2022 : quel programme pour la francophonie ?

La francophonie est une réalité institutionnelle, linguistique, politique et culturelle. Outil stratégique au potentiel évident, la francophonie est néanmoins négligée, voire ignorée. L’absence de sa mention – excepté deux ou trois candidats et candidates – dans le débat électoral présidentiel en est une illustration regrettable. Simon Desmares, représentant en France du Réseau francophone du Kenya, propose ici plusieurs pistes de réflexion pour valoriser la francophonie.

Elle est de retour. La « respiration démocratique » présidentielle n’a pas eu le temps de nous manquer, cinq ans ne suffisent pas à l’essouffler. Le chemin jusqu’au scrutin est jalonné de thèmes de campagne, imposés par des candidats soucieux d’« imprimer » leur image auprès des Français. Les sujets manquent parfois plus de renouvellement que les candidats. Peu importe les convictions de ces derniers, pourvu qu’ils trouvent leurs marqueurs, pourvu que l’opinion y trouve son compte. Sont-ils calqués sur les besoins du pays ? À notre subjectivité d’en décider.

Les thèmes élus ne répondent pas seulement à un caricatural cynisme électoral, ils permettent parfois la mise en avant d’un « projet ». À travers une thématique phare, un candidat déroule sa vision du pays. Il la manie comme un fil rouge se reflétant dans des enjeux de natures diverses. S’il réussit, il peut alors susciter l’espoir ou l’angoisse du corps électoral. En 2022, la passion est lointaine mais l’intérêt demeure. Pas besoin d’enfoncer des portes ouvertes pour démontrer le rôle joué depuis longtemps par ces fils rouges de la droite, la sécurité et l’immigration. Ils prennent parfois des formes plus originales, pensez à la fracture sociale.

Qu’en est-il de la gauche de 2022 ? Elle a bien ses thématiques phares : l’environnement, la défense des « minorités », l’égalité femmes-hommes, voire la justice sociale, quoique cette dernière peine finalement à s’imposer. Lorsqu’elle défend ses positions sur les trois premières thématiques, la gauche apparaît comme déconnectée de la réalité, obsédée par les combats d’une « bien-pensance » minoritaire, bien que très active et influente. En clair, elle conserve la main sur des thèmes incontournables, caractérisant son identité humaniste, mais qui la rendent incapable de se renouveler, de faire émerger une vision à la fois originale dans son approche, commune dans ses fondements et universaliste dans son ambition. Pour entraîner une majorité de Français derrière elle, la gauche a besoin de penser autrement qu’en déconstruisant.

N’en déplaise aux déclinologues, qui aimeraient que la France s’assume désormais dans un statut de puissance moyenne, puisqu’ils ne lui trouvent aucune grandeur présente ou passée, le corps social français continue de voir son pays comme une puissance politique et culturelle à part, dont les valeurs et l’histoire font la fierté. La France fascine toujours par sa culture, par une philosophie politique ayant inspiré des systèmes juridiques et sociaux aux quatre coins du monde. Pour le pire, diront certains, mais est-il possible que la gauche parle aussi (et à nouveau) du meilleur ? Pourquoi avoir honte de notre héritage universaliste ?

Parmi le meilleur, il y a bien sûr la langue française. Cet idiome issu d’un latin populaire, diffusé et transformé en Gaule, puis stabilisé sur un territoire qu’on finit par appeler la France. Une langue étendue bien plus tard à d’autres continents, par la colonisation, au cours d’une période où la naïve ambition humaniste de certains justifiait la volonté de puissance de beaucoup d’autres. La IIIe République, grande et visionnaire à bien des égards, a sa responsabilité dans cette histoire, comme la gauche française. Ici se fondent beaucoup des contradictions de cette dernière et cela intéresse notre présent. Toujours est-il que de cette histoire est née la francophonie, une culture commune selon Senghor, dont les origines se trouvent en Europe occidentale mais dont la richesse est venue s’agrandir aux contacts des cultures africaines, antillaises, nord-américaines, pacifiques et asiatiques. Un espace commun aussi, de 300 millions de locuteurs, un nombre qui doublera d’ici cinquante ans.

