Pierre Mendès France, la gauche et la modernité : le colloque de Caen de 1956

Les 1er, 2 et 3 novembre 1956, Pierre Mendès France organisait à Caen un colloque national pour réfléchir aux évolutions nécessaires de la recherche et de l’enseignement supérieur. Soixante ans après, le président de la République François Hollande conclut à Caen le colloque « Caen 1956-2016. La Recherche : construire demain ». Vincent Duclert revient sur le colloque de 1956 et l’importance, pour aujourd’hui encore, de cet événement inédit.

En novembre 1956, un colloque réunit à Caen, sous la responsabilité de Pierre Mendès France et de la revue qu’il venait de créer, Les Cahiers de la République, deux cent cinquante scientifiques, industriels, administrateurs, fonctionnaires, parlementaires, journalistes. À l’issue de trois jours de débats en assemblée plénière et en sous-commissions de travail, ceux-ci s’engagent sur un ambitieux programme de modernisation de la recherche et de l’enseignement que résument un préambule solennel et les désormais célèbres « douze points de Caen ». Les trois jours de débats ont impulsé une réflexion qui influencera les trente années de politique de recherche qui suivront. Nombre de dispositifs encore existants y ont pris leur source.

Le colloque de Caen ne constitue pas seulement un moment clef de l’impulsion donnée par la gauche à la recherche scientifique et au système d’enseignement. Pierre Mendès France parvient à conceptualiser cette mobilisation de la connaissance et de sa transmission en révélant, comme il le fait à Caen dix ans plus tard, qu’elle étend la démocratie et son appropriation collective autant qu’individuelle : en effet, elle peut et elle doit rassembler toutes les communautés, les institutions, les associations, permettant de briser les frontières physiques et mentales qui paralysent les sociétés et les empêchent de progresser. « L’une des plus hautes tâches, mais aussi l’une des plus difficiles, qui  incombe à un régime démocratique moderne, consiste à assurer la cohésion et la vitalité de ces innombrables cellules représentatives, agissantes, productives », s’applique-t-il à rappeler. Et de regretter aussitôt « dans bien  des cas, que notre État ne gouverne pas assez mais qu’il administre trop ». L’exigence de bon gouvernement et la reconnaissance de sa valeur démocratique apparaissent ici, à la lumière du colloque de Caen de 1956, comme une possible définition de la gauche moderne. Elles désignent aussi, et avec éclat, l’héritage à cet égard de Pierre Mendès France et de celles et ceux qu’il avait su réunir autour de lui. 

Soixante ans plus tard, le colloque « Caen 1956-2016. La Recherche. Construire demain » se propose de remettre en perspective les débats d’alors et de réfléchir, dans un esprit similaire, aux enjeux de la recherche française contemporaine. Le colloque, organisé par Alain Chatriot, professeur à Sciences Po, par Antoine Lyon-Caen, juriste, et Christophe Prochasson du cabinet du Président de la République, animé par Pascal Buléon, directeur de la MRSH Caen Normandie, rassemble des acteurs de la recherche scientifique rarement réunis, venus de domaines très différents : Jérôme Aust, politiste, Françoise Barresinoussi, prix Nobel de médecine, Agnès Bénassy-Quéré, économiste, Suzanne Berger, historienne, politiste, du MIT, spécialiste de l’innovation, Alain Chatriot, historien, Vincent Duclert, historien, Serge Haroche, prix Nobel de physique, François Héran, anthropologue et démographe, Bertrand Hervieu, sociologue, Denis Le Bihan, médecin et physicien, Christine Musselin, sociologue, Anne Rasmussen, historienne des sciences, François Stasse, conseiller d’État, contribuant au débat sur l’éthique. Le Président de la République François Hollande conclut les travaux par un discours sur la recherche et son avenir.

Pour la commémoration de ce colloque, la Fondation Jean-Jaurès a demandé à l’un des participants du colloque de 2016, Vincent Duclert, d’exposer dans un Essai ce que furent le colloque de Caen de 1956 et son importance jusqu’à aujourd’hui. Les travaux menés à l’École des hautes études en sciences sociales entre 2001 et 2006 par l’auteur, avec son collègue Alain Chatriot à l’époque chargé de recherches au CNRS (CRH-EHESS), ont fait progresser la connaissance du moment mendésiste de la recherche et de l’enseignement et sa portée dans la réussite de la politique de gaullienne à partir de 1958. Cet Essai est fondé sur ces précédents travaux.

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