La liberté de disposer de son corps est un droit essentiel, nécessaire à l’émancipation des femmes et des filles et à la garantie de leur avenir. Or, l’accès aux droits et à la santé sexuels et reproductifs en Afrique subsaharienne demeure encore limité, voire bafoué. Mais des leviers existent pour faire bouger les lignes. La France a un rôle à jouer, notamment grâce à sa politique d’aide publique au développement.
C’est ce que ce rapport conjoint de la Fondation Jean-Jaurès et de Terra Nova s’attache à démontrer en formulant six recommandations à destination du gouvernement français. Il s’inscrit en cela dans l’objectif du Forum Génération Égalité, événement diplomatique majeur pour l’égalité femmes-hommes. Co-présidé par la France et le Mexique, et organisé en partenariat avec la société civile et la jeunesse, il a vocation à susciter une synergie internationale en faveur de la mise en place d’initiatives et d’engagements financiers concrets pour les droits et la santé sexuels et reproductifs.
Table des matières
Note de synthèse
Avant-propos
Introduction
Répondre aux priorités des droits et de la santé sexuels et reproductifs en Afrique subsaharienne
Définition des droits et de la santé sexuels et reproductifs
Présentation du contexte régional en matière de DSSR
- Le cadre législatif concernant les DSSR en Afrique de l’Ouest et centrale
- Le poids des coutumes et de la religion
- Les systèmes de santé en Afrique de l’Ouest et centrale
Les conséquences du Covid-19 sur les DSSR en Afrique de l’Ouest et centrale
Actions menées par les organisations de la société civile locale, les communautés et les instances politiques pour répondre aux besoins en matière de DSSR de la région
- Plaidoyer des ONG locales envers les gouvernements
- Plaidoyer des ONG locales envers les communautés
- Actions des ONG locales avec et pour la jeunesse
- Résilience des ONG locales
Stratégie de l’aide publique au développement de la France pour les DSSR en Afrique de l’Ouest et centrale
Évolution de l’intégration des DSSR dans l’aide publique au développement de la France
Les financements de la France pour les droits et la santé sexuels et reproductifs
Recommandations
Contributions
Transition démographique, situation et évolution dans cinq pays d’Afrique subsaharienne, Hervé Le Bras
Situation régionale en Afrique subsaharienne, Irmine Ayihounton
Burkina Faso, Wendyam Micheline Kaboré
Mali, Oumou Salif Touré
Niger, Nafissa Hassan Alfari
République démocratique du Congo, Jean-Claude Mulunda
Sénégal, Fatou Ndiaye Turpin
Personnalités auditionnées
Synthèse
Vingt-six ans après la Conférence mondiale sur les droits des femmes à Pékin, le Forum Génération Égalité marque une nouvelle étape cruciale pour l’engagement des gouvernements en faveur de l’égalité femmes-hommes. Le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes reste, en effet, ouvert à l’échelle internationale. En un quart de siècle, aucun nouveau texte international n’est venu conforter les précédents engagements. Pire, la défense des droits des femmes est entravée dans de nombreuses instances internationales par des coalitions hétéroclites d’États qui nient, pour des raisons diverses, les discriminations subies par les femmes. Dans des contextes culturels, sociaux, religieux variés, la libre disposition de leur corps leur est refusée.
Parallèlement, la compréhension des mécanismes de discriminations à l’encontre des femmes s’est approfondie. La liberté de disposer de son corps est souvent entendue de manière restrictive comme le libre choix de procréer. Mais elle concerne en réalité un ensemble plus vaste de droits, interdépendants les uns des autres, sans lesquels il n’y a pas de choix autonomes ni d’égalité réelle : l’accès à l’éducation et à l’information, l’accès aux systèmes de soin, l’accès aux méthodes contraceptives, à l’avortement légal et sûr, la protection contre les violences sexuelles, telles que le viol, les mutilations génitales féminines, les mariages d’enfants, les mariages forcés…
Ces revendications forment un continuum désormais désigné sous la dénomination récente de droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR, dont l’acronyme anglais est SRHR pour Sexual and Reproductive Health and Rights). La promotion de ces droits, qui rencontre de nombreux obstacles dans le cadre international multilatéral, fait l’objet d’une mobilisation particulière d’une large coalition d’États dont fait partie la France. À Paris, la France, qui copréside le Forum Génération Égalité avec le Mexique, s’engagera plus particulièrement dans la coalition sur « le droit à disposer de son corps et la santé et les droits sexuels et reproductifs ». Cet engagement, en cohérence avec l’affirmation depuis plusieurs années de la diplomatie féministe, suscite de grandes attentes de la part de nombreux organismes de la société civile et de pays partenaires impliqués pour l’égalité femmes-hommes. Pour être pleinement mobilisateur, cet engagement français doit se traduire par un effort financier spécifique dans le cadre de l’aide publique au développement. Les choix budgétaires, de ce point de vue, restent en retrait par rapport à l’ambition du message.
