Un budget juste : l’outil d’une politique économique de gauche

Tandis que l’Assemblée nationale examinera prochainement le projet de loi Plein-emploi, prévoyant notamment de conditionner l’accès au RSA, et que le projet de loi de finances sera présenté en Conseil des ministres fin septembre, Simon-Pierre Sengayrac, expert associé à la Fondation, dessine les contours de ce que pourrait être une politique économique de gauche où un budget juste permettrait plus de justice fiscale et sociale, à travers un revenu minimum de garantie, une progressivité fiscale et des financements à destination de la transition écologique et sociale.

Synthèse

La présente note esquisse les contours d’un budget juste, c’est-à-dire un budget qui allie justice fiscale en recettes et choix budgétaires soutenables – et en faveur des classes populaires – en dépenses.

Le budget juste, un budget équilibré. Si l’inflation et les déficits creusés par les « dépenses Covid » menacent la soutenabilité du modèle interventionniste français et imposent de réduire les déficits, il est possible de retrouver l’équilibre budgétaire sans couper dans les dépenses. La renégociation de la gouvernance budgétaire européenne en cours devrait conduire la France à se focaliser sur un objectif d’équilibre primaire des comptes (équilibre hors prise en compte du paiement des intérêts de la dette). Ceci fournirait une marge de manœuvre budgétaire de 50 milliards d’euros par an de dépenses.

Le budget juste, un budget lisible et équitable. Pour rendre plus intelligible notre modèle de redistribution, il est proposé l’intégration socio-fiscale de la plupart des prélèvements sur les personnes – impôt sur le revenu, cotisations sociales salariales, contribution sociale généralisée (CSG) et contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) – et de la plupart des prestations – Revenu de solidarité active (RSA), prime d’activité, allocation de solidarité spécifique, minimum vieillesse, allocation chômage d’aide au retour à l’emploi et aides au logement. Ceci conduirait à créer un revenu minimum de garantie sous conditions de ressources aux bénéficiaires de ces prestations. Ce revenu serait ouvert aux adultes autonomes à partir de 18 ans.

Pour garantir l’équité du système, la progressivité fiscale devrait être renforcée. Cela passe par l’intégration des revenus du capital non réinvestis dans le barème socio-fiscal.

Le budget juste, un budget écologique et social. Pour être à la hauteur des enjeux de cohésion sociale et de transition écologique, le budget juste pourrait en priorité financer :

  • un grand plan d’investissement dans les services publics, de l’ordre de 10 milliards d’euros ;
  • les investissements nécessaires dans la transition écologique, de l’ordre de 30 milliards d’euros.

Introduction

Comme chaque année, l’automne sera traversé par les votes des budgets de l’État et de la Sécurité sociale pour 2024. Seulement, cette fois-ci, ces votes devraient marquer le dénouement de la pièce de théâtre budgétaire initiée en 2017 et reposant sur des décisions paradoxales devenues insoutenables. D’un côté, les baisses et suppressions d’impôts décidées depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir ont coupé les administrations de ressources essentielles au financement de leur activité et aux investissements d’avenir, pour 54 milliards d’euros1Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2023.. De l’autre, les aides, les plans d’urgence et plan de relance liés à la crise des « gilets jaunes », au Covid-19 et la crise énergétique ont fortement accru les dépenses publiques de plus de 200 milliards d’euros entre 2020 et 20232Ibid.. En conséquence, les déficits publics se sont creusés, conduisant à accroître la dette du pays de 14 points en six ans (+ 600 milliards d’euros)3Insee, Dette trimestrielle de Maastricht des administrations publiques (APU) – premier trimestre 2023.. Cette situation justifierait aujourd’hui selon le gouvernement des baisses de dépenses publiques4Évaluation de la qualité de l’action publique, rapport au Parlement du ministère de l’Économie, juillet 2023.. Ce sont donc ceux qui ont laissé filer les déficits pendant cinq ans qui s’émeuvent aujourd’hui de l’état jugé préoccupant des finances publiques : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

