Comment remédier à la défiance profonde et tenace des Français envers la justice ? A la veille d’un nouveau débat sur la justice, ce livre formule des recommandations concrètes, techniques ou symboliques, pour améliorer le fonctionnement de la justice, aussi bien d’un point de vue institutionnel que dans ses rapports avec les justiciables.
Dans notre société ouverte et mondialisée où l’Etat-providence recule, le droit et la justice sont plus que jamais les régulateurs de notre vie sociale. Cette emprise progressive et inexorable du droit et de la justice sur nos vies, nos voisins européens se sont préparés à la vivre sans drame en se dotant volontairement (Royaume-Uni) ou involontairement (Allemagne) d’une institution judiciaire légitime, respectée et indépendante.
Pour des raisons d’héritage historique, politique, philosophique, la France a longtemps tenu en respect la justice, au point que l’institution judiciaire a été placée pour une large part dans une situation de dépendance à l’égard de l’autorité politique. Les circonstances ont changé et un consensus général s’est installé peu à peu quant au diagnostic des maux, bien réels, qui affectent la justice de notre République et aux solutions qu’il convient de mettre en œuvre.
Ces maux sont ici analysés et déclinés sous les différents aspects d’une crise profonde et multiforme. Crise de confiance, tout d’abord, car une majorité de citoyens a peur de la justice. Crise budgétaire, ensuite, car les contentieux abondent tandis que les budgets de la justice restent faibles, en tout cas insuffisants, comme en témoignent les comparaisons avec nos voisins européens. Crise de conscience, enfin – la plus grave, la plus profonde, sans doute, car la justice et ses juges finissent par douter de leur mission et de leur légitimité, trop souvent mises en cause pour n’en être pas fragilisées.
Certaines solutions trop connues ont délibérément été écartées du champ d’étude de notre rapport, comme l’augmentation du budget de la justice, le recrutement du personnel judiciaire, sinon des magistrats, une meilleure application de la LOLF, la mise à l’écart de la RGPP.
En revanche, y sont détaillées des mesures importantes, qui ne sont pas toutes d’ordre financier et doivent être prises en ce qui concerne le parquet, le Conseil supérieur de la magistrature, le Conseil constitutionnel, les autorités de régulation, la rétention de sûreté, les peines planchers, le statut pénal du chef de l’Etat, l’accès au droit et à la justice, la défense des droits, la justice des mineurs, ainsi que les prisons, bref, pour tout ce qui distingue la justice et la singularise des autres institutions d’une démocratie. C’est par elles que prendra figure la justice que mérite ce pays. Ces mesures, appuyées sur le diagnostic posé en première partie, sont détaillées dans le cours de l’ouvrage afin d’être directement opérationnelles sans nécessiter de refonte (peu envisageable) du système judicaire dans son ensemble.
La mise en œuvre de cette réforme de la justice n’est possible que si elle procède d’une volonté qui parte du « haut » (le pouvoir politique) et si elle est ardemment souhaitée par le « bas » (les professionnels de la justice).
Car il ne peut y avoir de réforme de la justice sans la participation active des acteurs de la justice en général, et des magistrats en particulier. Le changement dont nous traitons tend à conférer aux magistrats plus d’indépendance et entend encore et surtout les re-légitimer au sein de notre démocratie. Nous avons la conviction que cette entreprise de re-légitimation passe tant par des mesures d’ordre technique (réforme des procédures de nomination et de promotion des juges ; constitution de deux corps séparés de magistrats, attribution de nouveaux pouvoirs au Conseil supérieur de la magistrature) que par des mesures d’ordre symbolique, qui soient autant de vecteurs de communication, tels les nouveaux pouvoirs du président du Conseil supérieur de la magistrature le qualifiant pour représenter, incarner, auprès des médias et de l’opinion l’indépendance de toutes les magistratures et pour faire entendre aussi souvent que nécessaire la voix de l’institution de la justice. L’ouvrage Pour un Etat de Justice sonne comme une invocation : il se veut également la première pierre d’un véritable travail de reconstruction.