Dans la suite de précédentes notes d’analyse autour des questions de santé au travail, Romain Bendavid, expert des enjeux de QVCT, santé au travail et transformations professionnelles, se penche ici sur les nuisances sonores au travail et leurs impacts, à différents degrés, sur les professionnels. Alors que la pollution sonore est une réalité pour beaucoup d’actifs, comment réagissent-ils ? Sont-ils soutenus et aidés par leurs employeurs ?
Cette analyse s’appuiera principalement sur les enquêtes publiées chaque année par la Journée nationale de l’audition (JNA) dans le cadre de la Semaine de la santé auditive au travail. Elle décrira dans un premier temps l’ampleur de la gêne auditive ressentie. Elle analysera ensuite ses conséquences, tant en matière de santé que d’organisation du travail. Elle s’attachera enfin à mesurer l’efficacité des moyens jusqu’à présent mis en œuvre pour protéger les oreilles.
Une gêne subie par de nombreux actifs : état des lieux du bruit et des nuisances sonores au travail
Fin 2023, une majorité d’actifs en poste (52% précisément) déclarent être gênés par le bruit et les nuisances sonores sur leur lieu de travail1Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.. Dans le détail, 17% d’entre eux affirment souffrir du bruit « souvent » et 35% « de temps en temps ». Cet étiage majoritaire fait de la protection des oreilles un véritable enjeu de qualité de vie et condition de travail (QVCT) mais aussi de productivité (au moment où beaucoup de décideurs s’inquiètent de sa dégradation) qu’il importe de visibiliser et de traiter efficacement.
Or cette gêne n’est pas nouvelle. Comme le montre le graphique suivant2Enquêtes Ifop pour la JNA dans le cadre de la Semaine de la Santé auditive au travail., elle est ressentie d’année en année par une moitié ou plus des actifs.
Source : Enquêtes Ifop pour la JNA dans le cadre de la Semaine de la santé auditive au travail.
Tous les actifs ne sont pas égaux face au bruit. Plusieurs clivages se dessinent, stables dans le temps3Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023. :
- un clivage générationnel qui impacte davantage les salariés d’âge intermédiaire entre 35 et 49 ans (59% contre 52% pour la moyenne des actifs) ;
- un clivage social : près des deux tiers des ouvriers en sont affectés (64%) ;
- un clivage sectoriel : 65% des actifs évoluant dans le secteur BTP-construction (au sein duquel figure une forte proportion d’ouvriers) ressentent une gêne et, à un degré moindre, 59% des personnes travaillant dans le secteur public (59%).
Deux autres catégories de travailleurs sont également fortement exposées : les Franciliens (61%) et les télétravailleurs « hybrides » (60%) ayant recours au travail à distance deux à trois jours par semaine et devant donc fréquemment alterner entre plusieurs environnements sonores que l’on peut supposer différents.
Chacune de ces populations évoluant dans des univers assez distincts par rapport aux autres, le potentiel d’exposition au bruit dans la sphère professionnelle apparaît considérable.
Une autre façon de mesurer ces nuisances consiste à demander aux actifs d’évaluer eux-mêmes leur niveau d’exposition au bruit sur le lieu de travail, sur une échelle de 0 à 10. Fin 2023, cette auto-évaluation atteint un score moyen à 4,9 sur 104Ibid., avec des pics enregistrés à 5,8 chez les ouvriers et à 5,5 auprès des employés des secteurs industrie et BTP-construction.
Lorsque l’on croise ces deux informations, une large majorité d’interviewés (71%) fait logiquement état soit d’une gêne causée par le bruit et d’un niveau d’exposition conséquent (32%) soit, au contraire, d’une absence de gêne et d’un faible niveau d’exposition (39%).
Toutefois, en miroir, une proportion non négligeable d’actifs (29%) semble passer « sous les radars ». 9% d’entre eux affirment en effet ne pas être gênés par le bruit tout en mentionnant une forte exposition. Il peut en résulter une minimisation personnelle de cette nuisance. Les jeunes actifs de 18 à 24 ans sont ici sur-représentés (18% contre 9% en moyenne), ce qui vient confirmer les enseignements des précédentes enquêtes pour la JNA insistant sur une insuffisante prise au sérieux de cet enjeu par la jeune génération.
