Parler aux vivants. L’héritage de Jaurès dans le monde enseignant de l’entre-deux-guerres

Le souvenir de Jean Jaurès dans le monde de l’école, de 1914 à aujourd’hui, est d’une particulière acuité. Mélanie Fabre a choisi de l’évoquer dans la table-ronde « Jaurès, vivant parmi les vivants » organisée par la Fondation et la Société d’études jaurésiennes le 6 octobre 2023, lors des Rendez-vous de l’histoire de Blois, centrés sur la thématique « Les vivants et les morts »1Ce travail fera l’objet d’un article plus développé à paraître dans les Cahiers Jaurès en 2024 où la méthodologie de recherche sera explicitée..

Le 21 octobre 2020, lors de l’hommage rendu à Samuel Paty dans la cour de la Sorbonne, était lue la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs et institutrices, texte paru dans le quotidien toulousain La Dépêche le 15 janvier 1888. Le martyr abattu à la veille de la Grande Guerre sur l’autel du nationalisme était ainsi invoqué pour rendre hommage à un enseignant assassiné par un fanatique sur l’autel de l’obscurantisme. Cent trente-deux ans après la publication de sa lettre aux enseignants, Jaurès était une fois encore convoqué pour parler aux vivants, les rassurer, leur redonner foi en leur tâche, s’adresser à ceux qui restent, et qui doivent poursuivre coûte que coûte l’œuvre émancipatrice de l’école laïque.

Car le tribun socialiste considérait les questions éducatives comme centrales pour la consolidation de la République autant que pour la réalisation de l’idéal socialiste. Rappelons à ce propos qu’il fut un produit de la méritocratie scolaire, ayant mené ses études secondaires grâce à l’obtention d’une bourse, avant d’intégrer l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et de réussir l’agrégation de philosophie. Jaurès fut également un enseignant actif notamment au lycée de jeunes gens et à l’École normale d’Albi (où se forment les instituteurs) ainsi qu’à l’Université de Toulouse dans les années 1880. Il fut enfin adjoint au maire de Toulouse en charge des questions d’instruction entre 1890 et 1893. Jaurès dispose donc d’une expérience professionnelle comme enseignant ainsi que d’une expérience politique locale et nationale précoce des questions relatives à l’instruction. Son premier discours comme député à l’Assemblée était en effet déjà consacré à une réflexion sur le droit des communes en matière d’enseignement primaire en 1886.

Son intérêt pour les questions éducatives ne se dément pas, comme Benoît Kermoal a pu le montrer dans une note parue sur le site de la Fondation Jean-Jaurès en 2020. C’est ainsi qu’en 1905, Jaurès devient un collaborateur régulier de la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur. Cette revue hebdomadaire fondée en 1890 se maintient jusqu’en 1929. Très influencée par le socialisme et partie prenante du syndicalisme enseignant naissant, elle est principalement rédigée par des instituteurs, des professeurs et des inspecteurs. Elle est très diffusée auprès du personnel primaire puisqu’elle tire à 20 000 exemplaires chaque semaine, alors que le corps enseignant primaire compte en 1914 environ 120 000 enseignants, et que chaque numéro est souvent lu par plusieurs personnes (au sein des couples d’enseignants, par exemple, ou dans les amicales).

