L’engagement des réfugiés dans la société française : une réalité avérée

La nouvelle loi sur l’immigration introduit des changements importants en matière d’intégration des réfugiés dans la société française. Or, ces derniers sont très nombreux à participer à leur insertion sociale, économique et culturelle par un engagement dans des domaines aussi variés que la jeunesse, la culture, le sport ou l’emploi. Le sociologue Smaïn Laacher, directeur de l’Observatoire du fait migratoire et de l’asile de la Fondation, et Alain Régnier, délégué interministériel pour l’accueil et l’intégration des réfugiés, montrent ainsi que les réfugiés peuvent, de manière significative, s’impliquer et agir avec et pour la société.

La nouvelle loi sur l’immigration réorganise l’espace institutionnel qui aura à intervenir et à se prononcer sur la demande d’asile et les conditions d’existence et les trajectoires de vie des réfugiés dans notre pays. La loi, dans sa version non encore validée par le Conseil constitutionnel, introduit des changements importants dans l’examen de la demande d’asile, les conditions du regroupement familial ou bien encore les conditions posées pour l’accès aux prestations sociales. Ces réformes devront être évaluées à l’aune des défis que pose l’intégration des réfugiés dans la société française. Pourtant, comme nous nous proposons de le montrer dans le texte qui suit, très nombreux sont les réfugiés qui participent en personne à leur insertion sociale, économique et culturelle. L’ensemble des acteurs politiques ne doivent nullement penser que l’individu seul peut se substituer aux insuffisances de nos systèmes d’intégration sociale.

Être réfugié et s’engager dans sa nouvelle société

L’arrivée régulière dans notre pays, ces dernières années, de réfugiés, contraints à l’exil et fuyant des réalités complexes présentes sur l’ensemble des continents, fait peur et génère de plus en plus de débats haineux et xénophobes au sein de la société française. La prolifération de ces discours se cristallisant autour de la figure de « l’étranger » comme source ou conséquence des maux et difficultés sociales et économiques du pays relève davantage de l’opinion et de la croyance.

Au-delà des amalgames et des confusions ainsi générées sur le statut des personnes, il est nécessaire de mobiliser des réalités et données objectives. En effet, nous parlons ici de personnes bénéficiaires de la protection internationale. Ces femmes, ces hommes, ces enfants fuient massivement leur pays ou leur région d’origine, parce qu’ils ne peuvent y retourner « en raison notamment d’un conflit armé ou de violences ou parce qu’ils sont victimes de violations graves et répétées des droits de l’homme ». De la crise syrienne de 2015 à la chute de Kaboul en 2021 jusqu’au conflit ukrainien en 2022, c’est au total près de 500 000 personnes réfugiées qui ont été accueillies en France depuis une dizaine d’années.

Pourtant, les représentations négatives l’emportent et masquent en réalité toutes les réussites d’une politique d’accueil et d’intégration menée au quotidien à travers une diversité d’actions et de programmes déployés sur l’ensemble du territoire.

Les personnes qui nous rejoignent sont des individus dont l’existence a basculé vers l’acceptation d’une épreuve : celle de s’intégrer pour continuer à exister. L’épreuve de l’exil est nécessairement contrainte et forcée. Elle ne peut être rejetée. Résolument subie et singulière, elle impose aux personnes réfugiées d’abandonner une langue qui ne peut plus être parlée, d’accepter une profession qu’elles n’avaient peut-être jamais exercée, de quitter un toit qui ne peut plus être habité et, somme toute, de laisser derrière elles cette culture, leur culture, qui demeure incomprise et qui ne peut être que très rarement partagée.

Trop souvent, les réfugiés sont déshumanisés et renvoyés au qualificatif de « migrants », perçu de manière péjorative au sein de l’opinion. Ce n’est que lors de drames insoutenables que certains retrouvent un prénom, quelquefois un nom, à travers des images médiatisées et permettant d’évoquer des réalités souvent inconnues ou peu considérées.

