L’entreprise contre la pauvreté

L’économie sociale et l’entrepreneuriat solidaire apparaissent de plus en plus comme les porteurs possibles de réponses innovantes face à la crise. En cherchant à réinventer son rôle social et à se faire un nouvel acteur du développement durable, l’entreprise peut-elle s’épanouir dans une nouvelle mission ?

L’économie sociale et solidaire est une thématique ancienne en France. Née au XIXème siècle en réaction aux bouleversements engendrés par la révolution industrielle, elle connaît depuis une dizaine d’années un véritable renouveau qui témoigne du souci de domestiquer la mondialisation financière sans pour autant récuser l’économie de marché. Les populations pauvres constituent ainsi un public de plus en plus pris en compte par les multinationales, avec l’idée qu’en considérant les populations pauvres comme de futurs consommateurs, les entreprises trouvent un nouveau marché tout en contribuant intelligemment au développement.
Cet intérêt des multinationales peut à la fois susciter la méfiance, en tant que le secteur privé peut parfois apparaître comme le responsable de la pauvreté, ou l’optimisme, en tant qu’il s’agit de développer des mécanismes économiques susceptibles de réduire la pauvreté. Quelle peut-être la contribution réelle de l’entreprise dans cette lutte contre la pauvreté ? L’intérêt peut-il rejoindre ici la vertu ? Cet essai vise à analyser les contributions possibles de l’entreprise à cette lutte en évitant manichéisme et naïveté.
D’abord, il est clair que la légitimité des grandes entreprises à lutter contre la pauvreté n’est pas unanimement acceptée, loin s’en faut. Il importe pour cela de s’efforcer de déterminer des conditions de légitimité de l’entreprise sur ces sujets.
Une question de cohérence se pose en premier lieu : un impact social potentiellement négatif de l’action de l’entreprise apparaît comme clairement contradictoire avec ses ambitions sociales. La première règle doit donc être : d’abord, de ne pas nuire. Mais cette idée d’une incohérence ou contradiction même partielle ne doit pas laisser place à la paralysie dans la mesure où l’entreprise ne peut probablement mener cette lutte que de façon d’abord incomplète et progressive.
En outre, le problème de la pauvreté n’étant pas réductible à une logique monétaire, cette lutte est d’abord un processus social et politique dans lequel l’entreprise ne saurait agir seule. Son action doit se faire en partenariat avec les pouvoirs publics, notamment locaux. La légitimité d’une action sociale de l’entreprise passe en effet par l’ancrage dans les territoires, à rebours du mouvement de déterritorialisation de nos économies ouvert par la mondialisation. On comprend donc que l’entreprise n’est pas légitime en soi dans cette lutte mais dans un processus graduel et continu de légitimation.
Mais quel est l’intérêt de l’entreprise à participer à la lutte contre la pauvreté ? L’entreprise est en un sens contrainte de développer d’abord une vision instrumentale de cette implication démontrant l’intérêt des actionnaires dans ce processus. Et l’augmentation des ventes (par la découverte de nouveaux marchés inexploités) est bel et bien l’une des raisons de cette implication. L’objectif est en ce sens de vendre jusqu’au « bas de la pyramide » (Base of Pyramid).
Mais ces approches de marché permettent aussi de dessiner des chemins novateurs ; les pays émergents constituent en ce sens de véritables laboratoires d’innovation à l’échelle globale. Les solutions de marché peuvent aussi apparaître comme un moyen de réconcilier utilité sociale et compétence, en ce que les salariés ont alors le sentiment d’apporter leur expertise au service d’une cause reconnue comme essentielle. Enfin, cette implication des entreprises ouvre un débat plus large et plus ambitieux sur le rôle des entreprises dans le monde de demain, quel qu’en soit le retour sur investissement à court ou moyen terme.
Dans cette démarche, l’entreprise peut aussi inventer de nouvelles offres plus accessibles. En matière de pauvreté, le paradoxe est profondément cruel : les populations pauvres paient leurs services et leurs biens plus cher que les populations plus riches. Dans les pays émergents, l’enjeu pour l’entreprise consiste donc à proposer des offres à des prix accessibles aux populations pauvres selon un rapport qualité-prix supérieur à celui existant.
Les stratégies de marché qu’il semble judicieux de mettre en œuvre sont des stratégies coopératives dans lesquelles l’entreprise peut apporter, aux côtés d’acteurs spécialisés, sa valeur ajoutée spécifique. Cela signifie que, dans les pays développés comme dans les pays émergents, les acteurs sociaux s’imposent comme un passage obligé des stratégies de lutte contre la précarité. En matière de définition du modèle, d’identification des populations cibles, de distribution, de sensibilisation et de communication, des mécanismes de coopération sont en effet indispensables.
Il convient enfin de définir des instruments de mesure de l’efficacité des politiques menées. La première évaluation est celle de l’impact des stratégies menées sur la situation des populations elles-mêmes, évaluation indispensable à la création et au maintien d’un système vertueux. L’évaluation de la performance sociétale apparaît quant à elle indispensable pour l’entreprise, en ce que l’effort des entreprises ne sera durable que s’il s’inscrit dans une forme de performance. Enfin, il est nécessaire de pouvoir mesurer « l’empreinte pauvreté », et ce pour le bien de l’ensemble des parties prenantes.

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