La popularité de Jaurès dans le monde enseignant de son vivant

Jaurès collabore à la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur en lui livrant environ un article tous les quinze jours entre le 2 juillet 1905 et le 26 juillet 1914, soit une vingtaine d’articles chaque année, pour un total de 196 textes. Il instaure ainsi une relation de proximité avec une partie du corps enseignant primaire, dont l’action est si essentielle à ses yeux pour l’éducation du prolétariat. La popularité de Jaurès au sein du monde enseignant de son vivant a été mise en lumière par Jacques et Mona Ozouf dans leur ouvrage La République des instituteurs (1992), rédigé à la suite d’une enquête menée dans les années 1960 auprès d’instituteurs et institutrices retraités ayant enseigné avant 1914. En effet, 20 000 questionnaires furent envoyés par voie postale par Jacques Ozouf entre 1961 et 1963, les retours à l’envoyeur s’échelonnant sur plusieurs années, avant de donner lieu à la publication de l’analyse de ce matériau en 1992. Des 20 000 anciens enseignants sollicités, environ 4 000 répondirent au chercheur, ces survivants de la Belle Époque représentant inéluctablement les plus jeunes générations de professionnels avant-guerre, la plupart étant âgés de vingt à quarante ans en 1910. Lors du dépouillement de ces questionnaires, Jacques et Mona Ozouf se réjouissent d’y trouver une déformation professionnelle typique des enseignants : la minutie apportée à la réponse aux questions, la volonté scrupuleuse d’agir en bon élève, la tendance à rendre des développements très fournis, parfois sur une feuille blanche à part, parfois dans un cahier d’écolier flambant neuf. Seul un enseignant sollicité sur cinq ayant répondu à l’enquête, il est probable que ces 4 000 questionnaires tendent à la surreprésentation de personnalités engagées dans leur métier, fières de leur carrière, et assumant leurs engagements.

On reste malgré tout frappé par l’importance de la figure de Jaurès et la place du parti socialiste dans ce large panel d’enseignants du primaire de la Belle Époque. Ainsi, lorsque les 4 000 sondés sont invités à établir un Panthéon des grands hommes, Jaurès est le nom le plus cité, mentionné par le tiers des répondants. Par comparaison, seuls 3% d’entre eux citent Jules Ferry. L’affection que beaucoup d’entre eux témoignent à Jaurès est flagrante. Selon Jacques et Mona Ozouf, « pour comprendre cette élection personnelle, il faut garder en mémoire l’accord quasi naturel qui s’établit entre le métier d’instituteur et la politique jaurésienne. Comme Jaurès, nos instituteurs agissent par la parole. Comme lui aussi ils éprouvent la futilité des raccourcis impérieux que prônent les adorateurs de la révolution permanente. « Au mot révolution, dit avec respect un de nos témoins, il supprimait la lettre r. » Des éducateurs ne peuvent qu’y reconnaître la parenté avec leur métier à eux, qui les fait rencontrer quotidiennement la résistance des êtres, la longueur du temps, et pratiquer l’humble vertu de la patience. On peut donc parler, touchant la personne de Jaurès, d’une adoration religieuse2Jacques et Mona Ozouf (avec Véronique Aubert et Claire Steindecker), La République des instituteurs, Paris, Gallimard/Seuil, 1992, p. 164.. »

Si Jaurès fut à ce point estimé de son vivant par les enseignants du primaire, quel héritage laisse-t-il après sa mort ? Dans l’impossibilité de mener aujourd’hui une étude semblable à celle des Ozouf en l’absence de témoins vivants de la période pendant laquelle Jaurès a vécu, il a fallu recourir à d’autres sources. C’est la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur qui a servi de base à ce travail. Il s’est agi d’étudier de manière exhaustive les numéros publiés à la suite de la mort de Jaurès, à partir du 2 août 1914, jusqu’à la disparition de la revue, dont le dernier numéro sort le 30 septembre 1929. Ce sont donc 657 numéros qui ont été analysés sur une période de quinze ans, l’objectif étant de partir à la recherche de la place que continuait (ou non) d’occuper Jaurès dans cette revue après sa mort et de la manière dont son héritage était (ou non) revendiqué par les rédacteurs, et transmis aux lecteurs.

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Jaurès martyr, prophète et idéal moral

La première conclusion de ce travail est que Jaurès apparaît en tête des personnalités les plus citées par la revue entre août 1914 et l’automne 1929. Ainsi, 261 articles mentionnent Jaurès au moins une fois sur cette période, alors que seuls 156 articles citent Jules Ferry (les articles évoquant simplement les « lois Ferry » et « l’école Ferry », sans parler de l’homme politique en tant que tel, ont été intégrés à ce décompte). De même, 207 articles parlent de Ferdinand Buisson au moins une fois, alors même que ce dernier joua un rôle prépondérant dans l’instruction publique en tant directeur de l’enseignement primaire entre 1879 et 1896, pendant dix-sept ans, avant de devenir président de la Ligue de l’enseignement pendant quatre ans, député radical-socialiste pendant vingt-deux ans, président de la Ligue des droits de l’homme pendant douze ans et prix Nobel de la paix en 1927. Malgré son palmarès et ses quelques collaborations à la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, Ferdinand Buisson ne revêt pas la même aura que Jaurès.