Si les budgets 2024 vont être si structurants pour le pays, c’est que nous vivons un contexte économico-budgétaire singulier. L’inflation persistante (bien qu’en reflux ces derniers mois)55,1% en juillet 2023 contre 5,3% en juin 2023 et 7,3% en février 2023, d’après Eurostat. et la politique monétaire restrictive6Taux directeur de la Banque centrale européenne (BCE) : 4,25% en août 2023 contre 0,5% en juillet 2022, d’après la Banque de France. viennent contraindre le financement des déficits publics en renchérissant le coût de l’emprunt. Dans le même temps, le retour trop rapide à un équilibre budgétaire viendrait stopper net la dynamique économique positive que la France connaît depuis plusieurs années (marquée notamment par un chômage historiquement bas). Enfin, les dépenses supplémentaires engagées par l’État à la suite de la crise des « gilets jaunes » (2018-2019) et de la survenance de la pandémie de Covid-19 (de 2020 à 2022) arrivent à leurs termes.

Dans ce nouveau paradigme, une nouvelle orientation structurelle de la politique budgétaire peut être construite par les parlementaires, qui devraient se saisir de l’occasion pour remettre la justice sociale au cœur des priorités gouvernementales. Trois enjeux concourent à une telle ambition :

  • la définition d’une trajectoire d’équilibre des comptes sans baisse des dépenses publiques : l’équilibre budgétaire est un enjeu de soutenabilité de notre modèle social, et de crédibilité internationale – alors que la plupart des pays voisins sont en cours de rétablissement de leurs équilibres après le choc lié à la pandémie de Covid-19 ;
  • la construction d’un système plus lisible de redistribution, facteur de consentement à l’impôt et d’adhésion au modèle social ;
  • la proposition de plans d’investissement ambitieux dans les services publics et la transition écologique.

Ces trois enjeux dessinent ce qui pourrait être appelé un budget juste : plus équilibré, plus transparent, plus équitable et plus social. C’est un budget qui allie justice fiscale en recettes et choix budgétaires soutenables – et en faveur des classes populaires et moyennes – en dépenses. Sans viser la proposition d’un contre-budget exhaustif, cette note a vocation à en esquisser les contours.

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Un budget qui respecte l’équilibre primaire pour préserver la soutenabilité de notre modèle social

Le contexte économico-budgétaire nécessite d’établir une trajectoire d’équilibre des comptes publics

Si la dégradation des comptes publics ces dernières années est une préoccupation sérieuse pour la soutenabilité de notre modèle social, inutile pour autant de tomber dans le catastrophisme. Oui, les déficits publics récurrents sont préoccupants car, en faisant trop reposer le financement des politiques publiques sur les créanciers de l’État, les décisions politiques deviennent soumises à leur bon vouloir : si à l’avenir la dette de l’État n’était plus achetée sur les marchés financiers, la France ne pourrait plus financer une partie de ses dépenses. En ce sens, l’endettement croissant du pays est une menace invisible pour la démocratie. Cela étant dit, nous sommes bien loin d’un tel scénario. La signature française est toujours achetée sur les marchés financiers à un taux d’intérêt particulièrement faible73% en juillet 2023 contre 3,3% en moyenne dans la zone euro., ce qui est bien normal étant donné que ces titres de dettes sont des actifs financiers prisés de nombre d’investisseurs (fonds de pension, gestionnaires d’actifs, banques d’investissement) : peu risqués, ils sont intégrés aux stratégies de diversification de portefeuille de ces investisseurs. C’est pourquoi il faut d’emblée rappeler que le scénario hypothétique d’un remboursement intégral de la dette française n’est pas souhaité par ces créanciers.

Par ailleurs, s’il est vrai que le coût de la dette augmente du fait de la hausse des taux d’intérêts, là encore la situation est moins préoccupante qu’on veut bien le croire. Certes, la charge de la dette (les intérêts d’emprunts) immobilise une part non négligeable du budget de l’État, non affectée aux politiques publiques. En ce sens, la hausse récente des taux d’intérêts provoquée par un resserrement de la politique de la Banque centrale européenne (BCE) conduit à augmenter ce poste de dépenses. De 26 milliards d’euros en 2020, ils représentent en 2023 47,5 milliards d’euros, soit près du double. Pour autant, l’inflation a conduit en 2022 à une hausse exceptionnelle des prélèvements obligatoires de +8,7% tirés par l’impôt sur les sociétés, la TVA et l’impôt sur le revenu8Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2023. qui sont venus « naturellement » combler une partie du déficit public.

