympathisants du Parti socialiste et des écologistes) l’entrée à terme de l’Ukraine dans l’UE, alors que les sympathisants de LFI sont nettement plus partagés : 54% en faveur et 46% contre. Si ces positions sont assez conformes aux orientations politiques traditionnelles de ces courants politiques, les électeurs du parti macroniste, formation dont les leaders ont pourtant affiché de manière constante leur attachement à la fois à la construction européenne et à la cause ukrainienne, apparaissent également divisés : 58% en faveur de la candidature de l’Ukraine et 42% opposés. La situation de guerre persistante en Ukraine, mais également la concurrence de productions agricoles ukrainiennes à bas prix sur le marché français et européen rendent sans doute moins envisageable le scénario d’une adhésion de ce pays à l’UE aux yeux d’une partie de ces électeurs. Ce scénario divise également l’électorat des Républicains (48% pour, 52% contre) et est, de manière assez attendue, nettement rejeté au sein des sympathisants du RN : 64% contre, 36% en faveur.                         

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