Jules Guesde : devenir socialiste

En 1922 disparaissait Jules Guesde, un des principaux fondateurs du socialisme français avec Jean Jaurès. L’historien Maxime Surman revient dans cette analyse historique sur sa trajectoire intellectuelle, de son républicanisme radical à un socialisme intransigeant.

Depuis la disparition de l’« apôtre » le 28 juillet 19221Paul Faure, « La mort de l’Apôtre », Le Populaire, 30 juillet 1922., la mémoire et l’oubli se sont emparés de son nom. En dehors d’étroits cercles militants et savants, ce dernier n’évoque plus qu’un toponyme parfois familier. Même si, de temps en temps, le conflit mémoriel l’opposant à la figure d’un Jaurès érigé au rang du plus républicain des hommes de gauche réactive celle d’un Guesde réinventé au présent. Il sert d’adversaire fictif qu’il convient de condamner en analogie d’un courant rival trop sectaire. Il serait alors pour cette mémoire vive d’un socialisme français au milieu du gué un « anti-Jaurès2Jean-Numa Ducange, Jules Guesde. L’Anti-Jaurès ?, Paris, Armand Colin, 2017 ; Gilles Candar et Vincent Duclert, Jean Jaurès, Paris, Fayard, 2014. ». Il incarne l’intransigeance révolutionnaire. « Le réformisme fait face à la radicalité, la République à la Revanche, le Caporalisme à la liberté3Jean Garrigues, « Jean Jaurès et Jules Guesde : l’éternelle lutte finale de la gauche française », Franc-Tireur, n° 36, 20 juillet 2022. » Ce dualisme entre ces deux figures s’inscrit dans la longue lignée des binômes servant à codifier les lignes de clivage à gauche4Frédéric Cépède et François Lafon, « Guy Mollet, Albert Gazier, 1936-1946-1956-1966 : itinéraires croisés au prisme de l’histoire socialiste », Recherches socialistes, nos 74-75, janvier-juin 2016, p. 53-74..

Cependant, cette simplification motivée par les querelles politiques du présent ne doit pas faire oublier les trajectoires de ces socialistes d’il y a un siècle et demi5Jean-Numa Ducange, « Jaurès, Guesde, “Infiniment plus proches l’un de l’autre qu’on ne l’a cru de leur vivant” ? (Léon Blum) », Cahiers Jaurès, n° 221, 2016, p. 11-33.. Certes, les deux hommes ont pu être caricaturés comme suit : « un bon élève appliqué de la méritocratie républicaine face à un idéal type d’“intellectuel prolétaroïde6Ibid.” ». Il n’en reste pas moins que les trajectoires historiques sont plus subtiles et il convient de revenir plus en détail sur celle de Jules Guesde. Car celui-ci n’est pas né collectiviste, il l’est devenu7Gilles Candar, Devenir socialiste. Le cas Jaurès, Lormont, Le Bord de l’eau, 2015.. Son passage intellectuel du républicanisme radical au collectivisme obtus fut un chemin sinueux que nous allons ici éclairer.

Guesde dans les réseaux républicains

Il est difficile de connaître le parcours de Guesde vers le républicanisme radical. Quoi qu’il en soit, il ne fait pas ce chemin seul. Il fréquente des cercles républicains autour de Paris. En 1867 commence sa plus ancienne correspondance conservée avec le républicain radical Léon Millot8La correspondance conservée entre les deux hommes se déploie entre le 25 juillet 1867 et le 4 janvier 1874, pour les lettres datées. Elle est composée de quinze lettres, toutes de Millot., qu’il a connu à Passy. La lutte contre l’impérialisme9Affaire Berezowski, Attentat contre la personne de S. M. l’Empereur de Russie. Réquisitoire et réplique de M. le procureur général de Marnas, Paris, E. Donnaud, imprimeur de la cour impériale et des tribunaux, 1867. sert de référence commune aux deux amis. Guesde entretient également une correspondance avec le militant blanquiste Alfred Naquet10Leur correspondance se déploie entre janvier 1871 et juillet 1877. Article « Alfred Naquet » dans Le Maitron en ligne, version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 19 mars 2020.. L’historien y apprend que Guesde fréquente le salon de Mme Acollas, épouse du juriste et homme politique socialisant Émile Acollas. Mais plusieurs questions demeurent. Depuis quand sont-ils en contact ? Où ont eu lieu leurs différentes rencontres11Lettre d’Alfred Naquet à Jules Guesde, 12 janvier 1871, 13_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History. ? Elles datent certainement d’avant le départ d’Émile Acollas pour Berne au début de l’année 1870, donc du moment où celui-ci fit publier son programme révolutionnaire, socialiste et déchristianisateur et émet l’idée de fonder un nouveau journal pour le diffuser, L’Ouvrier12Frédéric Audren, « Émile Acollas, libertarien de la République. La République et son droit (1870-1930) », in La République et son droit (1870-1930), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2008, p. 239-261..