Le budget juste est celui qui pourrait tenir la ligne de crête entre équilibre budgétaire et préservation du modèle social et des investissements d’avenir. Dans ce périlleux équilibre, la maîtrise du solde primaire est la clé.

L’équilibre primaire des comptes garantit la soutenabilité du financement du modèle social français sans en baisser les dépenses

Au-delà de l’argument économique, équilibrer les comptes publics est un impératif de respect des engagements européens de la France. C’est aussi une nécessité morale pour qui est attaché à la construction du projet européen. Mais il faut préciser de quel équilibre il s’agit, et ne pas appliquer avec excès de zèle les recommandations de la Commission européenne, contrairement à la voie choisie par le gouvernement qui a proposé à la Commission un Programme de stabilité 2023-2027 jugé irréalisable par nombre d’observateurs, y compris la Cour des comptes9Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2023..

Rappelons donc que l’exigence d’équilibre du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), signé en 1997 et mis à jour en 2012 par le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), est sujet à interprétations car il porte sur une notion difficile à appréhender avec rigueur : l’encadrement du déficit structurel des comptes10Le TSCG impose en son article 3 une « règle d’or » budgétaire : le respect d’un excédent budgétaire structurel de 0,5% du PIB.. Si en apparence sa définition est simple – il s’agit du déficit effectif retraité des dépenses conjoncturelles –, il est en pratique assez compliqué d’en trouver une formule de calcul claire et unanimement partagée. C’est notamment pour cette raison que la Commission européenne n’a jamais appliqué de sanctions aux pays en situation de déficit structurel excessif (dont la France et l’Allemagne). C’est également par crainte que de telles sanctions ne feraient qu’aggraver la situation budgétaire des États et en butée conduiraient à fragiliser l’adhésion de ces derniers à l’Union.

Ce cadre réglementaire ambigu, peu acceptable, incompatible avec les situations budgétaires de nombreux États11Les politiques budgétaires mises en place pendant la crise liée à la pandémie de Covid-19 ont fortement accru les déficits et les niveaux de dettes des États membres., est aujourd’hui en voie de renégociation. La proposition de réforme de la gouvernance budgétaire par la Commission européenne tend à simplifier la notion d’équilibre budgétaire et de soutenabilité de la dette publique. Si le texte présenté en avril 202312Communication de la Commission européenne, New economic governance rules fit for the future, 24 avril 2023. est particulièrement flou – « on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens13Cardinal de Retz, Mémoires, 1717. » –, on semble s’orienter vers la prise en compte d’un indicateur de dépenses publiques primaires14Dépenses publiques hors prise en compte du remboursement des intérêts de la dette. pour définir une trajectoire de retour à l’équilibre. C’est cette voie que la France devrait retenir dans son dialogue avec la Commission lors du Semestre européen. L’équilibre primaire est en effet un indicateur facilement calculable, et qui se concentre sur les dépenses pilotables de l’État (le remboursement des intérêts d’emprunt étant contraint). Surtout, il permet de stabiliser le ratio dette/PIB et de revenir à moyen/long terme à un taux d’endettement de 60% du PIB. En effet, lorsque le taux d’intérêt est égal au taux de croissance, le taux d’endettement est stable, hors prise en compte du service de la dette15Le niveau de dette est facteur du taux d’intérêt, et le PIB est facteur du taux de croissance. Donc le ratio dette/PIB s’équilibre quand ces deux facteurs sont égaux.. On constate fort heureusement depuis 2005 qu’en règle générale, le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance (hors événements conjoncturels d’ampleur), autrement dit que l’équilibre de la dette est compatible avec un déficit primaire. Le déficit primaire dit « stabilisant » est structurellement compris depuis 2005 entre -1% et -2% du PIB, ce qui représente une marge de manœuvre d’environ 50 milliards d’euros par an16Fipeco, L’effet boule de neige et le solde stabilisant de la dette, mai 2023.. Cette norme de l’équilibre primaire permettrait d’équilibrer les comptes publics, sans ajustements brutaux et ponctuels qui prennent habituellement la forme de baisses de dépenses.

