Depuis l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2023, la Fondation sonde régulièrement l’opinion dans plusieurs pays européens pour mieux saisir l’évolution de la manière dont elle appréhende le soutien au peuple ukrainien. À presqu’un an du début du conflit, une nouvelle vague réalisée par l’Ifop, en partenariat avec Le Figaro, fournit de précieux enseignements.
Les opinions européennes penchent clairement en faveur de l’Ukraine
Près d’un an après le déclenchement de l’offensive russe en Ukraine, ce pays bénéficie d’une large popularité en Europe. La « bonne opinion » vis-à-vis de l’Ukraine oscille en effet entre 61% en Allemagne et 82% au Royaume-Uni, quand, symétriquement, la popularité de la Russie ne concerne au mieux que 23% de la population italienne et tombe à 9% seulement en Pologne.
Si les opinions européennes sont donc assez convergentes, on constate cependant, sur cette question comme sur les autres posées dans cette quatrième vague d’enquête, que des nuances se font jour dans l’intensité de la popularité de l’Ukraine et du rejet de la Russie. On remarque ainsi que deux pays apparaissent particulièrement favorables à l’Ukraine : le Royaume-Uni (82% de « bonnes opinions » de l’Ukraine) et la Pologne (79%), suivis de près par l’Espagne (74%) et les Pays-Bas (71%). Bien qu’élevée, la popularité du pays de Zelensky s’affiche plus en retrait en France (64%), en Italie (62%) et en Allemagne (61%).
Il est intéressant de constater que le degré d’empathie avec l’Ukraine dans les différentes opinions publiques européennes apparaît aligné sur l’activisme diplomatique et l’intensité du soutien à la cause ukrainienne des gouvernements de chaque pays. Les autorités polonaises et britanniques sont ainsi particulièrement en pointe depuis le début du conflit. Les Polonais, voisins de l’Ukraine et historiquement exposés à l’expansionnisme russe, n’ont ainsi pas mégoté leur soutien humanitaire, économique et militaire. Boris Johnson, voulant renouer avec la geste churchillienne, s’est quant à lui très rapidement impliqué dans le soutien aux Ukrainiens, orientation diplomatique qui a été poursuivie par ses deux successeurs, et qui n’est sans doute pas étrangère au fait que Londres ait été la première capitale européenne visitée par Volodymyr Zelensky. Le gouvernement hollandais a annoncé pour sa part qu’il était prêt à livrer des avions de combats aux Ukrainiens, alors que les autres pays européens étaient opposés ou réticents à l’envoi de telles armes. Le gouvernement espagnol fournira un gros contingent de chars Léopard 2 à Kiev, quand les autorités françaises, italiennes, mais surtout allemandes ont jusqu’à récemment affiché nettement plus de réserves à l’envoi d’armements lourds.
On peut dès lors s’interroger sur l’origine de la congruence des prises de position des gouvernements et de l’état de leur opinion publique respective. Les chefs d’État adoptent-ils une ligne diplomatique et militaire en fonction de ce qu’ils perçoivent du climat d’opinion dans leur pays ; ou les prises de position plus ou moins allantes en faveur de l’Ukraine affichées à la tête du pays ont-elles un effet d’entraînement et influent-elles sur le regard et l’opinion que les populations concernées portent sur le conflit ukrainien ?
L’existence de ce jeu de miroirs entre les opinions publiques nationales et leurs gouvernements s’explique notamment par le fait que le conflit ukrainien bénéficie d’une large couverture médiatique et qu’il est présent à l’esprit de nombreux Européens. Ainsi, si l’on se focalise sur le cas français, le « Tableau de bord Ifop / Paris-Match » indique en effet que la guerre en Ukraine anime les conversations de nos concitoyens. Si, dans les premiers mois du conflit, près de huit Français sur dix ont évoqué ce thème avec leurs proches, la guerre n’a pas disparu des conversations et continue au bout d’un an à préoccuper et à intéresser plus de la moitié des Français.
