Comment Olaf Scholz peut-il rebondir ?

Pour Olaf Scholz, le début de l’année 2024 est marqué par une situation inédite. Agriculteurs en colère, citoyens exaspérés, troubles au sein du SPD : le chancelier et sa coalition perdent la faveur des électeurs. Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation pour l’Europe, analyse ici les nombreux défis qui attendent le chancelier cette année.

Les agriculteurs et les citoyens en colère

La coalition gouvernementale doit répondre aux exigences de la Cour suprême et présenter un budget qui répond à la règle d’or, soit un déficit d’État fédéral limité à 0,35% du produit intérieur brut (PIB). Une des mesures envisagées pour y parvenir est d’abandonner certaines des subventions dont bénéficient les agriculteurs, notamment l’exonération de la taxe sur les véhicules agricoles et des avantages fiscaux accordés au diesel. Dès l’annonce de cette mesure, les agriculteurs se sont mobilisés en manifestant avec leurs tracteurs pour bloquer l’accès aux autoroutes et l’entrée dans les villes. 

Cette grogne des agriculteurs, soutenue par presque 70% des Allemands, met le gouvernement sous haute pression. Les critiques fusent de partout, y compris de la part de ministres-présidents de Länder gouvernés par le SPD. 

Cette crise agricole se double d’un conflit ferroviaire, déclenché par le blocage total des chemins de fer allemands durant trois jours, suite à un arrêt de travail des conducteurs de trains décidé par leur syndicat (GDL).

Pour l’opinion publique, cette double crise alimente le sentiment que le gouvernement fédéral est incapable d’imaginer les solutions aux problèmes d’une société en pleine mutation. Les manifestations du début de l’année sont une sorte d’exutoire au fait que de nombreuses personnes ne se sentent plus entendues par les politiques. Pour eux, les désagréments quotidiens ont été perdus de vue par les politiciens. Au lieu de communiquer en temps opportun, d’expliquer leur action en cherchant à convaincre, ils se contentent de donner des directives, à l’image de ce qui a été fait l’année dernière avec la loi sur l’utilisation des pompes à chaleurs, et maintenant avec la suppression des subventions pour les agriculteurs. Juli Zeh, romancière allemande, résume le problème en soulignant que les citoyens ne veulent pas être traités comme des petits enfants.

Des sondages désastreux pour le gouvernement et le chancelier

Comme on pouvait s’y attendre, les sondages du début de l’année sont catastrophiques pour le chancelier et son gouvernement. 76% des personnes se disent insatisfaites du gouvernement, et 72% du chancelier Olaf Scholz. Le parti du chancelier, le SPD, ne recueille que 13% à 15% des intentions de vote, soit la moitié de la CDU, qui est à 27%. Les Verts (12%) sont au coude-à-coude avec le SPD. Les Libéraux (FDP) passent sous la barre des 5%, et ne seraient donc plus représentés au Bundestag. Ainsi, et c’est très préoccupant, les populistes de l’AfD atteignent 22% au niveau fédéral. Par conséquent, si des élections avaient lieu ces jours-ci, les trois partis de la coalition du gouvernement allemand actuel n’auraient plus du tout la capacité de former à nouveau une alliance majoritaire.

Même le président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, social-démocrate comme le chancelier Olaf Scholz, se montre déçu par la performance de la coalition. Il a critiqué l’action du gouvernement de manière inhabituellement franche dans une interview donnée à la Süddeutsche Zeitung1Nicolas Richter et Robert Roßmann, « Extremisten waren immer das Unglück unseres Landes », Süddeutsche Zeitung, 12 janvier 2024.. Selon lui, les décisions n’auraient pas été assez bien expliquées et auraient été occultées par des conflits internes qui se répercutent à l’extérieur. Il estime que le gouvernement devrait avoir à cœur de remédier à cela. Néanmoins, il a rappelé que la situation serait encore plus difficile si les positions populistes étaient mises en application, et qu’il est donc d’autant plus essentiel pour les partis au pouvoir de retrouver la volonté de coopérer.

