L’ouverture du RSA aux jeunes dès 18 ans : la conquête d’un nouveau droit

Permettre aux jeunes de bénéficier du Revenu de solidarité active (RSA) dès leur majorité civile contribuerait à fonder leur citoyenneté sociale et à restaurer leur confiance dans les institutions démocratiques. C’est le sens de la proposition de Timothée Duverger, co-directeur de l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation Jean-Jaurès, qui y voit là le moyen de lutter contre la précarité et la pauvreté des jeunes et favoriser leur autonomie.

Alors que la majorité civile est fixée à 18 ans en France depuis 1974, la majorité sociale reste bloquée à 25 ans aujourd’hui encore. Ce n’est qu’à cet âge que les jeunes peuvent accéder au RSA. Il n’y a guère parmi eux que deux exceptions à cette règle : les jeunes ayant travaillé deux ans lors des trois dernières années, ce qui reste très résiduel avec seulement 900 foyers concernés fin 2020 ; et les jeunes parents disposant de faibles revenus, soit environ 53 000 foyers1Pierre-Yves Cabannes et Martin Chevalier (dir.), Minimas sociaux et prestations sociales. Ménages aux revenus modestes et redistribution, Panoramas de la DREES, 2022..

Ce sont 24 des 28 pays de l’Union européenne qui ont ouvert leurs revenus minimum aux jeunes dès leur majorité, même si son montant peut être minoré dans trois d’entre eux (Danemark, Irlande, Pays-Bas) pour les inciter financièrement à s’insérer (formation, emploi). La France fait donc figure de mauvais élève, aux côtés de trois autres pays qui excluent les jeunes des minimas sociaux : l’Espagne (23 ans), Chypre (28 ans) et le Luxembourg (25 ans)2Catherine Collombet et al., Les minimas sociaux au sein de l’Union européenne, CNAF, décembre 2020..

Une situation sociale des jeunes qui se dégrade

Cette exclusion est d’autant plus paradoxale que la pauvreté monétaire est très élevée chez les jeunes. En 2018, l’Insee établissait à 22,7% le taux de pauvreté des 18-24 ans contre 13% pour l’ensemble de la population3Jean-Luc Tavernier (dir.), Revenus et patrimoines des ménages, Insee Références, 2021..

La vulnérabilité économique des jeunes est d’ordre structurel. Une récente étude de la Drees est là pour nous le rappeler, à partir d’une enquête nationale sur les ressources des jeunes en 2014. Elle souligne que les jeunes de 18 à 24 ans sont la population la plus touchée par la pauvreté monétaire, ce qui fait de l’entrée dans la vie d’adulte une période de vulnérabilité. Les jeunes les plus exposés à la pauvreté se retrouvent chez les décohabitants – c’est-à-dire les jeunes adultes ayant quitté le domicile parental –, particulièrement ceux qui sont au chômage ou en études, issus de milieux populaires ou étrangers4Benjamin Marteau et al., op. cit.. L’Observatoire de la vie étudiante a, quant à lui, établi que 40% des étudiants avaient une activité rémunérée pendant l’année universitaire en 20205Feres Belghit et al., « Être étudiant en 2020 : entre incertitudes et fragilités. Premiers résultats des enquêtes Conditions de vie des étudiants », OVE Infos, avril 2021..

La situation des jeunes tend par ailleurs à se dégrader depuis la crise liée à la pandémie de Covid-19. Les restrictions dues aux mesures sanitaires les ont particulièrement affectés. Plus concernés par les contrats précaires, près de 10% des jeunes en emploi ont perdu leur travail, soit par non-reconduction de leur contrat (7%), soit en étant licenciés (2,5%). La dégradation des conditions financières apparaît cependant plus marquée pour les jeunes des classes populaires (les 20% les plus pauvres), 41% entre eux témoignant de difficultés pour subvenir à leurs besoins6Yaëlle Amsellem et al., Crise du Covid-19. Dégradation des conditions de vie et de logement des 18-24 ans, Études & recherches, n°50, Injep, septembre 2021..

Cette fragilisation des jeunes s’est retrouvée notamment dans le recours à l’aide alimentaire. 115 000 étudiants auraient été concernés en 2020, dont un quart auraient basculé à cause de la crise sanitaire 7Aliocha Accardo et al., La crise sanitaire a accentué la précarité des bénéficiaires de l’aide alimentaire, Insee Première, n°1907, 28 juin 2022.. Les effets de la crise se retrouvent également dans la dégradation de la santé mentale des jeunes. Entre le printemps 2020 et la fin d’année 2021, la proportion de jeunes déclarant des pensées suicidaires est passée de 15,7% à 20,2% chez les 18-24 ans, cette tendance se repérant également chez les 25-34 ans8Christophe Léon et Enguerrand du Roscoät, « Fiche 8 : Prévalence et évolution des pensées suicidaires en France métropolitaine en 2021 – résultats de l’enquête CoviPrev de Santé publique France », dans Observatoire national du suicide, Suicide. Mesure l’impact de la crise sanitaire liée au Covid-19 : effets contrastés au sein de la population et mal-être chez les jeunes, Rapport, septembre 2022.. Le bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France va dans ce sens : 20,8% des 18-24 ans ont connu un épisode dépressif en 2021, soit quasiment le double par rapport à 2017 (11,7%)9Bulletin épidémiologique hebdomadaire, Santé publique France, 14 février 2023..