A contrario, si 20% des actifs se sentent peu ou pas exposés, ils déclarent malgré tout être gênés. Ce taux grimpe à 26% chez les télétravailleurs « hybrides ». Cette contradiction apparente peut davantage être expliquée par la difficulté de jongler chaque semaine entre des environnements sonores différents qu’à l’exposition dans l’absolu à un environnement sonore bruyant. En outre, la récence de la pratique du télétravail, remontant pour beaucoup de salariés au début de la crise sanitaire en 2020, fait que ces risques sont encore susceptibles d’être invisibilisés.
La sensibilité des oreilles des télétravailleurs constitue pourtant un véritable enjeu de marque employeur. Si 21% des Français âgés de 15 ans ou plus affirment que leur sensibilité au bruit a augmenté depuis le début de la crise sanitaire, cette proportion s’élève à 27% auprès des travailleurs à distance5Enquête « Bruit et santé, les décibels de la discorde », Ifop pour la JNA, 2022.. De façon encore plus explicite, alors que la période actuelle se caractérise par des difficultés de recrutement et des envies de mobilité, 64% des télétravailleurs affirment que la possibilité de travailler dans un environnement sonore moins bruyant joue un rôle important dans le fait d’y avoir recours6Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.. Les plus jeunes, particulièrement avides de cette organisation, sont d’ailleurs plus nombreux à invoquer cet argument (73% contre 58% des 35 ans et moins).
D’autres faisceaux d’indices éclairent sur la toxicité du bruit au travail pour les oreilles. En 2022, 65% des Français âgés de 15 ans ou plus affirmaient être gênés par le bruit et les nuisances sonores7Enquête « Bruit et santé, les décibels de la discorde », Ifop pour la JNA, 2022.dans leur vie quotidienne (tous lieux confondus). Or ce score moyen atteint un étiage très élevé auprès de deux catégories d’actifs : les cadres (73%) et les télétravailleurs (75%). Il culmine également à 79% chez les habitants de l’agglomération parisienne qui concentrent une forte proportion d’actifs.
Par ailleurs, parmi trois lieux de vie importants, le lieu de travail est celui où le bruit agresse le plus de monde concerné : 83% des actifs, devant un établissement scolaire ou universitaire (79% des personnes concernées) et le domicile (69%)8Ibid..
Une fois évoqué l’environnement de travail dans sa globalité, il est intéressant de pénétrer à l’intérieur des locaux pour y observer les sources de bruit perçues comme les plus gênantes. Cet exercice est d’autant plus nécessaire que les lieux de travail sont amenés à devenir de plus en plus fragmentés dans le temps (changements fréquents d’employeur), mais aussi désormais dans l’espace (alternance entre plusieurs lieux au sein d’un intervalle de temps réduit).
Il n’est donc pas surprenant de constater que les sources de bruit au travail identifiées comme les plus gênantes sont plurielles, susceptibles de provenir de l’extérieur comme de l’intérieur des locaux. Tout d’abord, la gêne provoquée par l’extérieur est citée par 20% des actifs9Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.. Parmi eux, les Franciliens y sont fortement confrontés (28%), de même que les télétravailleurs quatre à cinq jours par semaine (27%). On y retrouve aussi une catégorie transversale d’actifs exerçant un métier dit de « front office », impliquant des échanges fréquents et directs avec des clients ou des usagers. C’est le cas des indépendants (26%) et des personnes travaillant dans le secteur du commerce (26%).
Les interactions humaines, propres aux activités de bureau, représentent l’autre type de sources mentionnées comme les plus gênantes : 15% des interviewés citent les conversations entre collègues, 12% les allées et venues de personnes et 11% les conversations téléphoniques ou en visioconférence. Ces dimensions sont beaucoup mises en avant par les salariés de bureau : cadres, télétravailleurs et salariés du secteur des services.
Enfin, la gêne provenant des matériels utilisés (imprimantes, ordinateurs…) est signalée par 15% des actifs, dont 22% des artisans, 23% des ouvriers, 25% des personnes évoluant dans le secteur de l’Industrie et 27% dans celui du BTP-construction.