Ce parcours migratoire est de plus en plus violent et traumatisant compte tenu de la multiplication des conflits à l’échelle internationale et des difficultés rencontrées par les personnes au gré de leur traversée. Après l’arrivée en France, des semaines, des mois et même des années sont bien souvent nécessaires pour se reconstruire, se retrouver et pouvoir bénéficier d’une certaine quiétude. Passée cette première phase, le parcours d’intégration commence par l’obtention du contrat d’intégration républicaine (CIR). L’apprentissage du français est bien sûr essentiel pour permettre l’autonomie et les échanges nécessaires, mais il ne saurait être exclusif et suffire. La bonne intégration est faite d’interactions entre les réfugiés et la société d’accueil. Dans ce cadre, les réfugiés ne sont pas passifs, ils sont engagés dans tous les domaines de leur intégration et c’est lorsqu’ils deviennent eux-mêmes acteurs qu’ils parviennent à concourir véritablement à leur intégration.

Cet engagement s’incarne nécessairement dans des lieux dédiés. Il n’est pas hors sol, il existe dans un territoire, en proximité, aux côtés d’individus et d’une collectivité diverse et plurielle. Le rôle des élus locaux et de la société civile est essentiel pour créer, permettre et favoriser les conditions de la rencontre.

L’engagement évoque une multitude de significations. Il appelle à une série de possibilités d’actes, de découverte sur soi et des autres dans une perspective de droits et de devoirs. Mais s’engager, c’est aussi et avant tout s’engager vers l’autre, pour s’accomplir et donner du sens à sa vie. La force de l’engagement des réfugiés est d’autant plus forte qu’elle s’inscrit dans la construction d’une nouvelle vie loin de tout ce qui constituait son identité.

Ainsi, il existe plusieurs formes d’engagement des réfugiés et autant d’enjeux qui méritent d’être développés et illustrés par des exemples concrets. En effet, qu’ils soient jeunes volontaires en service civique, bénévoles, sportifs, artistes ou professionnels, les réfugiés ont, au travers de leur parcours d’intégration, montré qu’ils pouvaient, de manière significative, s’impliquer et agir avec et pour la société.

Afin d’illustrer l’engagement, les sujets relatifs à la jeunesse, à la culture, au sport, à l’emploi ou encore à la participation des réfugiés sont particulièrement significatifs.

Voici un tour d’horizon des initiatives mises en œuvre sur chacune de ces thématiques constituant autant de défis que de perspectives à relever pour les prochaines années à venir.

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Jeunes, réfugiés et engagés au service de la collectivité

Qu’ils soient lycéens, volontaires en service civique ou étudiants, les jeunes réfugiés, durant leur parcours d’intégration, s’impliquent au sein de la société française à travers une multitude d’actions leur permettant ainsi, par leur engagement, de contribuer à une société du vivre-ensemble, enrichie par une incroyable diversité.

Programme phare créé par la Délégation interministérielle à l’accueil et l’intégration des réfugiés (Diair), le grand programme national de service civique, Volont’R, a permis, depuis son lancement en 2018, à plus de 12 000 jeunes de s’engager au service de la société, dont 1 000 jeunes réfugiés. Ce dispositif propose à des jeunes réfugiés ou étrangers primo-arrivants et à des jeunes Français, âgés de 16 à 25 ans, de réaliser des missions de service civique au sein d’associations ou collectivités. Son ambition ? Renforcer l’intégration dans la société française des jeunes que la France accueille et contribuer à changer le regard des jeunes sur les migrations. Concrètement, comment ça marche ? Qu’ils soient en binôme ou au sein d’une promotion réunissant réfugiés et francophones, accompagnés par un tuteur référent, ces volontaires accomplissent des missions allant de six à douze mois. Elles s’articulent autour des thématiques suivantes : santé, sport, solidarité, environnement, culture, éducation, mémoire et citoyenneté, intervention d’urgence, action humanitaire et citoyenneté européenne. Partout en France, au sein des structures porteuses du programme, ces jeunes réalisent chaque semaine, de 24 à 35 heures, des missions diversifiées accessibles sans condition de diplôme : atelier d’inclusion numérique, maraudes, animation socio-culturelle ou sportive, visites auprès de personnes âgées…

Ces volontaires ont des profils diversifiés. Certains viennent de rejoindre la France après un exil long et douloureux, d’autres ont entrepris des études et s’interrogent sur leur orientation. Au-delà de ce qu’ils ont été et accompli, de leurs parcours différents, ces jeunes partagent une volonté commune, celle de s’impliquer au service de la société, de rejoindre un collectif et d’apprendre, peut-être et surtout, à se re-découvrir en tant qu’individu.  