Le républicanisme montpelliérain de Guesde

En 1868, Guesde quitte Paris, où il est difficile de créer un nouveau titre de presse républicain, et part dans un premier temps pour Toulouse. Il y exerce au sein du Progrès libéral et rencontre le républicain Arthur Ballue. Les deux hommes se retrouvent ensuite en tant que rédacteurs dans la Liberté, Journal démocratique de l’Hérault à Montpellier avant que Ballue, associé à Charles Bailleur-Villier et Guesde, ne lancent ensemble un journal dans lequel Guesde peut librement développer ses idées.

Le premier numéro des Droits de l’Homme de Montpellier paraît le 1er juin 1870. Guesde y expose sa pensée dans le premier éditorial, qui sert de programme au journal. Dans les pas du programme de Belleville, repris par Gambetta en 1869, il souhaite radicaliser la démocratie et formule une critique acerbe de la religion. Les mesures sociales sont aussi présentes, mais leur application doit être progressive et non le fruit d’une révolution. Il faut que les travailleurs s’émancipent par la « liberté d’association et la suppression des monopoles13Adéodat Compère-Morel Compère, Jules Guesde : le socialisme fait homme 1845-1922, Paris, Librairie Aristide Quillet, 1937, p. 16. ». Réformes d’ordre social qui sont inséparables des réformes d’ordre politique. Pour appuyer son argumentation, Guesde mobilise la figure de Proudhon et lui emprunte sa définition de la justice : « l’équilibre entre des droits et des libertés14Ce passage s’inspire probablement de l’essai de 1866 du philosophe bisontin, Théorie de la propriété : « La propriété moderne, constituée en apparence contre toute raison de droit et tout bon sens, sur un double absolutisme, peut être considérée comme le triomphe de la Liberté. C’est la Liberté qui l’a faite, non pas, comme il semble au premier abord, contre le droit, mais par une intelligence bien supérieure du droit. Qu’est-ce que la Justice, eu effet, sinon l’équilibre entre les forces ? La Justice n’est pas un simple rapport, une conception abstraite, une fiction de l’entendement, ou un acte de foi de la conscience : elle est une chose réelle, d’autant plus obligatoire qu’elle repose sur des réalités, sur des forces libres », Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de la propriété, Paris, Verboeckhoven et Cie, 1866, p. 79. ». Ce manifeste est approuvé par les trois autorités chez les républicains radicaux que sont Armand Barbès, le général Cluseret et Charles Delescluze15Adéodat Compère-Morel Compère, Jules Guesde, op. cit, p. 17-19..

Dans ses articles suivants, Guesde détaille ses idées. Il y défend une meilleure représentation et la souveraineté du peuple dans le cadre d’un véritable système de suffrage universel. À cet effet, il prend modèle sur la République américaine, tout juste sortie de la guerre de Sécession, « […] loin d’être en possession du self-governement, quoi qu’on ait dit et écrit, qui n’existe encore nulle part. il n’y aura peut-être plus monarchie, entendue dans le sens de gouvernement de tous par un ; mais il n’y aura pas davantage démocratie, c’est-à-dire gouvernement du peuple par le peuple, de tous par tous16Jules Guesde, « La Démocratie » dans Les Droits de l’Homme, n° 10, 11 juin 1870.. »

