Nicolas Bouillant, haut fonctionnaire, spécialiste des questions territoriales
La diversité des territoires de la France est unique – physiquement, mais aussi sur le plan culturel. Ces territoires évoluent au gré de l’histoire des hommes qui y vivent, des changements économiques ou sociaux. Depuis quelques années, de profondes mutations économiques, culturelles, dans les mobilités, les rythmes de vie sont en cours ; elles entrainent des modifications rapides de leurs périmètres, de leurs consistances.
Or, à nouveaux territoires, nouvelles organisations. Ces dernières ne peuvent pas, ne doivent pas rester figées. Aujourd’hui, il s’agit de construire une organisation territoriale autour de deux pôles : un pôle d’animation et de stratégie, un pôle de proximité. À cet égard, on peut imaginer des découpages et des organisations distincts, spécifiques, répondant à des logiques de projet et d’efficacité. Il faut faire confiance aux élus et à cette notion d’« intelligence territoriale », qui signifie simplement que le savoir se situe parfois davantage sur le terrain que dans les hautes administrations parisiennes.
Alors, oui, il faut d’abord de grandes régions comme pôles d’animation et de stratégie. Collectivités territoriales récentes, elles ont progressivement pris leur place. Ce sont aujourd’hui les territoires du développement économique, dans son sens le plus large. En moins de dix ans, plusieurs rapports se sont succédé pour préconiser le regroupement des régions. Le gouvernement de Manuel Valls l’a réalisé, avec désormais treize régions métropolitaines. Les Français ont globalement approuvé cette réforme[1].
Certes, la nouvelle carte a été très commentée et critiquée. De fait, la carte idéale n’existaite pas et chacun avait son découpage en tête. Mais celle issue des travaux du Parlement est satisfaisante. Elle répond aux objectifs : simplification, homogénéisation, développement économique. En outre, elle crée des régions de taille suffisante « européenne » (la population moyenne des régions françaises, qui s’élevait à 2,9 millions d’habitants contre 5,1 millions d’habitants en moyenne dans les Länder allemands, est passée à 4,3 millions). Enfin, elle construit des régions avec une rationalité économique, un espace construit autour d’une ou de deux métropoles, une cohérence, à partir de projets communs, en matière d’universités, de transports, et, in fine, une attention portée aux critères géographiques et, historiques. Le rapport de France Stratégie[2] paru au printemps 2015 a d’ailleurs montré la cohérence de ces nouvelles régions.
Un exemple donne une idée de la difficulté du découpage et de la pertinence de ces nouveaux territoires. Pour le sud de la France, certains avaient imaginé une région Méditerranée regroupant Languedoc-Roussillon et PACA, et une région Sud-Ouest regroupant Aquitaine et Midi-Pyrénées. Ce choix n’aurait pas été moins cohérent que le découpage réalisé in fine. Mais que faire du Limousin, qui regarde nettement vers le sud, et de Poitou-Charentes ? À cet égard, la carte finale est la meilleure.
Elle ne présente que deux faiblesses. À l’Ouest, la fusion entre Bretagne et Pays de la Loire aurait été pertinente. On peut penser qu’elle se réalisera, tant les liens entre ces deux régions semblent étroits. L’autre faiblesse de cette carte concerne les régions autour de Paris : Picardie, Champagne, Bourgogne, Centre. Elles n’ont pas de métropole propre puisque, de fait, c’est Paris qui joue ce rôle. Mais le découpage a su s’adapter. L’alliance Nord-Picardie est cohérente. La Champagne s’intègre dans un Grand Est constituant une vraie belle région. La Bourgogne rejoint la Franche-Comté dans une région en lien avec deux grandes métropoles, Lyon et Paris. Le Centre est resté seul, dans un choix de région intermédiaire entre le Grand Ouest, le Grand Sud-Ouest et Paris. Il aurait aussi été possible de le rattacher à l’Île-de-France, ce qui aurait permis de résoudre la question du chevauchement Région Île-de-France et Métropole du Grand Paris.