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Abonnez-vousLes conséquences professionnelles et… extraprofessionnelles des nuisances sonores
Les transformations récentes dans le monde du travail contribuant à rendre plus poreuses les frontières entre vie privée et vie professionnelle (souplesse dans l’organisation des horaires, télétravail pour les cadres…), il convient de décentrer l’analyse de la seule sphère du travail et de l’inscrire plus largement au sein de l’écosystème global de l’individu.
Dans ce cadre, les nuisances sonores ont d’abord des répercussions extra-auditives sur la charge mentale des travailleurs. 69% des actifs éprouvent en effet des difficultés à suivre les conversations sur leur lieu de travail à cause du bruit ambiant10Enquête « Bruit et santé, les décibels de la discorde », Ifop pour la JNA, 2022.. Plus précisément, 60% de cette population indique que le bruit au travail génère fatigue, lassitude et irritabilité et 50% du stress.Ces proportions deviennent massives auprès des personnes gênées par le bruit, atteignant respectivement 88% et 81%.
Ce constat d’une charge mentale dégradée recoupe celui plus général d’une grande fatigue post-Covid-19. Dans une précédente note pour la Fondation Jean-Jaurès11Romain Bendavid, Sabeiha Bouchakour, « « Les absents n’ont pas toujours tort » : analyse de la progression de l’absentéisme au travail », Fondation Jean-Jaurès, 2023., nous avions montré que la progression impressionnante de l’absentéisme s’expliquait en partie par une forme de « dépression collective », succédant à une période de forte pression à l’apogée de la pandémie en 2020 et 2021. 32% des salariés arrêtés au moins une fois en 2022 justifiaient ainsi cette absence par une grande fatigue12Enquête « Baromètre sur l’absentéisme au travail », Ifop pour Diot Siaci, 2023..
Dans des proportions un peu moindres, le bruit au travail peut également engendrer des troubles plus profonds tels que des problèmes de sommeil – pour 32% des actifs (dont 61% chez ceux souvent gênés par le bruit) –, de la souffrance psychologique (31% dont 61% auprès de ceux souvent gênés par le bruit) et même de l’hypertension artérielle (25% dont 48% de ceux souvent gênés).
Les nuisances sonores dégradent également le tissu relationnel au travail. Près de la moitié des actifs (49%) indiquent en effet qu’elles peuvent être à l’origine d’incompréhension avec les managers, 45% pointent un risque d’agressivité dans les échanges, 44% des tensions ou conflits au sein de l’équipe de travail et 43% des comportements de repli sur soi.
Et au-delà de la sphère professionnelle, une majorité de personnes gênées par le bruit au travail (52%) affirment que ce ressenti a des répercussions sur leur vie privée, se traduisant par des tensions avec des proches. Certaines catégories d’actifs sont particulièrement soumises à cette « double peine »: les télétravailleurs (66% d’entre eux), les indépendants (63%), les personnes travaillant dans le secteur des services (60%) et dans les TPE de moins de 20 salariés (61%).
Si l’on recentre l’analyse sur les oreilles et l’audition, l’impact négatif des nuisances sonores au travail peut s’avérer durable. Elles peuvent générer une gêne auditive (33%) mais aussi, de façon plus pérenne, des acouphènes (30%) et de la surdité (25%). Au total, c’est près de la moitié des actifs en poste (45%) qui déclarent que le bruit au travail a au moins une répercussion négative sur leurs oreilles. Cette proportion devient majoritaire chez les moins de 35 ans (52%), les Franciliens (51%) et les personnes évoluant dans les secteurs industrie (55%) et BTP-construction (60%).
L’exposition à des bruits trop élevés au travail constitue également la cause la plus fréquente de survenue des acouphènes. Elle est citée par 58% des Français, devant celle plus générale d’exposition à des sons trop élevés dans la vie quotidienne (56%), une utilisation trop fréquente de casques ou d’écouteurs (45%), une gêne auditive temporaire (39%) et une baisse de l’audition survenant avec l’âge (37%).