L’engagement des jeunes réfugiés s’illustre également par des actions bénévoles dans des dispositifs de mentorat étudiant ou associatif au sein des nombreuses associations présentes sur les campus universitaires.

Il s’agit, aujourd’hui, de valoriser ces expériences dans le parcours d’avenir de chacun, qu’il soit à visée académique ou professionnelle. Ainsi, le suivi post-mission, la constitution d’un réseau d’anciens engagés sont des perspectives à étoffer. Au-delà, ces actions contribuent à une forme de citoyenneté renouvelée où chacun peut contribuer de manière significative à un idéal de fraternité.

S’engager, c’est aussi créer. C’est partager un regard différent du nôtre sur le monde qui nous environne pour en imaginer un autre. C’est en puisant dans les différentes formes culturelles et artistiques et, notamment, à travers la création que les artistes réfugiés parviennent à enrichir la société.

La création artistique : une source d’enrichissement pour la société

Dans le parcours d’accueil et d’intégration des personnes réfugiées en France, la culture arbore différents rôles : elle adopte, traditionnellement, celui de concourir à la découverte de la société d’accueil à travers la visite de lieux culturels, du patrimoine, de la langue française. Mais la culture peut aussi prendre le rôle, résolument nécessaire, de révélateur et de moteur nécessaire à une meilleure connaissance de soi et des autres.

Comprise sous le prisme des échanges avec la société à travers les pratiques et expressions artistiques, la culture permet de concourir à une cohésion sociale renouvelée, et, en mettant en avant les créations réalisées par les artistes réfugiés, elle leur permet de poursuivre leurs combats et de lutter contre les raisons qui les ont conduits à l’exil.

Cette forme d’engagement est, sans nul doute, la plus importante et pourtant c’est celle qui est souvent reléguée au dernier plan des dispositifs mis en œuvre. La culture représente une profonde source d’enrichissement pour la société française. Les œuvres d’artistes réfugiés nous touchent, nous éclairent, nous conduisent parfois nous-même à nous engager à travers le changement de regard et la compréhension des réalités relatives à l’exil. De nombreux acteurs – festivals, musées, professionnels de la médiation culturelle – se sont mobilisés ces dernières années à travers une ouverture de leur programmation à des artistes réfugiés. Nous avons tous en mémoire l’affiche de la 76e édition du Festival d’Avignon réalisée par Kubra Khademi, artiste réfugiée afghane, qui nous invitait à nous interroger sur la manière dont le monde perçoit son pays : la guerre, les talibans, les femmes. En 2022, une cinquantaine de scènes françaises ont ouvert leurs portes à plus de 150 artistes afghans exfiltrés, illustrant l’hospitalité et la mobilisation exceptionnelle du monde du spectacle vivant en France. À l’image du Théâtre nouvelle génération à Lyon et du théâtre de Villeurbanne, qui ont décidé en août 2021 d’accueillir conjointement une troupe de théâtre composée de neuf jeunes comédiennes et d’un metteur en scène : l’Afghan Girls Theater Group. Après une évacuation difficile, la troupe rejoint la métropole de Lyon. Près de deux ans après, elle se produit en juin 2023 pour une représentation des Messagères, d’après Antigone de Sophocle.

