Les circuits courts, une réponse aux crises agricoles ?

Le monde agricole est secoué par la crise. Co-fondateur de « La Ruche qui dit oui » et acteur important de l’économie collaborative, Marc-David Choukroun porte un regard expert et engagé sur cette situation et sur la solution – encore incertaine – que pourraient constituer les circuits courts.

Depuis maintenant des décennies, les crises agricoles se suivent et se ressemblent. Les réponses, elles aussi, sont toujours désespérément les mêmes : on déverse les aides de court terme pour contenir l’incendie plutôt que de s’attaquer aux causes du mal. Ce modèle agricole, qui contraint les exploitants à vendre leurs produits à perte, ruine les campagnes et finit par mettre tout et n’importe quoi dans votre assiette, marche sur la tête. 

Il faudra plus que des rustines appliquées ici et là pour que le secteur agricole se relève. La complexité de la chaîne de valeur et la multiplication des intermédiaires mettent les paysans sous pression, leur fait croire qu’il faut s’industrialiser et s’endetter toujours plus ou mourir (voire, et c’est tragique, les deux). Tout le monde le sait : le producteur ne touche qu’une infime partie du prix de ce que vous payez lors de votre passage en caisse. Pour remettre les exploitants au centre de la chaîne de valeur, il existe une solution en apparence toute simple : les circuits courts. En apparence seulement, car il y a encore du travail pour véritablement faire de la vente directe du producteur au consommateur une alternative viable au modèle agro-industriel. Si l’agriculteur dispose d’assez de bras pour assurer en même temps la production, la commercialisation et la distribution, alors la formule est toute indiquée. Mais pour que les circuits courts séduisent la majorité des agriculteurs – ce qui est aujourd’hui bien loin d’être le cas ! – d’autres formules, d’autres modes d’organisation, sont à inventer. C’est en tout cas cette idée qui nous a guidés quand nous avons créé La Ruche qui dit Oui ! il y a cinq ans. 

La route est longue pour changer d’échelle 

Le premier enjeu auquel nous nous sommes attaqués était celui de la commercialisation : en favorisant une course effrénée aux prix bas, le mode de distribution qui s’est imposé au siècle dernier a largement participé à l’industrialisation du secteur agricole. Nous sommes donc partis d’un principe directeur : dans notre système, c’est le producteur qui fixe librement ses prix. Mais au-delà, de quels outils les agriculteurs avaient-ils besoin pour se lancer dans l’aventure des circuits courts ? Nous avons imaginé un mariage à trois : un agriculteur, un « responsable de Ruche » et une plateforme en ligne. Le premier produit et vend, le deuxième fédère une communauté de clients et organise les distributions, le troisième offre une vitrine, des outils de commercialisation et un accompagnement. En contrepartie, le producteur reverse une commission de 16,70 % (8,35 % pour le responsable de Ruche, 8,35 % pour la plateforme). Cette première expérience grandeur nature a permis d’un côté aux producteurs d’être équitablement rémunérés pour leur travail, et de l’autre, aux consommateurs de s’approvisionner localement en produits de qualité. Le réseau compte aujourd’hui plus de 700 Ruches, 5 000 producteurs et 130 000 membres actifs. 

Arrivés à ce stade, nous aurions pu nous arrêter : ne plus lever de fonds, cesser de chercher à croître, ne plus développer de nouvelles fonctionnalités pour notre plateforme en ligne. Ces options, nous les avons sérieusement envisagées. Le problème, c’est qu’avant de réformer en profondeur notre modèle agricole, il reste encore beaucoup de travail et une initiative comme La Ruche qui dit Oui ! n’est qu’une infime partie de la solution, il en faudra des dizaines d’autres ! 

Les circuits courts tiendront-ils un jour leurs promesses ? 

En effet, le succès de La Ruche qui dit Oui ! est tout à fait relatif quand on sait que le chiffre d’affaires annuel d’un seul hypermarché atteint facilement les 100 millions d’euros. L’ensemble du réseau des Ruches ne représente même pas la moitié de ce montant. Il y a donc de la marge avant de faire des circuits courts une alternative viable et ne faire ne serait-ce qu’un tout petit peu d’ombre aux géants de la distribution. Toute une chaîne de valeur est à réinventer. 

Après la distribution, notre prochain chantier porte donc sur la logistique. L’enjeu est tout autant économique qu’environnemental. D’un côté, dans le modèle des circuits courts, c’est le producteur qui supporte la charge de l’ensemble de la logistique, ce qui représente entre 15 % et 30 % du prix de vente de sa marchandise1. Peut mieux faire, donc. 

Intuitivement, vous pourriez penser que le bilan carbone d’une pomme cueillie à une cinquantaine de kilomètres de chez vous est nécessairement meilleur que celui d’une pomme italienne ou chilienne. Là encore, les chose sont un petit peu plus compliquées et les solutions ne peuvent être simplistes : « Les distances parcourues par les produits commercialisés localement sont en général inférieures à celles réalisées en circuits longs, ce qui est un facteur de réduction des émissions de gaz à effet de serre, résume le commissariat au développement durable. Cependant, cela ne suffit pas forcément pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à la phase de transport. En effet, ces émissions dépendent essentiellement du mode de transport et de l’optimisation logistique ». Autrement dit, la mécanique est bien huilée dans l’univers de la grande distribution, alors que dans le petit monde des circuits courts où le transport routier avec de petites fourgonnettes est l’usage, il y a encore beaucoup de progrès à faire. Au sein de notre réseau, certains producteurs ont spontanément commencé à mutualiser leurs trajets. Nous ne nous y attendions pas, mais à nous désormais d’accompagner ce mouvement venu du terrain en créant les outils technologiques qui permettront d’optimiser le remplissage des camions et de calculer le meilleur itinéraire. 

Mais là encore, nous ne nous faisons pas d’illusions : la route sera longue. Car à terme, il faudra aussi réfléchir à la localisation des abattoirs et des laboratoires, qui ne cessent de s’éloigner des sites de production, et agir sur le foncier pour éviter que 82 000 hectares de terres agricoles ne continuent de disparaître chaque année. Bref, la révolution agricole ne se fera pas en un jour. 

La grande distribution a dépensé des milliards pour optimiser une chaîne de valeur opaque qui favorise la rétribution des intermédiaires au détriment des producteurs. 

Les circuits courts devraient déployer la même énergie pour bâtir une chaîne de valeur transparente, décentralisée, et qui bénéficie d’abord au producteur. 

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