Pour une autre forme à la réforme de la fonction publique

Le gouvernement annonce une nouvelle loi concernant la fonction publique. Son projet de loi « pour l’efficacité de la fonction publique » sous-entend que les défis rencontrés ont trait prioritairement à une insuffisance d’efficacité et moins à un manque d’attractivité et de fidélisation. Johan Theuret, co-fondateur du Sens du service public et ancien président de l’Association des DRH des grandes collectivités, propose ici une autre approche.

Moins de cinq ans après la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, le gouvernement annonce une nouvelle loi concernant la fonction publique. Le 9 avril dernier, le ministre Stanislas Guerini a débuté les discussions avec les partenaires sociaux en présentant les enjeux de son projet de loi « pour l’efficacité de la fonction publique », sous-entendant que les défis rencontrés ont trait prioritairement à une insuffisance d’efficacité et moins à un manque d’attractivité et de fidélisation.

Pour justifier auprès de la presse son projet de loi, le ministre a soutenu comme premières propositions le licenciement des fonctionnaires et la rémunération au mérite des agents publics. Ces annonces apparaissent avant tout comme des marqueurs politiques, s’inscrivant dans un discours rôdé depuis de très longues années et s’inscrivant dans la vision du new public management fondée sur 3 E : économie, efficacité, efficience. 

La fonction publique doit bien évidemment s’adapter aux nouveaux enjeux sociétaux et aux besoins des usagers. Mais l’adapter ne signifie pas nécessairement bouleverser ses principes fondateurs et encore moins l’affaiblir en stigmatisant les agents publics. 

Le « tabou du licenciement », mais de quel tabou parle-t-on ?  

Stanislas Guerini a annoncé vouloir s’attaquer au « tabou du licenciement des fonctionnaires », passant sous silence ce qui différencie la gestion RH des secteurs public et privé, à savoir le lien de subordination, les modalités de recrutement et la fixation de la rémunération. 

Dans le respect du code du travail, dans le privé, la liberté contractuelle prime, alors que les droits et obligations des fonctionnaires contenus dans la loi du 13 juillet 1983 déterminent les relations entre un employeur public et un fonctionnaire. Dans le secteur privé, on est recruté pour exercer un métier précis. Dans le secteur public, on est uniquement titulaire de son grade et non de son poste. C’est ce principe qui, dans la fonction publique, autorise les réaffectations d’office en cas d’insuffisance professionnelle ou de nécessité de service (cf. les réaffectations unilatérales dans les hôpitaux et les Ehpad pendant la crise liée à l’épidémie de Covid-19). 

C’est aussi l’existence de ce principe qui relativise les comparaisons en matière de licenciement pour insuffisance professionnelle. Celle-ci reste d’abord appréciée dans le public pendant la période de stage qui dure un an après l’obtention d’un concours et avant titularisation. Dans le privé, la période d’essai est de quatre mois. Par ailleurs, avant de procéder au licenciement d’un fonctionnaire, un employeur dispose d’autres leviers managériaux, comme le changement de poste. Lorsque celui-ci est inopérant, le licenciement devient alors possible. En effet, contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement, dans le titre 5 du livre 5 du code général de la fonction publique, le licenciement est spécifiquement prévu au chapitre 3. 

Des assouplissements des procédures, voire des simplifications, sont probablement nécessaires en transférant par exemple la compétence de l’insuffisance professionnelle du conseil de discipline aux commissions administratives paritaires. Mais il n’existe pas de tabou concernant le licenciement des fonctionnaires quand, par exemple, dans la fonction publique territoriale, on enregistre 200 licenciements par an. 

Prétendre en 2024 initier une grande réforme de la fonction publique en débutant les discussions avec les partenaires sociaux et dans les médias par le licenciement des fonctionnaires ressemble au pis à une provocation, au mieux à une minoration des véritables défis de la fonction publique (attractivité, rémunération, représentativité de la société française…). 

Au-delà des jeux de postures, il est regrettable que la première loi post-Covid-19, qui a mis en avant la plus-value des services publics, débute par des sujets aussi polémiques et offrant une vision tronquée de la réalité vécue par les usagers et par les agents de la fonction publique, alors que les Françaises et les Français nous attendent avec des solutions pour garantir la continuité et la qualité des services publics pour toutes et tous.

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Quels sont les enjeux prioritaires de la fonction publique ?

La fonction publique est aujourd’hui traversée par de nombreux enjeux : vieillissement de sa pyramide des âges (44 ans) plus prononcé que celui du secteur privé (41 ans) ; mobilité professionnelle inter-versants trop réduite (moins de 30 000/an) ; fonctionnement peu compréhensible en raison de la multiplicité et de la complexité des textes réglementaires… 

Toutefois, deux enjeux demeurent actuellement prépondérants et nécessitent des réponses légales efficaces : celui de la rémunération et celui de son ouverture. Ces deux défis contribuent très directement à l’attractivité de la fonction publique et à la continuité des services publics. 