Parce que la francophonie constitue un idéal aux vastes perspectives d’avenir, elle a toute sa place dans un programme présidentiel résolument humaniste, progressiste et universaliste. La mondialisation donne le sentiment de délaisser les « classes populaires » et de lasser les « élites ». Au temps des fractures, il faut faire le pari qu’une large majorité de Français, issue de tous les milieux, s’accorde sur une certaine idée de la France et de sa place dans le monde. Elle continue d’y jouer un rôle, qui ne s’amenuise pas autant qu’on ne le croit. Mais il est grand temps de lui donner un nouveau souffle. La francophonie est un outil à la hauteur de cette ambition, une ambition qui s’accorde avec l’esprit de la gauche, de son histoire et de son actualité. La francophonie est un espace privilégié de coopération, où naissent des consensus voire des constructions politiques, où les relations économiques peuvent profiter des vertus d’une langue partagée. Cet espace est aussi de nature à porter de grandes luttes sociales et à en fonder les réponses juridiques, en particulier sur les droits des femmes. Le partage d’un commun aussi puissant que la langue peut également rapprocher les jeunesses francophones, dont le poids démographique ne va cesser de s’accroître. La francophonie a tous les atouts pour devenir un espace d’innovation, au service de la transition environnementale, pouvant peser lors des conférences internationales.

Sans nier les problèmes économiques et culturels qui créent chez les Français une anxiété quant à l’avenir, il ne faut pas minimiser l’effet délétère d’un discours majoritairement négatif sur la relation entretenue par la France avec l’extérieur. Quels que soient les sujets, un consensus médiocre et involontairement multi-partisans a construit l’image d’un pays fragile face à l’étranger. Penser la place de la France dans le monde, sans fantasme ni auto-flagellation, nécessite d’étudier ce qui constitue sa spécificité et donc son influence. La francophonie en est un élément constitutif, car même si la France est un membre de l’OIF (Organisation internationale de la francophonie) parmi beaucoup d’autres, elle est le premier porte-voix de cet espace immense, de par son histoire, son influence politique, son rayonnement culturel, son réseau diplomatique et son poids économique. La France doit avoir pour ambition de rapprocher les peuples de langues francophones et, ce faisant, elle donnera peut-être à son peuple une nouvelle vision d’elle-même, davantage confiante et ambitieuse.

Oui, il est possible en France de ressouder toutes les composantes de la nation autour d’un discours volontaire et universaliste, où l’extérieur devient source d’opportunités, parce que la France ne souhaite pas sortir de l’Histoire. La francophonie nous rassemble, elle est un destin qui nous ressemble.

La présente note propose huit mesures programmatiques pour la francophonie, réparties en quatre axes : le développement universitaire, la coopération économique, le rayonnement culturel et numérique et la couverture événementielle.

Axe 1 : S’adresser à la jeunesse par l’échange universitaire

La jeunesse est évidemment au cœur d’un programme pour la francophonie. Elle en est l’une des caractéristiques clés, au présent comme au futur. Pour en faire un atout et permettre aux jeunes de s’identifier à la culture francophone, théorisée par Senghor à travers la francité, ces jeunesses doivent devenir l’objet de politiques universitaires volontaristes, conduisant à les rapprocher. Ces politiques gagneront en pérennité, si elles parviennent à renforcer un sentiment d’appartenance à l’espace francophone.

Mesure 1 : Le Senghor universitaire, un Erasmus pour la francophonie

Description

Le programme d’échange Erasmus, regroupant 33 pays européens et 3000 établissements universitaires, est considéré comme un succès, notamment parce qu’en éveillant la curiosité culturelle de la jeunesse, il a suscité un sentiment d’identité européenne et ainsi renforcé son attachement à l’intégration politique du continent.

