Pensons politiquement le sens de l’ouïe

Pour interroger ce qui apparaît comme les nouvelles frontières de l’action politique, la Fondation a initié sous l’égide de Paul Klotz la publication de cinq notes consacrées à l’usage des sens dans la cité et aux leviers de transformation politique qu’ils incarnent. Après une première sur le sens de la vue, une deuxième sur le sens de l’odorat, une troisième sur le sens du toucher, une quatrième sur le sens du goût, la cinquième et dernière porte sur le sens de l’ouïe.

C’est un problème éminemment contemporain dont les manifestations abondent dans l’actualité, crispant de plus en plus les citoyens, épuisant les esprits et abîmant la santé : la pollution sonore est le nouveau mal du siècle. Dans les articles de presse, on la rapporte sous des formes multiples, parfois étonnantes et souvent inquiétantes : à Paris, des « collectifs de riverains », excédés par les bruits de fête, « multiplient l’installation de capteurs de nuisances sonores » afin de nourrir leurs recours contre la Ville et la préfecture de police1Candice Doussot, « Ils n’en peuvent plus des bruits de fête », Le Parisien, 3 novembre 2024. ; à Millau, le service de police municipale dit déployer « une action préventive » pour lutter contre la pollution sonore des deux roues, qui grimperait en flèche dans la commune2« Les deux roues dans le viseur après des plaintes pour nuisances sonores, à Millau », Midi Libre, 11 octobre 2024. ; en Saône-et-Loire, des habitants se battent pour que le circuit automobile qui jouxte leurs maisons applique enfin la décision de justice l’obligeant à diminuer les nuisances sonores qui se dégagent de la piste3« Circuit de Bresse : les riverains demandent l’application du jugement de la cour d’Appel de Dijon », France 3 régions, 13 juin 2020.. Jusque dans l’océan, même, les pollutions sonores générées par les activités humaines sont considérées comme un véritable fléau pour les cétacés4Ophélie Daillet, « Une surdité permanente chez les baleines : pourquoi la pollution sonore est un véritable fléau pour les cétacés », Sciences et avenir, 10 octobre 2024..

Silence ! Comment le bruit est devenu un fléau contemporain

Jamais l’être humain n’a été exposé à des nuisances sonores aussi fortes qu’aujourd’hui. Au point même que certains auteurs identifient un tournant « de la pollution sonore dans les villes occidentales des années 19305Tristan Loubes, « Le bruit de la circulation et l’invention de la pollution sonore dans les villes occidentales des années 1930, entre tournant matériel et évolution des sensibilités », Histoire Politique, n°43, 2021. » : à cette époque, le nombre de ligues contre le bruit connaît une augmentation sans précédent et celles-ci s’ouvrent aux médecins et experts, tandis que la thématique des nuisances sonores demeurait auparavant discutée dans des cercles restreints essentiellement composés d’élites littéraires et intellectuelles. Parallèlement, la symbolique attachée au bruit évolue : d’une coloration positive, initialement associée, tout comme la fumée, aux progrès de l’industrialisation et à la productivité, la perception du bruit s’assombrit, alors même que les villes de la première moitié du XXe siècle n’étaient pas nécessairement plus bruyantes que celles de la fin du XIXe siècle. Ce changement perceptif reflète un changement de sensibilités, notamment lié à l’émergence soudaine et brutale du son des moteurs dans les artères urbaines et dont la manifestation peut traduire un danger pour le flâneur.

On remarque ainsi, très tôt, et même avant les années 1930, un désir de la part des autorités publiques de réglementer le bruit. L’historien Tristan Loubes6Ibid. a ainsi exhumé deux arrêtés municipaux des villes de Marseille et Toulouse, datant respectivement de 1931 et 1933. Dans chacun de ces deux textes réglementaires, les municipalités impressionnent par le nombre de nuisances sonores qu’elles entendent dompter : figurent ainsi, pêle-mêle, le bruit des tramways, les aboiements des chiens, les radios des voisins ou encore le brouhaha des cafés. Cette volonté de réglementer les bruits, en ce qu’ils peuvent rendre le quotidien des citoyens invivable, se caractérise également très tôt au plan jurisprudentiel, avec l’établissement de la théorie du trouble anormal de voisinage.