La place accordée au bruit au travail : un fléau occulté et une posture fataliste
Bien qu’une majorité d’actifs ressentent une gêne pour leurs oreilles au travail, le risque de surdité résultant du bruit ne représente pas un motif d’inquiétude majeur. À peine 6% d’entre eux affirment que c’est le cas13Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023., loin derrière les risques psychosociaux (RPS) (26%), les problèmes visuels (15%) ou les troubles musculo–squelettiques (TMS) (15%). Les travailleurs davantage exposés sont néanmoins plus nombreux à placer le bruit en tête des risques : ceux déclarant en être souvent gênés (18% contre 6% en moyenne), les ouvriers (12%) et les employés du BTP (16%). Les nuisances sonores constituent donc surtout un sujet de préoccupation à titre réactif et peu à titre préventif.
Or, dans le même temps, 74% des actifs reconnaissent que la déficience auditive représente un frein à l’embauche14Enquête « La déficience auditive comme frein à l’embauche », Ifop pour la JNA, 2017.et 82% qu’être sourd ou malentendant représente un frein dans le cadre d’une recherche d’emploi ou d’une évolution professionnelle15Enquête « Être sourd ou malentendant peut-il représenter un frein à une évolution professionnelle », Ifop pour la JNA, 2016..
La minimisation de ce fléau se retrouve dans le cas de la prévention. Le dernier Baromètre de la prévoyance16Enquête « Baromètre de la prévoyance », Ifop pour le CTIP, 2023. conduit par le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) montre que seuls 9% des salariés et, en miroir, 10% des dirigeants mentionnent un bilan visuel ou auditif comme action de prévention la plus importante à développer au sein de leur entreprise, loin derrière les deux troubles généralement mis en avant lorsque l’on évoque le sujet de la pénibilité au travail : les TMS et les risques psychosociaux (RPS).
En matière d’actions de qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) à mener en priorité, le fait d’agir contre le bruit et les nuisances sonores occupe un rang relativement anonyme, derrière l’emplacement de l’espace de travail et son éclairage mais devant le design de cet espace et sa température17Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 6 », Ifop pour la JNA, 2022..
Face à un enjeu en partie occulté, il n’est pas surprenant qu’une majorité d’actifs se trouve démunie face à une forte exposition sonore au travail. 58% d’entre eux déclarent ainsi ne pas savoir comment réagir en cas de troubles de l’audition provenant d’une forte exposition sonore à leur poste de travail. Cette proportion atteint 65% chez les cadres et 67% auprès des salariés travaillant dans une grande structure (supérieure à 1000 employés).
Ce sentiment d’impuissance peut s’expliquer par un certain fatalisme, principal obstacle s’opposant à la réduction du bruit au travail. Les deux freins les plus fréquemment mentionnés y font en effet explicitement référence : « le sentiment que le bruit fait partie de l’environnement de travail et du dynamisme collectif » (35% de citations) et « un certain fatalisme, l’idée qu’on ne peut pas y faire grand-chose » (32%). Les contraintes impliquant davantage d’attention ou d’efforts sont moins perçues comme des obstacles : « le manque d’informations sur les impacts du bruit sur la santé en général » (29%), « le manque de civilités et de solidarité chez certains collaborateurs » (28%) ou encore « l’idée que la lutte contre le bruit entraîne des contraintes supplémentaires pour les salariés comme le fait de parler moins fort » (21%). D’ailleurs, à défaut de protéger leurs propres oreilles, une grande partie des actifs (70%) se disent prêts à fournir des efforts pour limiter le bruit et les nuisances sonores dont ils sont responsables sur le lieu de travail18Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 6 », Ifop pour la JNA, 2022. (70% dont 82% des salariés du secteur BTP-construction). Cette initiative requière néanmoins au préalable une prise de conscience ou une injonction à agir.
Pour ceux qui en ont la possibilité, une stratégie d’évitement face au bruit peut parfois se substituer à une démarche de protection. À titre d’illustration, il arrivait en 2022 à plus d’une moitié de personnes ayant recours au télétravail (53%) de regretter de venir travailler sur site en raison du bruit et des nuisances sonores19Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 6 », Ifop pour la JNA, 2022.alors même que cette présence était fortement encouragée par leurs dirigeants. Ce sentiment de regret est particulièrement prégnant chez les télétravailleurs « hybrides » (deux à trois jours par semaine) qui sont 62% à faire ce constat contre 55% des télétravailleurs fréquents (quatre à cinq jours par semaine) et 43% des télétravailleurs occasionnels (moins de deux jours par semaine).