Même si cette empathie s’érode progressivement
Même si, comme on l’a vu, les opinions publiques européennes ont clairement choisi leur camp dans ce conflit, la poursuite des combats depuis près d’un an, les demandes répétées de livraisons d’armes toujours plus nombreuses de la part de Kiev et les conséquences de cette guerre sur la situation économique internationale semblent générer une érosion progressive de la popularité de la cause ukrainienne en Europe, alimentée sans doute par une lassitude et l’inquiétude d’une escalade du conflit. En France comme en Allemagne, où quatre coups de sonde ont été donnés par l’Ifop depuis le déclenchement de l’offensive des troupes de Vladimir Poutine, la « bonne opinion » de l’Ukraine a ainsi enregistré un recul significatif et régulier passant de 82% à 64% dans l’Hexagone et de 86% à 61% outre-Rhin. Même phénomène en Italie avec une « bonne opinion » passant de 80% à 62%. On notera au passage que, tant en termes de niveau que de mouvement général, les opinions publiques française, allemande et italienne semblent converger sur le dossier ukrainien.
L’érosion est moins marquée, mais réelle, en Pologne (de 91% de « bonne opinion » début mars 2022 à 79% aujourd’hui) et en Espagne (de 80% en mai 2022 à 74% aujourd’hui).
Si la cote de popularité de l’Ukraine décroît depuis mars 2022, celle de la Russie ne connaît aucune embellie. Il n’y a donc pas de rééquilibrage des points de vue dans l’opinion européenne, seulement une érosion de l’image de l’Ukraine, sans pour autant que la Russie ne redore son blason. La « bonne opinion » perçue de la Russie a même reculé en France (de 21% à 16%) et est restée stable ou a très légèrement progressé en Allemagne, Pologne et Espagne. En Italie, la progression est un peu plus marquée : 13% en mars 2022, 23% aujourd’hui.
Des clivages selon les sensibilités politiques que l’on retrouve quasiment partout en Europe
Quand on rentre dans le détail des résultats pays par pays, des clivages partisans se font jour avec une structuration politique qui se réplique pour l’essentiel dans tous les pays. Les électeurs des partis de centre-gauche ou de centre-doit sont quasiment les plus en soutien de la cause ukrainienne et les plus critiques vis-à-vis de la Russie, quand les sympathisants de la droite radicale (et dans une moindre mesure ceux de la gauche radicale) affichent un soutien plus mitigé à l’Ukraine et une proximité plus grande que la moyenne à la Russie poutinienne.
Ainsi, en France, 87% des électeurs d’Emmanuel Macron ont une bonne opinion de l’Ukraine, contre seulement 62% des électeurs mélenchonistes. L’empathie pour l’Ukraine est nettement moins répandue dans les rangs lepénistes (49%) et zemmouriens (47%). Ces derniers sont en revanche 40% à regarder avec bienveillance la Russie. Le haut degré de russophilie de l’électorat de Reconquête ! le distingue nettement de celui de Marine Le Pen, dont 19% seulement éprouvent de l’empathie à l’égard de la Russie. Nous touchons là un point important, qui peut rétrospectivement éclairer un des tournants majeurs de la dernière campagne présidentielle. La veille de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, Éric Zemmour et Marine Le Pen étaient au coude-à-coude (avec 16% d’intentions de vote) dans le rolling quotidien de l’Ifop. Dans les jours qui ont suivi le déclenchement des hostilités, Éric Zemmour, qui avait affiché une certaine bienveillance avec la Russie poutinienne, a dévissé dans les sondages et a vu l’électorat de droite radicale hostile à Poutine l’abandonner au profit d’une Marine Le Pen qui a rapidement condamné l’invasion et le régime russe.
