Le périple de l’exilé Guesde en Suisse (1871-1872)

Le 18 mars 1871, une émeute à Paris marque le début de la Commune de Paris. Le jeune journaliste Jules Guesde vit les jours qui suivent à Montpellier où il rédige des articles favorables aux événements. Anticipant sa condamnation après la « semaine sanglante », il part en exil en Suisse. En 2022, la Fondation Jean-Jaurès a mis au jour un bel ensemble de documents d’archives inédits de Jules Guesde, parmi lesquels une riche correspondance privée exploitée ici par l’historien Maxime Surman pour décrypter les premiers temps de cet exil.

Entre août 1870 et mai 1871, diverses formes de « tressaillements1Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, Maspero, 1968, p. 170. » socialisants gagnent les villes de Lyon, Marseille, Grenoble, Bordeaux, Toulouse, Besançon, Nantes, Vierzon, Tours, Limoges, Mâcon, Rouen, Thiers, Saint-Étienne, Nîmes, Le Creusot, Auch, Narbonne, Tarbes, Mazamet, Montpellier, Alger, etc. Qui dit agitation socialisante dit, après l’insurrection parisienne de la Commune, une vague de répression par la nouvelle République. La ville de Montpellier, préfecture de l’Hérault, n’y échappe pas. Même si aucun coup de feu ne semble y avoir été tiré, entre janvier et mai 1871, la ville est parcourue par une agitation républicaine radicale à laquelle participe le jeune journaliste et orateur Jules Bazile, dit Guesde2Francis Arzalier, « Guesde à Montpellier en 1869-1871 », in Gilles Candar, Jean-Numa Ducange et Jean-Louis Robert (dir.), Jules Guesde aujourd’hui, publication de la SFHPO, n°1, 2023, pp. 3-12 accessible en ligne (consulté le 8 novembre 2023) ; Jean-Numa Ducange, Jules Guesde, l’anti-Jaurès ?, Paris, Armand Colin, 2017, pp. 19-21.. Cet engagement lui vaut d’être condamné le 22 juin 1871 à cinq ans de prison et 4 000 francs d’amende pour avoir attaqué et offensé l’Assemblée nationale, avoir attaqué la souveraineté du peuple, avoir incité à la haine et au mépris du gouvernement, avoir fait l’apologie de faits qualifiés de crimes, son incitation à la guerre civile, etc.3Francis Arzalier, « Guesde à Montpellier en 1869-1871 », art. cit. ; Jean-Numa Ducange, Jules Guesde, l’anti-Jaurès ?, op. cit., pp. 21-22.. Mais, comme 5 000 à 6 000 communeux4Nous reprenons ici la distinction soulignée par Ludivine Bantigny entre les termes de « communards », nommés ainsi par leurs ennemis, et « communeux », qualificatif que certains d’entre eux se sont donné. Ludivine Bantigny, La Commune au présent. Une correspondance par-delà le temps, Paris, La Découverte, 2021., Guesde choisit le chemin de l’exil plutôt que les geôles républicaines, avec l’espoir de voir un jour proclamée une amnistie5Lettre de Charpe (?) à Guesde envoyée de Montpellier et datée du 11 juillet 1871, 26FP_22_043. Il s’agit peut-être d’une lettre de Paul Brousse destinée à Guesde. Brousse utiliserait alors un pseudonyme par crainte que la police n’ouvre son courrier. Il est alors proche de Guesde. ou avec l’idée d’attendre cinq ans, délai de sa prescription de peine6Sur les exilés de la Commune en Suisse, voir Sylvie Aprile, Le Siècle des exilés. Bannis et proscrits de 1789 à la Commune, Paris, CNRS Éditions, 2010 ; François Gaudin, L’Exil des communards. Lettres inédites (1872-1879), Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2021 ; Laure Gobineau, « Le retour d’exil, un nouvel exil ? Le cas des communards », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 67, 2002 ; id., « L’exil des vaincus », in Michel Cordillot, La Commune de Paris. Les acteurs, l’événement, les lieux, Paris, Éditions de l’Atelier, 2021 ; Marc Vuilleumier, « Sur quelques proscrits de la Commune », Le Mouvement social, n°44, 1er juillet 1963, pp. 63-82 ; id., « Les proscrits de la Commune en Suisse », Revue d’histoire suisse, n°12, 1962, pp. 498-537..

L’historien peut suivre sa trajectoire d’exilé par les récits d’autres réfugiés et par leurs archives7Lucien Descaves, Philémon. Vieux de la Vieille, Paris, Éditions G. Crès et Cie, 1913 ; James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, présentation de Marc Vuilleumier, Paris, Éditions Gérard Lebovici, 1985., ainsi que grâce aux documents qu’il a laissés8Les archives de Jules Guesde connues à ce jour sont réparties entre trois principaux fonds d’archives : l’International Institute of Social History d’Amsterdam ; le fonds Adéodat Compère-Morel à l’Humathèque Condorcet ; le fonds conservé par une branche de la famille Guesde, qui a accepté sa numérisation par la Fondation Jean-Jaurès.. La redécouverte d’une partie de son fonds personnel, conservé dans une branche de sa famille et numérisé par la Fondation Jean-Jaurès, vient éclaircir des zones d’ombre sur cette période charnière dans son cheminement vers le socialisme et le marxisme. Si ce fonds est composé principalement de correspondances entre Guesde et d’autres socialistes du mouvement guesdiste, la période 1871-1873 contient une importante correspondance avec ses parents restés en France, correspondance que nous allons mobiliser pour étudier sa trajectoire d’exilé.

Recevez chaque semaine toutes nos analyses dans votre boîte mail

Abonnez-vous

De l’Hérault à Lyon

La décision de Guesde de partir en Suisse intervient avant sa condamnation du 22 juin 1871, et d’après ses propres mots elle fut le fait « d’un concours de circonstances tout particulier9Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027. » et participe d’une « odyssée10Ibid. ». Le récit de son voyage est conté dans une lettre que sa mère, Éléonore Bazile11Guesde de son nom de jeune fille., envoie à son mari depuis Genève entre février et mars 1871. Cette lettre comprend deux écritures. La première partie est rédigée par Éléonore Bazile, et précise bien que cette lettre n’est pas politique en soulignant qu’« il ne […] parle pas de marxisme12Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027. ». La seconde, à la calligraphie caractéristique rendue vacillante par la maladie, est le fait de Guesde. Celui-ci est alors atteint par l’un de ces très nombreux épisodes de « fluxion de poitrine »13Adéodat Compère-Morel, Jules Guesde. Le Socialisme fait homme, Paris, Aristide Quillet, 1937, p. 86..

