Depuis que la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine a commencé, il y a un an et demi, les Européens ont témoigné de leur soutien envers les Ukrainiens. Alors que la couverture médiatique du conflit semble aujourd’hui moins importante, quelle est l’évolution de ce soutien ? Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, décrypte les résultats de la cinquième vague de l’enquête réalisée par l’Ifop sur la manière dont les Européens perçoivent la situation.
Un an et demi après son commencement, le conflit russo-ukrainien occupe indéniablement une place moins importante dans l’agenda médiatique. Si certains événements peuvent être encore largement relayés et discutés, comme par exemple les tensions majeures entre le groupe Wagner et l’armée régulière russe, il n’en demeure pas moins que la couverture n’égale en rien celle de la fin de l’hiver 2022.
Dans ces conditions, comment les Européens perçoivent-ils le conflit ukrainien ? Dans des précédentes notes, nous montrions que le choc ressenti par la population européenne suite aux agissements de Vladimir Poutine avait entraîné un très fort soutien à l’Ukraine et un rejet tout aussi marqué des agissements de la Russie. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? L’image de l’Ukraine est-elle toujours aussi bonne ? Plus encore, le soutien est-il uniquement symbolique ou porte-t-il également sur des éléments concrets, comme la livraison de matériel militaire voire l’intégration de l’Ukraine au sein de l’Union européenne ?
Un soutien global des Européens à l’Ukraine
En juin 2023, 70% des Français, 65% des Allemands, 82% des Britanniques, 70% des Italiens et 77% des Espagnols déclarent avoir une bonne opinion de l’Ukraine. À l’inverse, la Russie pâtit d’une image extrêmement mauvaise au sein des opinions publiques européennes. Seulement 15% des Français, 21% des Allemands, 15% des Britanniques, 22% des Italiens et 12% des Espagnols ont une bonne image du pays dirigé par Vladimir Poutine (graphique 1).
Graphique 1. Bonne opinion de l’Ukraine et de la Russie dans différents pays européens
Mais plus encore, ce soutien global à l’Ukraine n’est pas simplement symbolique : plus de deux tiers des habitants des pays analysés approuvent les sanctions économiques et financières contre la Russie. Concernant la livraison d’armes de guerre à l’Ukraine, le constat est un petit peu moins net avec certaines différences notables entre les pays européens analysés (graphique 2).
Graphique 2. Pourcentage de citoyens approuvant la livraison d’armes à l’Ukraine, dans différents pays européens
Ainsi, si une très large majorité des Britanniques soutiennent la livraison d’armes à l’Ukraine (72%), le soutien est moins marqué en France (58%), en Allemagne (55%) en Italie (52%) et, dans une moindre mesure, en Espagne (63%). En outre, les Européens sont davantage favorables à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne qu’à la livraison d’armes (graphique 3).
Graphique 3. Pourcentage de personnes favorables à la candidature de l’Ukraine pour rentrer dans l’Union européenne, dans différents pays européens
Si la même proportion de Français (58%) et d’Allemands (56%) sont favorables à l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne et à la livraison d’armes, le soutien à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne est plus élevé au Royaume-Uni (82%), en Espagne (78%) et en Italie (68%).
Vers une lassitude de l’opinion publique européenne ?
Si les Européens soutiennent donc encore largement l’Ukraine, que ce soit sur le plan symbolique ou sur le plan matériel, on observe néanmoins des signes de décrochage d’une partie de l’opinion publique, partout en Europe. Prenons ainsi le cas de la France en comparant les résultats actuels avec ceux obtenus dans notre première vague d’enquête en mars 2022 (graphique 4).
Graphique 4. Évolution de l’opinion des Français entre mars 2022 et juin 2023
On observe ainsi une baisse de 12 points dans la bonne image de l’Ukraine, au cours de cette période. Même chose concernant le soutien aux sanctions économiques et financières contre la Russie. Alors que 72% les approuvaient en mars 2022, ils ne sont plus que 66% aujourd’hui. Plus encore concernant le fait d’approuver « tout à fait » ces sanctions : les chiffres passent de 48% à 38%, soit une baisse de 10 points. C’est un constat similaire que l’on est amené à faire lorsque l’on se focalise sur la livraison d’armes à l’Ukraine. Le soutien passe de 65% en mars 2022 à 58% en juin 2023, et le fait d’approuver « tout à fait » ces mesures suit la même dynamique (une baisse de 5 points, de 35% à 30%). Ce constat n’est d’ailleurs pas propre à la France, mais se fait également en Italie, en Espagne et, surtout, en Allemagne. Outre-Rhin, le fait d’approuver les livraisons d’armes à l’Ukraine est passé de 66% à 55% et le fait de tout à fait approuver ces mesures de 37% à 26%.
Des clivages politiques propres à chaque pays
Comment se répartissent les dynamiques de soutien au sein des différents pays européens ? La structure politique de chaque pays semble jouer un rôle essentiel, tant les clivages sur la question ukrainienne sont assez différents selon les pays (graphique 5).
Graphique 5. Soutien à la livraison d’armes à l’Ukraine, dans différents pays européens, en fonction de la proximité partisane des répondants
Prenons le cas du soutien à la livraison d’armes à l’Ukraine par exemple. En France, le clivage sur cette question prend une forme de « fer à cheval » : le soutien est maximal au sein de la majorité gouvernementale mais s’étiole lorsque l’on se rapproche des marges électorales et en particulier de l’extrême droite. En Espagne, la situation est largement différente. Alors que le gouvernement en place est issu d’une coalition entre la gauche modérée et la gauche radicale, c’est pourtant bel et bien au sein de la gauche radicale que le soutien est le plus faible. À l’opposé, les partis de droite y sont largement favorables (79% de soutien pour les proches de la droite modérée et 67% pour les proches de la droite radicale). La situation allemande ressemble beaucoup plus à la situation française : l’opposition est très tranchée au sein de la gauche radicale (34%) et de la droite radicale (25%), même si le soutien est le plus fort au sein de la gauche modérée (78%). Un résultat qui s’explique certainement par le fait que c’est ce courant politique qui dirige actuellement l’Allemagne. Enfin, l’Italie est un cas à part, tant les clivages intra-partisans sur le sujet ukrainien sont finalement assez restreints.