Guesde est également partisan de l’élection des « maires, des juges de paix et des fonctionnaires de tout ordre17Jules Guesde, « La démocratie », Les Droits de l’Homme, n° 10, 11 juin 1870. ». À cet égard, le modèle du libéralisme américain fait contrepoids dans la pensée de Guesde à l’influence du modèle de l’exécutif américain sur Adolphe Thiers18Jean-Numa Ducange, Silyane Larcher, Stephen W. Sawyer, « La République multiple. Une histoire transnationale et globale », in Quentin Deluermoz, D’ici et d’ailleurs, Paris, La Découverte, 2021, p. 274-275.. Guesde défend également avec acharnement la liberté de réunion, la liberté de la presse et la liberté d’expression, l’allongement du temps de campagne électorale et surtout le mandat impératif du « députant ». Ce dernier imposerait au député de respecter son programme en permettant aux électeurs de démettre leur représentant si celui-ci trahit l’engagement qu’il a pris devant eux. Car jusqu’à présent, pour Guesde, nombre d’élus promettent des réformes sociales pendant la campagne électorale, mais n’agissent pas durant leur mandat. Cette mesure fait des électeurs, les mandants, les contrôleurs directs de l’élu, le mandataire19Jules Guesde, « Démocratie », Les Droits de l’Homme, n° 11, 12 juin 1870.. Sans toutes ces réformes, il ne peut y avoir d’après lui de démocratie, car il n’y aura eu réellement élection que quand le choix aura été libre20Guesde poursuit ce combat au long de sa vie. Les députés guesdistes élus à la Chambre proposent en 1898 la nomination d’une « commission du suffrage universel » chargée de proposer à la Chambre des mesures assurant la liberté et la sincérité du vote. Voir Pierre Rosanvallon, Le Sacre du citoyen, Paris, Folio, 1992, p. 510..

Mais, au-delà de mots couchés dans les colonnes d’un petit journal du Midi, Guesde s’investit, après la chute de l’Empire, dans diverses organisations républicaines. Il participe à la formation de l’Alliance républicaine de Montpellier constituée en réunion publique le 20 janvier 187121« Alliance républicaine de Montpellier », Les Droits de l’Homme, n° 21, 2 janvier 1871.. Le programme proposé s’inscrit dans la mouvance de celui des républicains radicaux. En effet, cette Alliance est fondée à Paris autour du 31 octobre 1870 par « les fortes têtes du parti de Belleville22Courrier de la Gironde (article sans titre), n° 187, 21 janvier 1871. » avec pour objectif la mise en place des principes disposés dans le programme de 1869 contre le républicain plus modéré Hippolyte Carnot. Les principaux signataires parisiens de ce nouvel engagement programmatique sont Charles Delescluze, Adolphe Lefrançois, dit Gustave Lefrançais, Alexandre Ledru-Rollin, Arthur Arnould ou encore Tony-Réveillon, etc.

En plus des mesures libérales, des propositions de facture plus socialiste y sont présentes. Il est question de l’extinction de tous les monopoles et privilèges, de l’application immédiate de réformes sociales et économiques et de la création d’institutions de crédit ouvrier23Peut-être sous l’influence des théories de Proudhon et de sa banque du peuple.. Le tout doit permettre au travailleur de récolter le produit intégral de son travail. Tout cela permettrait de dépasser le clivage entre les classes afin de mettre en place une « République, non de classes, mais de fusion de toutes les classes ; non purement de forme, mais de fond, en ce qu’elle plongera ses racines dans les profondeurs mêmes de la société24« Alliance républicaine de Montpellier », art. cit. ». Et cette République se doit d’être transnationale. L’Alliance envisage qu’il soit possible, dans le prolongement du discours de Victor Hugo à Genève lors du Congrès de la paix et de la liberté de 1867, « de solidariser ensuite les nations, dans cette large et fraternelle conception des États-Unis d’Europe25Ibid. ».