Jules amorce son récit par une tentative d’exil n’ayant pas abouti. Celle-ci a lieu dans le port de Cette (Sète depuis 1927), non loin de Montpellier, vers la mi-juin 1871. Il est décidé que Guesde, proche du maire de cette ville portuaire lui-même sympathisant du radicalisme républicain, doit monter sur un navire en mer en partance pour Barcelone ou Gênes puis Rome14Lettre de Jules Guesde à sa mère, datée de juin 1871, 26FP_24_001 ; Mario Comby, « Le port de Cette », Annales de géographie, n°168, 1921, pp. 46-47.. Mais le vent n’est pas favorable au départ du bateau, et deux jours passent. Cependant, le récit de Guesde omet de mentionner que le vent n’est pas l’unique raison le poussant à rester à quai. Dans une autre lettre adressée à sa mère, il indique que le bateau part le lendemain sans lui parce qu’il ne possède pas le bon passeport15Lettre de Jules Guesde à sa mère, datée de juin 1871, 26FP_24_001. Elle semble montrer qu’il y aurait alors des désaccords entre Guesde et son père. Celui-ci n’est alors pas informé des actions de son fils, alors que sa mère l’est. Pour quelle raison sinon aurait-il demandé des précisions sur son exil dans une autre lettre ? et que le capitaine a pour ce motif refusé de le laisser embarquer afin de respecter la loi. En effet, depuis le 1er août 1870, le passeport vers l’extérieur est indispensable pour quitter le territoire, et ce, jusqu’au 20 avril 187216Renaud Morieux, « La prison de l’exil. Les réfugiés de la Commune entre les polices françaises et anglaises (1871-1880) », in Marie-Claude Blanc-Chaléard, Caroline Douki, Nicole Dyonet et Vincent Milliot (dir.), Police et migrants : France 1667-1939, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001, pp. 133-150..

Guesde raconte ensuite l’ingénieux stratagème auquel il a recouru face à cet échec. Sachant sa condamnation imminente, sous prétexte d’aller régler des affaires de famille, il demande un passeport pour Paris au commissariat de Cette. D’après lui, cela lui permet de brouiller les pistes et d’éviter une arrestation préventive. Muni du document, il quitte alors immédiatement Montpellier par le train de huit heures du soir pour Lyon « sans malle17Lettre de sa mère et de Jules Guesde à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027. » et avec un peu plus de « deux cent cinquante francs18Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027. » d’économies. Il laisse également un article à faire paraître dans son journal Les Droits de l’Homme pour masquer son départ. Sur l’initiative d’« un bon ami », le docteur Fuster19Nous ne savons rien de plus sur lui. de Montpellier, il a obtenu un billet de recommandation pour le maire de Lyon, le républicain radicalisant Jacques-Louis Hénon20Adéodat Compère-Morel, Jules Guesde. Le Socialisme fait homme 1845-1922, op. cit., pp. 77-91.. Ne pouvant lui octroyer un passeport vers l’étranger, celui-ci appose un cachet de la préfecture sur son document de voyage pour une ville française sur les bords du lac de Genève. Cachet, qui d’après Guesde, « lui donnait une apparence de passeport pour l’étranger. Mais cette apparence suffirait-elle ? » Comme l’écrit le communeux Maxime Vuillaume dans son récit autobiographique, l’exil n’est pas une entreprise solitaire :
« Comment partir, quitter Paris, la France, gagner la frontière. Quelle frontière ? Londres ? Bruxelles, Genève ? Par où ? Avec quel passeport ? Nul ne peut voyager en chemin de fer, coucher à l’hôtel, marcher sur les routes sans passeport. Cet indispensable passeport, on ne peut le demander qu’à une personne amie, qui consente à prêter son nom, son identité, donc à se compromettre un peu si jamais la malchance voulait que le stratagème fût découvert21Maxime Vuillaume, « Mes Cahiers rouges au temps de la Commune », in Les Cahiers de la quinzaine, cahier VI, p. 292. Cité dans Sylvie Aprile, Le Siècle des exilés, op. cit., p. 257. ».

C’est alors que Guesde « prit bravement à la gare de Perrache un billet pour Genève22Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027. ». Le réseau des républicains radicaux du Midi lui fit ainsi prendre le chemin de la Rome protestante, dans laquelle de nombreux communeux s’étaient réfugiés depuis la tentative d’insurrection de Lyon en mars 187123Marc Vuilleumier, « Les proscrits de la Commune en Suisse », art. cit..

De Lyon à Genève, le passage de la frontière franco-suisse

Le trajet se fait sans encombre jusqu’au contrôle au niveau du poste-frontière de Bellegarde, avant le tunnel marquant la frontière entre la France et la Suisse. Guesde rapporte qu’il ne dut le succès de son entreprise qu’à l’ignorance en géographie du premier gendarme qui le contrôla, et à un peu de chance :
« C’est un brigadier de gendarmerie qui se présente et qui [s’aperçoit] que mon passeport n’est valable que pour l’intérieur. Comment ! Pour l’intérieur ! Mais comment pouvez-vous ignorer que [nom illisible] est une ville du Jura et porter des galons ? Sur ces grands troubles, dudit brigadier qui s’excuse tout étonné de mon aplomb24Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027. ».

Guesde montre alors à son père l’incompétence du représentant de la nouvelle République, qui « était un homme sérieux, ayant fait ses classes25Ibid. », certainement un commissaire général des chemins de fer. Cependant, il n’est pas au bout de ses peines. Un second officier vient contrôler son document. Et, alors que Guesde se voit déjà aller de brigade en brigade et être reconduit jusqu’à la cour d’assises et à la « justice rurale26Surnom qu’il donne à la justice de la nouvelle République française. » :
« L’individu qui le remplaça était […] un des nôtres, un proscrit de 1851, nommé à ce poste sous Gambetta. Il se contenta de sourire lorsque j’essayai de lui expliquer que j’avais pris comme beaucoup plus courte, la ligne de Genève pour me rendre à [Illisible] [] et une demi-heure après j’étais en territoire suisse27Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027. ».

