À l’occasion de la journée nationale de prévention du suicide, Michel Debout et Jérôme Giusti proposent que le dispositif APESA (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë), en vigueur dans les tribunaux de commerces, puisse également s’appliquer à la justice familiale afin de répondre à bien des situations de détresse.
Michel Debout est professeur émérite de médecine légale, psychiatre, ancien président-fondateur des JNPS, membre de l’Observatoire national du suicide, membre fondateur de la Fondation Jean-Jaurès et notamment auteur de Idées reçues sur le suicide. Mieux comprendre pour mieux prévenir (Le Cavalier bleu, janvier 2024).
Jérôme Giusti est avocat, ancien président de l’association Droits d’urgence et co-directeur de l’Observatoire Justice et sécurité – Thémis de la Fondation Jean-Jaurès.
La prévention du suicide s’est construite, au cours de ces trois décennies, en s’appuyant sur le rôle essentiel des professionnels des soins psychiques, des associations d’écoute et des associations regroupant les familles endeuillées. La création de l’Observatoire national du suicide, en 2013, permet aujourd’hui de mieux connaître la réalité suicidaire en France et d’évaluer les mesures préventives qui doivent être développées. On sait aujourd’hui qu’il faut tisser des liens avec toutes les personnes qui traversent une situation désespérée sans attendre qu’ils fassent appel eux-mêmes à un soignant ou à une association d’écoute.
Il y a dix ans, Marc Binnié, greffier du tribunal de commerce de Saintes, et Jean-Luc Douillard, psychologue clinicien, ont créé le dispositif « APESA » pour venir en aide aux entrepreneurs, artisans et commerçants confrontés à une dégradation financière avec le risque d’un dépôt de bilan. Ce dispositif, aujourd’hui présent dans près de 70 tribunaux de commerce de France, permet à chacun de ces justiciables d’obtenir dans les quarante-huit heures maximum une écoute par un psychologue pouvant déboucher sur un suivi personnalisé selon la gravité de cette situation.
Pour un « APESA couples en rupture »
Les ruptures de couple, parfois conflictuelles, mettant en jeu l’avenir des enfants, fragilisent – toutes les études le prouvent – les conjoints et peuvent entraîner, chez certains d’entre eux, des réactions psycho-dépressives débouchant parfois sur des passages à l’acte violents contre eux-mêmes, voire contre leurs proches.
Il faut mettre en œuvre un dispositif « APESA couples en rupture » qui permettra de proposer à toutes les conjointes ou conjoints, qu’une rupture de couple place en situation de détresse personnelle, un soutien psychologique selon le modèle « APESA » (Aide psychologique aux Entrepreneurs en souffrance aiguë) qui montre son efficience dans d’autres situations où la justice est elle-même en jeu. Ce qui est possible pour les tribunaux de commerce doit le devenir pour les tribunaux judiciaires, et d’abord pour la justice des affaires familiales.
Cette avancée nécessaire s’inscrit dans une nouvelle vision de l’organisation et du rôle de la justice dans la société aujourd’hui.
Pour une « justice à double vitesse »
L’aide juridique et l’aide juridictionnelle permettent aux justiciables les plus démunis d’avoir accès à un avocat et au juge et ce, depuis plusieurs décennies. Encore faut-il qu’ils en connaissent, en amont, l’existence, ainsi que les moyens de les activer. Certes réformée depuis de nombreuses années, cette aide d’État n’a toutefois jamais atteint son but : faire que chacun, quelle que soit sa condition, accède à la justice.
Aujourd’hui, nous sommes donc confrontés à un nouvel impératif : et si c’était maintenant au juge d’aller vers le justiciable ? Et de l’appréhender dans sa globalité et sa complexité ? Au pénal, le principe de la personnalisation des peines et, en cas de besoin, le recours à des expertises psychiatriques mettent le prévenu au centre de l’attention. Il n’en va pas de même au civil, le justiciable étant plutôt considéré comme un dossier parmi d’autres, sans que le tribunal ne se soucie véritablement de la personnalité des parties.
La justice des affaires familiales se concentre généralement sur le besoin de l’enfant mais rarement sur la personnalité des parents, possiblement en détresse sociale, affective, psychologique ou psychiatrique. La réparer est essentielle pour rendre une bonne justice, une justice non pas seulement fondée en droit mais se réaffirmant comme étant un vrai « service public », rendu dans l’intérêt des justiciables, ce à quoi répondra le dispositif « APESA couples en rupture ».
Ce suivi psychologique sera un élément important, parmi d’autres, en vue d’améliorer « l’offre de justice » comme, par exemple, celui d’accélérer aussi les demandes de traitement de certains conflits qui nécessitent un règlement urgent (par exemple, lorsque les justiciables sont en situation de difficulté financière, sociale ou psychologique), celui de proposer un meilleur accueil dans les tribunaux, celui de combattre les délais déraisonnables pour obtenir un jugement.
Plutôt que la « justice à deux vitesses » discriminante et inéquitable que, par paresse ou désintérêt, l’État a laissé se développer au détriment de nos concitoyens les plus démunis, c’est une « justice à double vitesse », également attentive à chacun, qu’il nous faut aujourd’hui organiser.
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