À la demande de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation, des personnalités nous ont livré certains de leurs souvenirs ou de leurs liens avec le « 10 rue de Solférino ». L’ancien sénateur et député européen Henri Weber, qui fut membre du bureau national et du secrétariat du Parti socialiste, revient sur trois moments particuliers dans la vie du siège.
S’agissant de Solférino, « j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ». Parmi cette multitude, j’en choisirais trois : un exécrable, un agréable, un émouvant.
J’ai emménagé à Solférino le 14 janvier 1992, lorsque Laurent Fabius, jusqu’alors président de l’Assemblée nationale, est devenu premier secrétaire. Nous fûmes accueillis par une escouade d’inspecteurs de la police judiciaire, qui s’activaient dans les bureaux à la recherche de documents concernant l’affaire Urba, du nom de l’organisme de collecte de fonds pour le financement du PS. C’était avant les lois socialistes réglementant les dons des entreprises aux partis politiques et instituant leur financement public. L’atmosphère était crépusculaire. Je me suis installé au premier étage, en face du bureau du premier secrétaire, et nous nous sommes mis au travail.
Le souvenir plaisant est celui des longs week-ends passés à Solférino avec les jeunes responsables des fédérations socialistes, venus de toute la France, participer à l’Université permanente des cadres fédéraux. Secrétaire national à la culture et à la formation, je m’étais rendu compte qu’à partir du jeudi soir Solférino était désert : les dirigeants nationaux comme les permanents, eux-mêmes souvent élus, avaient rejoint leurs territoires jusqu’au lundi matin. Président de l’Université d’été de La Rochelle, je souhaitais depuis longtemps compléter ce « festival de Cannes du Parti socialiste », qui était alors au sommet de sa gloire, par une Université permanente des jeunes cadres départementaux. Pourquoi ne pas l’installer au siège national du parti ? Le bureau national approuva cette proposition par acclamations et, à partir de 1999, tous les trimestres, une centaine de jeunes dirigeants prenaient possession pour trois jours de « Solfé ». Pour les repas pris en commun, chacune et chacun apportaient fièrement ses spécialités régionales, liquides et solides. Les intellectuels, experts, chercheurs en tous genres venaient volontiers dispenser leur savoir et échanger avec ce public de praticiens de la politique, avides de savoir. Yves Attou et l’équipe nationale des formateurs du PS, composés de professionnels de la profession, veillaient à ce que la dimension festive de ce rassemblement n’empiète pas sur le sérieux des travaux. Le dernier jour de la dernière session, les stagiaires choisissaient à la majorité simple le nom de leur promotion.
Mon souvenir le plus émouvant fut la visite d’adieu aux socialistes de François Mitterrand, le 17 mai 1995, immédiatement après sa passation de pouvoir à Jacques Chirac, à l’Élysée. Émacié, pâle, rongé par la maladie, mais le verbe toujours envoûtant, celui qui avait porté la gauche au pouvoir, après vingt-trois années passées dans l’opposition, a délivré un message d’optimisme. « Vous n’êtes plus au pouvoir, a-t-il dit aux nombreux élus et militants socialistes rassemblés dans la cour Pierre Bérégovoy. Mais ne perdez pas espoir, vous serez surpris de la vitesse à laquelle vous y serez de nouveau ! ». Deux ans et quinze jours plus tard, Lionel Jospin entrait à Matignon et le groupe socialiste retrouvait la majorité absolue au Parlement.
Aujourd’hui, les temps sont plus durs pour la social-démocratie en France, en Europe et dans le monde. Partout les démagogues populistes ont le vent en poupe. Mais jamais les valeurs et les grands objectifs du socialisme démocratique n’ont été plus actuels. Il appartient à la nouvelle génération de socialistes et de progressistes de donner à nouveau raison à la prophétie de Mitterrand, énoncée dans la cour de Solférino, destinée désormais à de tout autres usages.