Ainsi, pour 2023, ce nouveau cadre de gouvernance budgétaire offrirait à la France une marge de manœuvre de 6,8 points de PIB selon la Cour des comptes17Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2023. (soit près de 200 milliards d’euros). Tirée ponctuellement à la hausse par le contexte de forte inflation, cette marge de manœuvre devrait se réduire à partir de 2024, pour revenir à son niveau normatif constaté depuis 2005, compris entre -1% et -2% du PIB, soit environ 50 milliards d’euros18Fipeco, L’effet boule de neige et le solde stabilisant de la dette, mai 2023.. Ceci permettrait à l’État de financer ses investissements de transition écologique et de grandes politiques sociales, et lui éviterait ainsi l’austérité que certains esprits zélés jugent inévitable. Le vote de la prochaine loi de programmation des finances publiques (LPFP) est l’occasion de proposer une trajectoire budgétaire sur la durée du quinquennat calée sur ce critère d’équilibre budgétaire primaire.

L’équilibre primaire est donc le cadre quantitatif dans lequel le budget juste s’inscrit. Le second enjeu de ce budget est celui de l’adhésion démocratique à ses orientations. Ceci passe par une plus grande lisibilité du mécanisme socio-fiscal de redistribution et par une plus grande équité.

Un budget plus équitable qui simplifie et rend visibles les contributions et les droits de chacun

L’intelligibilité du système de redistribution sociale est une nécessité du budget juste. Les idées « d’assistanat » et d’« État obèse » fleurissent plus facilement quand les contribuables ne comprennent pas qui paye quoi, et pourquoi. Les débats sur la réforme des retraites du printemps 2023 ont sans doute constitué l’acmé de ces idées reçues, tant il a été difficile de poser une explication claire du fonctionnement du système actuel et des évolutions proposées par les différents partis. Depuis 1945, le système de protection sociale français s’est en effet ramifié et complexifié à mesure que de nouveaux droits sociaux ont été ouverts et élargis, et qu’il a fallu les financer.

C’est pourquoi un effort de lisibilité et de simplification est essentiel. Fort heureusement, les avancées numériques et la réussite passée du prélèvement à la source (PAS) de l’impôt sur le revenu nous offrent une voie dans la modernisation de notre système socio-fiscal.

L’objectif à atteindre est simple : intégrer les prélèvements obligatoires dus par les personnes physiques et les prestations sociales et de solidarité éligibles dans un système unique et automatisé. Un tel mécanisme permettrait « en un clin d’œil » de comprendre ce qui a été prélevé et ce qui a été versé à chacun. Les modalités de ce système, détaillées dans un précédent rapport à la Fondation Jean-Jaurès19Marc Wolf, Pour une garantie de revenu réellement universelle, Une approche pragmatique, Fondation Jean-Jaurès, 2022., offriraient deux garanties indispensables à l’acceptation de notre modèle social : la transparence et l’équité.

La mise en place d’un système socio-fiscal de redistribution intégré, facteur de transparence

La gestion unique et automatique de la plupart des prélèvements sur les personnes et de la plupart des revenus de transfert constituerait un progrès en matière de transparence du système. Un tel mécanisme aboutirait au versement, tous les mois, d’un revenu égal au solde des + (revenus) et des – (prélèvements) correspondant à la situation de chacun. Ainsi, les cotisations seraient réduites du montant des prestations versées, les impôts réduits des aides et minima.

En matière de prélèvements, l’impôt sur le revenu, les cotisations sociales salariales et les impôts sociaux (CSG et CRDS) seraient intégrés au système. En matière de prestations, le RSA, la prime d’activité, l’allocation chômage longue durée (allocation de solidarité spécifique), le minimum vieillesse (allocation de solidarité pour les personnes âgées), l’allocation chômage d’aide au retour à l’emploi (ARE) et les aides au logement seraient intégrées.

En bas de l’échelle des revenus (bas salaires, revenus de transfert), cette compensation ferait apparaître un solde positif, les prestations (revenu de solidarité active et autres minima sociaux, prime d’activité, aides aux logements, etc.) étant supérieures aux prélèvements. En haut de l’échelle, le solde serait négatif (prélèvements supérieurs aux prestations).

L’administration fiscale (DGFiP), chargée de la gestion du mécanisme, aurait ainsi un rôle d’intermédiaire avec les administrations de la Sécurité sociale, de Pôle emploi, et des administrations centrales chargées aujourd’hui du calcul et du versement des différentes prestations intégrées au système (voir schéma ci-dessous). Avantage simple mais structurant, une courte note lisible pourrait également être partagée à chaque contribuable recensant les montants de prélèvements et de prestations le concernant. Ainsi, chacun pourra comprendre mois après mois combien représentent les prélèvements qui lui sont dus, et combien représentent les prestations qui lui sont versées.