D’autres domaines ont été marqués par les créations d’artistes réfugiés : le monde du cinéma ou encore celui de l’édition. On peut citer l’exemple d’Omar Youssef Souleimane, réfugié syrien, qui, après son arrivée en France en 2012 et un apprentissage de la langue française, poursuit son métier en publiant différents recueils de poèmes dans la langue de sa société d’accueil. Des dispositifs de résidence et d’accueil sont mis en œuvre par une diversité d’acteurs culturels – citons l’Atelier des artistes en exil, les Centres culturels de rencontre situés dans des territoires ruraux, la Cité internationale des arts ou la Maison des journalistes.

À travers la culture, il s’agit aussi de favoriser les conditions de l’échange et de permettre l’accessibilité des lieux. Le Passe culture permet aux personnes réfugiées de bénéficier de la gratuité dans les lieux culturels et d’interagir avec le public à travers des dispositifs de médiation dédiés.

Une série d’actions prenant en compte les enjeux interculturels ont été lancées, à l’image du partenariat associant différentes scènes nationales autour du spectacle vivant ou encore du travail mené avec l’association Bibliothèques sans frontières sur l’accès au livre et à la lecture pour les jeunes réfugiés.

Les défis sont encore nombreux. Il est nécessaire de mieux associer les acteurs engagés au sein de réseaux structurés, de continuer à valoriser les actions des entreprises, particulièrement dans les territoires. Aussi, l’approche artistique dans le cadre de l’apprentissage de la langue française est également une piste à approfondir, en lien avec la nouvelle Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts.

Si la culture permet de rassembler les individus en permettant d’aller au-delà des différences et en faisant de l’altérité une source d’enrichissement, le sport, à travers sa dimension fédératrice, peut aussi contribuer à une forme de cohésion sociale. C’est un terrain particulièrement symbolique pour les réfugiés qui peuvent ainsi poursuivre leur pratique et illustrer une autre forme d’engagement.

Le sport, métier ou passion. Un terrain d’engagement pour les réfugiés

Domaine de l’engagement physique ou mental par excellence, le sport est aussi un espace au sein duquel les réfugiés s’engagent.

C’est d’abord le cas à travers le sport de haut niveau. S’ils ont fui leur pays, les sportifs réfugiés n’ont pas laissé pour autant derrière eux leurs talents. En effet, de nombreux athlètes réfugiés poursuivent leur activité en tant que sportifs de haut niveau, à l’image de l’équipe olympique des réfugiés, dont le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) soutient 6 des 63 membres pour les Jeux olympiques de 2024 à Paris. Résidant dans vingt-trois pays d’accueil, ils participeront à la compétition dans treize disciplines différentes, comme le judo, la natation, la boxe, le cyclisme et bien d’autres. Les réfugiés concourent parfois même à des compétitions internationales sous les couleurs des pays qui les accueillent. Ce sera, par exemple, le cas d’une jeune femme afghane arrivée de Kaboul en 2021 qui fera partie de l’équipe française féminine de para-taekwondo en 2024. Concourir sous un autre drapeau que le pays qui les a vu naître et qu’ils ont dû quitter dans des conditions souvent très difficiles est un geste extrêmement fort qui témoigne de leur engagement.

L’engagement par le sport peut aussi se matérialiser dans le champ de la pratique amateur. Moins visible et médiatisé que la pratique professionnelle, le sport amateur est néanmoins très répandu sur l’ensemble des territoires. L’histoire de l’US Argy, club d’une petite ville de 610 habitants située dans l’Indre, l’illustre parfaitement. Menacée pendant l’été 2022 de fermeture en raison du départ de plusieurs joueurs, l’association sportive a évité la disparition grâce à l’inscription de joueurs réfugiés et demandeurs d’asile. L’équipe est désormais composée de sept nationalités et rencontre des succès locaux importants : elle a terminé quatrième de son championnat en 2022. Dans bien des communes, rurales notamment, cet engagement du quotidien est silencieux, mais contribue au dynamisme du tissu associatif et à des liens inédits entre les habitants au sein des régions.

