Expérimentations et innovations locales : la fabrique Solutions solidaires

À l’occasion de la troisième édition des journées Solutions solidaires auxquelles la Fondation est associée, Nicolas Bouillant, directeur de l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation, présente certaines des expérimentations et des innovations portées par les départements acteurs de cette démarche et le premier baromètre des solutions solidaires. C’est l’occasion de mettre en lumière ce qui, sur le terrain, dessine en contrepoint les thèmes d’attention des Français dans la crise sanitaire et les enjeux des politiques publiques de demain dans les territoires.

En 2018, treize départements, à l’initiative du président du département de la Gironde, Jean-Luc Gleyze, et dans la poursuite d’une démarche engagée depuis 2016 autour de l’expérimentation du revenu de base, accompagnés par l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales (Œil) de la Fondation Jean-Jaurès et par des acteurs des solidarités venus de tous les horizons, ont lancé la démarche Solutions solidaires. 

Mettre en lumière les solidarités et les initiatives locales

Les objectifs de Solutions solidaires sont de mettre en lumière la question des solidarités comme transition majeure, présenter les initiatives issues du terrain autour des solidarités, montrer que les territoires regorgent dans ce domaine d’inventivité, de talents et de projets innovants. Au travers d’un événement annuel, d’une plate-forme numérique et de travaux tout au long de l’année, Solutions solidaires offre ainsi depuis trois ans un espace de réflexion sur les solidarités et une caisse de résonance nationale à des innovations et expérimentations locales afin de contribuer à leur connaissance et à leur essaimage dans toute la France. En cela, cette initiative participe aussi à la démonstration que les réponses aux problématiques globales se construisent aussi (et peut-être d’abord) dans le local. 

Ces objectifs prennent tout leur sens dans la crise actuelle. En mettant au cœur des mutations les solidarités, Solutions solidaires est un outil en phase avec les perceptions, les débats et les attentes nés durant la pandémie et qui doivent, dès demain, trouver des traductions concrètes et durables. Jusqu’à la crise sanitaire, la transition des solidarités pouvait apparaître en comparaison d’autres transitions majeures (économique, écologique, numérique) relativement négligée. Aujourd’hui, qui ne perçoit pas qu’elle est essentielle et liée aux autres transitions. L’action locale pouvait sembler accessoire dans l’action publique. Aujourd’hui, qui ne voit pas qu’elle est centrale et porte les réponses aux enjeux actuels. 

La crise sanitaire est d’abord un violent séisme, mais elle a amplifié des enjeux déjà connus et posés et impose la nécessité de repenser les modes d’organisation et de cohésion. En plaçant la solidarité au cœur des transformations, en développant des solutions solidaires, on accélère les transitions et on ouvre des perspectives positives, vers une société plus coopérative et plus inclusive.

L’aspiration au local s’impose comme l’une des grandes tendances de la crise sanitaire et le sera également certainement dans « l’après-crise », accentuant ce besoin d’une « République des proximités », à la fois soucieuse des particularités locales, appuyée sur l’intelligence territoriale et inscrite dans une cohésion nationale qui permette de répondre aux archipels et aux fractures territoriales. En marquant le rôle crucial de l’action et de l’expérimentation locales dans les transformations à inventer et réaliser, Solutions solidaires rejoint cette volonté de s’appuyer d’abord sur le local pour définir et mettre en place les solutions, dans un mouvement ascendant vers le national, au lieu d’attendre que l’État s’en charge. Le « tournant local », aujourd’hui largement commenté, est en fait l’émergence d’une nouvelle et prometteuse hybridation entre local et global, qui poursuit un mouvement présent depuis longtemps où les collectivités locales en développant leurs potentiels d’innovation, en expérimentant des solutions nouvelles, en mobilisant toutes leurs parties prenantes, sont aujourd’hui devenues l’élément principal d’une action publique renouvelée. Action amenée à se développer encore, autour de trois leviers stratégiques : la différenciation territoriale, la relocalisation et l’expérimentation locale. 

L’expérimentation locale est centrale dans la démarche de Solutions solidaires. Elle relie étroitement le global et le local. Elle permet de tester de nouveaux modèles, c’est-à-dire d’imaginer le neuf de façon raisonnée et opérationnelle, sur la base de larges enquêtes et expertises reconnues, ainsi que d’ancrages forts sur le terrain. Elle associe toutes les parties prenantes pour des solutions réellement citoyennes, et dont le test grandeur nature prépare déjà la modélisation donc l’essaimage. 

