Italie : tolérance et illégalité au cœur du vote

Alors que la coalition de droite et d’extrême droite menée par Giorgia Meloni est arrivée en tête des élections législatives italiennes du 25 septembre 2022, Simon Clavière-Schiele revient sur les conditions de cette victoire : en pointant du doigt la criminalité étrangère, la droite a réussi le tour de force de faire passer l’énorme problème de la mafia au second plan.

Deux semaines après la victoire de l’extrême droite de Giorgia Meloni en Italie, la formation du futur gouvernement italien demeure un sujet de premier plan dans les rédactions internationales. En revanche, une autre victoire toute aussi marquante, celle du pluri-condamné Silvio Berlusconi en tant que sénateur – alors même que, selon certains bookmakers, il pourrait être le futur président de la haute assemblée –, n’a quant à elle pas spécialement fait les choux gras des principaux médias et journaux internationaux couvrant ces élections. De même que l’écrasante part de l’abstention n’a pas fait recette, beaucoup moins vendeuse que l’annonce d’un futur gouvernement « postfasciste ».

À l’heure actuelle, pour tout éclairage de la victoire de ce « cartel » des droites, la plupart des journalistes locaux et de leurs confrères étrangers nous offrent des explications basées sur une critique – assez facile – de la classe politique italienne et un décryptage fumeux (et comment pourrait-il en être autrement ?) du système électoral actuel. Ces commentaires sont souvent étayés par la liste plus ou moins détaillée des crises que le pays connaît depuis la fin de l’ère de prospérité qu’il a connue jusqu’au début des années 2000.

Le milieu des années 1990 a en effet constitué un pic de richesse pour le bel paese. C’était un pays alors capable d’exporter, de créer des entreprises pouvant intégrer un intelligent maillage d’industries classiques et de PME innovantes qui assurait alors une excellente compétitivité au Made in Italy. Des années heureuses succédaient aux années de plomb minées par le terrorisme politique, puis mafieux.

Cette période correspond également aux premières arrivées importantes d’immigrés en Italie qui, contrairement au cas de la France des années 1960, ne sont pas liées à une volonté politique motivée par un besoin de main-d’œuvre. La plupart des nouveaux venus, dépourvus de titre de séjour, ont donc été régularisés à la faveur du vote des Sanatorie. Ces lois, voulues ou tout du moins fortement appréciées par la Confindustria, le syndicat des patrons italiens, ont notamment été soutenues par Silvio Berlusconi.

La présence irrégulière d’étrangers, dont de nombreux ressortissants des pays de l’Est et d’Afrique que la France ne voulait plus accueillir, fut donc une aubaine pour cette économie en croissance. Une opportunité que le tissu industriel italien, mais aussi le secteur de l’aide à la personne, a su exploiter sans que les pouvoirs publics ne mettent en place une politique d’accueil cohérente. Ce manque de clarté n’a pas échappé aux mafias italiennes qui ont su profiter de la situation en capitalisant sur l’immigration clandestine.

Les années 2010 ont néanmoins définitivement sonné le glas de ces « petits arrangements ». Alors que le nombre de nouveaux arrivants dépassait les besoins de l’économie et que la politique européenne condamnait le pays (d’arrivée des migrants) à gérer leur présence, la situation s’est aggravée, le statu quo faisant place à un dangereux pourrissement, notamment dû au refus de la part des gouvernements successifs de droite comme de gauche d’imposer le jus soli – le droit du sol – à l’agenda des réformes prioritaires.

Quant aux mafias italiennes, qui continuaient à encourager, voire à organiser les flux clandestins, elles se sont alliées avec des groupes criminels étrangers. Par ailleurs, les rapports entre une partie de la classe politique et la mafia ont été mis au grand jour par la justice, avec notamment l’arrestation en 2014 du lieutenant de Silvio Berlusconi, Marcello Dell’Utri, pour collaboration avec la mafia sicilienne.

