Mi-temps…

Près d’un mois après le début du confinement le 17 mars dernier, des leçons peuvent d’ores et déjà être tirées de cette première phase du confinement pour repérer nos fautes, nos erreurs, nos faiblesses, mais aussi nos points forts. C’est ce qu’entreprend dans cette tribune Michel Debout, professeur émérite de médecine légale et du droit de la santé, ancien membre du Conseil économique, social et environnemental et membre fondateur de la Fondation.

Dans cette situation de confinement inédite pour laquelle, par hypothèse, nous ne disposons pas d’exemple précédent pour mieux comprendre ou réagir, le recours à la métaphore est souvent utilisé pour les commentaires, politique ou médiatique.

La métaphore guerrière a, heureusement, fait long feu, elle était – comme je l’ai déjà dénoncé – fausse et même improductive et le général Macron a fini par comprendre que, à force de se prendre pour De Gaulle, les Français, eux, risquaient de le prendre pour le général Gamelin!

Alors quelle autre métaphore utiliser pour ne pas laisser cette période de larmes, de sang et de sueur sans une possible représentation imaginaire personnelle et collective ? En écoutant le 13 avril dernier le président de la République, alors que nous étions à mi-parcours de la période de confinement, j’ai ressenti qu’en quelque sorte il venait de siffler la mi-temps du combat que nous livrons ensemble contre le virus ; loin de moi l’idée indécente de comparer la crise sanitaire que notre pays traverse, d’une exceptionnelle gravité, à une épreuve sportive mais d’en retenir seulement la temporalité et les deux valeurs fortes véhiculées par le sport : le sens de l’effort individuel et l’esprit d’équipe.

Oui, les Français font beaucoup d’efforts en acceptant le confinement, parce qu’ils ont compris que c’était la condition, sine qua non, d’éviter la diffusion du virus et l’empêcher de submerger nos capacités de prise en charge hospitalière.

Quant à l’esprit d’équipe, que l’on peut aussi nommer sens de la solidarité, chacun a compris que, sans lui, le combat contre le virus était perdu d’avance.

Puisque nous en sommes seulement à la mi-temps, c’est le moment de tirer les leçons de cette première phase du confinement et de repérer nos fautes, nos erreurs, nos faiblesses, mais aussi nos points forts.

Trois cartons rouges dans cette première phase : le premier concerne les Ehpad et cet insupportable huis clos que l’on a exigé pour mieux cacher ce qui s’y passait vraiment ; j’ai déjà dénoncé dans une note précédente cette situation humainement inacceptable tant pour les soignants et les résidents, qui ensemble partagent le même espace de vie ou de travail, que pour les familles empêchées de leur rendre visite.

Le deuxième carton rouge revient incontestablement au préfet Lallement dont les propos ont symbolisé à eux seuls la vision violente d’une certaine hiérarchie policière face à la crise sanitaire, vision que des membres de la majorité ont repris à leur compte pour gérer les difficultés des Français ; le préfet Lallement avait été choisi, ne l’oublions pas, par le président et le gouvernement pour en finir avec le mouvement des « gilets jaunes » !

Le troisième carton rouge, c’est l’impréparation impardonnable pour un pays comme la France : celle des hôpitaux publics, des urgences et de la réanimation – dénoncée depuis de trop longues années, et encore plus depuis un an, mais totalement négligée par le gouvernement – et l’impréparation des réponses préventives à la pandémie dès le mois de janvier dernier : des mesures fortes devaient être prises en urgence pour nous équiper en masques, blouses, lunettes de protection, respirateurs et en médicaments, en mobilisant notamment les usines françaises capables de les produire.

Les erreurs liées à la communication et aux contradictions entre les annonces « fracassantes » des dirigeants et la réalité vécue sur le terrain ont ruiné la confiance de toute « l’équipe France » alors que, sans la confiance, aucune victoire n’est possible.

Les faiblesses enfin de la gestion, au jour le jour, des décisions prises au niveau national, traitées par la déconcentration du pouvoir – dont les agences régionales de santé (ARS) sont devenues le symbole absolu – alors que la décentralisation aurait permis, à chaque niveau territorial pertinent, une réponse plus adaptée aux besoins exprimés grâce à l’engagement sans faille des élus et la mobilisation remarquable des associations.