Source : Marc Wolf, Pour une garantie de revenu réellement universelle. Une approche pragmatique, Fondation Jean-Jaurès, 2022.

La nécessaire progressivité du mécanisme socio-fiscal intégré, facteur d’équité

Le mécanisme de transparence décrit plus haut rendra visible la position de chacun sur l’échelle des prélèvements et des revenus. Il ne sera donc accepté que s’il est véritablement équitable, c’est-à-dire si les prélèvements sont réellement progressifs, et les prestations réellement dégressives. Pour cela, deux ajustements doivent être opérés.

En bas de l’échelle des revenus, un revenu minimum garanti

Alors que le gouvernement prévoit de conditionner le versement du RSA à la réalisation d’une activité d’insertion sur le marché du travail, le budget juste conserverait au contraire la philosophie initiale d’une telle aide : assurer un « moyen de vivre, ou plutôt de survivre à ceux qui n’ont rien20François Mitterrand, Lettre aux Français, 1988. ».

Le cadre socio-fiscal intégré présenté ci-dessus conduit de facto à créer un revenu minimum garanti en réunissant dans une même liquidation la plupart des prestations sociales et de solidarité. Ce revenu garanti serait donc versé sous conditions de ressources, dans le cadre de l’éligibilité de chacune de ces prestations. Versé automatiquement par l’administration fiscale, il permettrait de lutter contre le non-recours (estimé à 30% pour le RSA21Le Revenu de solidarité active, Rapport public thématique, Évaluation d’une politique publique, 2022.). Afin d’en conserver le pouvoir d’achat, le revenu d’autonomie serait indexé sur l’inflation.

Pour faciliter l’autonomie des jeunes, ce revenu serait ouvert dès 18 ans aux jeunes ayant quitté le domicile parental. La Cour des comptes22Le Revenu de solidarité active, Rapport public thématique, Évaluation d’une politique publique, 2022. estime qu’une telle mesure bénéficierait à près de deux millions de jeunes, non éligibles à l’allocation du Contrat d’engagement jeune (remplaçant la Garantie jeunes)23Le Contrat d’engagement jeune est un dispositif d’accompagnement vers l’emploi des jeunes de 16 à 25 ans (30 ans pour les jeunes en situation de handicap) proposant stages, services civiques, formation, et une allocation pouvant atteindre 528 euros.. Au-delà des arguments déjà avancés dans de précédents travaux notamment publiés par la Fondation Jean-Jaurès24Timothée Duverger et Thierry Germain, Revenu d’autonomie : faire le choix d’un autre modèle !, Fondation Jean-Jaurès, 2023., une telle mesure permettrait aux jeunes issus de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de s’intégrer avec moins de difficultés dans la vie adulte et active, et réduirait les risques d’exclusion et de précarité auxquels ils sont particulièrement vulnérables2523% des personnes sans domicile fixe étaient issues de l’ASE en 2012 d’après le rapport L’insertion sociale et professionnelle des jeunes sortant des dispositifs de protection de l’enfance du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse de 2023..

À noter également, l’automatisation du versement permettrait de revaloriser les métiers des agents publics des conseils départementaux et de Pôle emploi qui ne seraient plus chargés du contrôle des fraudes au RSA et aux allocations chômage. Cela leur permettrait de se concentrer sur l’accompagnement des bénéficiaires à l’insertion sur le marché du travail et dans la société de manière générale.

En haut de l’échelle des revenus, le retour de la progressivité fiscale

En haut de l’échelle des revenus, la fiscalité du capital pourrait être renforcée, sans créer de trop fortes désincitations à l’investissement. Il est ainsi proposé d’intégrer les revenus du capital non réinvestis au barème socio-fiscal. La flat tax (prélèvement forfaitaire unique de 30% sur les revenus du capital) serait donc supprimée mais seuls les revenus encaissés par les investisseurs (dividendes, plus-value sur cessions de titre, etc.) et non réinvestis en fin d’exercice fiscal seraient taxés. Les revenus du capital étant intégrés à la déclaration annuelle de revenus, une telle disposition ne présenterait pas de difficulté technique.