La cohérence régionale pourra encore être améliorée, à la marge, par la mise en œuvre du droit d’option des départements. Jusqu’au 1er mars 2019, s’il y a une majorité des 3/5ème dans les collectivités concernées (le département, la région d’origine, la région d’accueil), un département pourra changer de région, sans l’obligation d’organiser un référendum local. Cependant, en dehors de la question de la Loire-Atlantique (que certains veulent rattacher à la région Bretagne), qui devrait se résoudre dans la grande région Ouest évoquée plus avant, seuls semblent concernés le Cantal, l’Oise – et encore, dans sa partie sud –, le Gard -dans sa partie est- et peut-être la Sarthe.
L’autre pôle nécessaire est celui de la proximité. Les communes sont les cellules de base de notre organisation territoriale depuis la Révolution, l’échelon du concret et du quotidien. Mais elles n’ont plus toujours les moyens de répondre aux demandes de services des habitants. La question récurrente depuis de nombreuses années est celle de leur nombre trop important : 36 700. Plus de la moitié d’entre elles comptent moins de 500 habitants, et 86 %, moins de 2 000 habitants. Certains proposent de les regrouper avec un seuil minimal : 1 000, 2 000 ou 5 000 habitants. C’est ce qu’ont fait nos voisins. Mais c’est oublier l’attachement identitaire à la commune, et ces précieuses spécificités françaises que sont le bénévolat communal et la richesse démocratique permise par nos élections communales – des spécificités qu’il nous faut conserver.
C’est pourquoi la France a fait le choix de développer des intercommunalités. En les faisant correspondre aux bassins de vie, objectif affiché du gouvernement dans la réforme territoriale, on leur confère une cohérence territoriale et l’on fait coïncider territoires et organisations. L’intercommunalité n’est pas la fin de la commune. Elle est le moyen de garantir, à son avantage, le fonctionnement des services publics de proximité et d’assurer la réussite de projets de développement territorial.
Cette cohérence peut être renforcée par des regroupements communaux permettant une meilleure intégration des communes dans leurs intercommunalités. L’essor des communes nouvelles est à cet égard une avancée importante. Au 1er janvier 2015, vingt-cinq communes nouvelles seulement avaient été créées en se fondant sur la loi du 16 décembre 2010 qui a mis en place ce dispositif de fusion volontaire. La loi du 16 mars 2015 relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, qui le rend plus intéressant sur le plan institutionnel en préservant l’identité des communes fusionnées, mais également sur le plan financier, a lancé un mouvement, puisque de nombreux projets de communes nouvelles voient le jour.
Se pose alors la question des départements. Ce sont des échelons de proximité, comme le répètent à l’envi les départementalistes. Rappelons que leur découpage a été fixé en 1790 et reposait sur le critère de l’accessibilité du chef-lieu en moins d’une journée de cheval.. Comme l’a dit le président de la République le 6 mai 2014, « les conseils généraux ont vécu ». C’est d’ailleurs également l’opinion de tous les ténors politiques de droite, de Nicolas Sarkozy à Alain Juppé en passant par François Fillon. La réforme territoriale de 2010 prévoyait de fondre départements et régions dans une même entité. Cela aurait été une erreur puisque l’on aurait ainsi mêlé pôle de proximité et pôle de stratégie. Il faut plutôt regarder vers le bas.
L’avenir du département doit être envisagé différemment selon que l’on a affaire à de grandes agglomérations ou à d’autres territoires. En outre, plusieurs modes d’organisation peuvent coexister dans ces derniers. Il faut sortir du « jardin à la française », proposer des réponses distinctes selon les territoires et leurs spécificités.