Le point fort, c’est l’extraordinaire tenue des « lignes avant » : l’engagement de tous les soignants, leur conscience professionnelle, leur disponibilité, leur générosité et même leur sacrifice puisque certains ont payé de leur propre mort leur dévouement. Les services de police, souvent mal protégés, les services de secours sans lesquels la société serait totalement désorganisée. Quant aux « lignes arrière », celles qui produisent la nourriture, la transportent ou la distribuent, celles qui nettoient les rues ou les lieux publics, elles ont tenu bon, heureusement ; la France n’a pas suffisamment reconnu que sans elles, rien n’était possible.

Au moment où l’on commence le deuxième temps, c’est-à dire ce mois de confinement encore à vivre, il faut d’abord panser les plaies et redynamiser l’ensemble de l’équipe, car ce n’est seulement qu’à la fin de cette période que l’on saura si nous avons gagné.

Un mois supplémentaire de confinement, ce sont des situations humaines, psychologiques et sociales qui vont continuer à se dégrader, certaines même de façon tragique. Il faut renforcer le « staff médical » car si le danger principal reste la contamination par le virus, d’autres maladies aiguës, des maladies psychologiques anciennes ou révélées par le mode de vie imposé, l’aggravation de maladies anciennes… nécessitent elles aussi des soins de qualité ; bien plus, tous ceux qui sont fragilisés par des situations relationnelles, financières, matérielles dégradées ne doivent pas être laissés au bord du chemin. Il faut que se constituent au niveau de chaque territoire pertinent des équipes habituées aux traitements des troubles psychosociaux, constituées de professionnels et de bénévoles et prêtes à intervenir (évidemment avec les mesures de protection qui s’imposent) au domicile même de tous ceux dont on peut craindre (logement insalubre, précarité financière et sociale, isolement habituel…) qu’ils aillent payer au prix fort l’insupportable réalité de leur quotidien.

Une fois cette période passée, viendra celle du déconfinement progressif qui devra avoir pour mot d’ordre le soutien médical, social et financier de toutes les familles durement impactées, mais rien ne sera possible si nous ne disposons pas de masques et de tests en quantité suffisante pour protéger tous les travailleurs, les enfants à l’école (s’ils doivent y aller ) et l’ensemble de la population.

Il faut permettre le retour serein à une vie décente, à la reprise du travail (dès lors que toutes les protections seront mises en œuvre) pour ceux qui l’auront conservé, à l’entraide solidaire pour tous ceux qui resteront au chômage ; il faut craindre une flambée du chômage, la fermeture de petites entreprises commerciales, artisanales ou de service, et même des faillites avec un cortège de troubles anxiodépressifs et un risque grave de passage à l’acte violent ou suicidaire. Il faut accompagner tous les enfants et adolescents pour qu’ils retrouvent ensemble un espace de vie partagé favorisant tous les projets d’avenir.

Aucune discrimination liée à l’âge ou au handicap ne devra être acceptée ; il serait particulièrement choquant, peut-être même anticonstitutionnel, que soit établi un déconfinement spécifique pour les plus âgé·e·s : le droit d’aller et venir garanti à tous les citoyen·ne·s est l’une des premières libertés et dès leurs 18 ans et jusqu’à leur mort tous les Français·e·s sont citoyen·ne·s à part entière ! L’argument du risque de complications graves, en cas d’infection, ne tient pas sinon il faudrait déconfiner les femmes âgées maigres avant les hommes en surpoids, ce qui serait totalement absurde. Bien plus, certains voudraient alors imposer d’autres barrières d’âge pour conduire ou pour être élu… À chacun·e·s âgé·e·s ou non de prendre toutes les précautions que nécessitent son état et ses antécédents médicaux.

Enfin, nous retrouverons la vie d’avant, celle des retrouvailles, humaines, familiales et sociales, celle des nouvelles rencontres mais il nous restera à construire le monde d’après en tenant compte que c’est bien le capitalisme financier, le désastre écologique, la construction inégalitaire de notre société, l’Europe libérale impuissante, qui nous auront fait vivre cette épreuve personnelle et collective ; nous aurions souhaité ne jamais la connaître.

 

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