Cependant, Guesde refuse d’être candidat aux élections législatives de février 1871. Il se consacre pleinement à son activité de journaliste politique. Après l’annonce des résultats, il les commente et évoque la constitution d’une « majorité rurale » légitimant par le vote la défaite sur l’Empire allemand. Et face à cette majorité, le bloc républicain radical n’a pu s’imposer car « nos adversaires ont spéculé sur l’ignorance des campagnes, pour rejeter sur la démocratie le poids d’une guerre et d’une défaite irréparable, dont ils sont les premiers et les seuls auteurs26Jules Guesde, « Sur les élections législatives », Les Droits de l’Homme, n°52, 23 février 1871. ». Majorité qui doit désormais être éduquée aux idées républicaines, tout comme les habitants des villes27Est-ce un nouvel indice de l’influence de Proudhon ? Sa théorie sur le fédéralisme vise à la mise en place d’une libre association des communes ainsi qu’à la jonction entre l’industrie et la campagne. Voir Pierre-Joseph Proudhon, De la capacité politique des classes ouvrières, Paris, E. Dentu, 1865..

La Commune de Paris et les problèmes du capital

Mais les événements s’accélèrent, la Commune parisienne est proclamée le 18 mars 1871 et Guesde semble amorcer une légère inflexion dans ses écrits. Dans un premier temps, il se montre sceptique face à l’expérience communarde. Puis il rédige son premier article consacré au capital et au salariat le 1er avril 1871, dans une réponse à un texte de Charles Cauvin paru dans un journal monarchiste de Montpellier, L’Union nationale. Guesde écrit :
« Ce qu’ils veulent, c’est perpétuer, sous la seule forme où il est possible aujourd’hui. L’âge en servage de la terre est devenu depuis le servage du capital – et qui est la clé de voûte de leur système politique28Jules Guesde, « En économie on compte trois capitaux… », Les Droits de l’Homme, n° 90, 1er avril 1871.. »
« L’idée que par l’association l’ouvrier des villes et des campagnes pourrait redevenir un homme ne dépendant que de lui-même, au lieu d’être, ce qu’il est aujourd’hui, la chose d’un patron, les épouvante. Ils se demandent avec inquiétude comment, cette révolution accomplie, les privilèges, les monopoles, l’aristocratie terrienne et capitaliste, en dehors desquels leur réédification monarchique n’est pas possible, pourront subsister. Et contre cet avènement au bien-être du populaire, c’est-à-dire de l’immense majorité de la nation, ils font feu de leurs sophismes, en attendant qu’ils passent la parole aux chassepots29Jules Guesde, article sans titre, Les Droits de l’Homme, n° 90, 1er avril 1871. Le Chassepot est le premier fusil à verrou de l’armée française. Il est mis en service en 1866. La culture populaire, notamment plusieurs chansons communardes, l’associe à la répression des mouvements ouvriers.. »

Le changement de plume est singulier. Guesde cite Babeuf et semble s’approprier une part de sa mémoire. Il est certain qu’il suit avec avidité, quand les informations circulent, les événements de la Commune parisienne et les mouvements révolutionnaires en France. Il soutient également les thèses fédéralistes contre le jacobinisme de Thiers.

Ainsi, Guesde se fait le défenseur d’un modèle de République dont s’écarte de plus en plus la trajectoire de la République versaillaise. Et ses prises de position ne plaisent pas aux vainqueurs de la guerre civile. Guesde part en exil en Suisse après avoir été condamné le 22 juin 1871 à cinq ans de prison et 4 000 francs d’amende. Il devient un ennemi de la nouvelle République, de « l’ordre moral », et va explorer d’autres voies face à cette République bourgeoise et à son État. Ce qui nous amène aux questions suivantes : Guesde s’est-il éloigné de la République ou la République s’est-elle éloignée de Guesde ? Ce dernier a-t-il incarné un possible d’une République non advenue ?