Un émiettement des aides et des âges

Face à cette situation, les jeunes sont donc confrontés à une « citoyenneté refusée »10Tom Chevalier, La jeunesse dans tous ses états, Paris, PUF, 2018. qui repose sur une familialisation de la citoyenneté sociale et une logique de work-first de la citoyenneté économique. Cette familialisation se repère d’une part dans l’âge d’accès au revenu minimum (25 ans), mais aussi dans l’absence de limite d’âge de l’obligation alimentaire ou dans le bénéfice d’une demi-part fiscale supplémentaire au quotient familial pour les parents ayant un enfant de moins de 21 ans, voire moins de 25 ans s’il poursuit des études. La logique du work-first se constate dans l’accès des jeunes aux politiques d’insertion mais non aux allocations, ce qui relève d’une « activation sans protection »11Léa Lima, « Les jeunes vulnérables, laboratoire de l’État social actif ? », dans Injep, Rapport de l’Observatoire de la jeunesse, Paris, La Documentation française, 2012, pp. 186-200. des politiques sociales. Si la création de la garantie jeunes en 2017 est venue l’amender pour les jeunes NEETs (« Not in education, employment or training » : ni en formation, ni en études, ni en formation), puis pour les jeunes travailleurs précaires ou en situation de handicap avec le contrat d’engagement jeune (CEJ) qui l’a remplacée, elle prévaut encore largement.

Il en résulte un émiettement des aides sociales, qui sont conçues comme autant de palliatifs pour combler le « trou » du revenu minimum. Du point de vue des familles, les prestations familiales s’arrêtent à 20 ans (21 ans pour le complément familial ou les allocations logement), la demi-part fiscale à 21 ans. Du point de vue des jeunes, le CEJ est ouvert de 16 à 25 ans (celui-ci peut être étendu à 30 ans pour les jeunes en situation de handicap sans emploi). Le fonds d’aide aux jeunes octroie des aides financières aux jeunes de 18 à 25 ans. Les bourses étudiantes sont accessibles jusqu’à 28 ans pour une première demande. Il n’y a en revanche aucune condition d’âge pour les aides au logement, ce qui explique qu’elles bénéficient particulièrement aux jeunes (21% des allocataires d’une aide au logement ont moins de 25 ans, alors qu’ils ne représentent que 14% de la population)12Pierre-Yves Cabannes et Martin Chevalier (dir.), op. cit..

L’absence de reconnaissance le la citoyenneté sociale des jeunes aboutit ainsi à de fortes incohérences entre les dispositifs mis en place et éclaire la pauvreté qui les touche. Si pour les étudiants, ces difficultés financières apparaissent moins ressenties13Benjamin Marteau et al., op. cit., considérées comme un passage de la vie avant l’entrée en emploi, elles n’en restent pas moins une source de vulnérabilité.

Des propositions de loi

Dès 1988, les jeunes ont été sciemment exclus du revenu minimum d’insertion (RMI). Ce choix historique s’est alors vu justifié par les dispositifs d’insertion leur étant spécifiquement destinés (création des missions locales en 1982 suite au rapport Schwartz), la prééminence des solidarités familiales et le risque de décohabitation14Laurent Cytermann et Céline Dindar, « Les grands étapes de l’histoire du RMI », dans Michèle Lelièvre et Emmanuelle Nauze-Fichet (dir.), RMI, l’état des lieux : 1988-2008, Paris, La Découverte, 2008, pp. 23-49..

La question de l’accès des jeunes au RSA est pourtant aujourd’hui mise à l’agenda par les forces d’opposition. Dès décembre 2018, la proposition de loi d’expérimentation d’un revenu de base, réclamée par les départements de gauche en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès et déposée par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, prévoyait parmi ses trois principes clés « l’ouverture aux jeunes de moins de 25 ans »15Hervé Saulignac et al., Proposition de loi d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base, Assemblée nationale, 18 décembre 2018.. Une motion de rejet préalable a néanmoins coupé court à tout débat, même si les discours des groupes politiques ont laissé apparaître d’importantes divergences sur ce point.