Lors de la troisième édition, qui a lieu les 2 et 3 février 2021, Solutions solidaires s’enrichit de nouveaux porteurs de projets locaux, de nouveaux intervenants nationaux et aussi d’un baromètre, réalisé par l’Ifop et Jérôme Fourquet, pour alimenter les réflexions autour des solidarités. Solutions solidaires continue la mise en lumière d’innovations sociales, d’expérimentations locales, de dispositifs innovants d’accompagnements, de solidarités nouvelles, que ce soit sous forme d’épiceries sociales, de tiers-lieux, de déménageurs solidaires, de projets d’habitat participatif, de solutions de mobilité pour les personnes âgées, de mutuelles solidaires, de budgets participatifs… 

Cette note vise à illustrer par nombre d’exemples issus des départements partenaires de Solutions solidaires ce foisonnement et cette richesse pour inventer les solidarités de demain. Mais aussi car ces initiatives dessinent en contrepoint les thèmes d’attention des Français aujourd’hui et les politiques publiques de demain. 

La santé est un terrain d’expérimentations locales nombreuses

Premier sujet d’innovations solidaires et premier thème d’attention des Français aujourd’hui : la santé. Face à la crise sanitaire, les collectivités locales, notamment les départements de l’association des territoires pour des solutions solidaires, ont su réagir. Sans entrer dans le détail sur l’aspect très (trop) centralisé de la réponse française à la crise, force est de constater que les initiatives prises sur le plan local ont été nombreuses et ont permis un accompagnement des Français plus en proximité et souvent plus efficace face à la crise. 

La crise sanitaire a aussi été un révélateur d’innovations. Par exemple, le département du Gers a créé le Comité départemental d’analyse et de vigilance (CDAV) qui associe des professionnels de santé, des élus locaux et des citoyens et suit la situation sanitaire. En complément des mesures sanitaires imposées par l’État, il débat et élabore des dispositifs locaux adaptés aux attentes des populations. Cette instance a ainsi décidé notamment la mise en œuvre d’un programme de dépistages itinérant dédié aux personnes isolées dans les communes rurales éloignées des sites de santé. 

Ce dispositif innovant a également été repris dans d’autres départements comme en Seine-Saint-Denis qui a lancé à l’automne dernier un bus de la vaccination contre la grippe, en lien avec l’ARS et la CPAM. Le département avait déjà mis en place début 2020 un « bucco-bus » permettant de réaliser des diagnostics et des premiers soins dentaires gratuitement, avec un objectif de 2500 personnes touchées, dont 2000 enfants. Pendant les vacances scolaires, le bus va aussi dans les Ehpad et les centres sociaux. Dans l’Aude, c’est la création d’un « bus PMI » qui, avec à son bord un médecin et une puéricultrice, assure des consultations entièrement gratuites et ouvertes à tous, permettant ainsi le suivi des enfants de zéro à six ans sur tout le territoire.

La question majeure posée aux politiques de santé, accrue par la crise sanitaire, est, en effet, celle de l’accès au soin. Nombre de territoires sont en voie de désertification médicale. La Seine-Saint-Denis présente ainsi une densité moyenne de médecins généralistes et spécialistes inférieure de 30% à la moyenne nationale. La crise liée à la Covid-19 a rappelé dramatiquement le poids des inégalités de santé, avec une surmortalité particulièrement forte en Seine-Saint-Denis, notamment liée au recours tardif aux soins. 

Le département de la Nièvre, afin de répondre à cet enjeu et renforcer l’accès aux soins de ses administrés, en particulier pour les publics les plus fragiles qui renoncent bien souvent à souscrire une couverture complémentaire pour des raisons financières, a lancé Nièvre Santé, un projet de complémentaire santé accessible à tous, avec trois niveaux de garanties. Cette innovation a reposé sur un appel à partenariat auprès des mutuelles à but non lucratif afin que ces dernières proposent un contrat collectif à adhésion facultative pour les frais de santé, le département jouant un rôle de facilitateur pour cette accession à une complémentaire santé.

La Nièvre a également mis en place dès 2016 un dispositif innovant de « démographie médicale » sous forme de logements et de bourses auprès des étudiants en médecine en contrepartie d’un exercice dans le département, et d’un accompagnement individualisé par une cellule départementale de soutien à l’installation des médecins qui permet d’anticiper les départs et les installations et de créer les meilleures conditions à la fois financière et professionnelle. Le dispositif a déjà permis l’installation de 8 médecins généralistes et de 3 médecins spécialistes. 