Guesde sur les chemins de l’exil

Guesde part dans un premier temps à Genève, où il arrive le 17 septembre 1871, sans pour autant se refuser quelques visites ponctuelles dans le département de l’Ain voisin, au nez et à la barbe des autorités locales30Jean-Numa Ducange, op. cit., p. 20.. Il n’arrive pas dans la Rome protestante sans contacts ni projets. Il commence par une visite de la Suisse radicale31Fabien Conord (dir.), Le Radicalisme en Europe, XIXe-XXIe siècles, Nancy, Arbre bleu, 2022. et par la création d’un nouveau journal, qu’il a annoncée dans l’antépénultième numéro des Droits de l’Homme de Montpellier. Le lancement de La République universelle de Genève est prévu le 20 juillet 187132Les Droits de l’Homme, n° 178, 2 juillet 1871.. Ce journal international quotidien souhaite s’inscrire dans la continuité du programme de l’Alliance républicaine :
« L’ancien ordre politico-économique de la vieille Europe basé sur l’antagonisme des nations, des classes et des individus, va s’écroulant tous les jours. Un ordre nouveau fondé à la fois sur la liberté et la solidarité que chacun pressent et appelle, et à l’avènement duquel le despotisme gouvernemental seul fait échec, tend à prendre sa place. »

C’est à amener cette transformation que se dévouera La République universelle en hâtant de toutes ses forces l’établissement universel de la République fédérative33Prospectus « La République universelle », juillet 1871, 19_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.. »

Mais aucun numéro ne semble être sorti de presse. Guesde a alors l’idée de fonder son journal, qui devient le quotidien éphémère Le Réveil international, encore républicain et pas encore socialiste. Il s’attelle à chercher des rédacteurs et correspondants et entre en relation avec des radicaux suisses tels que James Fazy34Jean de Senarclen, « Fazy, James » in Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 7 février 2018, consulté le 25 août 2022 ; article « James Fazy » dans Le Maitron en ligne, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 16 avril 2020., alors professeur de législation et d’histoire constitutionnelle à l’université de Genève, ou encore avec le pacifiste Élie Ducommun. Tous deux ont participé au Congrès de la paix et de la liberté de Genève en 1867 et s’inscrivent, probablement, dans le réseau des correspondants d’Émile Acollas35Lettre d’Élie Ducommun à Jules Guesde, 25 septembre 1871, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History..

De plus, Guesde souhaite faire office de correspondant pour plusieurs journaux parisiens36Lettre de Léon Laurent-Pichat à Jules Guesde, 6 septembre 1871, 21_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.. Il échange régulièrement avec Alfred Naquet à ce sujet. Il sollicite également celui-ci pour participer au Réveil international, mais Naquet refuse dans sa lettre du 20 septembre 1871. Outre les considérations de distance, celui-ci juge que la publication de Guesde se montre trop critique envers la République car l’insurrection y est présentée comme un vecteur de changement. Or Naquet voit dans le suffrage universel un dispositif supérieur à la République. Pour lui, seule son expression peut amener des changements37Adéodat Compère-Morel, Jules Guesde. Le socialisme fait homme, 1845-1922, Paris, A. Quillet, 1937, p. 79.. De plus, Guesde donne pour Naquet trop de place à des rédacteurs qui ne lui inspirent pas confiance, tel Émile Acollas. Cette lettre de Naquet met également en évidence deux conceptions antagonistes sur les possibles évolutions de la jeune République. Si, pour Naquet, le destin de la République est uniquement entre les mains des citoyens, disposant collectivement de la souveraineté nationale, alors la République ne peut être mise à bas, au profit d’un autre régime, ou améliorée que par leur libre exercice du suffrage. La méthode est plus importante que le régime politique. Pour Guesde et certains de ses collaborateurs, la République doit être radicalisée soit par la voie légale du vote, soit par l’insurrection. L’objectif prime sur la méthode. Est-ce là un premier signe d’une orientation révolutionnaire de Guesde, qui abandonne progressivement le réformisme exprimé dans son premier article dans Les Droits de l’Homme de Montpellier ?