En Allemagne, la même ligne de clivage s’observe. 76% des sympathisants du SPD et des Grünen déclarent avoir une bonne opinion de l’Ukraine, alors que les sympathisants des formations d’extrême droite, AfD et NPD, sont deux fois moins nombreux (36%) à partager ce point de vue. Dans cet électorat de l’extrême droite allemande, la Russie bénéficie symboliquement d’une meilleure image (41%) que l’Ukraine… Les sympathisants de Die Linke, le parti de la gauche radicale, ne sont, quant à eux, que 52% à juger positivement l’Ukraine (30% ayant une bonne opinion de la Russie). Ce positionnement particulier de l’électorat de Die Linke et de celui de la droite radicale, essentiellement implantés dans l’ancienne RDA, explique sans doute en partie les écarts de scores observés entre les Länder de l’Ouest (64% de « bonne opinion » de l’Ukraine et 20% pour la Russie) et les Länder de l’Est moins favorables à l’Ukraine (54%) et plus russophiles (29%).
Le regard porté sur les deux pays belligérants se structure également selon les mêmes logiques politiques dans des pays comme l’Italie ou les Pays-Bas. En Italie, 81% des sympathisants du Partito Democratico (centre-gauche) ont une bonne image de l’Ukraine, contre seulement 56% de leurs homologues des partis de la droite extrême Lega et Fratelli d’Italia, dirigée par Giorgia Meloni, présidente du Conseil italien. Aux Pays-Bas, la cote de l’Ukraine s’établit à 77% parmi les électeurs centristes, contre seulement 59% chez ceux de l’extrême droite.
Si l’invasion russe a été l’occasion pour les nations européennes de faire bloc derrière l’Ukraine et de réaffirmer l’attachement à un certain nombre de valeurs fondatrices de la construction européenne, ce conflit illustre et avive parallèlement au sein de quasiment toutes les opinions publiques nationales une ligne de clivage entre les électeurs de ce que l’on pourrait appeler l’arc central (de la gauche de gouvernement à la droite de gouvernement, en passant par le centre et les écologistes) et les électeurs de la droite radicale et, dans une moindre mesure, également ceux de la gauche radicale. Le fait que cette ligne de faille s’observe dans la plupart des pays à l’occasion de la guerre en Ukraine (comme lors de certains scrutins majeurs) nous démontre que nous sommes en présence d’un clivage électoral et idéologique désormais plus structurant que le vieux clivage gauche/droite.
Une adhésion toujours largement majoritaire aux sanctions économiques contre la Russie
En coordination avec les États-Unis et d’autres puissances occidentales, les pays européens ont rapidement décidé des sanctions économiques contre la Russie, qui est désormais visée par plusieurs trains de sanctions portant notamment sur les transactions financières, mais aussi sur le marché énergétique et les importations et exportations de toute une série de produits. Si ces sanctions ne sont pas sans conséquences sur l’économie européenne (hausse des prix de l’énergie, inflation se propageant à d’autres produits, etc.), force est de constater que les différentes opinions publiques continuent très majoritairement de soutenir ces rétorsions économiques à l’encontre de la Russie. Une nouvelle fois, la Pologne (86% d’approbation des sanctions) et la Grande-Bretagne (77%) s’affichent en pointe, suivies de très près par l’Espagne et les Pays-Bas (respectivement 77% et 73% d’approbation). Plus de six personnes sur dix les approuvent également en France, en Italie et en Allemagne, mais ces pays se montrent de nouveau un peu moins convaincus.
Dans tous les pays où cette question avait déjà été posée par l’Ifop dans des enquêtes antérieures, l’approbation des sanctions se tasse. Très peu en Pologne (91% en mars 2022, versus 86% aujourd’hui), en Espagne (82% en mai 2022, 77% désormais) ou en France (72% en mars 2022 contre 67% actuellement) ; davantage en Italie (de 80% en mars dernier à 65% désormais) et en Allemagne, où l’approbation des sanctions recule de 18 points entre mars 2022 (80%) et aujourd’hui (62%). La très forte dépendance au gaz russe de ces deux pays et le poids très important des exportations dans ces économies, exportations qui sont ralenties par les tensions internationales générées par cette guerre, expliquent sans doute en partie pourquoi c’est dans les opinions allemande et italienne que l’approbation des sanctions contre la Russie s’est érodée le plus fortement, le prix à payer apparaissant plus lourd dans ces deux pays.