En Lot-et-Garonne, cette attention à la « démographie médicale » a conduit, dès 2011, à la mise en place d’une approche territorialisée préfiguratrice des communautés professionnelles de santé. Cela a permis que 10 structures intercommunales sur 12 portent des projets de maisons de santé pluri-professionnelles multi-sites ou mono-sites. Le département a innové en mettant en place une charte d’engagement de non-concurrence entre les territoires afin que l’action se déroule en cohérence et en complémentarité.

Cette question de l’accès aux soins doit être reliée aux innovations permises par la télémédecine. L’Ardèche a ainsi développé une télé-régulation au moyen d’une tablette par les personnels soignants des Ehpad. Ce dispositif permet de transmettre les informations médicales au médecin régulateur du SAMU dans le cadre d’une situation d’urgence, d’échanger en visio, et ainsi de poser une expertise plus affinée, d’intervenir à distance en prodiguant des instructions aux équipes des Ehpad de façon à limiter, lorsque cela est possible, le déplacement des résidents dans les services d’urgence. Ce système s’est ensuite étendu à d’autres actions en faveur notamment de la gestion du parcours des soins et de l’accès à des spécialistes, en particulier pour la santé mentale en lien avec un hôpital psychiatrique afin de fournir un accompagnement aux populations en ayant besoin.

Enfin, la crise l’a bien montré, la prévention ne doit plus être le parent pauvre de la politique de santé. La Seine-Saint-Denis vient de développer dans ce sens une initiative intéressante avec une Académie populaire de la santé. Pendant un an, l’Académie populaire de la santé formera une promotion de 30 habitants de Seine-Saint-Denis afin que ceux-ci puissent devenir des ambassadeurs de santé et diffuser des messages de prévention et de santé adaptés auprès de leurs cercles sociaux. 

Le soin à l’autre et l’accompagnement des personnes fragiles au cœur des Solutions solidaires

Les départements ont très vite mis en place des programmes d’appels téléphoniques. Ainsi, en Ardèche, près de 10 000 appels ont été passés par le département dans les quinze premiers jours du premier confinement afin de repérer les situations d’isolement social et géographique et d’identifier les difficultés suite au confinement. Autre exemple, en Haute-Garonne, l’ensemble des bailleurs sociaux du département ont pris l’attache de tous les publics fragiles, pendant toute la durée du confinement pour maintenir le lien et diagnostiquer d’éventuelles difficultés afin de proposer un accompagnement adapté. 

Ils sont également intervenus fortement pour maintenir les liens via la culture. Le département de l’Aude avait ainsi lancé l’été dernier un appel à projet innovant, avec l’association Arts vivants 11, visant à venir en soutien au spectacle vivant dans l’Aude. 36 compagnies audoises ont été retenues avec une proposition de 100 représentations sur tout le territoire départemental pendant l’été 2020, avec à l’affiche des spectacles de danse, de musique, de cirque, de théâtre, de contes, de marionnettes, des ciné-concerts… Cette programmation à destination du grand public, majoritairement financée par le département, a été mise à disposition des communes de moins de 3 000 habitants qui ont pu ainsi accueillir un spectacle à moindre coût, avec le soutien logistique et matériel d’Arts vivants 11.

L’attention aux personnes fragiles concerne au premier chef les personnes âgées. Nous semblons avoir redécouvert la question du troisième âge à l’occasion de la crise sanitaire. Les départements, dont c’est la compétence, ont su adapter leurs actions et innover dans des prises en charge rendues encore plus indispensables par la situation. En illustration, le département de Loire-Atlantique a ainsi mené des actions volontaristes destinées à lutter contre l’isolement des personnes âgées en établissement médicosocial durant le confinement du printemps 2020, avec la mise à disposition d’ordinateurs portables et de tablettes pour favoriser le maintien des liens avec les familles, l’organisation de concerts dans les établissements, la distribution de journaux gratuits, etc.

Plus structurellement, les départements mènent des expérimentations pour améliorer les prises en charge ou, plus largement, pour repenser la place de nos aînés dans la société. 