Concernant ces éléments de narration, invérifiables, l’historien doit rappeler qu’à ce moment-là, les polices françaises sont en partie désorganisées par les différents événements. Désorganisation amplifiée par l’entremêlement composé des forces de police municipale, de la police des douanes, des commissaires spéciaux de la police des chemins de fer et de l’armée chargée des contrôles28Renaud Morieux, « La prison de l’exil. Les réfugiés de la Commune entre les polices françaises et anglaises (1871-1880) », art. cit.. En outre, à une époque où les « voyageurs circulent plus vite que leurs papiers29Gérard Noiriel, « Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l’histoire du passeport en France de la Ire à la IIIe République », Genèses, n° 30, 1988, p. 96. », il n’existe pas de fichier fiable d’identification. Or, les communeux ont développé une culture du passage de frontière en plus de celle de la fabrication de « faux passeports » dont Guesde a peut-être profité. Il est recommandé aux candidats à l’exil, dans les réseaux d’exil anglais, d’interpeller spontanément les agents pour témoigner de leur bonne foi, même en l’absence de document, d’être bien vêtus, de prendre un billet de première classe. L’habit cache alors le communeux30Renaud Morieux, « La prison de l’exil. Les réfugiés de la Commune entre les polices françaises et anglaises (1871-1880) », art. cit., d’autant plus lorsque celui-ci est aidé par les fonctionnaires chargés de l’appréhender31Marc Vuilleumier, « Les proscrits de la Commune en Suisse », art. cit. ; Benoît Vaillot, L’Invention d’une frontière. Entre France et Allemagne, 1871-1914, Paris, CNRS éditions, 2023..

Guesde arrive en territoire suisse à neuf heures du soir le 17 juin, et serait alors descendu à l’hôtel des Berges32Adéodat Compère-Morel, Jules Guesde, op. cit., p. 77. à Genève. Sur les ressources monétaires alors à sa disposition et son installation, nous ne savons rien de plus. Sa correspondance familiale ne fait pas mention des différentes sociétés d’aide aux exilés de Genève, telles L’Égalité ou la Marmite sociale33Lucien Descaves, Philémon. Vieux de la Vieille, op. cit., p. 22.. Mais une convocation à la réunion générale de L’Égalité. Société des proscrits républicains en Suisse datée du 14 octobre 1871 atteste de sa fréquentation de l’un de ces cercles d’assistance aux exilés34Convocation datée du 14 octobre 1871, 26FP_22_158.. Quoi qu’il en soit, la première chose qu’il fait à son arrivée est d’écrire à sa mère. Dans cette lettre, il se justifie d’être parti en Suisse en montrant qu’il y était obligé, pour trouver « un abri contre les rigueurs des parquets de M. Thiers », et dit aspirer à rapidement poursuivre son œuvre de presse, avec un nouveau titre qu’il souhaite fonder : La République universelle35Guesde envisageait déjà de lancer ce titre en France début juin 1871, comme l’atteste une lettre d’Urbain Rossignol datée du 6 juin 1871., journal pour lequel il se lance à la recherche de partenaires tout en proposant ses services à des journaux radicaux français en tant que que correspondant. Enfin, après avoir rappelé son amour à sa mère, il signe Jules Guesde, nom qu’il souligne de trois traits de plume.

Il rompt ainsi dans le cadre familial avec le nom de son père, Bazile, et affirme le fait de choisir son nom de plume, qui est celui de sa mère36Lettre de Jules Guesde à sa mère, supposée dater du 21 juin 1871, 26FP_26_104., comme patronyme.

Le devenir des objets personnels d’un exilé

Mais une fois en Suisse, Guesde ne dispose pas de tous ses effets personnels. Car en plus de voyager seul, même s’il fut guidé, il voyage léger. C’est avec l’un de ses anciens collaborateurs resté à Montpellier qu’il s’accorde sur l’expédition d’une « malle » contenant ses affaires. À cette occasion, celui-ci lui transmet sa correspondance, dont les lettres d’une femme37Lettre d’une personne non identifiée adressée à Jules Guesde, datée de juin-juillet 1871, 26FP_22_034.. Sans donner le contenu détaillé de la malle, que Guesde avait préparée avant son départ, son correspondant insiste surtout sur le « petit arsenal » composé d’au moins un fusil et un revolver38Ibid., avec la facture du maître d’armes qui vient tout juste de les vérifier. Cet arsenal a peut-être pour origine la proximité avec une troupe armée de Montpellier destinée à partir combattre en guerre contre la Prusse ou à soutenir l’insurrection de Paris39Lettre d’une personne non identifiée à Jules Guesde, datée de juin 1871, 26FP_22_037.. À cette première malle, le témoignage de son biographe Adéodat Compère-Morel en ajoute une seconde. Celle-ci n’a pas été expédiée en Suisse, mais est restée cachée chez la mère d’Hector Amadou à Gignac dans l’Hérault40Adéodat Compère-Morel, Jules Guesde, op. cit., p. 106.. Contenant vraisemblablement une partie des archives du journaliste, cette malle fut vendue par la mère d’Hector Amadou avec sa maison. Compère-Morel ajoute que Guesde, par l’intermédiaire de tiers, a récupéré en 1875 ou 1876 certains documents lui permettant de justifier de la prescription de sa peine auprès de la justice française.

Une petite patrie montpelliéraine sur les rives du lac de Genève

Si en juin 1871 Guesde prit le chemin de la Suisse seul, il fut rapidement rejoint par des proches. Une lettre évoquant le trajet de la malle contient une curieuse information41Lettre d’une personne non identifiée à Guesde, datée de juin-juillet 1871, 26FP_22_043.. Il y est fait mention d’une certaine Mme C., que Guesde aurait rencontrée dans les salons du professeur Fuster à Montpellier :
« J’ai eu l’occasion de voir Mme C chez M. F, nous avons causé longuement de vous. Elle m’a dit qu’elle allait très probablement s’établir en Suisse prochainement. Je m’en félicite, car vous méritez d’être heureux et elle pourra vous rendre tel42Ibid. ».

Dans une autre lettre, son correspondant mentionne que « la dame est en route pour [le] rejoindre ». De cette dame, nous savons encore qu’elle partageait les idées de Guesde et qu’elle serait de noble famille notoirement conservatrice à Montpellier43Ibid.. Malheureusement, il n’est pas possible de connaître son identité exacte, ni de savoir si Guesde et elle se fréquentent ultérieurement.