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147 milliards d’euros : le coût assourdissant de la pollution sonore

Mais malgré la prise en compte croissante de la problématique de la pollution sonore, force est de constater que celle-ci n’a jamais pris l’ampleur d’une grande cause politique. Pourtant, en Europe, l’exposition préjudiciable et répétée au bruit est à l’origine de 12 000 décès prématurés par an et affecte au total plus de 20% de la population, soit 100 millions de personnes7Centre régional d’information pour l’Europe occidentale, « La pollution sonore : une menace pour la santé des humains et des animaux », Nations unies, 17 février 2022.. En plus de causer des décès, cette pollution sonore est un facteur favorisant le développement de cardiopathies et entraîne des retards de développement. Ainsi, selon l’Agence européenne pour l’environnement, près de 12 500 écoliers sont victimes de troubles de la lecture du fait du bruit généré par les avions8La pollution sonore : un problème d’envergure tant pour la santé humaine que pour l’environnement, Agence européenne pour l’environnement, 30 mars 2020.. Aux problématiques s’attachant strictement à la santé humaine et au développement des enfants, il convient d’ajouter que le bruit est un gouffre financier pour les finances publiques des pays qui peinent à le maîtriser, particulièrement en France.

Il faut à ce titre évoquer la passionnante étude de l’Ademe évaluant le coût social du bruit, c’est-à-dire son coût sanitaire (maladies, perte de bien-être, hospitalisations…) et son coût non sanitaire (pertes de productivité, dépréciation immobilière liée au bruit…)9Ademe, Le coût social du bruit en France : estimation du coût social du bruit en France et analyse de mesures d’évitement simultané du coût social du bruit et de la pollution de l’air, rapport final, octobre 2021.. 147 milliards d’euros : tel est le montant des pertes financières liées au bruit en France chaque année ! Ce montant est d’autant plus étonnant qu’il pourrait être considérablement réduit par l’application de quelques principes simples : ainsi, limiter la vitesse sur les voies rapides, en suivant les exemples inaugurés par les villes de Lyon et Grenoble, pourrait présenter sur dix ans des bénéfices sociaux 685 fois supérieurs au coût financier nécessaire à la mise en œuvre de cette mesure ; de la même façon, la généralisation des zones à faibles émissions (ZFE) au cœur des villes présenterait, sur quatre ans, des bénéfices 13 fois supérieurs au coût financier de ces initiatives !

Source : infographie « Le coût social du bruit en France », Ademe, 22 juillet 2021.

Le chant du coq est-il un vacarme ou une mélodie ? Petit éloge des bruits qui comptent

Mais si le bruit est source de nuisances, il ne saurait être apprécié sous ce seul angle. Ce serait le réduire à l’une de ses dimensions, celle du son trop fort ou trop désagréable, et oublier qu’il est aussi une source d’enracinement, de construction de l’identité et de la personnalité de l’auditeur. Telle est la dualité paradoxale de l’ouïe : sens de l’inconfort suprême lorsque qu’elle est sur-sollicitée et saturée, elle est aussi le vecteur de la parole, de la musicalité et des souvenirs. À ce titre, l’ouïe est éminemment politique : elle bâtit les imaginaires individuels, contribue à l’organisation des espaces collectifs et détermine la construction des liens interpersonnels.

On se rappelle, non sans émoi, de l’épisode du coq Maurice, qui fut le symptôme du conflit culturel opposant deux Frances : celle des « néo-ruraux », se plaignant d’être trop souvent réveillés par le chant du coq à l’aube, et celle des paysans, pour qui le gallinacé devait être une composante inaliénable du foyer agricole. Le combat victorieux du coq Maurice a cristallisé les enjeux qui gravitent autour de la politisation du sens de l’ouïe : si nous vivons dans un monde aux sons de plus en plus forts, tous ne sont pas à faire taire ; certains reflètent fidèlement des terroirs, des cultures, et apparaissent in fine comme des fragments déterminants du processus d’identification.

C’est d’ailleurs sur cette difficile ligne de crête, entre préservation des sons et lutte contre les nuisances sonores, que la loi du 29 janvier 2021 « visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises »a été adoptée. Dans le rapport qu’il a fait au nom de la commission de la culture du Sénat, son rapporteur, Pierre-Antoine Lévi, écrit ainsi : « la ruralité n’est pas un territoire silencieux », et insiste « sur la normalité de certaines gênes contestées inhérentes aux territoires ruraux », tout comme les nuisances pouvant résulter des sonneries religieuses, « expression sonore de la liberté de culte ».