Ainsi, les Landes ont décidé de faire du vieillissement un fait positif avec le plan « Bien vieillir dans les Landes ». Ce plan repose sur plusieurs innovations, dont le « Village landais Alzheimer », projet expérimental et innovant, unique en France, ouvert en juin dernier à Dax. En France, environ 900 000 personnes vivent avec la maladie d’Alzheimer, de loin la première cause de démence. Lorsque les patients ne peuvent plus rester à leur domicile, ils sont le plus souvent pris en charge dans des Ehpad, structures qui ne répondent pas toujours de manière optimale aux besoins des patients et de leurs familles. À Dax, l’établissement ressemble à un véritable village. Les résidents sont accueillis dans des petites unités d’habitation. Au cœur du village, se trouvent un café-restaurant, une épicerie, une salle de spectacle et un salon de coiffure. Les résidents y côtoient les personnels d’encadrement, les bénévoles et les familles. Les familles peuvent venir librement quand elles le souhaitent. Cette approche permet de préserver les liens sociaux et familiaux des patients et d’optimiser leur prise en charge. D’autres structures de ce type pourraient rapidement voir le jour ailleurs en France.

Quant au département du Lot-et-Garonne, il a aussi lancé il y a trois ans l’opération CAR 47. Le concept CAR 47 a été créé pour lutter contre l’isolement des personnes âgées et leur permettre de conserver leur mobilité, leur maintien à domicile, notamment lorsqu’elles demeurent dans des petites communes dépourvues de transports publics. Il s’agit de mettre en relation un retraité ou une retraitée propriétaire d’une voiture en bon état, dès lors qu’il souhaite la conduire le moins possible, voire plus du tout, et un chauffeur inscrit sur la plate-forme qui répond ainsi aux besoins de la personne isolée. Ce dispositif a désormais 196 protocoles actifs et un réseau départemental de 306 conducteurs. Devant le succès de cette expérimentation, 27 départements s’étaient déjà engagés dans la démarche CAR début 2020.

Autre innovation portée dans les territoires : le logement intergénérationnel. En Gironde, l’association Vivre avec développe ce concept depuis 2004. Le dispositif de cohabitation intergénérationnelle se réalise selon le principe du don et du contre-don : un senior accepte qu’une personne extérieure à son cercle familial ou amical entre dans son quotidien et elle met à disposition de cette personne une chambre sous son toit ; en échange, celui-ci offre de la présence et des moments de convivialité.

La question de la pauvreté est également (re)devenue centrale. Les départements sont intervenus dans la crise pour aider financièrement les populations les plus en difficulté. Ainsi, en Gironde ou en Haute-Garonne, par exemple, des bons alimentaires ont été distribués pour la prise en charge des dépenses d’alimentation et de produits d’hygiène de première nécessité. Les aides apportées ont également concerné les acteurs de l’économie. Ainsi, en Haute-Garonne, un fonds d’aide de 3,5 millions d’euros pour les artisans, commerçants et auto-entrepreneurs a été créé afin d’accompagner les personnes ayant subi une perte de revenus professionnels du fait de la crise. Un fonds exceptionnel de soutien au monde associatif de 3 millions d’euros a aussi été déployé. L’Aude, quant à elle, vient, en décembre 2020, de renforcer les aides déjà accordées par un plan baptisé « Urgence pour l’Aude » qui prévoit une série d’aides financières et de revalorisation des aides existantes à l’attention des collégiens, travailleurs, étudiants, personnes précaires et des seniors. 

Là encore, la crise a accentué l’intérêt pour les innovations déjà réalisées. Ainsi, le Gers a créé en août 2017 le GIP Gers solidaire qui revisite l’action sociale de proximité autour de la thématique de la lutte contre la pauvreté en fédérant les acteurs institutionnels, associatifs et publics du département travaillant dans cet objectif. Le GIP a mis en place une plate-forme de distribution commune et propose toute une série de services autour de l’itinérance et de l’accès aux droits. Il accueille dans un tiers-lieu social des espaces d’accueil, de réunion, d’ateliers mutualisés pour toutes les associations, une cuisine éducative. Il a aussi mis en place un numéro vert social dédié aux publics réticents à recourir aux dispositifs sociaux. Enfin, le GIP anime un réseau de 16 tiers-lieux déployés sur le département pour accueillir dans les meilleures conditions les bénéficiaires autour d’ateliers d’informatique, d’ateliers de cuisine, d’une épicerie sociale, d’une vesti-boutique. Gers Solidaire, c’est aussi un service public itinérant avec un camping-car connecté qui sillonne les routes du Gers pour aller à la rencontre des personnes âgées et isolées afin de les accompagner dans leur démarche administrative et dans l’accès aux droits. Ce service public propose aussi des actions de médiation numérique et, depuis décembre dernier, il a mis en place une campagne de dépistage de la Covid-19 itinérant. 