Cette dame ne fut pas la seule à faire le trajet depuis Montpellier. Guesde fut rejoint par ses amis Hector Amadou44Voir la notice « Amadou Hector [Jean, Antoine, Hector] » en ligne dans Le Maitron, version mise en ligne le 12 octobre 2018, dernière modification le 26 septembre 2022. et Goubert, le gérant des Droits de l’Homme, au mois de juillet ou d’août 1871. Goubert avait été lieutenant d’état-major lors de la campagne des Vosges sous les ordres de Garibaldi. Il avait participé à l’agitation radicale en faveur de Paris et de la Commune à Montpellier. Lui aussi partit pour Genève avec sa femme et ses enfants avant sa condamnation du 22 juin 187145Lettre de Jules Guesde à son père, 26FP_26_065. Nous ne savons rien de plus sur cet homme.. « Hector » (Amadou) est celui que Guesde évoque le plus dans sa correspondance. Né à Gignac dans l’Hérault en 1843, il s’était installé à Genève avec ses parents vers 1863. Il y exerçait la profession de négociant, ce qui lui avait permis de maîtriser l’italien et l’allemand. Après son mariage en 1866, il était reparti à Montpellier, qu’il connaissait donc bien. Là, il fut amené à fréquenter Guesde et à le suivre en Suisse dans des circonstances encore inconnues. Rien n’indique que son épouse l’ait suivi dans son périple.

En février 1872, le porteur d’une recommandation, le « citoyen Martinet » de Nîmes, alla trouver Guesde en Suisse46Il pourrait s’agir de Pierre Martinet, bien connu de la justice à Nîmes pour avoir participé à plusieurs manifestations en faveur de la Commune et de la République. Voir la notice en ligne Martinet Pierre, Paul, Désiré [dit Pol] [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche dans Le Maitron, version mise en ligne le 8 mars 2014, dernière modification le 30 novembre 2022.. Il venait de la part « des anciens membres du Cercle. Des amis sincères de la République47Jules Guesde était en contact avec ce cercle depuis janvier 1871. Lettre du cercle de Nîmes à Jules Guesde, datée du 25 février 1871. 26FP_22_030. » :
« Il a souffert pour la bonne cause et se rend à Genève parce qu’il ne sait point assez maîtriser les sentiments indignés qu’il éprouve en présence de l’affaiblissement moral de la France qui est assez avilie pour permettre que ses enfants les plus généreux (parmi lesquels nous vous mettons au premier rang) vivent en exil48Lettre du cercle de Nîmes, datée du 24 février 1872, 26FP_22_156. ».

La conservation de ce document atteste de sa remise à son destinataire. Mais du « citoyen Martinet » et de l’aide que Guesde lui aurait apportée, nous n’avons aucune trace.

Ainsi, après avoir bénéficié des réseaux d’exilés et en avoir fait profiter des proches, Guesde devient un contact pour les candidats du « Midi rouge » à l’exil. Ces quatre trajectoires biographiques de Guesde, Amadou, Goubert et Martinet correspondent à celles de nombreux communeux qui, après leur départ en exil, sont rejoints par leur famille et/ou des proches. Par ailleurs, cela permet de rappeler que cette expérience d’éloignement contraint est alors une expérience collective et plurielle. Pour Guesde, elle est double. D’une part, il conserve un lien avec sa famille et certains de ses amis restés en France. Ceux-ci suivent son quotidien à distance tout en apportant un soutien émotionnel indispensable. Guesde leur fait vivre son exil. D’autre part, Guesde subit cet exil avec Goubert49Celui-ci n’est plus mentionné par la suite dans la correspondance de Guesde. et Amadou, notamment lors des premiers temps, qui s’avèrent difficiles50Comme pour de nombreux communeux français en exil en Suisse. Voir Lucien Descaves, Philémon. Vieux de la Vieille, op. cit..

Des premiers mois marqués par le désespoir

Deux lettres montrent à quel point les premiers mois de Guesde et Amadou à Genève furent difficiles, même si Guesde tentait de se montrer rassurant. La première est écrite le 1er août 1871 et destinée au père « et ami51Lettre de Jules Guesde à son père, datée du 1er août 1871, 26FP_26_100. » de Guesde :
« Tu ne peux croire quel bien m’a fait ta lettre. J’étais désespéré, prêt à toutes les folies et elle m’a rendu l’espoir et le courage. Merci, merci [illisible], merci52Ibid. ».

Difficile de savoir ce qu’a écrit son père, mais la lettre de ce dernier remonte le moral de Guesde en étant accompagnée d’un mandat postal lui permettant de retirer de l’argent. Ce qui témoigne du lien que son père souhaitait conserver avec lui malgré leurs différends politiques, même si Guesde regrette les opinions politiques de sa mère, qui parle des communeux « comme quelqu’un qui ne les a vus qu’à travers les calomnies de Versailles53Ibid. Opinion de sa mère qui a peut-être encouragé Guesde à se justifier en composant son Livre rouge de la justice rurale. ». Puis, pour rassurer son père, il dit avoir trouvé une chambre de bonne à Genève à quelques mètres de l’octroi et explique qu’« un ami », pour cinquante francs environ, le recevra à sa table le midi et le soir. Il annonce aussi que la « démocratie du Gard »54Lettre de Jules Guesde à son père, datée du 1er août 1871, 26FP_26_100., les radicaux républicains de l’Hérault, est sur le point de lui verser près de 3 800 francs55Il ne sera plus fait mention de cette importante somme d’argent par la suite, mais il semble que la brouille de Guesde avec ses amis radicaux suisses soit en partie liée à une question financière. pour fonder un nouveau journal. Le premier numéro aurait dû paraître le 20 juillet 1871 sous le nom de République universelle.

Une seconde lettre datée du 22 août 1871, destinée à sa mère, complète ce tableau des premiers mois. Guesde tente de la rassurer. Hector Amadou cherche un emploi de représentant de commerce à Genève et dans d’autres villes suisses pour une grande fabrique de tissus anglaise, tandis que Guesde a écrit à un ami à la Martinique pour être chargé de commerce en « cafés et des sucres56Lettre datée du 22 août 1871, 26FP_26_094. ». Mais, pour Guesde, ce projet ne semble pas avoir abouti et l’argent manque.