Pourquoi l’oreille est l’artisane de l’âme

Il ne faut pas oublier, en effet, que le son est, outre une donnée physique, l’émanation d’un rapport sensible au monde. En politisant le sens de l’ouïe, ce sont toutes nos conceptions politiques contemporaines qui méritent d’être interrogées : trop longtemps cartésiennes, nos réflexions de politiques publiques ont essentiellement porté sur des concepts abstraits, détachés du réel et de l’expérience éprouvée. Or, l’étude de notre rapport au son permet de dresser un continuum entre le monde tel qu’il va et les perceptions qu’il produit, telles que nous les vivons. C’est là que réside, par exemple, tout l’enseignement de la philosophie sensualiste de Condillac : pour lui, la matière première de l’humanité est l’expérience sensorielle.

Par les sons qu’il perçoit, l’individu s’ancre dans la spécificité changeante de ses environnements ; il retire de ses expériences des imaginaires sonores, du vrombissement du vieux moteur à la voix de l’être aimé, de la chanson d’enfance au cri d’effroi qui perce le jour… Tous les sons participent de la construction de nos savoirs, de nos jugements moraux et de nos affinités. À la base même de l’édifice spirituel et intellectuel de chaque individu se trouve, en effet, son expérience sensible au monde ; et à la base de celle-ci se trouve son expérience sensorielle qui, répétée et sans cesse remâchée, est productrice d’individualité.

La dimension politique de l’ouïe est également à relever du côté de la parole : l’audition est réceptrice du lien social. Car l’individu est lui-même émetteur de sons et, par-là, producteur de sociabilité. « L’homme est un tuyau sonore. L’homme est un roseau parlant10Gaston Bachelard, L’Air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Biblio essais », 1992 (1re éd. 1943), p. 309-310. », écrit poétiquement Gaston Bachelard.

En montrant combien l’oreille est artisan de l’âme, n’oublions pas, non plus, le rôle déterminant du plus précieux des sons : le silence, qui est en lui-même une expérience sensorielle de l’absence, du vide auditif. Il n’est pas possible de penser politiquement le sens de l’ouïe sans interroger le monde du non-bruit dans lequel il évolue une grande partie du temps. Car le silence est tout aussi déterminant dans la construction du rapport des êtres au monde que ne l’est le bruit. Là encore, la philosophie apparaît comme un recours pour convaincre les plus sceptiques. « En déplaçant les seuils de perception, écrit l’anthropologue Marielle Aithamon11Marielle Aithamon, « L’équilibre instable du silence. Une anthropologie des possibles », Connexions, n°109, vol. 1, 2018. pp. 23-29., le silence invite à percevoir autrement, en suspendant les significations ordinaires, il appelle à de nouvelles compréhensions. Sans en nier la relation, le silence produit un écart, si subtil soit-il, entre notre présence et le monde ». Puis la chercheuse de citer Merleau-Ponty, qui écrit, dans Signes12Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 39., que « le plus haut point de la philosophie n’est peut-être que de retrouver ces truismes : le penser pense, la parole parle, le regard regarde – mais entre les deux mots identiques, il y a chaque fois tout l’écart qu’on enjambe pour penser, pour parler et pour voir ». Pour la chercheuse, c’est précisément « cet élan, ce devenir touchant à l’infini des possibilités humaines qui s’exprime par le silence et que le silence révèle ».

L’allégorie de l’ouïe de Jan Brueghel l’ancien (1617-1618)

Ainsi, l’étude des évolutions du son, qu’il s’agisse de la saturation auditive croissante subie par les individus au travers des phénomènes de pollution sonore, des silences évocateurs, de la parole engagée ou encore de l’uniformisation de la « bande-son » de la société, permet de mieux comprendre les imaginaires que sécrètent les individus et les conditions « auditives » qui contribuent à faire leur bonheur.

La bande-son de nos vies est-elle devenue un bruit de fond monotone ?

Nous venons de l’évoquer ; attardons-nous un instant sur l’uniformisation de la « bande-son » de la société : si la pollution sonore, tout comme le silence, sont des phénomènes relativement aisés à percevoir, ce troisième phénomène l’est moins. De quoi est-il le nom ? D’après Henry Torgue, directeur de l’unité de recherche « Ambiances architecturales et urbaines » à l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble, c’est le symptôme d’un mouvement culturel appauvrissant : « Par le cinéma et la télévision, des productions [sonores] standard se répandent partout dans le monde et formatent les systèmes perceptifs des spectateurs en imposant des codes souvent simplifiés qui gomment les nuances locales » ; et le chercheur de citer pour exemple les séries télévisées, dans lesquelles « les bruitages sont conçus selon une efficacité standardisée qui ne tient pas compte du contexte local13Henry Torgue, « L’imaginaire des sons », La Géographie : terre des Hommes, n°6, 2009, pp. 54 à 57. ».