Toutes ces innovations déroulent cette société de l’attention aux autres qui devrait être un des principaux enseignements, et on espère acquis, de la crise. En effet, la crise sanitaire a révélé l’importance des solidarités de proximité, ces « solidarités chaudes ». La Seine-Saint-Denis a lancé pour cela une expérimentation originale sous forme d’un dispositif de mécénat de compétences : Agent.e.s solidaires, qui permet aux 8200 agents du département de prendre une demi-journée à deux jours par mois sur leur temps de travail, sans aucun impact sur leur salaire, afin de s’engager auprès d’associations. Cette expérimentation inédite reprend un dispositif réservé jusqu’ici au secteur privé et né à la suite de l’engagement des agents du département pendant le confinement. L’objectif a été de pérenniser les initiatives prises durant cette période, notamment via la plate-forme d’appels solidaires mise en place en avril pour lutter contre l’isolement des personnes âgées et handicapées du département. 

L’insertion professionnelle est également un domaine d’expérimentation des départements

L’expérimentation la plus connue dans ce domaine de l’insertion, lancée bien avant la crise sanitaire, est l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » qui a été déjà présentée par l’Œil, notamment à travers l’expérience de la Nièvre. Cette expérimentation poursuit son implantation dans d’autres territoires, notamment suite au vote d’une nouvelle loi. Ainsi, en exemple, Pontchâteau, en Loire-Atlantique, pourrait rapidement devenir un nouveau territoire pour cette expérimentation. 

Les départements innovent également dans l’accompagnement des allocataires du RSA. L’Hérault a ainsi mis en place une expérimentation d’une plate-forme de prise en charge accéléré des bénéficiaires du RSA dans deux territoires, le cœur d’Hérault et le territoire de Béziers. L’objet de cette expérimentation est de répondre différemment aux impératifs d’insertion sociale et professionnelle et d’accélerer les sorties du RSA. Ce nouveau dispositif permet aux personnes de bénéficier immédiatement d’un rendez-vous auprès d’un agent de la CAF et de signer un contrat d’orientation fixant les étapes du parcours d’insertion. Avec cette expérimentation, il est possible de diviser par deux les délais de mise en œuvre du parcours d’insertion. 

Autre département, autre expérimentation : la Meurthe-et-Moselle qui a lancé Reliance, expérimentation sur trois ans d’un accompagnement intensif et complet de chefs de famille monoparentale, des femmes pour l’essentiel, allocataires du RSA depuis plus de deux ans. Cette population est, en effet, fortement discriminée dans ses chances de réinsertion. Reliance s’appuie sur un suivi individuel renforcé pour les bénéficiaires (100 par an), des échanges réguliers entre allocataires suivis, des ateliers nombreux et un partenariat avec la CAF. Cette expérimentation fait l’objet d’un protocole d’évaluation rigoureux visant à mesurer son impact quantitatif et qualitatif. Le taux de sorties dynamiques des bénéficiaires se situe entre 7% et 8%. L’objectif du dispositif est d’augmenter de 12 points ce taux pour atteindre les 20%. Le retour à l’emploi durable n’est pas le seul indicateur retenu, il s’agit également de mesurer les effets de Reliance sur l’amélioration de la qualité de vie des personnes, sur leur estime d’elles-mêmes et sur les enfants. 

Autre expérience innovante du département, en partenariat avec APF Entreprises et les services d’aide à domicile conventionnés de Meurthe-et-Moselle : la mobilisation des demandeurs d’emploi et des bénéficiaires du RSA afin, en s’appuyant sur un cumul emploi-formation, de faciliter le recrutement dans les services d’aide à domicile, avec un objectif fixé de 150 créations d’emplois d’auxiliaire de vie.

La possibilité de cumuler le RSA et un emploi saisonnier est une initiative en plein essor. Ainsi, le département des Landes permet ce cumul RSA et emploi saisonnier dans les secteurs agricole, agroalimentaire ou de remplacement dans le secteur public ou associatif du grand âge, depuis avril 2020, mesure étendue dès que possible aux emplois saisonniers dans le secteur du tourisme. Le cumul est possible avec plusieurs contrats et plusieurs employeurs, dans la limite de 300 heures de travail par an. Le département de la Dordogne a également mis en œuvre cette possibilité pour les allocataires du RSA de cumuler l’allocation avec une activité rémunérée, là encore dans la limite de 300 heures annuelles et dans certains secteurs d’activité fléchés. Les départements de l’Hérault et de la Loire-Atlantique ont également mené des expérimentations innovantes proches, associant le RSA à une activité saisonnière. Ces dispositifs permettent aux allocataires de gagner en pouvoir d’achat et en expériences professionnelles. 