De la même manière, on constate dans la plupart des pays que les catégories populaires, dont le pouvoir d’achat est le plus affecté par l’inflation, sont plus partagées sur les sanctions économiques contre la Russie que les CSP+, qui sont moins pénalisées par la hausse des prix.
L’approbation des sanctions économiques par CSP dans différents pays
Pays | CSP+ | CSP- | Écart |
France | 74% | 55% | + 19 pts |
Italie | 68% | 58% | + 10 pts |
Allemagne | 65% | 56% | + 9 pts |
Grande-Bretagne | 79% | 71% | + 8 pts |
Pays-Bas | 75% | 67% | + 8 pts |
Des Européens plus divisés pour ce qui est de la livraison d’armes à l’Ukraine
Autant un large consensus existe sur les sanctions économiques à l’encontre de la Russie, autant la fourniture d’armes de guerre à l’Ukraine divise les Européens. Cette division s’observe à la fois entre différents groupes de pays, mais également au sein de certains pays, dont l’opinion est coupée en deux sur cette question.
Pour ce qui est des écarts entre les pays, on retombe de nouveau sur une distinction marquée entre, d’une part, les pays en pointe que sont la Pologne (dont 80% des habitants approuvent les livraisons d’armes européennes à l’Ukraine) et la Grande-Bretagne (70%), suivies par les Hollandais (67%) et les Espagnols (60%) ; et, d’autre part, les pays moins allants : France (54%), Allemagne (52%) et Italie (49%). Une nouvelle fois, cette hiérarchie des opinions européennes correspond et se superpose bien avec l’attitude des gouvernements des différents pays. Le gouvernement polonais a augmenté très significativement son budget militaire et fournit en masse des armes aux Ukrainiens (notamment du matériel de conception soviétique et prochainement des chars Léopard), Londres ayant été, de son côté, le premier pays à annoncer le don de chars lourds à l’Ukraine, alors qu’une telle décision a été prise avec bien plus d’atermoiements par Berlin.
Le fait que le volume des livraisons soit de plus en plus important au fur et à mesure que le conflit se durcit et que la nature des armes fournies évolue vers de l’armement lourd, pour permettre aux troupes ukrainiennes de résister au rouleau compresseur russe, rend moins acceptables ces envois aux yeux d’une part croissante de l’opinion publique allemande. Dans ce pays, marqué depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale par un puissant tropisme pacifiste, l’approbation des livraisons d’armes à l’Ukraine est ainsi passée de 60% en mars 2022 à seulement 52% aujourd’hui, l’opposition à cette politique progressant symétriquement de 28% à 41%1C’est dans la gent féminine que la baisse du soutien aux livraisons d’armes a été la plus marquée : moins 20 points parmi les femmes (43%) contre 9 points de moins chez les hommes (60%).. Dans l’ancienne RDA, l’adhésion aux livraisons d’armes à l’Ukraine est aujourd’hui très minoritaire (37%, contre 55% dans l’ancienne RFA).
En France, le recul de l’approbation aux livraisons d’armes a été d’une ampleur comparable (de 65% à 54%, soit une baisse de 11 points contre 14 points en Allemagne). Mais contrairement à ce que l’on observe en Allemagne, ce recul du soutien dans l’Hexagone ne s’est pas intégralement effectué au profit du camp des opposants, qui progresse de 7 points, la part des indécis passant de 15% à 19%. Cette dernière n’est que de 7% en Allemagne, qui est donc nettement plus clivée que la France sur le sujet des livraisons d’armes. On comprend, à la lumière de ces chiffres, les atermoiements du chancelier Olaf Scholz à propos de la livraison des chars Léopard aux forces armées de Kiev.