Pour sensibiliser les jeunes francophones sur ce bien linguistique qu’ils partagent et ancrer le sentiment d’appartenance à l’espace francophone, un système d’échange analogue entre les universités des pays francophones paraît pertinent et porteur de sens. Renforcer l’intérêt pour la langue française est à la fois un but, mais aussi un moyen pour rapprocher les jeunesses francophones.

À l’image d’Érasme, grand voyageur européen et humaniste avant l’heure, cet espace devrait porter le nom d’une figure dont la pensée et les actions se retrouvent dans l’idéal francophone. La figure de Senghor s’impose comme une évidence, le poète et homme d’État sénégalais ayant à la fois pensé la notion de francophonie et initié la construction politique dont l’OIF est l’héritière.

Plan d’actions 

1. Les membres du « Senghor universitaire »

Parmi les 54 pays ayant le statut de « membre » de l’OIF, il faudrait identifier les universités pouvant être incluses dans ce programme. L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), association mondiale d’universités francophones et opérateur spécialisé de la francophonie pour l’enseignement supérieur et la recherche, est l’organe idéal pour conduire cette démarche.

2. Son parcours universitaire

Le « Senghor universitaire » pourrait reposer sur l’étude de deux thématiques phares :

  • Le développement durable, dont la transversalité permet d’en faire un passage obligé dans la plupart des cursus. L’idée est de faire du Senghor universitaire un espace de recherches voire d’innovations sur la transition écologique, pour ancrer cette identité dans la francophonie. 
  • Le genre, pour interroger et améliorer la place des femmes dans les différentes sociétés francophones. Sans imposer un point de vue arrêté sur la question, les étudiants peuvent devenir des ambassadeurs de l’égalité des droits, en particulier sur la question des droits et santé sexuels et reproductifs1Cf. Pour la liberté de disposer de son corps, Fondation Jean-Jaurès, Terra Nova, 2021..

3. Ses réseaux de jeunes

Il faut s’appuyer sur les nombreux réseaux de jeunes leaders présents dans les pays francophones. À titre d’exemples : le Réseau international des jeunes leaders francophones, dont l’approche est généraliste, la Cellule nigérienne des jeunes filles leaders et le Réseau des jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest, spécialisés sur le genre.

Mesure 2 : L’Université de la francophonie, un établissement international pour former et rassembler la jeunesse francophone

Description 

Les universités de renommée internationale sont devenues au XXIe siècle de véritables entités commerciales, capables de faire leur promotion aux quatre coins du monde. Elles s’appuient sur l’originalité de leur communication, la compétence de leurs chercheurs et la force de leur réseau, pour attirer les meilleurs éléments. Cette rivalité mène paradoxalement à des parcours stéréotypés, conduisant beaucoup d’étudiants, scientifiques ou littéraires, à rejoindre les denses bataillons du « consulting ».

L’alliance des États francophones a suffisamment de poids politique et économique pour donner naissance à une université de dimension internationale, proposant une alternative. À l’inverse du Senghor universitaire, qui invite aux échanges entre plusieurs universités partenaires, l’Université de la francophonie pourrait rassembler les jeunesses francophones en un seul point et constituer un catalyseur créatif et culturel pour éveiller les synergies futures de cet espace.

Plan d’actions

1. S’appuyer sur l’existant

Pour se matérialiser, le projet de l’Université de la francophonie doit être conduit par des acteurs clés comme l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), dont le siège est situé à l’Université de Montréal. Présente dans 40 pays à travers ses universités partenaires, l’AUF ne repose pas sur un établissement universitaire dédié à la francophonie, ce qui lui donnerait pourtant probablement plus de poids. Elle pourrait être chargée de la création de cette nouvelle université, tout comme l’Institut de la francophonie pour l’éducation et la formation de Dakar (IFEF), organe officiel de l’OIF chargé de programmes de coopération dans le secteur de l’éducation.