En Loire-Atlantique, le département a également mis en place un Observatoire des parcours des allocataires et des collectifs citoyens pour recueillir leurs avis et les associer aux réflexions autour du dispositif RSA. Une expérimentation est aussi menée avec la FACE, Job academy RSA, qui permet un parcours d’accompagnement sur-mesure via un parrainage et un soutien à la recherche d’emploi par l’engagement des entreprises du réseau partenaire. 

Il y a également en Ardèche une expérimentation d’insertion tournée vers la transmission des exploitations agricoles. Nommée « Fermes en transition », co-financée par le Labo de la transition, cette initiative permet entre 2019 et fin 2021 d’accompagner 10 transmissions en développant pour chacune une dimension liée à l’insertion sociale et professionnelle. Ces dernières peuvent aboutir à des reprises par une ou plusieurs communes afin de créer une ferme communale avec un objectif d’insertion (lieu d’immersion professionnelle, chantier d’insertion, lieu de formation…), ou par un collectif souhaitant développer un projet d’Atelier chantier d’insertion porté par une association, un partenaire public ou un collectif de personnes en recherche d’emploi. 

Le lien environnement / social et le soutien à une alimentation de qualité sont sources d’innovations dans les territoires

La question environnementale est devenue centrale dans les préoccupations solidaires des Français. Le premier baromètre de Solutions solidaires, présenté lors de la troisième édition des journées, illustre cela, de manière encore plus forte qu’on ne pouvait le penser, puisque, dans les changements en cours, c’est le réchauffement climatique qui apparaît en premier dans les préoccupations des Français. C’est également un domaine où les initiatives départementales sont nombreuses, avec souvent une intégration par les départements des questions écologiques aux politiques d’accompagnement social. En effet, les ménages précaires sont souvent les plus exposés aux nuisances environnementales et subissent les conséquences de l’augmentation des coûts de l’énergie qui pèsent parfois très lourdement sur le budget des familles.

La Nièvre a ainsi mis en place une stratégie départementale face au changement climatique. Son objectif : accompagner les citoyens et les acteurs nivernais dans ces transformations. Pour cela, la stratégie s’appuie sur un diagnostic de vulnérabilité au changement climatique et une méthode participative, en lien avec le Cerema, débouchant sur un plan départemental d’actions en faveur du climat et des « feuilles de route ». Cette stratégie permet une acculturation des services à l’adaptation au changement climatique et un appui sur les citoyens au travers d’un conseil départemental des citoyens en transition, autre dispositif innovant, instance de participation citoyenne composée de 50 membres bénévoles. 

En Seine-Saint-Denis, le département s’est engagé, via l’opération EcEAUnome, dans un projet de distribution de 20 000 kits hydro-économes par an pendant quatre ans qui permettront aux ménages les plus modestes d’économiser sur leur facture d’eau. L’expérimentation s’appuie également sur la visite à domicile de 16 000 foyers par an, portée par 8 opérateurs, les « ambassadeurs de l’eau », qui interviennent dans le parc social, mais également dans l’habitat pavillonnaire et les copropriétés du parc privé, et pourront ainsi sensibiliser les ménages aux éco-gestes. 

Dans l’Hérault, la lutte contre les déchets sauvages, notamment le plastique, est devenue une priorité. Une expérimentation a été lancée en 2019 avec 4 « poissons gloutons », containers à plastique au design original, qui ont permis de récolter 115 m3 de plastique. Devant le succès, 20 « poissons » sont mis en place en 2020 sur plus de 20 communes avec plus de 800 m3 de plastique collecté. 

En Gironde, la question du réemploi fait l’objet de plusieurs initiatives innovantes, comme le projet « Un village pour la nouvelle vie des objets », porté par 5 acteurs du recyclage et du réemploi à Bordeaux. En plus de rassembler les structures pour leur permettre de croître et d’être à l’origine d’une véritable galerie marchande du réemploi, le projet Ïkos comporte un troisième volet : celui de la sensibilisation au réemploi par la pédagogie. 

Autre innovation bordelaise : le chauffage par le numérique. Qarnot Computing a développé un nouveau modèle qui consiste à créer de mini-data centers à l’intérieur de radiateurs, permettant de rendre accessible un chauffage gratuit. Cette innovation technologique, énergétique et réglementaire constitue une première mondiale et est accompagnée par le conseil départemental de la Gironde et le bailleur social Gironde Habitat depuis plusieurs années. 

L’alimentaire fait aussi l’objet d’innovations. Le baromètre de solutions solidaires, là encore, montre l’étendue des changements comportementaux en cours. La solution jugée « la plus utile pour aider les gens au quotidien » est l’accès à une alimentation de qualité. 

