Avec le vote de la loi « immigration » qui a offert à l’extrême droite une victoire idéologique sans précédent, notre pays a traversé une séquence politique inédite. Pour l’éclairer, la Fondation fait appel à plusieurs de ses experts, dans des domaines différents, apportant une perspective de gauche renouvelée, montrant ainsi que la société française est capable de produire l’intelligence collective nécessaire à l’élaboration d’une politique migratoire efficace et consensuelle.
Préface, par Jean-Marc Ayrault
Avec le vote de la loi « immigration », notre pays vient de traverser une de ces séquences politiques houleuses dont il a semble-t-il le secret.
Disons-le d’emblée : l’immigration n’est pas un non-sujet. Elle n’est pas le seul sujet – elle n’est pas même le plus important – mais, indiscutablement, elle en est un. Les Français – et leurs voisins européens – le savent. Ils le vivent au quotidien et, année après année, de sondages en élections, nous disent combien elle questionne notre identité, bouscule nos valeurs, interroge le sens de notre prospérité.
Mais ceux qui ont rendu cette loi possible – qu’ils l’aient voulue, rédigée, applaudie ou qu’ils s’y soient résignés – le savent eux-mêmes pertinemment : parce qu’il ne découle d‘aucune réflexion sur les raisons globales des flux migratoires, parce qu’il traduit une vision nationale étriquée d’un problème mondial, parce qu’il esquive la question de l’intégration de ceux qui vivent durablement dans notre pays et de ceux d’entre eux qui sont appelés à devenir nos concitoyens, parce qu’il s’attarde souvent sur l’accessoire en oubliant toujours l’essentiel, ce texte est une illusion.
Chacun l’a par ailleurs compris : en s’alignant sur certaines de ses propositions, en reprenant son vocabulaire, en singeant ses obsessions et en fermant les yeux sur ses outrances, le gouvernement a offert à l’extrême droite une victoire idéologique sans précédent.
Cette défaite en appelle d’autres, plus graves encore. En se défaussant sur le Conseil constitutionnel plutôt que d’assumer politiquement la défense de certains principes républicains et en ouvrant ainsi la porte à une attaque en règle contre certains des fondements de notre État de droit, la majorité s’en est assurée.
L’immigration est un sujet complexe. Il requiert un débat dépassionné, de l’honnêteté intellectuelle, un souci du compromis, de la rigueur républicaine, une vision européenne. Les Français n’ont eu le droit à rien de cela, et aucun responsable politique digne de ce nom, aucun parti soucieux de l’intérêt du pays, ne peut s’en satisfaire.
C’est pour tenter d’y remédier que la Fondation Jean-Jaurès a voulu publier cette série de notes. Elles n’ont pas la prétention à tout résoudre, ni même à tout aborder. D’autres contributions viendront compléter ces textes qui apportent un éclairage, une perspective de gauche renouvelée, en mettant sur la table toutes les questions. Sans a priori et sans sujet tabou, mais sans rien céder non plus aux lieux communs ni aux renoncements de l’époque : le débat politique ne connaît par nature aucune limite, mais il s’inscrit dans un cadre qui est pour nous intangible – la préservation de l’État de droit, le respect de nos engagements européens et internationaux, la défense du droit d’asile et des valeurs républicaines.
Cette initiative en est la preuve : nous pensons que la société française est capable de produire l’intelligence collective nécessaire à l’élaboration d’une politique migratoire efficace et consensuelle. Mais, sur ce sujet comme sur tant d’autres, il revient aux autorités politiques de créer les conditions favorables à l’instauration de ce dialogue citoyen. À cet égard, les conventions citoyennes ont déjà fait la preuve de leur efficacité. Pourquoi ne pas y recourir de nouveau ?
Les contributions
- L’immigration, un enjeu français ?, Jean-Daniel Lévy
- Penser en internationaliste, penser global ? Les internationales ouvrières et la question des migrations (années 1840-années 1940), Bastien Cabot
- La gauche et l’immigration. Retour historique, perspectives stratégiques, Bassem Asseh, Daniel Szeftel
- Loi « immigration » : un point de bascule, Boris Vallaud
- Loi « immigration » : préférence nationale et remise en cause des fondements de la Sécurité sociale, Jérôme Guedj, Collectif République sociale
- Face aux migrations, la solidarité européenne ou le chaos, Sylvie Guillaume et Chloé Ridel
- La loi « immigration » : quel impact sur les collectivités territoriales ?, Emma Antropoli
- L’« appel d’air » : une mécanique des fluides ?, Smaïn Laacher
- L’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière en France. Une analyse critique des projets de réforme de l’aide médicale de l’État, Jean-Marie André
- L’accueil des réfugiés en France. Dix questions pour comprendre, Paolo Artini et Smaïn Laacher
- L’engagement des réfugiés dans la société française : une réalité avérée, Smaïn Laacher et Alain Régnier
Nouvelles contributions
- L’immigration : pour un retour au réel et à notre humanité, Chaynesse Khirouni (29 février 2024)
Ce recueil compile des notes parues sur le site de la Fondation Jean-Jaurès depuis le 11 janvier 2024. Certaines ont donc été rédigées avant la décision du Conseil constitutionnel du 25 janvier, mais leur propos reste pertinent pour éclairer cette séquence politique inédite. |