Pour ne rien arranger, le contexte politique suisse s’est tendu. Le canton de Genève est alors traversé par deux querelles politiques et sociales qui questionnent l’identité collective du territoire. Le Kulturkampf (1871-1874)57Franz Xavier Bischof, « Kulturkampf », in Dictionnaire historique de la Suisse, 6 novembre 2008, en ligne (consulté le 20 février 2024). oppose les protestants, les catholiques ultramontains et les catholiques libéraux, mettant au centre des débats l’héritage religieux de la Rome protestante. De plus, le 17 juillet 1871, sur demande du consul français de Genève, l’ancien commandant de l’École militaire sous la Commune de Paris, Eugène Razoua, est arrêté par la police suisse. Rien n’indique que Guesde se cache. Cependant, il demande à sa mère de bien vouloir comprendre la longue interruption de ses lettres invoquant le fait qu’il est entouré d’« ennemis de toute espèce58Lettre datée du 22 août 1871, 26FP_26_094. ». Une autre lettre, d’une personne non identifiée, supposément adressée à Jules Guesde, permet de saisir le climat de sa proscription genevoise :
« Cinq minutes après votre sortie de chez moi, j’ai vu l’un de mes amis d’ici, et aussi l’un de vos amis, qui m’a conseillé de leur écrire de quitter le canton de Genève où il sait [Illisible]… milieux de la police française, et de se réfugier dans les cantons de l’intérieur où il n’y a absolument rien à craindre. Veuillez leur donner cet avis le plus tôt possible et me rappeler à leurs bons souvenirs59Lettre d’une personne non identifiée, adressée supposément à Jules Guesde, 25 juillet 1871, 26_FP_22_021. ».

Difficile d’en déduire si Guesde décida alors de se cacher de la police suisse dans son refuge, car ce conseil ne le mentionne pas explicitement. Mais, s’il existe des lettres que Guesde a conservées pour les mois de juin, de juillet et de septembre 1871, nous n’en avons pas pour le mois d’août avant le 22, alors que la situation devenait plus favorable aux proscrits. Le 30 août, jour de la libération de Razoua, les exilés français peuvent de nouveau respirer60Lettre de Johann Philipp Becker à Friedrich A. Sorge, 31 août 1871, Correspondances Fr. Engels et K. Marx et divers, publié par F. A. Sorge, t. 1, Paris, 1950, p. 42. et la correspondance de Guesde reprend, même si les proscrits restent étroitement surveillés par les autorités consulaires françaises et la police suisse.

Par ailleurs, Guesde affirme dans sa lettre à sa mère du 22 août que, désormais, il se refuse à fréquenter ses nouveaux « amis », les radicaux suisses, affirmant : « Je suis seul aujourd’hui et décidé à rester seul. » L’interprétation de ce passage est délicate, tant les informations sur ces personnes y sont maigres. Est-il ici question d’une dispute avec ses associés radicaux suisses, qui ne se seraient pas investis dans son projet de journal comme il l’entendait ? Car Guesde se heurte à plusieurs réticences chez eux. L’un d’eux61Nous ne sommes pas parvenu à l’identifier., qui lui écrit de Neuchâtel, exprime un sérieux doute sur sa ligne éditoriale :
« N’aurait-il pas mieux valu l’appeler : Journal Universel, Écho de l’Univers, ou Progrès Universel ; car dans la position actuelle de l’Europe, un journal d’avenir doit être ouvert à toutes les opinions, à toutes les idées à tous les hommes. Si nous arborons un drapeau spécial, nous repoussons les hommes des autres partis et vous faites tomber le jour où notre drapeau succombera62Lettre sans signature, datée du 17 juillet 1871, 26FP_22_165. ».

Ce terme « spécial » renvoie à deux accusations. Le projet serait trop républicain et il exclurait les « honnêtes gens » favorables à un gouvernement impérial ou royal. Ce qui laisse supposer que l’auteur de ces lignes est un républicain très modéré, mais surtout farouchement anticommunard :
« La république que rêvent ces misérables, c’est la misère universelle, et l’égalité dans tous les crimes ; il faut en finir avec cette morale, et tous les défenseurs de la Commune, comme les assassins de la société et les incendiaires de prospérité publique63Ibid. ».

Si Guesde n’est pas assimilé par son correspondant aux partisans de la Commune, il n’en reste pas moins que tout ce qui compte pour l’auteur de cette lettre est le progrès de « l’instruction et de l’alimentation publique » pour le plus grand nombre. Même si le gouvernement républicain est préférable, le gouvernement en place importe peu tant qu’il n’« excite[r] [pas les passions] en les lançant dans la carrière politique au bout de laquelle il n’y a que la ruine de tous et pour tous64Ibid. ». Guesde ne fréquente ainsi pas longtemps les réseaux des radicaux suisses modérés65Albert Tanner, « Radicalisme », in Dictionnaire historique de la Suisse, 29 janvier 2013, en ligne (consulté le 20 février 2024).. Et alors que le danger de l’extradition disparaît des conversations qu’il tient avec de vrais amis, socialisants ceux-là, Guesde rompt avec ce radicalisme et s’insère un peu plus dans le socialisme66Guesde contacte James Guillaume pour la première fois vers septembre 1871 et lui demande de collaborer à son projet de journal, Le Réveil International. Lettre de James Guillaume à Jules Guesde, datée du 24 septembre 1871, 26FP_22_11..

Une étape vers le socialisme

La vie éditoriale et politique de Guesde nous est ensuite bien connue67Jean-Numa Ducange, Jules Guesde, l’anti-Jaurès ?, op. cit., pp. 22-27. Bibliographie sur l’Internationale en Suisse : Marc Vuilleumier, « The First International in Switzerland. A few observations », in Fabrice Bensimon, Quentin Deluermoz et Jeanne Moisand, Arise Ye Wretched of the Earth. The First International in a Global Perspective, Brill, Leyde, 2018, pp. 165-180 ; Michel Cordillot, Aux origines du socialisme moderne. La Première Internationale, la Commune de Paris, Paris, Éditions de l’Atelier, 2010. et coïncide en tout point avec la trajectoire de bien d’autres communeux réfugiés en Suisse. Il fait partie de ces hommes et de ces femmes de lettres, de ces « élites » de la Commune qui, à Genève, dans le canton de Vaud, à Neuchâtel, à Berne et à Bâle, tentent de vivre de leur plume en fondant des journaux, de faire vivre un contre-récit sur les événements français, d’agiter la Suisse de leurs idées neuves. Il assiste ainsi à plusieurs conférences à La Chaux-de-Fonds dans le public68Marc Vuilleumier, « Les proscrits de la Commune en Suisse », art. cit. et compose un recueil d’articles de journaux « conservateurs » sur la Commune parisienne : Le Livre rouge de la justice rurale. La réalisation de ce livre a nécessité un important fonds documentaire. Il serait étonnant que Guesde ait pu le faire venir de France. Il semble plus probable qu’il ait consulté les fonds constitués par d’autres communeux en exil en Suisse, tel celui de Jules Perrier, qui avait composé des compilations d’articles, comme son « Dossier de la Semaine sanglante69Lucien Descaves, Philémon. Vieux de la Vieille, op. cit., p. 21. ! » De cet ouvrage, Guesde attend une source de revenus, évoquée dans une lettre à sa mère comme son « seul espoir », souhaitant que le succès soit au rendez-vous70Lettre de Jules Guesde à son père, datée de la fin de l’année 1871, 26FP_26_074..

