Cette année 2023 qui s’achève n’a pas été particulièrement bénéfique pour les relations franco-allemandes. Pourtant, pour Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, les deux pays gagneraient à mettre en œuvre une véritable politique culturelle commune aux deux rives du Rhin.
Alors que l’année 2023 touche à sa fin, il faut constater que cette année na pas été spécialement fructueuse pour les relations franco-allemandes. Le dossier de la fermeture en France des instituts Goethe est particulièrement significatif. Ces instituts sont des antennes de la culture allemande partout dans le monde, en particulier en France depuis la signature du traité de l’Élysée en 1963.
La fermeture de trois instituts Goethe en France
Via une réduction massive de ses allocations budgétaires, la ministre des Affaires étrangères allemandes, Annalena Baerbock, oblige l’institut Goethe à fermer tous ses locaux à Bordeaux, Lille et Strasbourg. Ces trois instituts ont eu une importance particulière dans les relations franco-allemandes. Lille est par exemple particulièrement liée à la Rhénanie du Nord-Westphalie, et Strasbourg va de soi comme capitale alsacienne et siège du Parlement européen.
Après les horreurs de la Shoah et les pertes massives de la Deuxième Guerre mondiale, l’Union européenne a émergé, portée par l’amitié franco-allemande. Les échanges culturels, les rencontres de jeunes et les jumelages de villes ont été les fondements de cette œuvre de réconciliation unique entre d’anciens ennemis héréditaires.
Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’Union européenne, résumait la philosophie du projet européen en affirmant : « Nous ne coalisons pas les États, nous rassemblons les hommes. » Ainsi, les instituts Goethe en France jouent un rôle essentiel dans l’acquisition des compétences linguistiques nécessaires et dans l’échange culturel.
Malgré de nombreux efforts pour promouvoir la compréhension mutuelle par l’apprentissage des langues, il est inquiétant de constater que les jeunes générations parlent de moins en moins la langue de leur voisin. La proportion des jeunes apprenant l’allemand comme première langue étrangère en France est en déclin constant, passant de 8% en 2002 à moins de 3% en 2021.
Dans ce contexte, plutôt que de contribuer à cette baisse dramatique de l’apprentissage de la langue allemande par la fermeture d’instituts, les instituts Goethe devraient intensifier et élargir leurs activités. Les cours d’apprentissage de l’allemand demeurent en effet une des activités les plus importantes de ces instituts.
Entre la France et l’Allemagne, une nouvelle indifférence linguistique
Il est évident qu’une mise à jour des relations franco-allemandes doit inclure l’élaboration d’une nouvelle politique linguistique entre les deux pays. L’aspect crucial de la compréhension mutuelle et du rapprochement entre les peuples, négligé pendant trop longtemps, doit redevenir une priorité commune. Parler une langue commune, rappeler nos valeurs partagées, sont des éléments essentiels pour progresser ensemble sur des sujets politiques, économiques et sociaux qui nous tiennent à cœur.
Les jeunes Français et Allemands s’investissent dans des causes communes telles que le climat, l’accueil des réfugiés, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Cela offre l’opportunité de les engager dans une aventure politique commune, servant ces valeurs et combats. C’est également une réponse potentielle à la résurgence des tendances fascistes observée ces dernières années dans les deux sociétés. Cela nécessite l’abandon des vieux réflexes nationalistes au profit d’une acceptation des particularités individuelles, régionales et nationales.
La décision de réduire la présence culturelle par le ministère des Affaires étrangères est contreproductive, témoignant d’une négligence envers l’Autre. Face à une Europe politiquement divisée, institutionnellement paralysée et idéologiquement désemparée, le continent a d’abord besoin, avant même une politique étrangère commune, une coopération économique plus proactive ou une avancée dans la coopération militaire, d‘un renforcement des fondations sociales et culturelles.
Pour relever les défis actuels, l’Europe doit s’appuyer sur les leçons tirées des expériences passées de haine, de nationalisme et de militarisme. Cela implique de reprendre et de renouveler les recettes des succès franco-allemands, en conciliant l’unité et la diversité.
Ce chemin doit commencer par l’acquisition réciproque des langues, les rencontres entre jeunes et les échanges culturels. Il ne s’agissait pas là de l’expression d’une rêverie politique, mais plutôt de leçons tirées des expériences du passé, de ses haines, de ses nationalismes et de son militarisme.
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Abonnez-vousReprendre et renouveler les recettes du succès du couple franco-allemand
Alors que le monde évolue vers l’Est, l’Allemagne et la France, en tant que puissances européennes, se dirigent vers une sorte de périphérie géopolitique. La puissance économique traditionnelle, fondée sur la construction mécanique, la chimie et l’industrie automobile, diminue au profit de nouvelles puissances géopolitiques. Pour rester compétitives, l’Allemagne et la France doivent s’unir, investir dans de nouvelles technologies et garantir la croissance, la création d’emplois et la préservation de l’environnement. Il faut, en somme, retrouver l’esprit d’initiative qui a permis à Airbus de devenir le leader mondial de l’aviation.
De plus, la supériorité morale traditionnelle de l’Europe est remise en question, notamment par des pays émergents d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud qui se détournent de l’Occident libéral au profit du modèle incarné par la Chine ou même la Russie. Les réactions observées depuis le début de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, et avec la guerre d’Israël contre les terroristes du Hamas, montrent que ce virage est indéniable. Au-delà de la géopolitique, l’Europe risque de devenir moins attractive en tant que destination pour les travailleurs qualifiés, tandis que la gestion des flux migratoires mondiaux pèse lourdement sur l’Union européenne.
L’enjeu d’une politique culturelle commune
Il est évident que ce contexte requiert une révision de la stratégie de la politique culturelle étrangère de l’Allemagne, dont les instituts Goethe sont des éléments clés. Cette réflexion politique est d’autant plus cruciale à l’heure où l’Allemagne s’impose une austérité douloureuse en raison des restrictions budgétaires décidées par la Cour suprême.
Les relations entre la France et l’Allemagne ne sauraient se limiter à des rencontres institutionnelles entre les deux gouvernements. Naturellement, la France et l’Allemagne aspirent à une collaboration plus étroite sur des questions telles que la défense, l’énergie et les problèmes migratoires. L’Europe n’a toujours pas non plus résolu la question de son élargissement à l’Est, ni celle de l’approfondissement de son intégration, et ce alors qu’il est indéniable qu’un élargissement vers l’Est modifiera fondamentalement la nature de l’Union européenne.
Du point de vue politique, économique et social, cela représente l’enjeu central pour l’Europe et l’avenir des relations franco-allemandes. Cela exigera inévitablement une coopération encore plus étroite entre la France et l’Allemagne, sans délaisser la dimension culturelle. Celle-ci doit être cultivée, intensifiée et investie dans la compréhension mutuelle afin de nourrir l’entente entre les deux pays fondateurs de l’Union européenne. Dans de telles circonstances, le changement d’époque (« Zeitenwende ») s’inscrit dans une nouvelle Europe géostratégique, une évolution inconcevable sans l’implication de la France et de l’Allemagne.