La rendre plus attractive par la garantie de rémunérations évolutives 

La fonction publique doit relever plusieurs défis en commençant par le sujet de la rémunération. La France compte 5,7 millions d’agents publics dont le niveau de la rémunération renvoie à la problématique de leur pouvoir d’achat mais aussi à celle de l’attractivité des métiers. Le salaire moyen net du secteur privé (2524 euros/mois) reste toujours supérieur à celui du secteur public (2431 euros/mois) de 93 euros nets mensuels. Entre 2013 et 2022, le salaire moyen net du secteur privé a augmenté de 19,43% et celui du secteur public de 15,14%. 

Cantonner la politique salariale à la maîtrise des dépenses publiques témoigne de l’absence de politique RH et n’offre ni visibilité aux employeurs publics, ni un contrat de confiance aux agents publics. C’est pourquoi donner de la visibilité salariale, c’est admettre la pertinence d’une formule d’indexation des salaires sur la base d’un indicateur partagé entre les employeurs publics et les partenaires sociaux, pour éviter les à-coups salariaux. Il ne s’agit pas d’indexer la valeur du point sur l’inflation, et ce dans la mesure où des éléments individuels (avancements d’échelons, avancements de grades, promotions internes) contribuent déjà à la hausse de la rémunération des agents publics. Toutefois, une formule d’indexation de la valeur du point donnerait davantage de visibilité pluriannuelle aux agents et employeurs publics et garantirait une rémunération évolutive.

L’absence de discussions salariales annuelles obligatoires, comme dans la plupart des pays européens voisins, fait de la France une exception en Europe. 

Ce véritable chantier salarial devrait également corriger les inégalités salariales entre les femmes et hommes (l’écart estimé est de 11,3%). Même si l’écart de salaires entre les femmes et les hommes est plus faible dans la fonction publique que dans le secteur privé (16,8%) et qu’il est en diminution depuis 2013, les améliorations doivent être poursuivies. Les causes sont multiples (temps partiels, surreprésentation des femmes au sein des emplois les moins rémunérés, interruptions de carrière, plafond de verre…), mais les conséquences demeurent toutes les mêmes : écarts salariaux et pensions de retraite moindres. 

La rendre plus attractive par son ouverture et sa représentativité 

Le nombre de candidats aux concours diminue depuis quinze ans. En 2022, le taux de sélectivité était de 5,8 candidats pour 1 admis (12 en 2007). L’attractivité et l’ouverture de la fonction publique nécessitent des changements dans ses conditions d’accès, sans pour autant casser le statut. Le recrutement par concours reste perfectible, mais demeure un vecteur de professionnalisation et d’égalité des chances. La loi Dussopt du 6 août 2019 a suffisamment assoupli les modalités de mise en œuvre du contrat, puisque le nombre de contractuels augmente significativement depuis (22% d’agents publics sont contractuels). 

L’ouverture de la fonction publique doit réinterroger les épreuves de concours qui devraient être moins académiques et plus professionnalisantes pour ne pas entretenir les inégalités scolaires. Par ailleurs, 26 000 apprentis sont accueillis annuellement au sein des administrations publiques sans bénéficier de débouchés professionnels sécurisés. Offrir la possibilité d’accéder aux emplois publics au travers d’une voie d’accès réservée, aux côtés des concours internes, externes et de la troisième voie, constituerait un puissant levier de fidélisation de ces jeunes formés dans la fonction publique. 

Enfin, alors que la fonction publique fait face à une crise majeure d’attractivité, elle se prive de compétences en excluant une partie de la population : plus de 4 millions d’emplois de fonctionnaires ne peuvent pas être occupés par des étrangers non européens. Empêcher l’accès par concours aux étrangers prive les administrations publiques de candidats compétents et prêts à s’engager au service de l’intérêt général. Cela ne permet pas aux étrangers intéressés par la fonction publique de bénéficier d’une ascension sociale, alors qu’il s’agit de l’une des forces de notre modèle de fonction publique. Tant que perdurera cette discrimination, la fonction publique ne pourra prétendre être représentative de la diversité de la société française. 

Le Sens du service public porte un discours de rénovation de l’administration en incitant à la responsabilisation des acteurs qu’ils soient employeurs, partenaires sociaux ou agents. Il considère que les enjeux actuels de la fonction publique obligent à des évolutions législatives pertinentes répondant aux vrais défis et non aux visions caricaturales. 

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