Il faut préciser cependant que si le même décompte avait été mené dans d’autres revues adressées au personnel primaire (comme L’École nouvelle, La Revue pédagogique ou L’École émancipée), les résultats auraient probablement été différents : le lien particulier que Jaurès entretint avec la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur et son lectorat explique sans doute sa surreprésentation dans ses pages entre 1914 et 1929.

Il n’empêche : comment expliquer la prégnance particulière de la figure de Jaurès après sa mort ? Tout d’abord, force est de constater qu’après 1914, Jaurès apparaît à maints égards à la fois comme un martyr et comme un prophète. Comme un martyr, parce qu’il est mort assassiné en raison de son combat pour la paix, ce qui ne peut manquer de représenter un traumatisme pour une communauté professionnelle très attachée au pacifisme avant et a fortiori après la Grande Guerre, mais également très éprouvée par le conflit mondial, les instituteurs affichant des taux de mortalité au combat particulièrement élevés. Jaurès est également perçu comme un prophète : c’est celui qui avait annoncé l’hécatombe, notamment dans son ouvrage L’Armée nouvelle (1911) où il faisait preuve d’une grande lucidité sur la guerre qui risquait d’advenir et préconisait une réforme de l’armée française. La popularité de Jaurès dans la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur s’explique également par le fait que le tribun socialiste y apparaît comme un idéal moral, un homme à l’éthique irréprochable. Ainsi la revue offre-t-elle un portrait de Jaurès à ses abonnés pour la rentrée scolaire d’octobre 1924 en affirmant que « nulle autre image ne saurait être mieux à sa place au foyer de l’instituteur. Nulle n’est plus évocatrice des qualités que nos maîtres estiment le plus et qu’ils cherchent à développer en eux : la bonté, la générosité du cœur, l’amour désintéressé et passionné de la vérité3Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, 5 octobre 1924.. »

Ce faisant, la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur participe à la popularité de Jaurès post-mortem. Le constat de Jacques et Mona Ozouf, évoquant une « adoration religieuse » visant Jaurès, peut d’ailleurs être corroboré par deux articles publiés par la revue dans lesquels le penseur socialiste est comparé à Jésus. Le Christ et Jaurès, parfois associés à Socrate, sont présentés comme des martyrs innocents sacrifiés à la bêtise des hommes.

Une fois ce constat réalisé, une nouvelle question se pose : au cours des quinze années qui suivent la mort de Jaurès, peut-on constater des fluctuations dans la fréquence avec laquelle il est convoqué dans la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur ?

 Si Jaurès est constamment cité pendant les quinze dernières années de la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, la première observation, assez étonnante, réside dans le fait que son nom continue d’être mentionné très régulièrement au cours de la Première Guerre mondiale, alors même que la censure pèse sur les publications et que toute référence à l’idée pacifiste est réprouvée par les autorités. Il faut également noter que les mentions de Jaurès connaissent un pic en 1924, année qui correspond à la publication d’un numéro spécial consacré au penseur socialiste à l’occasion de sa panthéonisation, dix ans après sa mort.

L’héritage protéiforme de Jaurès dans la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur

Si le nom de Jaurès ne connaît jamais de véritable éclipse entre 1914 et 1929, c’est sans doute parce que la diversité des combats dans lesquels il s’est engagé permet à celles et ceux qui lui ont survécu de puiser constamment dans son héritage, quelles que soient les questions posées par l’actualité, forcément fluctuante.