2. Le défi de la localisation

La localisation de cette université est évidemment un sujet en soit et ce point est lié au précédent. Dakar accueillant déjà l’IFEF, la ville pourrait être désignée comme un lieu d’accueil naturel, tout comme Montréal, siège de l’AUF. Il serait également recevable d’écarter ces villes, puisqu’elles jouissent déjà de la présence d’une instance. Toujours est-il que pour faire réussir le projet, le choix devra aussi s’appuyer sur des arguments rationnels et pas seulement symboliques.

L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale apparaissent comme les régions à privilégier, de par leur poids dans la francophonie. Il y aurait du sens à ce qu’une université ayant pour ambition d’acquérir une renommée internationale soit localisée dans l’une de ces deux régions. 

3. Les parcours universitaires

Le défi sera d’apporter une formation pluridisciplinaire en sciences humaines, résolument tournée vers les enjeux de la francophonie. Qu’il s’agisse d’arts et lettres, de géopolitique, d’économie ou de sciences sociales, la francophonie est un objet d’étude varié qui offre des opportunités de carrière aux jeunes francophones.

Comme pour le Senghor universitaire, des thématiques transversales comme le développement durable ou le genre feraient l’objet d’un traitement particulier tout au long du cycle. L’Université de la francophonie pourrait construire sa spécialisation autour de ces deux domaines qui, en plus de correspondre à son identité humaniste, correspondent à des profils recherchés dans le secteur public comme dans le privé.

4. Mettre les études supérieures au service du renforcement des capacités

Rassembler des jeunes issus de régions différentes, pose inévitablement la question de la sélection et de ses critères d’évaluation. Aussi méritocratiques soient-ils, les réflexes élitistes sont dangereux s’ils conduisent à déconnecter une part de la jeunesse africaine, voire à la déraciner en la conduisant à travailler ailleurs qu’en Afrique. L’opinion française se désole elle-même de voir nombre de jeunes ayant fréquenté les prestigieuses formations hexagonales partir exercer leur talent à l’étranger. Le parcours des étudiants au sein de l’Université de la francophonie doit être intimement lié avec les autres composantes des systèmes éducatifs des États francophones. Ces jeunes en seraient issus et devraient en être des acteurs, au moins à court terme.

Dans ce cadre, il convient de s’appuyer sur les objectifs de l’IFEF, qui ne se limitent pas à des programmes de coopération dans le secteur de l’éducation. L’Université de la francophonie, bien que tournée vers les études supérieures, pourrait soutenir l’éducation de base, la formation professionnelle et technique et le renforcement des capacités des enseignants, qui sont des priorités de l’IFEF. Le cycle universitaire pourrait inclure la participation des étudiants à ces missions, notamment dans le cadre de stages où ils délivreraient des actions de formation et de renforcement des capacités.

5. Offrir des passerelles avec les administrations nationales et internationales

Il s’agit de l’autre pendant de l’Université de la francophonie : engagée dans le soutien aux formations professionnelles et techniques, elle doit offrir à ses étudiants un réseau favorisant leur accession aux administrations de leur pays, voire aux organisations internationales. L’ONU est bien évidemment un acteur essentiel, d’autant qu’il favorise aujourd’hui les candidatures issues des pays dans lesquels il intervient prioritairement, dont beaucoup de pays francophones.

L’OIF est aussi un acteur important, même si les offres d’emplois y sont moins nombreuses. Il y aurait du sens à ce que les jeunes fonctionnaires de l’OIF soient formés au sein d’une Université de la francophonie. Les étudiants pourraient aussi être orientés vers les jeunes entreprises africaines innovantes.

Axe 2 : Soutenir le potentiel économique dans le développement durable

D’essence culturelle et de nature politique, la francophonie n’a pas été pensée comme un espace de coopération économique. Toutefois, le poids pris par les relations économiques dans les autres affaires internationales les rend incontournables dans la stratégie d’une organisation internationale.

