La guerre en Ukraine : l’opinion publique européenne face aux actions de l’Union européenne

Plus de cent jours depuis le début de la guerre menée par la Russie en Ukraine, Amandine Clavaud, responsable Europe et directrice de l’Observatoire Égalité femmes-hommes à la Fondation Jean-Jaurès, analyse, à partir des données du deuxième volet de l’enquête « Les peuples européens derrière l’Ukraine », les perceptions que les citoyens de six pays européens – Allemagne, Espagne, France, Irlande, Pologne et Suède – ont de cette guerre qui se déroule sur le continent européen.

Un soutien massif aux sanctions économiques et financières et à la fourniture de matériel militaire à l’Ukraine

Près de 8 Européens interrogés sur 10 soutiennent massivement les sanctions économiques et financières prises par l’Union européenne contre la Russie : 88% en Pologne, 82% en Espagne, 79% en Irlande et en Suède, 74% en Allemagne et 71% en France. Dans la continuité de la première vague de l’enquête qui avait été réalisée en mars 2022, c’est la Pologne qui arrive en tête, le pays étant frontalier de l’Ukraine et ayant une crainte plus forte vis-à-vis de la guerre dont la population en perçoit directement les effets à leurs frontières.

Si la majorité des opinions publiques européennes approuve largement la décision de l’Union européenne de sanctionner la Russie, représentant ainsi un bloc solide et stable, nous pouvons noter une légère baisse dans le consensus que l’opinion publique européenne démontrait jusqu’alors au regard de la première vague de l’enquête de mars 2022 : moins un point pour la France (71% vs 72%), moins 3 points pour la Pologne (88% vs 91%).

Ces chiffres peuvent s’expliquer par plusieurs éléments : l’apparition de la guerre avait dans un premier temps suscité la surprise, l’émotion et la peur chez les Européens mais elle s’inscrit aujourd’hui dans le temps, les images qui y sont liées s’étant malheureusement installées dans le paysage géopolitique, politique et médiatique.

Le cas de l’Allemagne et sa réticence plus marquée à la fourniture de matériel militaire à l’Ukraine

C’est en Allemagne que l’érosion de son opinion publique est la plus forte concernant sa perception de la guerre en Ukraine. Des 80% d’Allemands qui approuvaient les sanctions économiques et financières en mars, ils sont 74% en mai – soit une baisse de 6 points. La baisse de l’adhésion de la population allemande est plus importante encore lorsque l’on se penche sur la question de la fourniture de matériel militaire à l’Ukraine. Avec le pourcentage le plus faible à cette question en comparaison des autres pays sondés avec ses 57%, l’opinion publique allemande traduit la frilosité historique du pays à s’engager sur les questions de défense. Entre mars et mai, l’adhésion à la fourniture de matériel militaire à l’Ukraine a chuté de 9 points (66% vs 57%), ce qui montre bien que, une fois les annonces passées du Chancelier Olaf Scholz en février dernier de moderniser l’armée allemande et d’augmenter le budget de la défense, l’opinion publique allemande manifeste de nouveau ses réticences fondamentales sur les questions de défense.

L’ancrage culturel de l’opinion publique allemande sur ces questions se retrouve d’un point de vue géographique et illustre le clivage historique entre l’Est et l’Ouest qui est toujours à l’œuvre. Seulement 42% des personnes interrogées vivant à l’est de l’Allemagne approuvent la fourniture de matériel militaire à l’Ukraine par les Européens. À l’inverse, 60% l’approuvent à l’ouest de l’Allemagne.

La Pologne et la Suède : une perception de la menace plus forte pour des raisons historiques et géographiques

Les Polonais (86%) et les Suédois (76%) affichent, en revanche, une forte adhésion à la fourniture de matériel militaire à l’Ukraine : ce sont les deux pays qui présentent le pourcentage le plus élevé. En effet, ils ont une crainte plus aiguë de la guerre et une perception de la menace plus forte en raison de leur relation respective avec le Kremlin – la Pologne étant frontalière de l’Ukraine et la Suède ayant soumis une demande d’adhésion à l’OTAN aux côtés de la Finlande, pourtant toutes deux connues jusqu’ici pour leur neutralité dans ce domaine.