S’il existe un avant et un après-crise sanitaire dans le rapport au travail, cet exemple montre bien que c’est également le cas concernant le rapport à l’environnement de travail. Le seuil de tolérance sonore que certains actifs pouvaient auparavant tolérer semble être devenu plus contraignant depuis qu’ils ont expérimenté d’autres organisations comme le télétravail.
Les actions pour protéger les oreilles : des démarches personnelles timides et des politiques de prévention souvent introuvables
L’importance accordée à sa santé auditive s’inscrit dans une dynamique positive. Auprès des personnes ressentant une gêne, des seuils majoritaires étaient pour la première fois observés en 202320Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.s’agissant de la réalisation d’un test auditif ou son intention (53%), de la consultation d’un médecin (51% en ont consulté ou en ont l’intention), ainsi que de la demande d’équipement, que ce soient des protections individuelles sur site (51%) ou un équipement d’écoute approprié en télétravail (58%).
Toutefois, deux nuances atténuent la portée de cette dynamique. D’une part, dans chacun des cas évoqués ci-dessus à l’exception de l’équipement en télétravail, la proportion d’intention, par nature incertaine, est supérieure à celle de démarches réellement effectuées. D’autre part, ces démarches s’inscrivent davantage dans une logique consultative que volontariste : seule une minorité d’actifs gênés par les nuisances sonores ont déjà demandé à être affectés dans un autre espace de travail (14% tandis que 21% l’envisagent) ou ont déjà sollicité un arrêt de travail (11% et 19% qui y songent). Les ouvriers et les employés des secteurs industrie et BTP-construction, où la présence de bruit est ancienne et connue, se montrent toutefois plus prompts à agir.
Pour ce qui est de la prévention, la plupart des décisionnaires RH d’entreprises de plus de 20 salariés (81%) reconnaissent que l’audition est un enjeu nécessitant des actions de prévention21Enquête « Les décisionnaires RH et les enjeux de santé au travail », Ifop pour Back Office Santé, 2022.. Toutefois, en termes de priorité, elle n’apparaît pas au sommet de la pile. 35% seulement des interviewés jugent utile de mener à son sujet des actions de prévention à court terme quand 46% souhaitent les planifier à long terme. Au global, parmi dix actions de prévention, l’audition fait partie des moins envisagées à court terme. Sur cette échelle de temps, elle devance uniquement le dépistage de cancers (34%) et les conseils nutritifs (32%). En revanche, elle se classe loin derrière les RPS dont 50% des décisionnaires RH estiment qu’ils requièrent des actions de prévention à court terme, les TMS (42%) et, pour citer un exemple plus rapproché de l’audition, un bilan visuel (45%).
Pourtant, en matière de prévention, d’information et d’obligation d’agir sur la nocivité du bruit, le Code du travail est précis sur les actions à mener. Le bruit sur le lieu de travail y est mentionné comme un enjeu s’inscrivant dans le cadre des risques en milieu professionnel, au même titre que les RPS. L’employeur y a pour obligation de prévenir au maximum les risques encourus par ses salariés. Pour ce faire, il doit se montrer à l’origine de plusieurs initiatives : l’évaluation du niveau sonore, la recherche précise de la source des bruits, l’information et la formation aux salariés ainsi que la mise en place de mesures de protection collective et individuelle.
Dans ce prolongement, la réglementation destinée à réduire l’impact négatif du bruit au travail repose sur trois grandes démarches :
- agir sur l’environnement de travail : fabriquer des machines plus silencieuses, engager des actions pour réduire au maximum le bruit des machines déjà existantes ;
- prendre en compte la problématique du confort acoustique dans la construction ou la rénovation des locaux professionnels et utiliser les locaux de manière adaptée pour faire en sorte que le bruit y soit le plus atténué possible ;
- informer les salariés sur leur droit à utiliser et à choisir des protections auditives individuelles.