L’érosion de l’approbation des livraisons d’armes à l’Ukraine s’observe également dans les autres pays avec -8 points en Italie entre mars 2022 et aujourd’hui et -11 points en Pologne. Il s’agit donc d’une tendance générale2Différents sondages indiquent également une érosion du soutien militaire à l’Ukraine aux États-Unis. Voir Alexis Feertchak, « Guerre en Ukraine : la défiance vis-à-vis de l’aide à Kiev progresse aux États-Unis selon les sondages », Le Figaro, 6 février 2023., même si les niveaux de soutien peuvent différer très sensiblement d’un pays à l’autre : 80% d’approbations en Pologne, pays limitrophe de l’Ukraine et ayant aussi une longue frontière avec la Biélorussie, où stationnent des troupes russes qui sont également présentes dans l’enclave de Kaliningrad au nord de la Pologne ; contre seulement 49% en Italie, pays nettement plus éloigné de la ligne de front, et traditionnellement animé, à l’instar de l’Allemagne, par un courant pacifiste puissant.
Les différences d’appréciation sur l’opportunité de livrer des armes à l’Ukraine ne s’observent pas uniquement entre les pays, mais également au sein même de chacune des opinions publiques nationales avec des lignes de clivage que l’on va retrouver à l’identique dans plusieurs pays.
De manière assez traditionnelle, en ce qui concerne les débats renvoyant aux questions militaires, au rapport aux armes et au recours à la violence, dans tous les pays européens, les femmes se montrent plus réservées que les hommes sur la livraison d’armes à l’Ukraine. C’est en France et en Allemagne que le différentiel hommes/femmes est le plus prononcé, comme le montre le tableau ci-dessous.
L’érosion de l’approbation des livraisons d’armes à l’Ukraine s’observe également dans les autres pays avec -8 points en Italie entre mars 2022 et aujourd’hui et -11 points en Pologne. Il s’agit donc d’une tendance généraleDifférents sondages indiquent également une érosion du soutien militaire à l’Ukraine aux États-Unis. Voir Alexis Feertchak, « Guerre en Ukraine : la défiance vis-à-vis de l’aide à Kiev progresse aux États-Unis selon les sondages », Le Figaro, 6 février 2023., même si les niveaux de soutien peuvent différer très sensiblement d’un pays à l’autre : 80% d’approbations en Pologne, pays limitrophe de l’Ukraine et ayant aussi une longue frontière avec la Biélorussie, où stationnent des troupes russes qui sont également présentes dans l’enclave de Kaliningrad au nord de la Pologne ; contre seulement 49% en Italie, pays nettement plus éloigné de la ligne de front, et traditionnellement animé, à l’instar de l’Allemagne, par un courant pacifiste puissant.
Les différences d’appréciation sur l’opportunité de livrer des armes à l’Ukraine ne s’observent pas uniquement entre les pays, mais également au sein même de chacune des opinions publiques nationales avec des lignes de clivage que l’on va retrouver à l’identique dans plusieurs pays.
De manière assez traditionnelle, en ce qui concerne les débats renvoyant aux questions militaires, au rapport aux armes et au recours à la violence, dans tous les pays européens, les femmes se montrent plus réservées que les hommes sur la livraison d’armes à l’Ukraine. C’est en France et en Allemagne que le différentiel hommes/femmes est le plus prononcé, comme le montre le tableau ci-dessous.