La Gironde soutient ainsi, avec Lacagette.net, un système de vente en ligne qui permet aux producteurs de proposer leurs produits et aux clients de commander sur le site avant de retirer leurs achats dans un point de livraison prédéfini. La particularité est qu’il n’y a pas d’abonnement ni de commission afin d’assurer une juste rémunération des producteurs. Le dispositif comporte également un volet de formation numérique pour les producteurs. Ce système en ligne essaime dans la France entière avec pour ambition de relocaliser l’offre alimentaire et de rapprocher producteurs et consommateurs. 

Dans le Lot-et-Garonne est née l’initiative « 47 dans votre assiette ». Lancée en 2011, elle avait pour ambition de mieux nourrir les enfants lot-et-garonnais avec des produits frais, et si possible bio, tout en soutenant l’agriculture locale et en privilégiant les circuits courts. L’initiative a connu un tel succès qu’aujourd’hui, les 10 000 collégiens des 24 collèges du département bénéficient de cette initiative. Après cette expérience réussie, il est proposé de l’étendre à tous les établissements publics de la restauration collective, notamment les Ehpad du département. 

La Dordogne a, pour sa part, créé les deux premiers collèges de France dans lesquels 100% des repas sont bio et essentiellement réalisés à partir de produits locaux. Au-delà de son aspect environnemental évident, la vocation solidaire et sociale du projet s’affirme à la fois en direction des producteurs locaux et des familles, l’objectif étant de fournir chaque jour aux collégiens, quel que soit le niveau de revenus de leurs parents, des repas de qualité à des tarifs parfaitement maîtrisés. 

Des innovations démocratiques et numériques 

Les questions de participation et de responsabilité citoyenne sont aujourd’hui au cœur du débat public, illustrant la recherche d’une transition démocratique qui devrait être un des vecteurs de « l’après-crise ». C’est également un domaine d’innovation et d’expérimentation des territoires.

Le budget participatif, expérimentation encore inédite il y a quelques années, est devenu aujourd’hui un nouvel outil démocratique et de politique publique, se développant notamment grâce au soutien des départements. En 2018, le Gers était, si l’on excepte Paris, le premier département de France à lancer son budget participatif. Au cours de cette première édition, entre le vote en ligne et le vote papier, ce sont 35 000 personnes qui ont porté leur voix sur un ou plusieurs projets parmi les 370 qui avaient été sélectionnés, soit 25% du corps électoral gersois. Pour la deuxième édition, le succès ne s’est pas démenti : le nombre de projets soumis au vote a augmenté, passant à 416, et la liste des votants s’est allongée avec 47 660 personnes. Depuis, une quinzaine de départements se sont lancés, notamment la Nièvre et la Gironde, d’autres, comme les Landes, la Dordogne, la Meuse, le Lot-et-Garonne, l’Aude, le Loiret, le Puy-de-Dôme, l’Hérault, la Charente, l’Ille-et-Vilaine, l’Indre-et-Loire, en étudient la faisabilité.

Les innovations démocratiques sont également nombreuses en direction de la jeunesse. Pendant la crise sanitaire, la Dordogne a mis en place des séjours de vacances à haute valeur ajoutée en termes d’offre d’activités culturelles, sportives et environnementales dédiées durant l’été 2020 aux enfants de l’ASE. Il s’agissait de proposer des activités collectives, encadrées et souvent nouvelles pour ces enfants et de permettre aux familles d’accueil de disposer d’un répit estival.

Le département de l’Ardèche a décidé d’ouvrir à la rentrée 2019 un tiers-lieu, Ardèche Campus, dans les locaux du pôle de Bésignoles à Privas, pour permettre à des jeunes de suivre des études post-bac à distance en étant accompagnés dans le suivi de leurs études. En 2020, le département a déployé le concept dans un deuxième pôle, à Aubenas, avant un troisième à la rentrée 2021, dans le bassin d’Annonay. Ce concept de réseau de tiers-lieux connectés a pour objectif de favoriser l’intégration dans l’enseignement supérieur de ceux qui hésitent à poursuivre des études supérieures et ceux qui préfèrent s’y engager à distance compte tenu de leur contexte géographique, économique ou familial. C’est, en effet, un sujet majeur dans un département rural sans université et avec une réelle problématique de mobilité sur toute une frange du territoire.