Pourtant, dès la crise de 2008, les voyants sont au rouge. Les migrants toujours plus difficiles à absorber au sein de l’économie grossissent pour certains les rangs de l’économie informelle, voire de la délinquance et de la criminalité organisée. Ce phénomène a été relativement rapide et visible car les statistiques relatives aux personnes étrangères condamnées ou emprisonnées sont accessibles en Italie. Celles-ci représenteront rapidement un tiers de la population carcérale. Dans certaines prisons du nord de l’Italie, à partir de 2015, les Italiens sont minoritaires. De plus, longtemps relégués au rang de petites frappes des organisations italiennes, certains délinquants étrangers ont créé des groupes autonomes, voire concurrents, des mafias. Le cas de la mafia nigériane qui contrôle aujourd’hui une partie de Palerme et que les juges italiens ont défini comme organisation mafieuse à tous points de vue en est l’exemple le plus parlant.

L’incapacité de l’État Italien – comme la plupart de ses voisins – à gérer l’immigration en se dotant d’outils adaptés, l’absence d’une vision en matière de politique démographique, le manque de solidarité de l’Union européenne dans ce domaine mais aussi l’opportunisme de la criminalité organisée italienne et étrangère constituent la base du problème mais ne peuvent tout expliquer.

En effet, l’âge moyen de l’électeur italien est le plus vieux d’Europe. Avec le Japon, l’Italie détient le corps électoral le plus ancien de la planète et c’est une donnée cruciale. La majorité des votants ont connu dans la première partie de leur vie une Italie sans étrangers. Une Italie de la Dolce Vita mais aussi de la violence des mafias et du terrorisme d’extrême droite et d’extrême gauche. Une Italie où la délinquance a explosé avec l’arrivée de la drogue dans les années 1980 et où le visage de l’insécurité du quotidien était le plus souvent celui d’un jeune toxicomane italien vivant de rapines. Ce visage, s’il n’a pas totalement disparu, a cependant aujourd’hui été largement supplanté par les bandes de jeunes ultra-violentes dont certaines, notamment au nord du pays, sont constituées de migrants, d’enfants d’immigrés ou de mineurs non accompagnés.

Une image que l’on retrouve également exaltée dans la trap, la musique la plus populaire en Italie qui souvent célèbre la vie de ces bandes que l’on appelle en Italie les baby-gangs. Ces groupes de mineurs jouissent et jouent d’un statut pénal et d’une surpopulation carcérale qui leur assurent une certaine impunité dans le cadre de petits délits.

Il faut aujourd’hui reconnaître que l’aversion des boomers italiens envers ces baby-gangs et en général envers les délinquants étrangers a en partie contribué à la victoire de Giorgia Meloni. La même Meloni qui, autrefois nommée ministre par le multi-condamné Berlusconi, va certainement lui renvoyer l’ascenseur d’une manière ou d’une autre dans les prochains jours. De plus, l’immunité de Silvio Berlusconi associée à son nouveau statut de sénateur devrait l’exempter de comparaître au procès dont il est l’accusé : l’affaire d’abus de pouvoir et de prostitution de mineurs nommée « Ruby Ter ».

Ainsi, certains Italiens qui ont voté pour le cartel des droites semblent donc en quelque sorte « préférer » la délinquance, la criminalité italienne, et ignorer les cris d’alerte des magistrats qui, depuis des mois, mettent en garde la société civile sur les risques des réformes qui visent selon eux à atténuer les peines des mafieux et des délinquants en col blanc. Le nombre de condamnés ou de mis en examen parmi les parlementaires de la coalition de droite en témoigne : 26. Les réformes en question, portées par la coalition de droite mais également soutenues par Matteo Renzi, risquent donc de trouver une place de choix dans l’agenda du nouveau parlement.

En séparant la criminalité italienne et étrangère en deux phénomènes distincts, la droite a réussi un coup de maître : celui de faire passer l’énorme problème de la mafia au second plan et de gagner les élections en pointant du doigt la délinquance extra-communautaire. Pourtant, si le phénomène de la délinquance étrangère ne peut être nié, le principal problème de l’Italie en termes de sécurité demeure de loin l’énorme poids de la criminalité organisée dans la société. Europol considère qu’il est même la principale menace pour l’Europe, avant le terrorisme islamiste1Europol, European Union Terrorism Situation and Trend report 2022 (TE-SAT), 13 juillet 2022..

Un problème que l’arrivée d’une enveloppe de 200 milliards d’euros issus du fonds de relance mis en place par Bruxelles – considérés comme un pactole par les mafieux – devrait aggraver, selon tous les acteurs et analystes de l’antimafia, et que Giorgia Meloni aura beaucoup de mal à gérer tant sa coalition ne semble peu capable ou désireuse de l’affronter.

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