L’adhésion à la livraison d’armes à l’Ukraine dans les différents pays en fonction du sexe
Pays | Hommes | Femmes | Écart |
Allemagne | 60% | 43% | + 17 pts |
France | 62% | 46% | + 16 pts |
Grande-Bretagne | 76% | 64% | + 12 pts |
Pays-Bas | 72% | 62% | + 10 pts |
Espagne | 65% | 55% | + 10 pts |
Italie | 53% | 46% | + 7 pts |
Pologne | 83% | 76% | + 7 pts |
Même dans les pays les plus en pointe dans le soutien à la cause ukrainienne (Pologne et Grande-Bretagne), les femmes sont un peu moins allantes que les hommes sur l’envoi d’armements et se montrent plus sensibles à l’argument selon lequel « il ne faut pas ajouter la guerre à la guerre ».
Autre ligne de clivage parcourant chacune des opinions publiques nationales : le clivage générationnel. On constate en effet dans tous les pays que les moins de trente-cinq ans sont les moins favorables à l’envoi d’armes au gouvernement de Kiev, quand les soixante-cinq ans et plus y sont les plus disposés.
L’adhésion à la livraison d’armes à l’Ukraine dans les différents pays en fonction de l’âge
Pays | Moins de 35 ans | 65 ans et plus | Écart |
Pays-Bas | 56% | 82% | + 26 pts |
Grande-Bretagne | 62% | 87% | + 25 pts |
Espagne | 47% | 70% | + 23 pts |
Allemagne | 45% | 63% | + 18 pts |
Italie | 45% | 63% | + 18 pts |
Pologne | 74% | 87% | + 13 pts |
France | 54% | 63% | + 9 pts |
On peut formuler l’hypothèse que ces écarts s’expliquent en partie par un tropisme pacifiste traditionnellement plus répandu dans les jeunes générations. À l’autre extrémité de la pyramide des âges, nous sommes en présence d’une génération (les soixante-cinq ans et plus), qui avait déjà plus de trente ans au moment de la chute du mur de Berlin. En Europe de l’Ouest, cette génération avait grandi dans un paysage géopolitique dominé par l’affrontement entre les deux blocs et marqué par le « péril soviétique ». Au travers de nombreuses références au monde soviétique (la carrière de Vladimir Poutine au KGB, les matériels militaires russes tout droit sortis des arsenaux de l’Armée rouge, la centrale de Tchernobyl, les drapeaux soviétiques brandis par les soldats russes, les parades militaires, etc.), le conflit actuel réactive sans doute le spectre de cette menace soviétique dans cette génération qui a connu la guerre froide. En Pologne, ces seniors avaient vingt-cinq ans ou plus lors de l’instauration de l’état de siège de 1981 à 1983 par le général Jaruzelski et ont donc vécu sous le joug soviétique, ce qui les rend d’autant plus sensibles à la lutte du peuple ukrainien contre les armées de Moscou.
De la même manière que, dans le Donbass, les sentiments varient selon les générations (les personnes les plus âgées ayant grandi en Union soviétique étant plus russophiles, alors que les plus jeunes se sentent davantage ukrainiens), dans les pays européens, le regard sur ce conflit diffère donc également selon les générations, avec comme ligne de césure le fait d’avoir ou non connu l’existence du bloc soviétique.
On constate, enfin, comme on l’a observé précédemment à propos de l’image de l’Ukraine et de la Russie, des différences de positionnement très appuyées en fonction de la sympathie partisane. Dans la plupart des pays, les sympathisants de la droite extrême et de la gauche radicale affichent un moindre soutien à la livraison d’armes à l’Ukraine, alors que les sympathisants des formations situées dans la partie centrale de l’échiquier politique y adhèrent bien plus massivement. Ainsi, en France, seulement 39% des électeurs d’Éric Zemmour, 44% de ceux de Marine Le Pen et 48% de ceux de Jean-Luc Mélenchon approuvent les livraisons d’armes, contre pas moins de 77% parmi les électeurs macronistes. Même constat en Allemagne : deux sympathisants sur trois du SPD, des Grünen, du FDP et de la CDU/CSU adhèrent à l’envoi d’armes aux troupes ukrainiennes, contre seulement 42% des sympathisants de Die Linke et 20% dans les rangs de l’AfD ou du NPD. Aux Pays-Bas, le taux de soutien s’établit à 77% parmi les sympathisants centristes (et 76% pour la droite modérée) contre seulement 58% au sein de la droite radicale.