Les entreprises sont par ailleurs tenues de limiter ses émissions de bruit de 7 heures à 22 heures, tous les jours de la semaine.
Or dans les faits, à supposer qu’elles soient réellement déclenchées, ces démarches sont très peu visibles par les employés. À peine une moitié des actifs (51%) considèrent en effet que leur employeur prend suffisamment en compte le bruit et les expositions sonores22Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.. De surcroît, les actifs gênés par le bruit sont plus critiques, seuls 45% estimant que leur employeur agit sérieusement. Il en est de même pour les plus de 35 ans (49%) alors que 57% des 18-35 ans reconnaissent l’implication de leur employeur.
Sur un plan sectoriel, les actifs travaillant dans l’Industrie et le BTP-construction se démarquent avec respectivement 60% et 72% des effectifs estimant que leur entreprise prend suffisamment en compte ce problème contre 53% dans les services, 52% dans le commerce et seulement 40% dans le public. En parallèle, si 59% des ouvriers saluent l’action de leur entreprise, cette proportion descend à 49% parmi les cadres comme les employés. Une hiérarchie claire se dessine donc entre d’un côté les métiers de l’industrie et du BTP où des politiques de prévention contre le bruit sont anciennes et, de l’autre, les métiers de « bureau » et de « front office » où la prise en compte des nuisances a encore peu irrigué la culture d’entreprise.
Or, dans une économie tertiarisée où la part des emplois de service est passée de 50% à la veille du premier choc pétrolier de 1973 à 80% en 202223Insee, Tableau de bord de l’économie française, 2022., ce retard en matière de prévention devient préoccupant. De surcroît, à cette évolution sectorielle se superpose une « métropolisation » des emplois. 46% d’entre eux sont désormais localisés dans les aires urbaines des plus de 500 000 habitants dont 22% pour la seule aire urbaine de Paris24France Stratégie, « Dynamique de l’emploi et des métiers : quelle fracture territoriale ? », note d’analyse n°53, 2017.. Or, comme déjà évoqué, les Franciliens sont plus gênés que la moyenne des Français par le bruit et les nuisances sonores.
En outre, la hausse du prix de l’immobilier dans les grandes villes a conduit beaucoup d’actifs à s’éloigner des bassins de concentration d’emploi. Cette migration a occasionné une hausse de la durée des trajets quotidiens entre le domicile et le travail, y compris pour les personnes ne télétravaillant que quelques jours par semaine. Or le bruit s’immisce aussi dans ces trajets. Illustration parmi d’autres concernant les transports en commun, très utilisés dans les grandes métropoles, 71% des Français déclarent rencontrer des difficultés à suivre les conversations à cause du bruit ambiant25Enquête « Bruit et santé, les décibels de la discorde », Ifop pour la JNA, 2022..
Dans le détail, les solutions concrètes proposées par l’employeur pour réduire les nuisances sonores sont perçues comme timides. La mise à disposition de protecteurs individuels, qui est la plus généralisée, n’est remarquée que par 31% des actifs26Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.. Elle devance celle de casques de communication spécifiques (26%). Les solutions nécessitant de réorganiser les locaux, par nature plus longues et coûteuses, ne sont relevées que par un quart des actifs : 26% mentionnent un réaménagement des espaces existants et 25% la création d’espaces pour s’isoler. La portée limitée de ces deux dernières solutions alerte d’autant plus dans une période où les entreprises repensent l’occupation de leurs locaux et optent volontiers pour le flex office. Enfin, à la marge, les dépistages auditifs (22%) et les sessions d’information et de sensibilisation pour modifier les comportements collectifs (20%, stable) sont également peu développés.
Concernant plus précisément les acouphènes, selon l’étude PESA, seuls 19,2% des personnes qui en souffrent ont bénéficié d’une reconnaissance de leur qualité de travailleur handicapé (RQTH). Et lorsque c’est le cas, les acouphènes n’en sont pas toujours le facteur déclencheur, la surdité et les symptômes dépressifs étant plus déterminants pour l’obtention d’une RQTH.