Jaurès est le plus fréquemment cité en tant que leader socialiste et penseur du socialisme (81 fois). Cela n’est pas étonnant, dans une revue très ancrée à gauche et ouverte aux débats du monde contemporain. Les références à Jaurès en tant que socialiste connaissent par ailleurs une acmé entre 1919 et 1922, à l’occasion des débats autour de la Troisième Internationale, qui naît à la suite de la Révolution russe de 1917. La France doit-elle rester fidèle à la Deuxième Internationale (ce que fera le parti socialiste à la suite de Léon Blum, fidèle à « la vieille maison ») ou doit-elle intégrer la Troisième Internationale (ses partisans se regroupant dans la Section française de l’Internationale communiste) ? Si socialistes et communistes s’approprient tous le penseur socialiste, la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, restée fidèle à la Deuxième Internationale, imagine plutôt un Jaurès hostile aux méthodes des Bolcheviks. À cette époque de scission (entre SFIO et SFIC, mais également dans le monde syndical, entre CGT et CGTU), Jaurès apparaît comme le grand garant de l’unité socialiste, fondateur du parti en 1905. Son absence dans l’entre-deux-guerres se fait férocement sentir, et semble se traduire par un retour à la dispersion des forces politiques à gauche.

Jaurès est également très cité dans la revue en tant que pacifiste (38 fois), ce qui ne surprend pas beaucoup, sauf à remarquer que les hommages à l’apôtre de la paix se maintiennent pendant la guerre, échappant aux ciseaux d’Anastasie.

Jaurès est également honoré en tant que républicain (33 fois), ce qui semble logique pour une corporation historiquement attachée à ce régime politique, dont elle est censée transmettre les valeurs depuis les lois Ferry.

Plus inattendu est le nombre de mentions de Jaurès en tant que penseur de l’armée (31 fois), un de ses engagements aujourd’hui un peu méconnus (bien qu’étudié par Jean-Jacques Becker dans le tome 13 des Œuvres de Jaurès chez Fayard). Jaurès est particulièrement évoqué comme penseur de l’armée et de la guerre pendant le conflit mondial. Il est mentionné à ce sujet à 11 reprises pendant la seule année 1916, alors que le journal L’Humanité décide de rééditer L’Armée nouvelle dont l’actualité est tristement éclatante. À cette occasion, la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur considère que, mort, Jaurès est plus écouté que lorsqu’il était vivant : « Jamais son système d’une armée démocratique ne fut plus discuté dans tous les milieux que depuis le jour où il ne fut plus là pour le défendre, pour le vivifier par la parole. […] Il a renforcé, si l’on peut dire, son autorité morale depuis qu’il n’est plus parmi nous pour exprimer ses vues dans le langage magnifique qui était le sien4Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, 6 août 1916.. »

Si le Jaurès penseur de l’éducation (30 mentions) n’arrive qu’en quatrième position des engagements du leader socialiste mis en avant par la revue entre 1914 et 1929 – ce qui étonne pour une revue à destination du corps enseignant –, plusieurs marottes jaurésiennes sont souvent reprises. Ainsi, la nécessité sur laquelle insistait de Jaurès de permettre aux enfants de quitter l’école en maîtrisant bien la lecture pour leur permettre d’acquérir une vie intellectuelle autonome et de développer ainsi un regard critique sur le monde. De même, la revue évoque souvent l’importance que revêtait pour Jaurès la liberté pédagogique des enseignants, ainsi que ses réflexions sur la forme que devait prendre l’éducation populaire, dont il attendait tant.

Le lecteur de la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur dans l’entre-deux guerres est en outre régulièrement confronté à des articles évoquant la mort de Jaurès (28 mentions). Souvent, les rédacteurs soulignent le tragique de l’événement, associé dans les mémoires collectives à la déclaration de guerre et à la mobilisation générale. De même, la mort de Jaurès est presque systématiquement associée à une condamnation de l’extrême droite, accusée d’être responsable du passage à l’acte de Raoul Villain, et d’être toujours aussi menaçante pour la République dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale.

Plus étonnant, le Jaurès écrivain est souvent cité par la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur (à 23 reprises). Cela s’explique par de très nombreuses reproductions de ses textes littéraires dans la partie scolaire de la revue afin d’en faire des exemples de dictées ou la base d’exercices de grammaire proposés comme modèles aux enseignants abonnés. Des textes de Jaurès sont même donnés à plusieurs reprises au Certificat d’études primaires.

Les talents oratoires de Jaurès font également l’objet de nombreuses mentions (à 19 reprises), ce qui n’étonne pas sous la plume d’une génération de rédacteurs qui a eu l’occasion d’écouter Jaurès à la tribune, et n’a pu qu’en ressortir marquée par son incroyable maîtrise oratoire.