L’opposition des électeurs de la gauche radicale dans différents pays européens traduit sans doute la prégnance du pacifisme et de l’antimilitarisme dans cette famille politique, incarnés notamment par le Mouvement de la paix, créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui fut actif jusque dans les années 1980-1990. Du côté de la droite extrême, c’est moins l’influence d’une culture pacifiste qui explique l’opposition aux livraisons d’armes à l’Ukraine qu’une posture isolationniste traditionnellement adoptée dans les rangs nationalistes. Rechignant à ce que les soldats de leur pays soient engagés dans des combats loin de la mère-patrie alors que les intérêts vitaux du pays ne seraient pas menacés, les sympathisants des droites radicales européennes voient d’un mauvais œil ce soutien aux Ukrainiens, qui pourrait, selon eux, conduire à une escalade et entraîner les pays européens dans une guerre « qui n’est pas la nôtre ». À cela s’ajoute pour une partie de cet électorat une relative bienveillance et empathie pour la Russie poutinienne, comme on l’a vu précédemment.
Symétriquement, les sympathisants des formations de l’arc central (allant de la social-démocratie à la droite libérale en passant par les centristes et les écologistes) voient dans la guerre en Ukraine un conflit entre un régime autoritaire et une démocratie occidentale. Pour ces sympathisants de l’arc central, qui constituent les soutiens historiques de la construction européenne, les Ukrainiens ne font pas que défendre leur pays, mais se battent également pour l’Europe et ses valeurs. C’est pourquoi ces sympathisants sont les plus massivement favorables à la livraison d’armes aux forces de Kiev.
Une adhésion plus ou moins forte à une candidature de l’Ukraine dans l’Union européenne
Si Volodymyr Zelensky a reçu un accueil triomphal lors de sa venue au Parlement européen à Bruxelles, les opinions européennes n’affichent pas toutes le même degré d’approbation à la perspective d’une entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne.
Comme sur les autres thèmes évoqués dans cette enquête, des écarts se manifestent entre différents groupes de pays. Une nouvelle fois, les Polonais (82%) et les Britanniques (80%) sont les plus enthousiastes. La forte approbation de nos voisins d’outre-Manche traduit leur forte empathie à la cause ukrainienne et peut être également le regret de certains d’eux d’avoir vu leur propre pays quitter l’Union européenne. L’adhésion à la candidature de l’Ukraine est également majoritaire en Espagne (79%) et aux Pays-Bas (64%), mais aussi en Italie (63%), alors qu’elle est beaucoup plus mesurée de part et d’autre du Rhin : 55% en France et seulement 52% en Allemagne.
Dans ce dernier pays, le recul du soutien à une candidature de l’Ukraine est assez marqué, puisqu’il est passé de 68% au début du mois de mars 2022 à 52% aujourd’hui. Ailleurs en Europe, le même mouvement s’observe, mais avec une moindre amplitude (entre -5 points et -9 points selon les pays). Si les Ukrainiens veulent intégrer l’Union européenne, leurs efforts diplomatiques devront se concentrer sur le couple franco-allemand, dont les populations apparaissent aujourd’hui les plus réticentes à cette perspective.
- 1C’est dans la gent féminine que la baisse du soutien aux livraisons d’armes a été la plus marquée : moins 20 points parmi les femmes (43%) contre 9 points de moins chez les hommes (60%).
- 2Différents sondages indiquent également une érosion du soutien militaire à l’Ukraine aux États-Unis. Voir Alexis Feertchak, « Guerre en Ukraine : la défiance vis-à-vis de l’aide à Kiev progresse aux États-Unis selon les sondages », Le Figaro, 6 février 2023.