Il est compliqué de formuler des propositions économiques incluant des pays africains francophones et la France, à l’heure où la priorité est de réduire les dépendances commerciales et d’accroître les échanges intra-africains. La débat sur la fin du franc CFA, monnaie émise par la Banque de France et commune à plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, en est une illustration. Si le sujet mérite néanmoins d’être travaillé, c’est notamment parce que le partage linguistique confère des avantages économiques naturelles. L’enjeu est d’identifier quelle construction économique commune serait avantageuse pour l’ensemble des pays francophones, dans un objectif partagé de développement durable.

Mesure 3 : Un cadre commun justifié par la résilience économique du partage linguistique

Description 

Selon une étude de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI)2Céline Carrere, Maria Masood, « Le poids économique de la langue française dans le monde », Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI), mai 2013., le partage de la langue française confère un avantage économique aux deux parties concernées par un échange, puisqu’il réduit les coûts de transaction. Le FERDI a estimé à 24% le « supplément de commerce » entre les pays de l’espace francophone, c’est-à-dire que, toutes choses égales par ailleurs, les acteurs économiques d’un pays francophone vont plus se tourner vers un partenaire commercial partageant leur langue.

Ce fait économique « naturel » est d’autant plus intéressant à valoriser qu’il s’accentue lorsque survient un choc exogène, une crise financière par exemple. Bien qu’elle ait réduit la confiance des acteurs, la crise de 2008 a moins affecté les échanges entre acteurs économiques francophones que les autres, toutes choses égales par ailleurs. Dans l’incertitude de l’environnement économique actuel, la stabilité conférée par le partage d’une langue est une donnée non négligeable. Cette résilience est un facteur justifiant le développement des échanges entre les pays francophones.

Plan d’actions 

1. Un cap durable : le développement des échanges intra-africains

Les avantages économiques du partage linguistique ne doivent aucunement occulter les nombreux écueils, dont le premier est l’hétérogénéité des économies francophones. Si cette donnée ne condamne pas la coopération économique, elle en complique le fonctionnement, car de la coopération ne doit pas résulter la dépendance. Alors que les échanges intra-africains ne représentent que 19% du commerce total effectué sur le continent, une coopération économique francophone doit poursuivre l’objectif d’en développer la part.

Il n’existe toutefois pas de contradictions à inclure la France, le Canada, la Belgique ou même la Suisse dans cette coopération, si celle-ci assume cet objectif. En plus de respecter les engagements de développement durable, la réduction de la dépendance économique des pays africains envers leurs partenaires extracontinentaux constitue probablement l’optimum de long terme, c’est-à-dire la situation économique optimale pour tous les pays francophones.

2. Favoriser la diversification économique

Le constat du manque de diversification de plusieurs économies francophones est posé depuis longtemps. La dépendance envers la rente minière touche à titre d’exemple la Guinée-Conakry avec la bauxite, le Niger avec l’uranium ou encore la RDC avec plusieurs métaux rares. L’économie du Congo-Brazzaville est quant à elle soumise aux fluctuations du prix du baril de pétrole. 

La coopération économique régionale constitue une voie pertinente pour un soutien d’ampleur de l’essor agricole et industriel et ainsi de la diversification des économies. Dans ce contexte, une puissance économique comme la France peut mettre ses savoir-faire techniques au service de ses partenaires francophones. N’est pas seulement concerné le secteur industriel, puisque l’essor agricole est aussi recherché par plusieurs pays francophones, le Congo-Brazzaville par exemple.

3. Vers une consommation régionale des ressources

Beaucoup d’économies francophones sont également affectées par une allocation défavorable de leurs matières premières. À l’échelle continentale, l’Afrique possède des ressources suffisantes pour nourrir toute sa population et, pourtant, seules 4% des céréales importés par des pays africains sont originaires du continent3ATDER, Annual Trade Development Effectiveness Report 2019, Afreximbank, 2019.. Même constat pour les énergies fossiles : sur les 4 millions de barils de pétrole consommés chaque jour en Afrique, 98% sont importés, alors même que le continent en produit autour de 10 millions.