Le critère de l’âge est ici déterminant : plus la personne interrogée est âgée, plus elle approuve l’envoi de matériel militaire par les Européens à l’Ukraine. Ce sont 9 Polonais et Suédois sur 10 âgés de plus de 65 ans (94% des Polonais et 90% des Suédois) qui soutiennent ces mesures en raison sans doute des souvenirs plus prégnants des tensions qui ont existé et existent encore dans les relations bilatérales entre leurs pays et la Russie. Les plus jeunes y sont en effet moins sensibles : 83% des Polonais et 70% des Suédois de moins de 35 ans – soit 11 et 20 points de moins en comparaison.

Ce large soutien se retrouve également dans l’approbation aux sanctions économiques et financières. Là encore, la Pologne et la Suède sont en tête dans les pourcentages avec respectivement 88% et 79%, avec des taux plus élevés chez les plus de 65 ans (94% en Pologne et 93% en Suède). Le facteur géographique joue également : c’est à l’est de la Pologne – où la population perçoit le plus directement les conséquences de la guerre à ses frontières – que le soutien s’exprime le plus vivement avec 91%, soit 3 points de plus que la moyenne des Polonais interrogés.

L’accueil des personnes réfugiées ukrainiennes dans l’Union européenne : la solidarité européenne en actes

L’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) estime que, depuis le 24 février dernier, plus de 6,5 millions de personnes ont fui l’Ukraine vers les pays voisins, en particulier la Roumanie et la Pologne, cette dernière ayant d’ores et déjà accueilli plus de 3,5 millions de personnes réfugiées ukrainiennes.

À la question posée relative à l’accueil des personnes réfugiées ukrainiennes dans l’Union européenne, les Européens interrogés sont unanimes : près de 9 Européens sur 10 y sont favorables (93% en Espagne, 92% en Suède, 89% en Allemagne et en Pologne, 88% en Irlande et 84% en France). Comme indiqué plus haut, la Suède et la Pologne y sont largement favorables en raison de leur proximité géographique et pour des raisons historiques. Le taux d’approbation de la Pologne reste stable avec une légère baisse de 3 points par rapport à mars (92%), soulignant la solidarité des Polonais alors même que le pays est confronté à l’arrivée de personnes réfugiées dont l’ampleur est sans précédent et aux difficultés que cela suppose en termes de gestion de crise et d’organisation concrète pour le pays.

L’accueil des personnes réfugiées ukrainiennes est l’item où l’opinion publique européenne reste la plus stable et montre sa solidarité pleine et entière plus de trois mois après le début de la guerre. C’est en France que le changement de paradigme est visible, pourtant dernier État membre de l’Union européenne sur le podium des pays interrogés, étant le plus rétif aux questions migratoires alors même qu’il est bien moins confronté que ses voisins européens aux réalités de l’accueil. En mars 2022, l’opinion publique française avait déjà opéré un revirement avec 80% des personnes interrogées se disant favorables à l’accueil – un bond de 34 points par rapport aux 46% de juillet 2015. En mai 2022, ce sont 84% des Français qui soutiennent l’accueil des personnes réfugiées d’Ukraine, soit une augmentation de 4 points, mettant en lumière une consolidation de l’opinion publique française et plus largement européenne quant à la nécessité d’agir en solidarité avec le peuple ukrainien.

Des nuances dans le soutien s’observent en fonction de l’âge et des proximités partisanes. Les 35 ans et plus sont plus favorables à l’accueil (86%, soit deux points de plus que la moyenne des Français) contrairement aux moins de 35 ans (76%, soit 8 points de moins que la moyennes des Français). Le soutien culmine à 93% chez les plus de 65 ans et plus, allant à l’encontre de l’idée reçue que la jeunesse serait plus ouverte ou sensible aux questions migratoires. Enfin, sans surprise, l’électorat du Rassemblement national (77%) et celui de Reconquête ! (71%) se montrent moins favorables à l’arrivée de personnes réfugiées d’Ukraine, faisant écho à leurs positionnements anti-immigration et à leurs ambivalences vis-à-vis de la Russie. À l’inverse, l’électorat de la majorité présidentielle est quasi-unanime à 98%, tout comme l’électorat de la gauche avec 95% pour le Parti socialiste, 88% pour EE-LV et LFI, constituant un bloc solide en faveur d’une politique d’accueil des personnes réfugiées, à l’image des valeurs défendues par la gauche, au cœur de l’ADN de ce courant politique.

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