Où en est la grande coalition (CDU/CSU-SPD), cent jours après sa mise en place par Angela Merkel qui a remporté les dernières élections de septembre 2018 en Allemagne? Gabriel Richard-Molard, docteur en droit européen, spécialiste des relations franco-allemandes, fait le point sur les difficultés rencontrées par la chancelière pour rassembler au sein de son propre camp. L’heure de la succession aurait-elle sonnée?
Le temps où l’Allemagne apparaissait être un petit noyau de stabilité politique dans l’Union européenne semble être révolu. La série à rebondissements, qui avait amené les chrétiens-démocrates (CDU) à finalement entamer à nouveau une grande coalition avec les sociaux-démocrates (SPD) et les conservateurs bavarois de la CSU, semble se diriger avec fracas vers la fin de la saison. La raison ? Un affaiblissement de la position d’Angela Merkel qui peine à rassembler son propre camp face aux défis de la question migratoire européenne et de la nouvelle coalition d’extrême droite en Europe.
Un nouveau départ pour l’Europe
Ce titre est celui du document co-signé par les partis coalisés il y a maintenant un peu plus de trois mois. Le contrat de coalition, celui-là même qui avait fait l’objet de débats passionnés et d’un vote finalement très consensuel au sein du SPD, n’arrive pas à porter l’action du gouvernement d’Angela Merkel tant les forces centrifuges sont grandes au sein de son équipe.
Au sein du Parti social-démocrate, la déception a un air de déjà-vu. Malgré la concrétisation rapide de plusieurs points du contrat de coalition (particulièrement la loi sur les Class Action, la loi sur les droits des locataires, la loi sur l’amélioration des institutions de la petite enfance, la loi sur le retour des mères à l’emploi), le SPD continue de dévisser dans les sondages (19%) et n’arrive pas à profiter de ce que ses ministres ont d’ores-et-déjà pu mettre en place. Pour beaucoup au sein du parti, c’est la réalisation de la prophétie funeste de ceux qui s’étaient opposés en fin d’année 2017 à un retour à une coalition avec la droite. Pire encore, le très orthodoxe ministre des Finances (pourtant social-démocrate), l’hambourgeois Olaf Scholz, semble aller dans le sens de ce que son prédécesseur Wolfgang Schäuble avait mis en place, à savoir, une politique austéritaire pour l’Europe et pour l’Allemagne.
La chancelière en « téflon » accroche
Pour rester plus de treize années au pouvoir, certains commentateurs politiques ont surnommé la chancelière Merkel, « chancelière en téflon », tant son habilité à laisser glisser les coups semblait grande. À un peu plus de cinq mois de l’élection régionale de Bavière (14 octobre prochain), la magie semble pourtant ne plus opérer. Pour comprendre la logique de ces dissensions gouvernementales, il faut saisir la situation bavaroise et la remettre dans le contexte européen de montée des partis d’extrême droite. Deux hommes sont ici importants : Horst Seehofer, ancien ministre-président de Bavière, aujourd’hui ministre fédéral de « l’Intérieur, à la Construction et de la Patrie » (sic), et Markus Söder, l’actuel ministre-président de Bavière. Les deux hommes sont membres de la CSU, partenaire conservateur de la CDU en Bavière. Les élections législatives de septembre dernier ont considérablement fragilisé la base électorale de la CSU qui lui a préféré pour partie l’AfD, parti d’extrême droite anti-euro et anti-migration. Afin d’éviter un fiasco électoral en octobre prochain, les deux hommes misent donc sur un durcissement de la politique migratoire allemande en refusant notamment la mobilité des migrants au sein de l’espace Schengen, c’est-à-dire concrètement en demandant de renvoyer les migrants dans leur pays d’enregistrement. Horst Seehofer, qui aurait déclaré plus ou moins publiquement qu’il « ne pouvait plus travailler avec cette femme » en parlant d’Angela Merkel, se voit conforté par ce que Sebastian Kurz, le nouveau chancelier autrichien, appelle sans facétie « l’axe Rome-Vienne-Berlin » pour lutter contre l’immigration illégale.
Dans ce contexte, Angela Merkel ne se débat pas uniquement pour contenir Horst Seehofer qu’elle a publiquement désavoué dans un premier temps, mais aussi pour sauver sa coalition gouvernementale et surtout son héritage politique car de nombreuses voix commencent déjà à s’élever au sein de la CDU pour remettre en question sa décision de 2015 d’ouvrir les frontières aux réfugiés. Ils l’accusent en outre d’être à l’origine de la montée des populismes et de l’islamisme en Allemagne. Du lien entre politique austéritaire et montée des mouvements d’extrême droite européen, il n’en est naturellement pas question, l’ordo-libéralisme économique restant l’alpha et l’oméga des droites allemandes.
Pour qui sonne le glas
Si le bateau Merkel est pris dans la tourmente, ses alliés sont plus nombreux que pour accueillir l’Aquarius. La déclaration franco-allemande de Meseberg, où Emmanuel Macron fait profiter la chancelière de sa popularité en Allemagne, est avant tout un échange de bons procédés entre les deux chefs d’État ; le président français offrant son soutien à la politique migratoire de la chancelière pour en retour obtenir un accord non chiffré et très putatif sur le budget de la zone euro que les Allemands ont toujours refusé. De la même manière, devant le refus de Donald Tusk de bien vouloir présider un sommet européen extraordinaire sur la migration, c’est Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, qui a proposé à la chancelière de se réunir le 24 juin et de tenter de diriger le frêle esquif européen entre les nombreux récifs que forment les gouvernements extrémistes en Europe, qu’ils soient italiens ou autrichiens.
Si autant soutiennent la chancelière, c’est certainement pour se prémunir de la situation qui pourrait résulter de son retrait. Le SPD et la gauche allemande de manière générale ne seraient pas en mesure aujourd’hui de constituer une coalition, que cela soit dans le cadre d’un gouvernement minoritaire ou dans celui de nouvelles élections. Deuxièmement, une motion de défiance constructive n’aurait de chance d’aboutir qu’à partir du moment où une autre coalition pourrait proposer un autre candidat à la chancellerie. Cela semble improbable car cela suppose que celle ou celui qui pourrait remplacer Angela Merkel bénéficie du soutien de la CDU et de la CSU mais également dans une certaine mesure soit du FDP (libéraux), soit du SPD. Si les conservateurs bavarois décident de continuer le bras de fer avec la chancelière, cela signifiera vraisemblablement à terme de nouvelles élections législatives.
Le sursaut démocratique viendra-t-il dans ce cas de la gauche allemande, unie dans une union large après de nouvelles élections législatives ? Si cela est souhaitable et peut-être concevable au vu des critiques convergentes du Parti de gauche, des écologistes et de certains sociaux-démocrates (par exemple sur le fait que la Bundesbank se voit enrichie de plus de 2,9 milliards d’euros sur la période 2010-2018 sur les intérêts de la dette grecque), faudrait-il encore que celle-ci soit capable, sans pour elle avoir le luxe de gouverner, de faire taire ses désunions et d’envisager un programme commun. C’est là, somme toute, l’équation fondamentale des gauches européennes à l’aube de l’année électorale de 2019 : se résoudre à l’union ou risquer leur totale annihilation du champ politique.