Mesure 4 : La francophonie durable, un espace d’innovations écologiques et d’influence dans les conférences internationales

Description 

La francophonie durable, c’est une stratégie visant à faire de l’OIF un espace de soutien et de promotion des innovations technologiques favorisant la transition écologique. Elle doit mener les pays francophones à se constituer en groupe d’influence dans les conférences internationales, pour se faire force de proposition et pionniers dans le domaine.

Plan d’actions 

1. S’accorder sur un soutien et une promotion exemplaire de la recherche et développement

Le soutien des États doit d’abord s’adresser aux secteurs publics : les budgets alloués en matière de R&D sur l’innovation écologique doivent être exemplaires, par rapport aux ratios appliqués ailleurs dans le monde. Les États francophones doivent aussi se distinguer par une promotion intensive de leurs entreprises et microentreprises nationales engagées dans la transition écologique. La coopération doit mener vers des stratégies de croissance verte dans tous les États francophones, en s’appuyant sur les ressources universitaires, coordonnées par l’Université de la francophonie.

2. Peser lors des conférences internationales avec la constitution d’un groupe francophone

Les États francophones doivent se constituer en groupe pour peser en particulier lors des COP. La réalisation du point précédent justifierait que les États francophones établissent un programme ambitieux, applicable à l’ensemble des participants. Qu’importe le poids limité qui serait conféré à ce groupe face à la Chine ou aux États-Unis, l’alliance entre deux membres du G7 et plusieurs États africains en forte croissance serait suffisamment forte pour peser et donner un cap à l’espace francophone, ainsi qu’à ses peuples.

Axe 3 : Assumer et valoriser l’essence culturelle

« L’essentiel est que la France accepte de décoloniser culturellement et qu’ensemble nous travaillons à la Défense et expansion de la langue française comme nous avons travaillé à son illustration ». Ces mots sont ceux de Senghor dans La Francophonie comme culture, l’un des textes fondateurs.

La francophonie est la culture de ceux qui utilisent et enrichissent la langue française. Dans l’esprit de Senghor, le partage d’une langue a engendré la naissance d’une culture commune, la francité. Pour inviter les francophones à s’approprier cette culture, à en défendre la langue, le volontarisme politique est nécessaire.

Mesure 5 : Le média francophone, une plateforme numérique pour la francophonie

Description 

Le numérique est le chantier phare sur lequel la francophonie doit investir pour davantage peser culturellement, ou a minima défendre la place de la langue française. L’essor des grandes plateformes numériques américaines laisse craindre l’uniformisation de la création culturelle au profit de standards anglo-saxons. Cette tendance, déjà bien engagée, n’est cependant pas une fatalité.

Ces plateformes constituent certes un danger, mais elles montrent aussi en quelque sorte la voie à suivre. Une plateforme numérique, valorisant la création cinématographique, musicale, artistique mais aussi littéraire du monde francophone, soulèverait probablement l’intérêt, y compris dans des régions non francophones où la langue française demeure attrayante.

Plan d’actions 

1. S’appuyer sur TV5 Monde Plus et RFI

La valorisation de l’existant est un incontournable prérequis. TV5 Monde est le média officiel de la francophonie, et sa plateforme TV5 Monde Plus constitue une base intéressante. Un partenariat avec RFI aurait du sens, pour relayer ses contenus podcasts et proposer une diffusion radio en direct. Une fusion de ces ressources en une seule plateforme constituerait un point de départ idéal.

2. Valoriser des contenus francophones méconnus

La réussite du média francophone passe par l’affirmation de sa singularité. Beaucoup de contenus cinématographiques et musicaux en français ne sont pas assez valorisés, notamment parce que l’exposition est insuffisante au sein de leurs seules frontières nationales. Avec 330 millions de locuteurs, la francophonie génère aussi des possibilités d’ouverture vers un public plus vaste pour les artistes et les écrivains.