Enfin, l’engagement des réfugiés par le sport se fait aussi au service de l’autre. Dans le cadre professionnel au sein d’associations spécialisées et de fédérations sportives ou à l’occasion d’une mission de service civique, de nombreux réfugiés rendent le sport accessible. Éducateurs sportifs, entraîneurs ou moniteurs, ils ouvrent le sport au plus grand nombre, des plus jeunes aux aînés, en organisant des temps collectifs de pratique sportive. Ces activités sont créatrices de lien social et ont un rôle clé dans la prévention en santé. De nombreux programmes ont ainsi été créés pour accompagner cette dynamique. Dans le cadre de dispositifs comme le programme Splash, né d’un partenariat entre l’association Kabubu, l’organisme de formation de l’Union nationale des centres sportifs en plein air (UCPA) et l’école Thot, certains réfugiés deviennent même sauveteurs aquatiques et assurent la sécurité des équipements sportifs, des piscines et des plages. C’est cela, aussi, l’engagement des réfugiés dans le sport en France.

Entrepreneurs ou salariés, les réfugiés sont des créateurs de richesse pour la France

Pour une partie de l’opinion publique, les réfugiés sont souvent présentés comme vivant « au crochet » des Français, principalement en raison du coût des prestations sociales qui leur seraient allouées, mais aussi parce qu’ils sont parfois considérés comme responsables du chômage subi par les nationaux.

De nombreuses études sérieuses en la matière ont néanmoins démontré le contraire1Une étude de Javier Ortega et Grégory Verdugo (« Who stays and who leaves? Immigration and the selection of natives across locations », Sciences Po et OFCE, n°20/2021, 2021) datant de 2011 a montré qu’une hausse de 10% de l’immigration entre 1962 et 1999 avait permis une hausse de 3% des revenus de la population locale. Un rapport de France Stratégie (« Impact de l’immigration sur le marché du travail, les finances publiques et la croissance », France Stratégie, 12 juillet 2019) de juillet 2019 aboutissait quant à lui à un impact globalement neutre de l’immigration sur l’emploi local.. Par leur travail, les réfugiés créent de la richesse et contribuent pleinement à la croissance de l’économie française. Tous les témoignages concordent : les réfugiés sont motivés et veulent vivre de leur travail dans le cadre de leur intégration. Cet engagement par le travail est particulièrement significatif dans les métiers dits « en tension » – l’industrie, la construction, les métiers de l’aide à la personne, la restauration ou encore la santé. Durant la crise liée à la pandémie de Covid-19, pendant le premier confinement en mars 2020 et face à la pénurie de personnel soignant, les réfugiés diplômés hors de l’Union européenne ont été recrutés en nombre par les établissements publics de santé et ont permis de contribuer très positivement à la réponse collective apportée à cette crise inédite.  

Les réfugiés participent aussi à faire fonctionner les entreprises qui peinent souvent à recruter des profils spécifiques. Indubitablement, l’engagement par l’emploi contribue au dynamisme de la société française. Pour illustrer cet apport à l’économie française, l’exemple des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) qui aident les entreprises à intégrer professionnellement des personnes éloignées de l’emploi est significatif. Rien qu’en 2022, près de 600 réfugiés ont été recrutés dans des domaines très variés, qu’il s’agisse de l’industrie, de la construction, de la logistique ou du secteur de la propreté. Soudeurs, ébénistes, carrossiers, charpentiers, carreleurs : les réfugiés jouent un rôle clé dans le tissu économique français, en particulier dans les petites entreprises. 

Il faut toutefois faire plus et surtout faire mieux. Lutter contre le déclassement professionnel doit devenir une priorité et se décliner en actions spécifiques. Ce déclassement pèse aujourd’hui tout autant sur les réfugiés que sur la société française, qui ne bénéficie pas autant qu’elle le pourrait des compétences et expériences des réfugiés qu’elle accueille. Pour ce faire, l’apprentissage et l’accès à la formation professionnelle sont des outils précieux et gagneraient à être développés. On peut citer, à ce titre, le programme HOPE, mis en œuvre par l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui propose depuis son lancement en 2017 un parcours global d’accompagnement vers l’emploi en offrant un hébergement et une période de formation linguistique et professionnelle en alternance aux personnes réfugiées. De même, la mobilisation de certains centres de formation d’apprentis (CFA), qui ont créé des « sas » à l’apprentissage, conciliant cours de français et période de stages en entreprise, constitue une piste intéressante. C’est le cas de l’École de Paris des métiers de la table (EPMT), qui a accueilli près d’une quinzaine de jeunes femmes ukrainiennes dans sa prestigieuse école en 2022.

