Trois mois après le début de la guerre, quels regards portent les Européens sur l’Ukraine et la Russie ?

Trois mois après le début de l’intervention militaire russe en Ukraine qui avait soulevé une vague de soutien unanime dans l’opinion publique en faveur de l’Ukraine, ce soutien est-il toujours au même niveau ? Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, livre son analyse à partir des données du deuxième volet de l’enquête « Les peuples européens derrière l’Ukraine ».

Le 24 février dernier, le président russe Vladimir Poutine décida de mettre en place une opération militaire sans précédent sur le territoire ukrainien. Plus de trois mois après le début de cette agression, nous nous efforçons de comprendre comment les citoyens européens réagissent – sur le moyen terme donc – à cet ordre international particulièrement déstabilisé. Avec l’aide des données de l’Ifop, nous nous focalisons sur six pays en particulier, la France, l’Allemagne, l’Espagne, la Pologne, l’Irlande et la Suède et tentons de comprendre à la fois comment les citoyens de ces différents pays perçoivent cette situation, mais également s’ils sont prêts à ce que l’Ukraine entre dans l’Union européenne.

L’image de l’Ukraine et de la Russie

Sans surprise, l’Ukraine et la Russie sont perçus largement différemment au sein des pays européens étudiés. Si l’Ukraine est perçue très largement positivement dans l’ensemble des pays européens dans lesquels nous avons effectué notre enquête, c’est une situation inverse que l’on constate pour la Russie (graphique 1).

Graphique 1. Pourcentage de « bonne opinion » de l’Ukraine et de la Russie, au sein de six pays européens

Néanmoins, en dehors de ce constat général, quelques remarques plus spécifiques s’imposent. D’une part, on constate certaines différences entre les pays étudiés. La Pologne, de par sa géographie et son histoire, se différencie par un soutien plus prononcé pour l’Ukraine que pour les pays de l’ouest de l’Europe (près de 10 points de différence par rapport à la France et à l’Allemagne) et par un rejet plus viscéral de la Russie (seulement 7% de bonne opinion en Pologne contre 14% en France et 18% en Allemagne). D’autre part, lorsqu’on compare les chiffres entre le début de l’invasion russe et maintenant, on constate à la fois une baisse des opinions positives vis-à-vis de la Russie (de 21% d’opinions positives en France à 14%), mais également une légère baisse dans le soutien à l’Ukraine. Le taux de bonne opinion en Allemagne par rapport à l’Ukraine est ainsi passé de 86% à 77% en l’espace de trois mois.

Enfin, il est également particulièrement intéressant de voir à quel point les bonnes opinions vis-à-vis de l’Ukraine ne se répartissent pas équitablement au sein des différentes catégories socio-démographiques et socio-politiques. Prenons ainsi le cas français. Tout d’abord, certaines différences s’observent en fonction de l’âge. Plus l’âge des répondants augmente, plus le total de bonne opinion augmente (graphique 2). Notons ainsi que moins de deux tiers des 18-24 ans (64%) ont une bonne opinion de l’Ukraine. Mais si c’est au sein de cette catégorie d’âge que la bonne opinion vis-à-vis de l’Ukraine est la plus faible, c’est également chez les jeunes que le total de bonnes opinions vis-à-vis de la Russie est le plus faible (8%). Sans non plus renvoyer dos à dos les deux nations, les jeunes refusent donc d’adopter pleinement une vision du conflit où l’Ukraine serait uniquement en position d’agressée.

Graphique 2. Pourcentage de « bonne opinion » de l’Ukraine et de la Russie, en France, selon l’âge

Si des différences en termes d’âge se constatent, elles sont finalement plus marquées en termes politiques. Alors que l’image de la Russie est profondément dégradée au sein des partis « de gouvernement », c’est largement moins le cas chez les proches des partis davantage situés dans les marges électorales (graphique 3). Ainsi, 22% des proches de La France insoumise, 21% des proches du Rassemblement national et 41% des proches de Reconquête ! continuent d’avoir une image positive de la Russie.

Graphique 3. Pourcentage de « bonne opinion » de l’Ukraine et de la Russie, en France, selon la proximité politique

L’image des présidents russe et ukrainien

Sans réelle surprise, l’image de Vladimir Poutine et de Volodymyr Zelensky est profondément liée à l’image de leur pays. Les logiques sociales et politiques que nous décrivions dans la précédente partie s’appliquent ainsi de la même manière. Néanmoins, un point est assez remarquable. En Allemagne comme en France, que ce soit pour le président russe ou pour le président ukrainien, leur taux de bonne opinion est plus faible que celui prêté à leur pays. Le cas de Vladimir Poutine est particulièrement évocateur : dans aucun des cinq pays testés son taux d’approbation ne dépasse la barre des 10% (graphique 4).

Graphique 4. Pourcentage de « bonne opinion » du président russe et du président ukrainien, au sein de six pays européens

Les opinions publiques concernant l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne

Considérons maintenant un dernier point, l’avis des Européens concernant l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. Si les citoyens des différents pays européens sont très largement favorables à cette entrée, des différences assez manifestes se constatent néanmoins (graphique 5).

Graphique 5. Pourcentage des citoyens se déclarant favorables à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne, au sein de six pays européens

Au total, en France et en Allemagne, pays pourtant moteurs du projet européen, moins d’un tiers est favorable à cet élargissement (62% en France, 64% en Allemagne). Si ce chiffre est bien plus élevé en Pologne (89%), pays voyant clairement l’Union européenne comme un gage de sécurité face à une potentielle agression russe, il est frappant de constater que des niveaux relativement similaires de soutiens s’observent un peu partout en Europe (84% d’Espagnols favorables, 83% d’Irlandais et 86% de Suédois). La France et l’Allemagne se singularisent donc par une certaine frilosité vis-à-vis de cette candidature.

Lorsque l’on se penche sur ces deux pays, on constate alors que ce sont bien des différences politiques qui sont à l’origine de ces niveaux moins élevés de soutiens.

Graphique 6. Pourcentage de Français et d’Allemands se déclarant favorables à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne, en fonction de leur proximité politique

Les Français proches des partis de gauche et du centre sont ainsi largement plus favorables à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne que les proches de partis situés à droite de l’échiquier politique. Sans surprise, en France, c’est à l’extrême droite que le soutien à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne est le plus faible (46%). C’est une situation similaire que l’on retrouve en Allemagne, les proches des partis de gauche étant bien plus favorables à cet élargissement que les proches des partis de droite (73% contre 54%).

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