La question de l’uniformisation sonore réouvre, tout comme la pollution sonore, le débat quant à la nécessité de protéger certains sons. En effet, le monde acoustique ne saurait se résumer à un champ de bataille au sein duquel il faudrait faire taire les bruits parasites et gênants ; une véritable politique patrimoniale du son mérite, elle aussi, d’être réfléchie. Certains espaces sont ainsi riches de leurs spécificités acoustiques : pensons par exemple au bruissement des feuilles en forêt, élément essentiel de la connexion de l’homme à la nature dont la recherche en psychologie a prouvé qu’il présentait des effets positifs sur le bien-être mental des promeneurs14Jordy Stefan, Influence de la présence d’un élément de la nature sur la santé et sur les comportements prosociaux, dir. Nicolas Guégen, Laboratoire CRPCC-LESTIC, Université Bretagne Sud, 2016. ; ou encore au ressac des vagues sur les plages, semblablement bénéfique. Pensons également, sur le plan culturel, aux folklores musicaux, capables de retransmettre avec authenticité et précision l’univers et les traditions d’un pays ou d’une région.

En soulevant la nécessaire protection patrimoniale des sons, nous entrons déjà dans le champ des politiques publiques et, par-là, imaginons les conditions d’une politique de l’ouïe. Dans ce qui appartient au champ de l’existant, saluons ainsi des initiatives telles que « La Semaine du son » de l’Unesco, qui se tient chaque année depuis 2004 et qui a pour but d’initier le public et de sensibiliser tous les acteurs de la société à l’importance de la qualité de notre environnement sonore. Reconnaissons également l’utilité publique des projets de « bibliothèques sonores », qui essaiment à toutes les échelles, autant dans les petites municipalités qu’aux niveaux européen et international. À ce titre, le projet Europeana Sounds, financé par l’Union européenne, propose de créer un accès unifié aux collections sonores de grandes institutions patrimoniales et scientifiques en Europe. Il s’agit là d’un outil concret contre l’uniformisation de la bande-son de nos vies, mais aussi d’une innovation salutaire dans la manière de diffuser le savoir de manière sensible.

Identifier les sources majeures de pollution sonore et lutter contre elles : voilà quel doit être le deuxième volet d’une politique sensible de l’ouïe, après avoir sacralisé et cherché à préserver la diversité et la richesse des sons. Il n’est pas nécessaire de revenir, ici, sur l’ensemble des dispositifs anti-bruit mis en place par les autorités publiques ; il convient simplement de redire combien la lutte contre la pollution sonore est une opportunité sanitaire et financière majeure pour les sociétés contemporaines.

Plaidoyer pour une révolution du sensible auditif

Mais l’on ne saurait élaborer de politique sensible de l’ouïe sans s’intéresser précisément à ce qui fait le sensible : l’expérience éprouvée, le vécu intime. Pensons poétiquement notre rapport aux sons. Que dit-il de nous-mêmes ? La tranquillité sonore est un fragment de la dignité humaine : assourdir l’Homme, c’est déjà l’asservir. La musique elle-même, ce « bruit qui pense » dont parle Victor Hugo, n’est-elle pas essentielle à la vie humaine ? Le silence, aussi, figure au rang des zones sensibles inhérentes au fleurissement de l’individu.

Ces réflexions nous renvoient à la Charte du Verstohlen15Cynthia Fleury, Antoine Fenoglio, Ce qui ne peut être volé. Charte du Verstohlen, Paris, Gallimard, coll. « Tracts », 2022. élaborée par Antoine Fenoglio et Cynthia Fleury : dans ce court manifeste, les deux philosophes établissent, sans hiérarchie, ce « qui ne peut nous être volé ». Cet exercice de pensée novateur recense ainsi tout ce qui fait « le sel de la vie bonne », qui permet un « maintien au monde » et la préservation d’un « humanisme fragile ». En un sens, il place un certain nombre de concepts, parfois purement abstraits, parfois aux contours flous, au même rang que des libertés matérielles dont on admet traditionnellement qu’elles constituent des composantes de la dignité. Aussi, on trouve par exemple dans la Charte « le silence, l’horizon, le soin des morts, la liberté d’usage, la qualité de vie, la santé physique et psychique, le temps long, la possibilité de demeurer et d’avenir16Cynthia Fleury, Antoine Fenoglio, 2022, op. cit., p. 4. »