Comment lutter contre les extrémistes de droite 

Jusqu’ici, le chancelier Olaf Scholz estimait que l’un de ses devoirs principaux consistait à être l’arbitre entre les trois partis de la coalition gouvernementale. Évidemment, l’objectif demeure de préserver la coalition jusqu’aux prochaines élections fédérales ordinaires prévues pour l’automne 2025. Toutefois, l’espoir d’une embellie du climat entre les trois partis de la coalition s’est quasiment envolé avec les querelles sur le budget. Affirmant que les décisions du gouvernement fédéral n’étaient pas les bonnes, le ministre vert de l’Agriculture, Cem Özdemir, est ainsi allé jusqu’à manifester avec les agriculteurs contre ses propres collègues du gouvernement. 

Face à ce délitement, le groupe parlementaire du SPD au Bundestag a convié le chancelier pour une discussion à huis clos. Un nombre important de députés considèrent que ce n’est pas seulement la performance désastreuse de la coalition qui aliène les électeurs, mais surtout l’attitude du chancelier fédéral et sa façon de communiquer. Le groupe parlementaire SPD s’est montré très irrité par le fait que le chancelier Scholz soit certes capable de clarifier les choses en interne, mais que le public n’en sache rien. Par conséquent, et pour regagner la confiance et le soutien des électeurs, il devrait moins se résoudre à un rôle d’arbitre entre les Verts et les Libéraux, et se montrer en revanche beaucoup plus offensif contre les extrémistes de droite.

La défense de la démocratie devrait davantage devenir un thème central de son discours et de son action, notamment pour réagir aux succès électoraux annoncés de l’AfD lors des élections régionales en Thuringe, en Saxe et dans le Brandebourg. La situation est telle que le SPD craint que son existence même en Allemagne de l’Est soit menacée par la percée des populistes. En Saxe, le SPD végète autour de 5% d’intention de votes, et autour de 8% en Thuringe. L’enjeu est aussi réel pour les chrétiens-démocrates, qui sont en train de céder une grande partie de leur électorat à l’AfD. De même, Sarah Wagenknecht a fondé au début de l’année BSW (Bündnis Sarah Wagenknecht), son parti issu de la scission avec Die Linke, le parti de gauche allemand. Son succès probable pourrait bouleverser le paysage politique allemand. 

La messe est-elle dite ? La situation de l’AfD pourrait malgré tout encore changer, suite aux récentes révélations de la presse allemande. Lors d’une réunion dans une villa à Potsdam, le leader du mouvement identitaire d’extrême droite, l’Autrichien Martin Sellner, a ainsi présenté un plan pour opérer la « remigration » de plusieurs millions d’immigrés, y compris ceux ayant la nationalité allemande. Cette proposition, énoncée au cours d’une rencontre des cercles de droite radicale avec des extrémistes et des responsables de l’AfD, est venue raviver les inquiétudes d’autres partis quant à l’influence croissante de l’AfD. Les dirigeants politiques y voient un signal d’alarme, et appellent à davantage d’engagement de la part des citoyens eux-mêmes pour contrer cette menace démocratique claire. 

Par la suite, des milliers de personnes se sont rassemblées dans plusieurs villes pour protester bruyamment contre cette radicalisation de l’AfD, signe que le parti n’a aucune volonté de se dédiaboliser. Pour marquer l’importance du moment, le chancelier Olaf Scholz (SPD) et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Verts) ont participé ensemble à une de ces manifestations.

L’enjeu de la démocratie en Allemagne

Le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, observe avec pertinence : « Si nous regardons notre histoire, nous nous rendons compte que les extrémistes ont toujours été le fléau de notre pays »2Ibid.

Exhortés par ce dernier à mieux justifier leurs décisions et à associer également l’opposition démocratique au processus politique, le chancelier Olaf Scholz et le SPD, mais aussi les deux autres partis de la coalition, sont donc sérieusement mis à l’épreuve au début de cette année.

Carolin Emke, une écrivaine et intellectuelle allemande très renommée, plaide pour un optimisme et une confiance indéfectible. Elle suggère qu’il ne faut pas se borner à énumérer les motifs de la colère des citoyens, mais oser proposer des solutions capables d’empêcher que les peurs quotidiennes ne se muent en colère3Carolin Emke, « Das Werk der Zerstörung », Süddeutsche Zeitung, 12 janvier 2024..

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