Le mécanisme socio-fiscal intégré sera naturellement insuffisant pour rétablir une véritable progressivité de l’impôt. Une récente étude de l’Institut des politiques publiques a en effet mis en évidence la forte régressivité du système fiscal français au sein des 0,1% des foyers fiscaux les plus aisés26Institut des politiques publiques, Quels impôts les milliardaires paient-ils ?, juin 2023.. C’est pourquoi des mesures supplémentaires de justice fiscale seront à prévoir en haut de l’échelle des revenus pour s’assurer de la juste contribution des plus fortunés à l’effort de financement des politiques publiques. Ces mesures portent nécessairement sur les hauts patrimoines qui ont la particularité en France d’être particulièrement concentrés en haut de la pyramide, ce qui favorise la constitution de rentes, incompatibles avec notre modèle méritocratique :

  • instauration d’un impôt sur la fortune héritée : représentant en moyenne 60% du patrimoine des ménages27Conseil d’analyse économique, Repenser l’héritage, décembre 2021., l’héritage incarne aujourd’hui l’un des principaux freins à la méritocratie. Au-delà d’un certain seuil, il fournit en effet à ses bénéficiaires les mieux dotés un niveau de richesses qu’il n’est pas possible de combler par une vie de travail. Pour la justice fiscale et la déconcentration du patrimoine dans l’économie française, il est nécessaire de concentrer et de renforcer cet impôt sur les plus gros héritages28Simon-Pierre Sengayrac, Le nécessaire retour en grâce de l’impôt pour faire face à l’urgence écologique et lutter contre les inégalités, Fondation Jean-Jaurès, mai 2023. ;
  • mise en place de frais de notaires progressifs en fonction de la valeur du bien immobilier : face à la crise du logement, une telle mesure faciliterait l’accession à la propriété immobilière des primo-accédants issus des classes moyennes et populaires et créerait une désincitation à la surconcentration immobilière (un quart des ménages détiennent deux tiers des logements en France29Insee, France, Portrait social, 2021.) ;
  • instauration d’une taxe exceptionnelle sur les 10% des plus hauts patrimoines en France : évoquée par le rapport Pisani-Ferry et Mahfouz30Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, Rapport sur les incidences économiques de l’action pour le climat, France Stratégie, mai 2023., une telle mesure permettrait selon les auteurs de financer les investissements de transition écologique.

Par ces ajustements en haut et en bas de l’échelle des richesses, chacun aurait la certitude qu’il ou elle touche plus et verse moins que les contribuables mieux lotis que soi, et vice versa. Cette nouvelle donne pourrait accroître l’adhésion aux politiques sociales et de solidarité existantes et contribuerait à mettre en sourdine les discours sur les « privilégiés » et les « assistés ». La transparence du mécanisme conduirait par là même à garantir la pérennité du budget juste, tant ses évolutions seront perceptibles par les citoyens-contribuables.

Le cadre budgétaire présenté ci-dessus offre des garanties de soutenabilité, de transparence et d’équité. En termes de dépenses, le budget juste est celui qui répond aux enjeux de cohésion sociale et de transition écologique, principaux défis du XXIe siècle. C’est pourquoi la marge de manœuvre dont dispose l’État dans le cadre présenté au début de cette note, de l’ordre de 50 milliards d’euros, pourrait servir à financer en priorité des investissements de deux types :

  • les investissements dans la transition écologique : le rapport Pisani-Ferry – Mahfouz31Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, Rapport sur les incidences économiques de l’action pour le climat, France Stratégie, mai 2023. chiffre le besoin d’investissements publics supplémentaires sur ce sujet à 33 milliards d’euros par an ;
  • la revalorisation des services publics les plus touchés par le manque d’investissements : la santé, l’éducation, et la sécurité. Les investissements publics dans ces trois domaines pèsent aujourd’hui moins de 1 point de PIB, soit de l’ordre de 25 milliards d’euros32Fipeco, L’investissement public dans la zone euro en 2022, mai 2023.. Il serait donc possible d’accroître ces dépenses de l’ordre de 10-15 milliards d’euros par an, par exemple pour rénover les infrastructures et équipements publics et pour améliorer le cadre de travail général des agents publics.