Plus surprenante est la faible place du Jaurès militant de la laïcité (11 mentions) dans les lignes d’une revue fondée en 1890 pour défendre l’école laïque dans un contexte de conflit entre catholiques et républicains autour de l’école. Cette faible présence du Jaurès laïque s’explique sans doute par le fait que les débats relatifs à la laïcité de l’instruction sont relégués au second plan pendant l’entre-deux-guerres, et ne retrouvent jamais dans les décennies suivantes la centralité qui fut la leur à la Belle Époque.

La transmission de l’héritage jaurésien aux jeunes générations

Cette analyse de la présence de Jaurès dans la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur après sa mort permet également de constater non seulement que sa mémoire est très présente dans le milieu enseignant, mais que son héritage est sans doute largement transmis aux élèves. En effet, un quart des articles mentionnant Jaurès au moins une fois (59 des 261 articles) est publié dans la partie scolaire de la revue, où sont donnés des conseils et des exemples de cours aux enseignants. Ses textes littéraires apparaissent fréquemment dans des modèles de cours de français, notamment plusieurs descriptions du monde rural et de celui de l’industrie. Son Histoire socialiste de la Révolution française est plusieurs fois citée comme référence à utiliser dans la construction des cours d’histoire. Plusieurs de ses textes à portée philosophique ou politique sont également mobilisés dans les cours d’éducation civique et de morale (par exemple, pour caractériser la République, définir le courage, rappeler l’importance de l’hygiène, que Jaurès avait présentée dans Les raisons d’être propre, etc.). Jaurès finit même par entrer dans les programmes d’histoire en tant que personnage historique à étudier dans les leçons consacrées la Troisième République partir de 1929. Le corps enseignant primaire participe donc probablement à la transmission de différentes dimensions de l’héritage jaurésien auprès des enfants dans l’entre-deux-guerres.

Cependant, comme toute mémoire, il semble que celle de Jaurès soit devenue moins vivace avec le décès des générations qui l’ont connu vivant : son image s’est aujourd’hui éloignée. Il reste pourtant encore près de 400 établissements scolaires portant son nom en France. Il serait le quatrième nom le plus donné dans les établissements publics (ces derniers ne représentant cependant que 0,65% des établissements français). Le fait que plusieurs centaines d’établissements soient baptisés ainsi n’est pas forcément toujours un hommage rendu au socialiste : on se remémore souvent le militant laïque, l’éducateur ou le pacifiste. À l’orée du XXIe siècle, Jaurès est de moins en moins évoqué comme l’homme d’une pensée politique partisane. À l’instar de la manière dont il fut convoqué lors de l’hommage rendu au courage de Samuel Paty en octobre 2020, Jaurès est souvent politiquement neutralisé pour incarner la République, plus que le socialisme – deux idées pourtant indissolubles à ses yeux.

Bibliographie :

  • Emmanuel Jousse, « Le choix des mots : à propos de la ‘‘lettre aux instituteurs’’ de Jean Jaurès », Entre-temps, 17 novembre 2020
  • Benoît Kermoal, Jaurès, les instituteurs, les institutrices et la République, Fondation Jean-Jaurès, 1er novembre 2020
  • Jacques et Mona Ozouf (avec Véronique Aubert et Claire Steindecker), La République des instituteurs, Paris, Gallimard/Seuil, 1992
  • Laurence Ruimy, « La Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur – 1890-1914 », Jean Jaurès, Cahiers trimestriels, octobre-décembre 1997, n°146, pp. 17-28
  • Thomas Valero, « Les Cendres et la flamme » : constructions et reconstructions des mémoires jaurésiennes en France, 1914-2019, thèse sous la direction de Christian Amalvi à Montpellier 3, soutenue en 2019
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    Ce travail fera l’objet d’un article plus développé à paraître dans les Cahiers Jaurès en 2024 où la méthodologie de recherche sera explicitée.
  • 2
    Jacques et Mona Ozouf (avec Véronique Aubert et Claire Steindecker), La République des instituteurs, Paris, Gallimard/Seuil, 1992, p. 164.
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    Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, 5 octobre 1924.
  • 4
    Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, 6 août 1916.

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