La crise liée à la pandémie de Covid-19, à l’origine d’une dégradation de la situation sociale des jeunes, a suscité d’autres initiatives des socialistes. D’une part, au Sénat, Rémi Cardon a vu rejeter sa proposition de loi relative aux droits nouveaux dès 18 ans qui prévoyait d’élargir le RSA aux jeunes16Rémi Cardon et al., Proposition de loi relative aux nouveaux droits dès 18 ans, Sénat, 3 décembre 2020.. D’autre part, Boris Vallaud a déposé à l’Assemblée nationale une loi pour la création d’une aide individuelle à l’émancipation solidaire reprenant le projet d’expérimentation d’un revenu de base par les départements et y ajoutant une dotation universelle en capital de 5 000 euros à l’entrée dans la majorité17Boris Vallaud et al., Proposition de loi relative à la création d’une aide individuelle à l’émancipation solidaire, Assemblée nationale, 5 janvier 2021.. Transformant au cours des débats sa proposition de revenu de base en un simple « minimum jeunesse », consistant à ouvrir le RSA aux jeunes dès 18 ans, il s’est cependant heurté à un nouveau refus. La ministre de l’Emploi, du Travail et de l’Insertion, Brigitte Klinkert, a alors stigmatisé « des dispositifs qui enferment les jeunes dans des minimas » et opposé le plan « 1 jeune, 1 solution » pour accompagner, former et faciliter l’entrée dans la vie professionnelle de tous les jeunes de 15 à 30 ans (aides à l’embauche, formations, accompagnements, aides financières18Maxence Kagni, « L’Assemblée rejette le « minimum jeunesse » proposé par les députés socialistes », LCP, 18 février 2021.. Les insoumis n’ont pas été en reste, François Ruffin ayant aussi fait l’expérience à la même période du rejet d’une proposition de loi visant l’extension du RSA aux jeunes dès 18 ans19François Ruffin, Proposition de loi visant à étendre le revenu de solidarité active pour les jeunes de 18 à 25 ans, Assemblée nationale, 23 mars 2021..

Dans tous les cas, il convient de remarquer qu’il s’agissait d’intégrer les jeunes en bloc, quelque soit leur statut. Les étudiants étaient ainsi pleinement admis au bénéfice de l’allocation. Seul le critère de ressources pouvait les en écarter. 

Pour l’ouverture du RSA aux jeunes

Il est cependant frappant de constater que, même à gauche, un point essentiel dans l’accès des jeunes au RSA a été occulté. Non seulement l’ouverture du revenu minimum à un nouveau public est coûteuse, mais en plus elle peut être source d’injustice sociale en apportant une aide aux enfants des familles aisées, dont l’État subventionne déjà les études. C’est un point d’achoppement régulièrement rappelé par l’Observatoire des inégalités20Louis Maurin, « Revenu minimum pour les jeunes : les raisons d’un refus », Observatoire des inégalités, 27 octobre 2020.. Pourtant, dès que l’on exclut les étudiants de l’ouverture du RSA aux jeunes, le périmètre de la population éligible ne cesse de se réduire. Évoquée à l’occasion des travaux du gouvernement sur le « revenu universel d’activités » ouverts en 2019 pour fusionner les minimas sociaux en une seule allocation (projet abandonné pendant la crise sanitaire), l’extension du RSA aux jeunes s’est finalement limitée aux NEETs à travers la mise en place du CEJ.

Poser un principe avant de discuter des dispositifs est donc un préalable indispensable. Cela implique d’abord de déconstruire les mythes, notamment celui du risque de désincitation au travail. Les études disponibles sur le sujet montrent que les seuils d’âge ne créent pas de rupture dans les taux d’emploi21Olivier Bargain et Augustin Vicard, « Le RMI, puis le RSA découragent-ils certains jeunes de travailler ? », Insee Analyse, n°6, 2012. et même que la création d’une garantie de revenu est incitative à l’emploi22Vincent Vergnat, « Lutte contre la pauvreté et incitations à l’emploi : quelle politique pour les jeunes ? », Revue économique, vol. 70, 2019/4, pp. 539-568.. Il est ainsi injuste que les jeunes se voient refuser la citoyenneté sociale. 

Il n’en demeure pas moins vrai que la situation sociale des jeunes peut varier considérablement selon la solidarité familiale dont ils bénéficient. Aussi, pour mettre en œuvre ce principe sans intrusion dans le foyer et construction d’usine à gaz, le rapport Wolf publié par la Fondation Jean-Jaurès23Marc Wolf, Pour une garantie de revenu réellement universelle. Une approche pragmatique, Fondation Jean-Jaurès, 15 septembre 2022. propose une solution simplifiée consistant à laisser à l’arbitrage du jeune le choix de relever à ses 18 ans de la solidarité familiale ou de la solidarité nationale. Dans ce dernier cas, tenus par leur obligation alimentaire, les parents aisés seraient alors spécialement mis à contribution pour financer l’allocation de leur enfant, en plus de perdre le bénéfice des prestations familiales et du quotient familial. L’effet d’aubaine serait ainsi neutralisé et le coût limité à un montant compris entre 3 et 4 milliards d’euros. 

Loin de n’être qu’une mesure sociale, l’ouverture du RSA aux jeunes dès 18 ans est bien à concevoir comme un nouveau droit pour fonder leur citoyenneté sociale et restaurer leur confiance dans les institutions démocratiques24Tom Chevalier, « La confiance institutionnelle des jeunes en Europe : quel effet de l’action publique ? », Revue française de sociologie, Vol.60, 2019/1, p.13-42.. Elle constituerait le socle de leur autonomie, venant sécuriser leur parcours et développer leur pouvoir d’agir à un âge charnière de la vie. Si, comme le disait Tocqueville, « chaque génération […] est un peuple nouveau », alors accorder notre confiance aux jeunes n’est-elle pas la priorité pour construire un futur désirable ? 

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