Il est également emporté au cœur des débats politiques qui agitent l’Association internationale des travailleurs, entre les centralistes de Londres, regroupés autour de Karl Marx, et les jurassiens anarchistes de Bakounine et de James Guillaume71James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, op. cit. ; Mathieu Léonard, L’Émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale, Paris, La Fabrique, 2011. – même si l’historien suisse Marc Vuilleumier met en garde contre cette qualification rapide d’« anarchistes ». En effet, si la Fédération jurassienne est bien à l’origine de l’anarchisme, il est difficile de la considérer comme anarchiste dès les années 1872-1978, car cela reviendrait à appliquer rétrospectivement un concept qui ne s’est véritablement élaboré que plus tard72Marc Vuilleumier, « Les proscrits de la Commune en Suisse », art. cit. ; id., « The First International in Switzerland. A few observations », art. cit.. Quelle que soit l’appartenance politique de Guesde, son talent d’orateur, qu’il a développé dans le Midi de la France, le fait remarquer au sein de la section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste, l’une des trois sections de l’Association internationale des travailleurs à Genève73Cette section réunissait des exilés français et appartenait au courant bakouninien. :
« Guesde, au contraire, surpassa notre attente : sa facilité d’élocution, son aisance correcte, la simplicité énergique de son discours, enlevèrent tous les suffrages74James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, op. cit. ; Mathieu Léonard, L’Émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale, Paris, La Fabrique, 2011, p. 241. ».

Il se constitue alors progressivement un nouveau réseau d’amis socialistes, jusqu’au déclenchement de sa maladie fin novembre, début décembre 1871.

La maladie et le départ pour l’Italie

Après sa participation au congrès de la Fédération jurassienne de Sonvilier à la mi-novembre 1871, Guesde est « surmené75Claude Willard, Jules Guesde. L’apôtre et la loi, Paris, Éditions sociales, 1991, p. 23.. » d’après l’un de ses biographes, Claude Willard. James Guillaume et ses amis prennent des dispositions pour lui ménager son voyage de retour76James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, op. cit., quatrième partie, p. 243.. Mais la maladie s’aggrave. Guesde est contraint de rester au lit et de trouver de l’argent pour se soigner, même s’il persiste à vouloir subvenir seul à ses besoins en cherchant à écrire dans des journaux comme correspondant, en comptant sur les revenus de la publication de son Livre rouge, dont il suit de près la diffusion en la commentant régulièrement dans ses lettres à ses parents, et par la publication des Mémoires du général Cluseret qu’il prépare. Tout cela ne suffit pas. Ses parents lui viennent une nouvelle fois en aide financièrement. Mais ce n’est pas grâce à cette aide pécuniaire familiale qu’il pourvoit à ses besoins en Suisse. Guesde y a trouvé une protectrice bourgeoise que l’ensemble des biographies rédigées par ses proches ne mentionne curieusement pas77Ni celle d’Alexandre Zévaès, ni celle d’Adéodat Compère-Morel.. De celle-ci, nous connaissons deux noms, Madame Benoit et Madame Lacoste, et une vague indication d’âge, puisqu’elle est désignée comme « la vieille78Lettre de Léon Millot à Jules Guesde datée du 12 février 1872, en ligne. ». Elle entretiendrait Guesde depuis décembre 1871, alors qu’il est en pleine crise :
« J’ai rencontré ici une vieille dame qui s’est bêtement éprise de moi et qui […] m’a offert tous les mille francs dont je pourrais avoir besoin79Lettre de Jules Guesde à sa mère, datée du 1er janvier 1872, 26FP26_021. ».

Cette dame l’introduit dans son cercle protestant de Genève et, avec l’aide d’un pasteur dont seul le prénom nous est connu, Paul, le pousse à rejoindre le protestantisme libéral, sans grand succès80Lettre de Jules Guesde à sa mère, 22 novembre (1872 ?), 26FP_23_191.. Guesde envisage alors de quitter Genève pour l’Argentine, suivant l’exemple de Cluseret, ou la Russie en décembre-janvier 1871. Mais, se trouvant dans l’impossibilité de se déplacer, il n’en fait rien. Cette situation inquiète ses parents, car chaque lettre de Guesde raconte un état de santé et un moral qui ne semblent pas s’améliorer81Lettres de Jules Guesde à sa mère ou à son père, datation incertaine entre fin décembre 1871 et mars 1872, 26FP_26_015 ; 26FP_26_017 ; 26FP_26_019 ; 26FP_26_020 ; 26FP_26_021 ; 26FP_26_022 ; 26FP_26_023. :
« En attendant, je souffre, je souffre surtout d’être seul et de [illisible] amour des miens82Lettre de Jules Guesde à sa mère, date incertaine, 26FP_26_023. ».

Si bien qu’Éléonore Bazile, sa mère, finit par prendre un train pour Genève afin de s’occuper de son fils malade :
« Mère vient d’arriver – un peu fatigué. Je n’ai pas voulu que ce fût elle qui t’écrivît. Je t’embrasse et te remercie de nouveau de m’avoir prêté mère pour quelque temps.
Ton fils, Jules83Lettre de Jules Guesde à son père, datée d’avant le 8 mars 1872, 26FP_26_025. ».

Elle y reste pour une durée que nous avons du mal à mesurer. Elle rentre à Paris au début du mois de mars 1872, comme en témoigne une lettre dans laquelle Guesde la remercie affectueusement :
« Il n’y avait pas un quart d’heure que tu étais partie, que je voulais courir après toi et te supplier de rester quelques jours de plus84Lettre de Jules Guesde à sa mère, datée de début mars 1872, 26FP_26_055. ».

D’un commun accord avec sa mère, Guesde avait alors pris la décision de quitter Genève, dont le climat était nocif pour sa santé, et de partir pour l’Italie, où il pourrait se rétablir tout en proposant ses services de correspondant à des journaux français. C’est ainsi que, se présentant comme un chargé de commerce, il partit pour l’Italie avec son ami Hector Amadou en avril 1872, franchissant une nouvelle frontière.