3. Mettre en avant la création littéraire

La création littéraire reste relativement absente des plateformes numériques. La littérature, c’est l’identité de la langue française. Elle devrait donc être mise en avant sur le média francophone, ce qui accentuerait sa singularité. La plateforme constituerait le lieu idéal pour mettre en avant la littérature en langue française. Le succès du Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr (lauréat du Prix Goncourt 2021) a aussi montré une volonté de mise en avant de la francophonie dans le monde littéraire.

Mesure 6 : Le Centre culturel de la francophonie, un lieu pour ouvrir le public aux cultures francophones

Description 

Parce que la francophonie comme culture n’a rien d’une évidence pour beaucoup, elle mérite d’être illustrée, expliquée, mise en avant dans toutes ses dimensions. C’est l’ambition du Centre culturel de la francophonie, qui serait le pendant matériel du média francophone. La culture ne doit pas être entièrement dématérialisée, dans la mesure du possible elle doit se doter d’un espace de rencontre et de rassemblement. Si un lieu physique réduit l’accessibilité d’un large public, il donne une dimension plus concrète aux rencontres et en accentue par conséquent leur portée.

Plan d’actions 

1. Définir le contenu

Comme beaucoup d’équipement moderne, ce centre culturel serait multifonctionnel, avec :

  • une bibliothèque : elle mettrait en avant les ouvrages de langue française, avec une variété de contenus (romans, ouvrages historiques et philosophiques, bandes dessinées, etc.). Cette bibliothèque comprendrait également une librairie, car l’objectif est de permettre aux visiteurs étrangers de faire l’acquisition de livres ;
  • un espace de ressources presse : le centre culturel comprendrait également un espace de consultation des ressources presse et de magazines des pays francophones ;
  • un cinéma : ce centre culturel pourrait accueillir un espace de projection des réalisations cinématographiques des pays francophones, en particulier celles manquant de financement pour bénéficier d’une promotion ;
  • une scène, de manière à rythmer la vie de cet espace autour d’événements réguliers.

2. Monter des partenariats

La réussite de ce lieu reposera sur la solidité des partenariats montés avec d’autres équipements culturels du monde francophone. À travers ces partenariats, le Centre culturel de la francophonie pourrait s’appuyer sur les collections déjà existantes pour animer ses espaces avec des expositions temporaires. Il pourrait faire une promotion active de tous ces équipements culturels disséminés dans les pays francophones, et in fine être l’initiateur d’un réseau de bibliothèques du  monde francophone. Il se ferait plateforme culturelle, chargée d’illustrer et d’informer sur les moyens de découvrir la culture francophone, quelle que soit l’origine du visiteur.

3. Choisir un lieu approprié

Comme pour l’Université de la francophonie, la localisation de ce lieu n’est pas une question secondaire. Pour être idéale, celle-ci devra d’abord tenir compte des grands centres culturels préexistants dans les pays francophones, comme le Quai Branly à Paris ou le Musée des civilisations noires à Dakar. Pour profiter de leur expertise, voire monter des partenariats, mieux vaut choisir une localisation vierge d’équipements de cette dimension.

Axe 4 : Imposer des rendez-vous incontournables

Pour obtenir de l’écho et faire parler d’elle, voire susciter un engouement intergénérationnel, la francophonie doit se doter d’événements musicaux ou sportifs d’envergure. Ils pourraient accroître son rayonnement auprès du grand public, l’ancrer dans les esprits et constituer des portes d’entrée vers toutes les autres composantes de la francophonie.

Mesure 7 : Le festival francophone, un rendez-vous musical autour de la francophonie

Description 

Les festivals musicaux jouissent en France d’une grande capacité d’entraînement auprès de publics variés. Étant donné la grande culture musicale caractérisant les régions francophones, une programmation, en français, alliant une variété de genres musicaux est tout à fait réalisable.

Plan d’actions 

1. Localiser l’événement en France métropolitaine

Dans un premier temps, la France métropolitaine pourrait accueillir cet événement pour bénéficier de l’expérience de ses collectivités dans le domaine et de ses nombreux équipements. Cette localisation permettrait aussi de rassembler un public le plus cosmopolite possible. Un changement de lieu chaque année peut aussi être une option.