Pour pallier ce déficit en matière d’accompagnement, l’association JNA vient de mettre au point un « indicateur de santé auditive » permettant de mesurer l’impact du bruit sur la santé et la sécurité des travailleurs dans l’ensemble des secteurs d’activité. Concrètement, cet indicateur suivra le port effectif et continu des protections individuelles contre le bruit. Il s’agit ainsi de positionner la santé auditive comme levier pour mieux lutter contre la fatigue, la souffrance, les pertes de performance, les conflits ainsi que les risques de surdité au travail.
Comme l’explique Sébastien Leroy, responsable des projets associatifs à la JNA, « l’indicateur de santé auditive s’inscrit dans la philosophie du respect des besoins physiologiques des humains au travail. Il offrira un nouvel argument à intégrer dans les rapports RSE ». Ce nouvel indicateur permettra également de mieux cerner les coûts cachés résultant de l’insuffisante considération des fonctions auditives sur les performances cognitives et les équilibres de santé.
Conclusion
Dans un article publié en 2024, L’Ouïe Magazine27« La question de l’audition est bien dans le scope des politiques », L’Ouïe Magazine, 14 mars 2024. évoque un progrès dans la prise de conscience par les responsables politiques de cet enjeu QVCT que représente l’audition. Or, dans les faits, les actions des employés pour protéger leurs oreilles, comme celles des employeurs en matière de prévention, demeurent discrètes malgré les conséquences négatives de la pollution sonore sur l’audition, sur la charge mentale et donc, vraisemblablement, sur la productivité. Le contexte actuel est pourtant favorable à davantage de démarches, l’intérêt pour des accompagnements santé que pourrait proposer l’employeur n’ayant jamais été aussi élevé28Ibid..
En parallèle, les transformations du travail post-Covid ont engendré de nouveaux territoires de diffusion de bruit à travers le recours croissant au flex office et au télétravail. Elles obligent à repenser la réflexion autour de la protection des oreilles. Celle-ci, loin de se limiter à la mesure du nombre de décibels, doit désormais également intégrer les changements fréquents d’environnement de travail à intervalles de temps réduits.
- 1Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.
- 2Enquêtes Ifop pour la JNA dans le cadre de la Semaine de la Santé auditive au travail.
- 3Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.
- 4Ibid.
- 5Enquête « Bruit et santé, les décibels de la discorde », Ifop pour la JNA, 2022.
- 6Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.
- 7Enquête « Bruit et santé, les décibels de la discorde », Ifop pour la JNA, 2022.
- 8Ibid.
- 9Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.
- 10Enquête « Bruit et santé, les décibels de la discorde », Ifop pour la JNA, 2022.
- 11Romain Bendavid, Sabeiha Bouchakour, « « Les absents n’ont pas toujours tort » : analyse de la progression de l’absentéisme au travail », Fondation Jean-Jaurès, 2023.
- 12Enquête « Baromètre sur l’absentéisme au travail », Ifop pour Diot Siaci, 2023.
- 13Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.
- 14Enquête « La déficience auditive comme frein à l’embauche », Ifop pour la JNA, 2017.
- 15Enquête « Être sourd ou malentendant peut-il représenter un frein à une évolution professionnelle », Ifop pour la JNA, 2016.
- 16Enquête « Baromètre de la prévoyance », Ifop pour le CTIP, 2023.
- 17Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 6 », Ifop pour la JNA, 2022.
- 18Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 6 », Ifop pour la JNA, 2022.
- 19Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 6 », Ifop pour la JNA, 2022.
- 20Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.
- 21Enquête « Les décisionnaires RH et les enjeux de santé au travail », Ifop pour Back Office Santé, 2022.
- 22Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.
- 23Insee, Tableau de bord de l’économie française, 2022.
- 24France Stratégie, « Dynamique de l’emploi et des métiers : quelle fracture territoriale ? », note d’analyse n°53, 2017.
- 25Enquête « Bruit et santé, les décibels de la discorde », Ifop pour la JNA, 2022.
- 26Enquête « Bruit, santé auditive et qualité de vie au travail, vague 7 », Ifop pour la JNA, 2023.
- 27« La question de l’audition est bien dans le scope des politiques », L’Ouïe Magazine, 14 mars 2024.
- 28Ibid.