  • 1
    Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, Maspero, 1968, p. 170.
  • 2
    Francis Arzalier, « Guesde à Montpellier en 1869-1871 », in Gilles Candar, Jean-Numa Ducange et Jean-Louis Robert (dir.), Jules Guesde aujourd’hui, publication de la SFHPO, n°1, 2023, pp. 3-12 accessible en ligne (consulté le 8 novembre 2023) ; Jean-Numa Ducange, Jules Guesde, l’anti-Jaurès ?, Paris, Armand Colin, 2017, pp. 19-21.
  • 3
    Francis Arzalier, « Guesde à Montpellier en 1869-1871 », art. cit. ; Jean-Numa Ducange, Jules Guesde, l’anti-Jaurès ?, op. cit., pp. 21-22.
  • 4
    Nous reprenons ici la distinction soulignée par Ludivine Bantigny entre les termes de « communards », nommés ainsi par leurs ennemis, et « communeux », qualificatif que certains d’entre eux se sont donné. Ludivine Bantigny, La Commune au présent. Une correspondance par-delà le temps, Paris, La Découverte, 2021.
  • 5
    Lettre de Charpe (?) à Guesde envoyée de Montpellier et datée du 11 juillet 1871, 26FP_22_043. Il s’agit peut-être d’une lettre de Paul Brousse destinée à Guesde. Brousse utiliserait alors un pseudonyme par crainte que la police n’ouvre son courrier. Il est alors proche de Guesde.
  • 6
    Sur les exilés de la Commune en Suisse, voir Sylvie Aprile, Le Siècle des exilés. Bannis et proscrits de 1789 à la Commune, Paris, CNRS Éditions, 2010 ; François Gaudin, L’Exil des communards. Lettres inédites (1872-1879), Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2021 ; Laure Gobineau, « Le retour d’exil, un nouvel exil ? Le cas des communards », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 67, 2002 ; id., « L’exil des vaincus », in Michel Cordillot, La Commune de Paris. Les acteurs, l’événement, les lieux, Paris, Éditions de l’Atelier, 2021 ; Marc Vuilleumier, « Sur quelques proscrits de la Commune », Le Mouvement social, n°44, 1er juillet 1963, pp. 63-82 ; id., « Les proscrits de la Commune en Suisse », Revue d’histoire suisse, n°12, 1962, pp. 498-537.
  • 7
    Lucien Descaves, Philémon. Vieux de la Vieille, Paris, Éditions G. Crès et Cie, 1913 ; James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, présentation de Marc Vuilleumier, Paris, Éditions Gérard Lebovici, 1985.
  • 8
    Les archives de Jules Guesde connues à ce jour sont réparties entre trois principaux fonds d’archives : l’International Institute of Social History d’Amsterdam ; le fonds Adéodat Compère-Morel à l’Humathèque Condorcet ; le fonds conservé par une branche de la famille Guesde, qui a accepté sa numérisation par la Fondation Jean-Jaurès.
  • 9
    Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027.
  • 10
  • 11
    Guesde de son nom de jeune fille.
  • 12
    Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027.
  • 13
    Adéodat Compère-Morel, Jules Guesde. Le Socialisme fait homme, Paris, Aristide Quillet, 1937, p. 86.
  • 14
    Lettre de Jules Guesde à sa mère, datée de juin 1871, 26FP_24_001 ; Mario Comby, « Le port de Cette », Annales de géographie, n°168, 1921, pp. 46-47.
  • 15
    Lettre de Jules Guesde à sa mère, datée de juin 1871, 26FP_24_001. Elle semble montrer qu’il y aurait alors des désaccords entre Guesde et son père. Celui-ci n’est alors pas informé des actions de son fils, alors que sa mère l’est. Pour quelle raison sinon aurait-il demandé des précisions sur son exil dans une autre lettre ?
  • 16
    Renaud Morieux, « La prison de l’exil. Les réfugiés de la Commune entre les polices françaises et anglaises (1871-1880) », in Marie-Claude Blanc-Chaléard, Caroline Douki, Nicole Dyonet et Vincent Milliot (dir.), Police et migrants : France 1667-1939, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001, pp. 133-150.
  • 17
    Lettre de sa mère et de Jules Guesde à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027.
  • 18
    Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027.
  • 19
    Nous ne savons rien de plus sur lui.
  • 20
    Adéodat Compère-Morel, Jules Guesde. Le Socialisme fait homme 1845-1922, op. cit., pp. 77-91.
  • 21
    Maxime Vuillaume, « Mes Cahiers rouges au temps de la Commune », in Les Cahiers de la quinzaine, cahier VI, p. 292. Cité dans Sylvie Aprile, Le Siècle des exilés, op. cit., p. 257.
  • 22
    Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027.
  • 23
    Marc Vuilleumier, « Les proscrits de la Commune en Suisse », art. cit.
  • 24
    Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027.
  • 25
  • 26
    Surnom qu’il donne à la justice de la nouvelle République française.
  • 27
    Lettre de la mère de Jules Guesde et de ce dernier à son père, datée de février-mars 1872, 26FP_26_027.
  • 28
    Renaud Morieux, « La prison de l’exil. Les réfugiés de la Commune entre les polices françaises et anglaises (1871-1880) », art. cit.
  • 29
    Gérard Noiriel, « Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l’histoire du passeport en France de la Ire à la IIIe République », Genèses, n° 30, 1988, p. 96.
  • 30
    Renaud Morieux, « La prison de l’exil. Les réfugiés de la Commune entre les polices françaises et anglaises (1871-1880) », art. cit.
  • 31
    Marc Vuilleumier, « Les proscrits de la Commune en Suisse », art. cit. ; Benoît Vaillot, L’Invention d’une frontière. Entre France et Allemagne, 1871-1914, Paris, CNRS éditions, 2023.
  • 32
    Adéodat Compère-Morel, Jules Guesde, op. cit., p. 77.
  • 33
    Lucien Descaves, Philémon. Vieux de la Vieille, op. cit., p. 22.
  • 34
    Convocation datée du 14 octobre 1871, 26FP_22_158.
  • 35
    Guesde envisageait déjà de lancer ce titre en France début juin 1871, comme l’atteste une lettre d’Urbain Rossignol datée du 6 juin 1871.