Mis bout à bout, ces deux priorités ne mettent pas en péril l’équilibre des finances publiques, et pourraient en plus avoir des effets économiques et budgétaires bénéfiques33L’investissement public stimule l’activité économique, ce qui génère de nouvelles recettes fiscales, par le mécanisme du multiplicateur keynésien..

Le contexte de minorité relative à l’Assemblée nationale devrait être l’occasion pour les groupes parlementaires de gauche d’imposer un budget plus compatible avec les idéaux de justice et d’équité qu’ils défendent. Le budget juste est une proposition en ce sens : une trajectoire d’équilibre sans austérité, un système de redistribution plus clair et garant de l’équité, et des investissements publics ambitieux et adaptés aux enjeux du XXIe siècle.

  • 1
    Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2023.
  • 2
    Ibid.
  • 3
    Insee, Dette trimestrielle de Maastricht des administrations publiques (APU) – premier trimestre 2023.
  • 4
    Évaluation de la qualité de l’action publique, rapport au Parlement du ministère de l’Économie, juillet 2023.
  • 5
    5,1% en juillet 2023 contre 5,3% en juin 2023 et 7,3% en février 2023, d’après Eurostat.
  • 6
    Taux directeur de la Banque centrale européenne (BCE) : 4,25% en août 2023 contre 0,5% en juillet 2022, d’après la Banque de France.
  • 7
    3% en juillet 2023 contre 3,3% en moyenne dans la zone euro.
  • 8
    Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2023.
  • 9
    Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2023.
  • 10
    Le TSCG impose en son article 3 une « règle d’or » budgétaire : le respect d’un excédent budgétaire structurel de 0,5% du PIB.
  • 11
    Les politiques budgétaires mises en place pendant la crise liée à la pandémie de Covid-19 ont fortement accru les déficits et les niveaux de dettes des États membres.
  • 12
    Communication de la Commission européenne, New economic governance rules fit for the future, 24 avril 2023.
  • 13
    Cardinal de Retz, Mémoires, 1717.
  • 14
    Dépenses publiques hors prise en compte du remboursement des intérêts de la dette.
  • 15
    Le niveau de dette est facteur du taux d’intérêt, et le PIB est facteur du taux de croissance. Donc le ratio dette/PIB s’équilibre quand ces deux facteurs sont égaux.
  • 16
    Fipeco, L’effet boule de neige et le solde stabilisant de la dette, mai 2023.
  • 17
    Cour des comptes, Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2023.
  • 18
    Fipeco, L’effet boule de neige et le solde stabilisant de la dette, mai 2023.
  • 19
  • 20
    François Mitterrand, Lettre aux Français, 1988.
  • 21
    Le Revenu de solidarité active, Rapport public thématique, Évaluation d’une politique publique, 2022.
  • 22
    Le Revenu de solidarité active, Rapport public thématique, Évaluation d’une politique publique, 2022.
  • 23
    Le Contrat d’engagement jeune est un dispositif d’accompagnement vers l’emploi des jeunes de 16 à 25 ans (30 ans pour les jeunes en situation de handicap) proposant stages, services civiques, formation, et une allocation pouvant atteindre 528 euros.
  • 24
    Timothée Duverger et Thierry Germain, Revenu d’autonomie : faire le choix d’un autre modèle !, Fondation Jean-Jaurès, 2023.
  • 25
    23% des personnes sans domicile fixe étaient issues de l’ASE en 2012 d’après le rapport L’insertion sociale et professionnelle des jeunes sortant des dispositifs de protection de l’enfance du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse de 2023.
  • 26
    Institut des politiques publiques, Quels impôts les milliardaires paient-ils ?, juin 2023.
  • 27
    Conseil d’analyse économique, Repenser l’héritage, décembre 2021.
  • 28
  • 29
    Insee, France, Portrait social, 2021.
  • 30
    Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, Rapport sur les incidences économiques de l’action pour le climat, France Stratégie, mai 2023.
  • 31
    Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, Rapport sur les incidences économiques de l’action pour le climat, France Stratégie, mai 2023.
  • 32
    Fipeco, L’investissement public dans la zone euro en 2022, mai 2023.
  • 33
    L’investissement public stimule l’activité économique, ce qui génère de nouvelles recettes fiscales, par le mécanisme du multiplicateur keynésien.

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