Enfin, les réfugiés sont aussi acteurs de la création d’entreprise. Des incubateurs spécialisés existent pour les accompagner dans ce processus, à l’image du programme dédié de La Ruche en Seine-Saint-Denis et de l’activité de la fondation The Human Safety Net, qui a permis, depuis 2017, de créer 102 structures dans des domaines aussi variés que l’artisanat, l’informatique, la restauration, la culture ou encore l’activité de conseil.

Ainsi, loin d’être un poids, les réfugiés s’engagent au quotidien à travers leur travail et concourent au dynamisme de l’économie française.

S’engager, c’est aussi participer au débat public et se placer en position d’acteur de la politique d’intégration. C’est le sens du projet de l’Académie pour la participation des réfugiés.

L’Académie pour la participation des réfugiés : une innovation, une évidence

En 2020, la Diair, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Institut français des relations internationales (IFRI) se sont associés pour créer l’Académie pour la participation des personnes réfugiées.

L’Académie renforce la participation des personnes réfugiées dans les politiques publiques et programmes qui les concernent. Elle permet aux lauréats du programme d’intégrer des instances de décisions (comités de sélection, conseils d’administration) d’organismes partenaires, qu’elles soient associatives, philanthropiques ou publiques.

À l’instar de ce qui est réalisé à Grenoble avec l’AGORA2Lancée en mars 2023, l’AGORA de Grenoble Alpes Métropole réunit 16 réfugiés autour du comité de suivi du projet, dont l’objectif et d’évaluer et d’améliorer les services métropolitains existants pour l’accueil et l’intégration des réfugiés., l’Académie pour la participation des personnes réfugiées offre non seulement la possibilité aux lauréats de prendre la parole dans des instances liées aux domaines de l’asile et de l’intégration, mais leur permet également de participer plus globalement à la vie de la cité. Grâce à la mobilisation des territoires, les lauréats peuvent intégrer les instances se situant au plus proche de chez eux, dans leur ville, leur département ou leur région. L’action des territoires est primordiale afin de créer des espaces de rencontre, de participation et d’échange.

L’Académie réunit ainsi des personnes aux profils et aux parcours variés. Les lauréats sont âgés de 21 à 53 ans et sont originaires de treize pays : Afghanistan, Albanie, Burundi, Éthiopie, Guinée, Palestine, République démocratique du Congo, Tibet, Turquie, Soudan, Syrie, Venezuela et Yémen.

Certains lauréats sont travailleurs sociaux, mais on retrouve également un lauréat ingénieur en génie civil, des étudiants, des professionnels travaillant au sein d’organisations ou bien des lauréats qui suivent des formations dans le cadre de leur reconversion professionnelle. Tous ont des compétences dans des domaines spécifiques, tels que le milieu juridique, le secteur médical, l’accompagnement social… La participation des lauréats à des instances techniques et professionnelles permet de les valoriser non pas dans le cadre de leur parcours d’intégration, mais davantage dans le cadre du développement de leurs compétences et expertises.

En impliquant les personnes réfugiées aux instances de décision, les mesures prises peuvent refléter la réalité du terrain. L’intégration des réfugiés passe avant tout par la possibilité pour eux de faire entendre leur voix et ainsi de participer activement à la vie de la société d’accueil.

Une troisième promotion de l’Académie sera lancée à l’occasion du Forum mondial pour les réfugiés se tenant du 13 au 15 décembre 2023 à Genève. Cet événement représente une opportunité pour la France de s’engager davantage sur la question de la participation. Deux lauréats de la première promotion de l’Académie ont été sélectionnés par le HCR pour participer au forum afin d’y représenter la France.