2. Une programmation éclectique et non commerciale

Concernant la programmation, deux défis devront être relevés : elle devra être éclectique musicalement, pour accueillir un public varié en termes générationnels et territoriaux, et éviter les produits commerciaux et stéréotypés qui sont déjà mis en avant par ailleurs. Beaucoup d’artistes très populaires dans le monde francophone sont d’ailleurs éloignés de ce type de contenu.

Mesure 8 : Les Jeux de la francophonie 2025, l’occasion d’un coup de projecteur

Description 

Pendant l’Antiquité, le monde grec, peuplé d’États distincts partageant une langue commune, se rassemblait tous les quatre ans sur le site d’Olympie, probablement plus dans un souci de rapprochement que de compétition. En 1989, le monde francophone a lui aussi choisi de célébrer sa communauté linguistique à travers une rencontre sportive, les Jeux de la francophonie.

Le sport a la vertu de créer les conditions de la rencontre interculturelle. Les Jeux de la francophonie constituent un formidable moyen de promouvoir et célébrer cet espace. C’est précisément parce que l’outil est pertinent qu’il faut en déplorer la trop faible médiatisation auprès du grand public. La plupart des francophones n’a probablement jamais entendu parler de ces jeux ou, a maxima, a seulement lu un article sur le sujet. À l’occasion des Jeux olympiques de Paris 2024, la France a l’occasion de donner un coup de projecteur aux Jeux de la francophonie qui se dérouleront un an plus tard.

Plan d’actions 

1. Profiter de la couverture mondiale des JO 2024

Les Jeux olympiques de Paris se dérouleront 26 juillet au 11 août 2024. Cette exposition mondiale donnera à la France la possibilité de mettre en lumière d’autres événements. L’organisation un an plus tard des dixièmes Jeux de la francophonie offre une possibilité unique de faire connaître davantage cet événement auprès du public francophone.

2. Favoriser la participation de sportifs francophones de renom

Pour soutenir la médiatisation des Jeux, il est indispensable que certains sportifs francophones de renom puissent y participer. Même si l’identité des Jeux de la francophonie est de promouvoir les jeunes sportifs amateurs, il est indispensable que de nombreuses têtes d’affiche du sport mondiales soient invitées à y participer pour intéresser le grand public.

L’originalité des Jeux de la francophonie est également sa forte dimension artistique et, à ce titre, la participation d’artistes francophones populaires est souhaitable pour les mêmes raisons.

3. Obtenir une diffusion (au moins partielle) des Jeux sur l’audiovisuel public français

Ce point est la conséquence directe du précédent. En obtenant la participation de sportifs francophones renommés, les Jeux pourront plus facilement obtenir une audience médiatique, notamment télévisuelle. Une diffusion de tout ou partie des Jeux 2025 sur l’une des chaînes de France Télévisions serait un objectif certes ambitieux, mais tout à fait atteignable. Le média francophone serait également un outil privilégié pour retransmettre en direct les épreuves et promouvoir les Jeux de la francophonie à travers des formats courts.

4. Promouvoir de nouvelles pratiques sportives

Les Jeux de la francophonie ont déjà su fonder une identité originale en liant les sports et les arts autour d’un même événement. Pour renforcer son attractivité, le Comité international des Jeux de la francophonie pourrait promouvoir de nouvelles pratiques sportives, en invitant des fédérations non admises aux Jeux olympiques, mais dont les sports sont populaires notamment auprès du jeune public, à participer aux Jeux de la francophonie.

  • 1
    Cf. Pour la liberté de disposer de son corps, Fondation Jean-Jaurès, Terra Nova, 2021.
  • 2
    Céline Carrere, Maria Masood, « Le poids économique de la langue française dans le monde », Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI), mai 2013.
  • 3
    ATDER, Annual Trade Development Effectiveness Report 2019, Afreximbank, 2019.

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