  • 36
    Lettre de Jules Guesde à sa mère, supposée dater du 21 juin 1871, 26FP_26_104.
  • 37
    Lettre d’une personne non identifiée adressée à Jules Guesde, datée de juin-juillet 1871, 26FP_22_034.
  • 38
  • 39
    Lettre d’une personne non identifiée à Jules Guesde, datée de juin 1871, 26FP_22_037.
  • 40
    Adéodat Compère-Morel, Jules Guesde, op. cit., p. 106.
  • 41
    Lettre d’une personne non identifiée à Guesde, datée de juin-juillet 1871, 26FP_22_043.
  • 42
  • 43
  • 44
    Voir la notice « Amadou Hector [Jean, Antoine, Hector] » en ligne dans Le Maitron, version mise en ligne le 12 octobre 2018, dernière modification le 26 septembre 2022.
  • 45
    Lettre de Jules Guesde à son père, 26FP_26_065. Nous ne savons rien de plus sur cet homme.
  • 46
    Il pourrait s’agir de Pierre Martinet, bien connu de la justice à Nîmes pour avoir participé à plusieurs manifestations en faveur de la Commune et de la République. Voir la notice en ligne Martinet Pierre, Paul, Désiré [dit Pol] [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche dans Le Maitron, version mise en ligne le 8 mars 2014, dernière modification le 30 novembre 2022.
  • 47
    Jules Guesde était en contact avec ce cercle depuis janvier 1871. Lettre du cercle de Nîmes à Jules Guesde, datée du 25 février 1871. 26FP_22_030.
  • 48
    Lettre du cercle de Nîmes, datée du 24 février 1872, 26FP_22_156.
  • 49
    Celui-ci n’est plus mentionné par la suite dans la correspondance de Guesde.
  • 50
    Comme pour de nombreux communeux français en exil en Suisse. Voir Lucien Descaves, Philémon. Vieux de la Vieille, op. cit.
  • 51
    Lettre de Jules Guesde à son père, datée du 1er août 1871, 26FP_26_100.
  • 52
  • 53
    Ibid. Opinion de sa mère qui a peut-être encouragé Guesde à se justifier en composant son Livre rouge de la justice rurale.
  • 54
    Lettre de Jules Guesde à son père, datée du 1er août 1871, 26FP_26_100.
  • 55
    Il ne sera plus fait mention de cette importante somme d’argent par la suite, mais il semble que la brouille de Guesde avec ses amis radicaux suisses soit en partie liée à une question financière.
  • 56
    Lettre datée du 22 août 1871, 26FP_26_094.
  • 57
    Franz Xavier Bischof, « Kulturkampf », in Dictionnaire historique de la Suisse, 6 novembre 2008, en ligne (consulté le 20 février 2024).
  • 58
    Lettre datée du 22 août 1871, 26FP_26_094.
  • 59
    Lettre d’une personne non identifiée, adressée supposément à Jules Guesde, 25 juillet 1871, 26_FP_22_021.
  • 60
    Lettre de Johann Philipp Becker à Friedrich A. Sorge, 31 août 1871, Correspondances Fr. Engels et K. Marx et divers, publié par F. A. Sorge, t. 1, Paris, 1950, p. 42.
  • 61
    Nous ne sommes pas parvenu à l’identifier.
  • 62
    Lettre sans signature, datée du 17 juillet 1871, 26FP_22_165.
  • 63
  • 64
  • 65
    Albert Tanner, « Radicalisme », in Dictionnaire historique de la Suisse, 29 janvier 2013, en ligne (consulté le 20 février 2024).
  • 66
    Guesde contacte James Guillaume pour la première fois vers septembre 1871 et lui demande de collaborer à son projet de journal, Le Réveil International. Lettre de James Guillaume à Jules Guesde, datée du 24 septembre 1871, 26FP_22_11.
  • 67
    Jean-Numa Ducange, Jules Guesde, l’anti-Jaurès ?, op. cit., pp. 22-27. Bibliographie sur l’Internationale en Suisse : Marc Vuilleumier, « The First International in Switzerland. A few observations », in Fabrice Bensimon, Quentin Deluermoz et Jeanne Moisand, Arise Ye Wretched of the Earth. The First International in a Global Perspective, Brill, Leyde, 2018, pp. 165-180 ; Michel Cordillot, Aux origines du socialisme moderne. La Première Internationale, la Commune de Paris, Paris, Éditions de l’Atelier, 2010.
  • 68
    Marc Vuilleumier, « Les proscrits de la Commune en Suisse », art. cit.
  • 69
    Lucien Descaves, Philémon. Vieux de la Vieille, op. cit., p. 21.
  • 70
    Lettre de Jules Guesde à son père, datée de la fin de l’année 1871, 26FP_26_074.
  • 71
    James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, op. cit. ; Mathieu Léonard, L’Émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale, Paris, La Fabrique, 2011.
  • 72
    Marc Vuilleumier, « Les proscrits de la Commune en Suisse », art. cit. ; id., « The First International in Switzerland. A few observations », art. cit.
  • 73
    Cette section réunissait des exilés français et appartenait au courant bakouninien.
  • 74
    James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, op. cit. ; Mathieu Léonard, L’Émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale, Paris, La Fabrique, 2011, p. 241.
  • 75
    Claude Willard, Jules Guesde. L’apôtre et la loi, Paris, Éditions sociales, 1991, p. 23.
  • 76
    James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, op. cit., quatrième partie, p. 243.
  • 77
    Ni celle d’Alexandre Zévaès, ni celle d’Adéodat Compère-Morel.
  • 78
    Lettre de Léon Millot à Jules Guesde datée du 12 février 1872, en ligne.
  • 79
    Lettre de Jules Guesde à sa mère, datée du 1er janvier 1872, 26FP26_021.
  • 80
    Lettre de Jules Guesde à sa mère, 22 novembre (1872 ?), 26FP_23_191.
  • 81
    Lettres de Jules Guesde à sa mère ou à son père, datation incertaine entre fin décembre 1871 et mars 1872, 26FP_26_015 ; 26FP_26_017 ; 26FP_26_019 ; 26FP_26_020 ; 26FP_26_021 ; 26FP_26_022 ; 26FP_26_023.
  • 82
    Lettre de Jules Guesde à sa mère, date incertaine, 26FP_26_023.
  • 83
    Lettre de Jules Guesde à son père, datée d’avant le 8 mars 1872, 26FP_26_025.
  • 84
    Lettre de Jules Guesde à sa mère, datée de début mars 1872, 26FP_26_055.

Du même auteur

Sur le même thème