Pour imaginer les conditions effectives de l’épanouissement de l’Homme sur la Terre, alors qu’il évolue dans un monde qui brutalise sans cesse davantage son édifice sensoriel (pollution lumineuse, sonore, malbouffe, addiction aux écrans, déconnexion à la nature et pollution de l’air…), il faut reconquérir sa marge humaine. Par « marge humaine », entendons cet espace entre lui et le monde, fait de sensations et de perceptions ; entendons cet espace invisible dans lequel se forment et se déforment sans cesse les idées, les jugements et les imaginaires ; cet espace qui naît du corps et qui termine dans le corps, qui est le fruit de la rencontre entre le tumulte du monde et la perception qu’on en retire. Cette zone frontière est la zone sensible, et l’individu y campe la majeure partie du temps. En pensant l’Homme en être sensible, en mettant fin au mythe de sa rationalité absolue, dont on a vu qu’elle entraînait la destruction de l’environnement, il nous faut savoir, de nouveau, poétiser la politique et politiser l’émerveillement.

La sacralisation d’un droit à la tranquillité sonore peut y aider, non pas qu’elle soit intellectuellement séduisante, mais bien parce qu’elle refléterait un changement de paradigme dans la manière de penser et d’agir en politique. Elle sacraliserait, à son tour, l’intégrité et la dignité de l’Homme, qui se matérialisent en chacune de ses sensations, à chaque fois qu’il éprouve son environnement. D’ailleurs, des pistes existent déjà pour avancer vers la consécration d’un tel corpus juridique : en France, par exemple, le bruit des activités artisanales et industrielles perçu par autrui ne doit pas dépasser certains seuils17Article R. 1336-7 du code de la santé publique.. Ce sont de ces règles concrètes, qui régissent le quotidien, dont il faut s’emparer. 

  • 1
    Candice Doussot, « Ils n’en peuvent plus des bruits de fête », Le Parisien, 3 novembre 2024.
  • 2
    « Les deux roues dans le viseur après des plaintes pour nuisances sonores, à Millau », Midi Libre, 11 octobre 2024.
  • 3
    « Circuit de Bresse : les riverains demandent l’application du jugement de la cour d’Appel de Dijon », France 3 régions, 13 juin 2020.
  • 4
    Ophélie Daillet, « Une surdité permanente chez les baleines : pourquoi la pollution sonore est un véritable fléau pour les cétacés », Sciences et avenir, 10 octobre 2024.
  • 5
    Tristan Loubes, « Le bruit de la circulation et l’invention de la pollution sonore dans les villes occidentales des années 1930, entre tournant matériel et évolution des sensibilités », Histoire Politique, n°43, 2021.
  • 6
    Ibid.
  • 7
    Centre régional d’information pour l’Europe occidentale, « La pollution sonore : une menace pour la santé des humains et des animaux », Nations unies, 17 février 2022.
  • 8
    La pollution sonore : un problème d’envergure tant pour la santé humaine que pour l’environnement, Agence européenne pour l’environnement, 30 mars 2020.
  • 9
    Ademe, Le coût social du bruit en France : estimation du coût social du bruit en France et analyse de mesures d’évitement simultané du coût social du bruit et de la pollution de l’air, rapport final, octobre 2021.
  • 10
    Gaston Bachelard, L’Air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Biblio essais », 1992 (1re éd. 1943), p. 309-310.
  • 11
    Marielle Aithamon, « L’équilibre instable du silence. Une anthropologie des possibles », Connexions, n°109, vol. 1, 2018. pp. 23-29.
  • 12
    Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 39.
  • 13
    Henry Torgue, « L’imaginaire des sons », La Géographie : terre des Hommes, n°6, 2009, pp. 54 à 57.
  • 14
    Jordy Stefan, Influence de la présence d’un élément de la nature sur la santé et sur les comportements prosociaux, dir. Nicolas Guégen, Laboratoire CRPCC-LESTIC, Université Bretagne Sud, 2016.
  • 15
    Cynthia Fleury, Antoine Fenoglio, Ce qui ne peut être volé. Charte du Verstohlen, Paris, Gallimard, coll. « Tracts », 2022.
  • 16
    Cynthia Fleury, Antoine Fenoglio, 2022, op. cit., p. 4.
  • 17
    Article R. 1336-7 du code de la santé publique.

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