Plus largement, la Haute-Garonne a lancé une stratégie de co-construction des politiques publiques par et pour les jeunesses de Haute-Garonne, avec Go31, site d’information et de participation construit directement avec les jeunes Hauts-Garonnais. De son côté, la Meurthe-et-Moselle a mis en place le pass jeunes 54, dispositif d’accès aux sports et à la culture destiné aux jeunes de six à seize ans issus de familles aux revenus modestes au sein des associations du département. Dernier exemple, la Nièvre qui a créé un conseil départemental « Jeune et Citoyen », lieu d’expression et de participation à la vie démocratique et citoyenne, avec, en illustration, deux commissions qui travaillent sur le thème du harcèlement à l’école. 

Enfin, dernière transition que la crise met en lumière, la transition numérique, avec notamment la question de l’accès et de l’inclusion. Dans le cadre de sa stratégie d’inclusion numérique, le département de la Dordogne a ouvert la plate-forme demarches.dordogne.fr, première expérience à l’échelle nationale d’une plate-forme réunissant l’ensemble des démarches offertes par un département et les collectivités infra-départementales. Cette plate-forme propose toute une palette d’outils numériques présentant l’ensemble des démarches que les usagers peuvent effectuer auprès des administrations locales du département. Parallèlement, a été mis en place un accompagnement physique des usagers avec des expérimentations d’accueil dans les services, un bus du numérique et le déploiement d’une offre de formation spécifique dédiée aux aidants. 

L’Hérault a également lancé très tôt une politique d’inclusion numérique très innovante. En complément du projet Hérault numérique qui vise à créer un réseau d’accès au très haut débit sur l’ensemble du territoire d’ici à 2022, le département a réalisé une cartographie interactive permettant au public d’identifier et de localiser les espaces publics numériques héraultais. Il a déployé un réseau d’espaces numériques avec une trentaine de structures labellisées LAM (Lieux d’accès multimédia) et 8 permanences numériques de la DGA solidarité, autant de sites accessibles à tous publics pour s’initier, pratiquer, accéder aux droits et services numériques. Enfin, il a développé une expérimentation d’un réseau d’inclusion numérique sur l’étang de Thau, DIGI’THAU, visant une mise en réseau des acteurs ainsi qu’une action de médiation numérique itinérante.

L’Ardèche a également une politique d’inclusion numérique ambitieuse. Au-delà de cet objectif, le département accompagne la montée en compétences numériques des personnes en insertion afin de faciliter leur démarche d’accès à l’emploi. Pour ce faire, le département de l’Ardèche a été lauréat de l’appel à projets « Pass’Numérique » afin de soutenir l’achat de chèques pass numériques permettant aux bénéficiaires de ces chèques d’accéder – dans des lieux préalablement qualifiés – à des services d’accompagnement numérique.

Des solutions solidaires de proximité qui dessinent une nouvelle action publique

Ce foisonnement d’innovations et d’expérimentations locales, mis en lumière par la démarche Solutions solidaires, illustre le dynamisme de nos collectivités, mais aussi un basculement vers des politiques publiques de plus en plus en proximité et orientés vers les solidarités. Les décideurs locaux ont compris que l’État était de plus en plus démuni. Ils sont conscients des évolutions dans les services, entraînées par les nouvelles technologies. Ils ont intégré les demandes nouvelles des citoyens (participation, co-construction, ville du quart d’heure…) et les enjeux des transitions actuelles, accélérées par la crise sanitaire, qui induisent une prise en compte centrale des solidarités. 

Le tournant local comme la place nouvelle des solidarités dans les objectifs des politiques publiques, aujourd’hui clairement des réalités, doivent impliquer en conséquence une transformation de notre manière de décider et de mettre en œuvre les politiques publiques. Le quinquennat actuel, entre échec de la révision constitutionnelle, report de la loi 3 D, difficulté à travailler avec les élus locaux, n’aura pas réussi à créer le nouvel encadrement juridique nécessaire à une évolution de la décentralisation dans cette nouvelle place de la proximité et de l’innovation locale, en dehors des simplifications bienvenues du recours à l’expérimentation locale. De même, les politiques de solidarité n’auront pas été renouvelées, comme le montrent par exemple les discussions inabouties autour du revenu de base ou du RSA jeunes. 

La campagne présidentielle devrait permettre d’avoir ces débats autour des transformations nécessaires pour intégrer la proximité et les solidarités. Les solutions présentées dans cette note donnent nombre de pistes et dessinent cette approche où le local irrigue le global et où les solidarités deviennent centrales. 

Pour découvrir les résultats complets du baromètre et le détail des initiatives, rendez-vous sur la plateforme solution-solidaire.fr

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