En zone urbaine, le département est un échelon inutile. Les grandes intercommunalités urbaines pourraient se substituer, sur leur périmètre, aux actuels conseils généraux, et exerceraient les compétences aujourd’hui départementales. C’est déjà chose faite à Lyon. Cela correspondrait aux quatorze métropoles mises en place et aux vingt établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) hors métropoles comptant une commune de plus de 100 000 habitants. Pourrait également être envisagée la trentaine d’aires urbaines de plus de 100 000 habitants. Au total, de trente quatre à soixante-dix territoires pourraient être impliqués, soit 25 à 30 millions d’habitants.
Des intercommunalités fortes sur les bassins de vie devraient mailler les autres territoires. Dans ces zones non urbaines, le maintien d’un niveau intermédiaire entre les intercommunalités et les régions, s’appuyant sur les deux entités, semble nécessaire, mais sous forme d’organisations à la carte permettant de fédérer les intercommunalités et de déconcentrer les régions. Les périmètres de ces niveaux intermédiaires pourraient correspondre aux départements actuels, ou aux départements reconfigurés par des fusions ( comme pour les régions) ou sur des périmètres nouveaux, adaptés à la mise en place des métropoles et des grandes intercommunalités évoqués ci-dessus (prise en compte des territoires non métropolitains).
Faut-il maintenir un échelon politique ? Sur la plupart de leurs missions, les conseils départementaux n’ont aucune marge de manœuvre. 60 % du budget des départements correspondent à des prestations sociales sur lesquelles les élus n’ont pas leur mot à dire. La montée en puissance des intercommunalités permettra en outre l’exercice de davantage de compétences de proximité. Enfin, le découpage cantonal qui fonde l’élection départementale ne correspond pas aux bassins de vie et est donc largement déconnecté des attentes des citoyens.
La fédération d’intercommunalités peut être une réponse alternative au conseil départemental dans ces zones où il est nécessaire de conserver un échelon intermédiaire. Le rapport Hervé[3] préconisait déjà que le département devienne le Sénat des communautés et joue pour les communes et les communautés un rôle de conseil et d’expertise, en relation avec les services déconcentrés de l’État, la région, les communes, les communautés. Le rapport Lambert-Malvy prévoit également cette évolution vers une fédération des intercommunalités ou des fusions avec les agglomérations[4].L’objectif est que cet échelon intermédiaire apporte des prestations de services adaptées aux besoins des territoires : une ingénierie, des services communs, une coordination de prestations Il permettrait en outre une déconcentration des services des régions pour les compétences opérationnelles. Il pourrait également servir de réceptacle à un État déconcentré ayant réinvesti ce niveau intermédiaire et clarifié ses interventions par rapport aux collectivités. Enfin, il préserve les acteurs (personnels, partenaires associatifs…) en maintenant leur niveau actuel d’action. Le social, par exemple, est déjà largement territorialisé par les départements. Cette nouvelle organisation pourrait prendre la forme d’une agence territoriale pilotée par le conseil régionalet par les intercommunalités. À ses côtés, il s’agirait d’instaurer une conférence départementale des présidents d’intercommunalités en lieu et place des actuels conseils généraux. Celle-ci accueillerait également les conseillers régionaux du territoire. Cette fédération d’intercommunalités permettrait ainsi une plus grande efficience et un renforcement de la proximité.
[1]. 59 % des français favorables à la diminution du nombre de régions de 22 à 13, sondage TNS Sofres septembre 2014.
[2]. Rapport de France stratégie publié le 13 mai 2015 – Réforme territoriale et cohérence économique régionale – Arno Amabile, Claire Bernard et Anne Épaulard
[3]. Rapport d’information de M. Edmond HERVÉ, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales n° 679 (2010-2011) – 28 juin 2011
[4]. Martin Malvy et Alain Lambert, « Pour un redressement des finances publiques fondé sur la confiance mutuelle et l’engagement de chacun », avril 2014.www.elysee.fr/assets/Uploads/Rapport-Lambert-Malvy.pdf