Conclusion

Les temps sont aujourd’hui plus difficiles pour celles et ceux qui sont à la recherche d’une protection internationale. Nous ne sommes plus, il est vrai, dans les années 1970-1980, où la question de l’asile se posait dans le cadre d’une politique bienveillante à l’endroit de militants antifascistes latino-américains et dissidents des pays alors sous le joug de l’Union soviétique. Au moins depuis les années 1990, le demandeur d’asile et le réfugié suscitent moins d’admiration et de compassion. Ce n’est pas seulement vrai pour la France. Cette remarque vaut aussi pour les pays membres de l’Union européenne. Le droit, les pratiques administratives, les procédures de demande d’asile, l’insertion sociale et économique sont autant de difficultés quotidiennes (parfois insurmontables) pour celles et ceux qui, malgré cela, ont obtenu le statut de réfugié.

Pourtant, bien au-delà des clichés et des croyances infondées et à y regarder de plus près, les réfugiés placés sous la protection de la convention de Genève de 1951 et de l’État français ne sont pas des êtres passifs, attendant aide et assistance de la puissance publique et des institutions. Nombreuses, comme nous venons de le montrer, sont les actions et les initiatives menées par les réfugiés eux-mêmes afin d’exister de nouveau socialement.

Sans projet, autant dire sans espoir, sans avenir, tous les réfugiés savent que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Ces multiples formes d’engagement exercées dans le secteur social ou associatif, de personnes ayant subi de profonds traumatismes, ne sont pas seulement des actes de reconstruction de soi ; elles sont aussi, dans le même mouvement, un acte de reconnaissance comme individu protégé par une puissance souveraine. Être reconnu comme individu à part entière est la première étape avant d’être intégré et de s’intégrer dans la société française.

On ne le dira jamais assez, lorsque des réfugiés s’engagent au quotidien dans des actions ayant pour but l’intérêt général et le bien commun, cet engagement est à sa manière une forme de reconnaissance en retour du pays ayant accordé protection et hospitalité.

Bien entendu, il reste beaucoup à faire. Peut-être, tout d’abord, inlassablement rétablir la vérité des faits quand cela est nécessaire afin de montrer que les réfugiés statutaires ne sont nullement une charge pour la société française et que ces derniers, dans leur très grande majorité, ne souhaitent nullement être un « fardeau », un « poids » – ce qui, ils le savent mieux que quiconque, renforcerait leur indignité et leur mort sociale inéluctable.

Ensuite, les efforts ne doivent jamais cesser pour promouvoir ces multiples actions impliquant des réfugiés ; et ce malgré, il est vrai, le contexte politique et les tensions qui caractérisent aujourd’hui notre société. Enfin, il importe de multiplier la mobilisation des institutions afin qu’elles contribuent, avec leurs forces propres et les champs d’action et de compétences qui sont les leurs, à l’impulsion de nouvelles actions et ainsi soutenir et garantir en pratique, socialement et politiquement, le contrat juridique et moral qui lie les uns – les réfugiés – aux autres – la population française et les institutions.

N’est-ce pas cela contracter un engagement ? Mais n’est-ce pas cela aussi faire honneur à ses engagements de part et d’autre ?


Retrouvez les autres contributions de la série Asile, immigration, intégration :

  • 1
    Une étude de Javier Ortega et Grégory Verdugo (« Who stays and who leaves? Immigration and the selection of natives across locations », Sciences Po et OFCE, n°20/2021, 2021) datant de 2011 a montré qu’une hausse de 10% de l’immigration entre 1962 et 1999 avait permis une hausse de 3% des revenus de la population locale. Un rapport de France Stratégie (« Impact de l’immigration sur le marché du travail, les finances publiques et la croissance », France Stratégie, 12 juillet 2019) de juillet 2019 aboutissait quant à lui à un impact globalement neutre de l’immigration sur l’emploi local.
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    Lancée en mars 2023, l’AGORA de Grenoble Alpes Métropole réunit 16 réfugiés autour du comité de suivi du projet, dont l’objectif et d’évaluer et d’améliorer les services métropolitains existants pour l’accueil et l’intégration des réfugiés.

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