Un renforcement de l’engagement français est d’autant plus nécessaire que les contextes sanitaires et sécuritaires se dégradent dans les régions où il compte. Les droits des femmes et des filles sont particulièrement vulnérables face aux aléas sécuritaires, politiques, économiques et culturels des sociétés que vivent au quotidien les pays d’Afrique subsaharienne. Comme nous avons pu le constater avec la pandémie de Covid-19, les avancées en matière de droits et de santé sexuels et reproductifs sont difficiles à conquérir et leur recul est malheureusement brutal quand l’accès au système scolaire est rendu impossible, quand le système de soin est désorganisé, quand les associations locales n’ont plus les moyens de mener leurs actions, voire lorsqu’elles sont directement empêchées par certaines forces sociales ou par des responsables politiques ou religieux. Les inégalités de genre qui en découlent perpétuent et renforcent les violences envers les femmes et les jeunes filles.
Or, si les femmes et les adolescentes sont privées du droit à disposer librement de leur corps, les répercussions ne concernent pas uniquement l’atteinte de leur autonomie corporelle. C’est l’ensemble de leur parcours d’émancipation qui est mis en cause, avec des incidences multiples qui concernent l’ensemble de leur vie. Ces entraves menacent leur avenir et la possibilité d’aspirer à une éducation complète, à l’indépendance économique, et les privent de droits aussi fondamentaux que le droit à la santé et à la sécurité. En résumé, elles les privent d’un droit universel fondamental, de leurs libertés et de leur droit de choisir.
Par conséquent, il est essentiel que les sociétés et les responsables politiques soient sensibilisés pour promouvoir l’accès aux DSSR pour les femmes et les filles et que les financements dans ce domaine se poursuivent et soient amplifiés. C’est pourquoi l’aide publique au développement de la France à destination des DSSR en Afrique subsaharienne est indispensable pour entraîner des changements tangibles et continus sur le terrain en faveur de la garantie de ces droits.
Le présent rapport donne la parole aux acteurs et actrices de terrain qui développent concrètement des programmes de promotion des DSSR dans cinq pays d’Afrique subsaharienne (Burkina Faso, Mali, Niger, République démocratique du Congo, Sénégal). Grâce à de nombreuses auditions de responsables politiques et institutionnels, des représentant·e·s d’ONG locales basées dans les cinq pays étudiés et d’associations féministes françaises, le groupe de travail a identifié plusieurs leviers d’action qui restent à développer pour permettre aux femmes de faire valoir leurs droits.
Les recommandations
Voici les six recommandations portées dans ce rapport à destination du gouvernement français au sujet des financements alloués aux droits et à la santé sexuels et reproductifs en Afrique subsaharienne :
- revoir à la hausse les financements de la France pour les DSSR ;
- déployer l’ensemble des thématiques des DSSR pour répondre aux besoins sur le terrain, une priorité pour le respect des droits fondamentaux des femmes et des filles ;
- simplifier le processus d’identification et de comptabilisation des financements pour les DSSR ;
- privilégier le financement de projets avec une temporalité longue ;
- adapter les procédures d’éligibilité aux financements pour les ONG locales et féministes ;
- investir dans le potentiel de la jeunesse.
Les auteurs
Ce rapport écrit par Deborah Rouach, chargée de mission pour la Fondation Jean-Jaurès et Terra Nova, est issu d’un groupe de travail qui a réuni :
- Amandine Clavaud, responsable Europe, Égalité femmes-hommes, Fondation Jean-Jaurès,
- Juliette Clavière, directrice de l’Observatoire Égalité femmes-hommes, Fondation Jean-Jaurès,
- Suzanne Gorge, responsable du mécénat et des partenariats, Terra Nova,
- Alexandre Minet, coordinateur du secteur international, en charge de l’Afrique subsaharienne,
- Marc-Olivier Padis, directeur des études et chargé des relations internationales.