Il se rapproche également des exilés socialisants de Genève tels que Gustave Lefrançais, Maxime Vuillaume, Benoît Malon, Jean-Baptiste Dumay, Paule Mink. Ce n’est ainsi pas un hasard s’il participe à la formation de la section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste proche de Bakounine, influencé en cela par les idées fédéralistes et sociales38Naquet a peut-être également orienté Guesde vers le courant bakouninien, car lui-même fut un membre actif de l’Alliance internationale de la démocratie socialiste.. Il s’engage alors dans l’aventure du journal La Révolution sociale, très critique envers le comité de Londres de l’Association internationale des travailleurs (AIT) dirigé par Karl Marx. Le journal devient même temporairement en novembre 1871 le périodique officiel de la Fédération jurassienne. Celle-ci est alors inspirée par les idées de Mikhaïl Bakounine et s’oppose à Karl Marx sur plusieurs points, notamment sur le rôle politique et la conception d’un État populaire39K. Steven Vincent, Between Marxism and Anarchism. Benoît Malon and France Refomist Socialism, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1992, p. 48..

De nouveaux réseaux ? L’exil italien

Initialement contraint par des raisons de santé et d’ordre financier, Guesde arrive dans le royaume d’Italie en avril 1872. Là, il fréquente les milieux socialisants et républicains. Il trouve rapidement à écrire des Lettere Francesi dans les colonnes de L’Italia Nuova, un journal démocrate républicain40Nous n’avons pas trouvé d’informations supplémentaires sur ce journal.. Il côtoie Osvaldo Gnocchi Viani41Giuseppe Sircana, « Osvaldo Gnocchi Viani » in Dizionario biografico degli Italiani, vol. 57, 2001., Enrico Bignami, Tito Zanardelli, avec qui il semble participer à la fondation de la Lega operaia di arti e mestieri (« Ligue ouvrière des arts et métiers »), la première section romaine de l’AIT42Ibid.. Le petit groupe prend également une part active, entre fin 1872 et 1873, à la tentative, avortée, de Garibaldi d’unifier dans une même structure les groupes démocratiques, rationalistes et de tendance socialisante d’Italie43Luigi Cortesi, « Enrico Bignami » in Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 10, 1968. Consulté en ligne..

Guesde conserve une sensibilité républicaine socialisante et tente de placer ses articles en France via son réseau, afin également de se garantir des revenus. Il mobilise toujours Naquet mais demande également au républicain radical Yves Guyot de l’aider. Celui-ci fait publier ses « Lettres de Rome » dans les colonnes du Radical puis brièvement à la Résurrection, avant que ce titre ne soit interdit. Guesde écrit même une lettre à Victor Hugo, qui d’après Yves Guyot ne lui répond pas la première fois. Guyot l’encourage à retenter sa chance « en lui rappelant que je lui avais parlé de vous44Lettre d’Yves Guyot à Jules Guesde, 17 septembre 1872, 27_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History. ». Finalement, Guesde trouve dans les colonnes de L’Égalité de Marseille, une petite feuille socialisante, l’espace propice à ses articles. Son socialisme s’y fait de plus en plus incisif. Les ouvriers et leur place dans la société occupent désormais bien des lignes, car si l’égalité civile entre les hommes a été réalisée, il n’en reste pas moins que l’égalité sociale doit être achevée.

Guesde reste à Rome jusqu’à la fin de l’année 1874, avant de tenter de partir pour l’Argentine avec le communeux Arthur Arnould, qu’il a rencontré à Genève. Mais l’expérience tourne court pour lui faute de moyens suffisants. Sur le chemin du retour, il passe par Bruxelles, certainement aidé par divers membres du réseau socialiste. Là, il rencontre le socialiste belge César De Paepe, qui l’inclut ensuite dans son réseau, peut-être sur recommandation de Benoît Malon45Leur correspondance ne semble commencer qu’en 1876., à moins que ce ne soit Guesde qui les ait mis en relation46Même s’il nous est difficile d’établir la date de leur rencontre et le début de leur amitié. Voir Jean-Numa Ducange, Jules Guesde, op. cit., p. 26..

À cette époque, Guesde correspond toujours avec Yves Guyot qui, pour assurer la diffusion de la théorie d’Émile Justin-Menier sur l’impôt du capital, lui demande d’en faire la promotion dans les journaux italiens, contre rémunération47Lettre d’Yves Guyot à Jules Guesde, 28 mai 1875, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.. « L’impôt sur le capital » dont il est question ici n’est autre qu’un écrit attribué à Émile Justin-Menier, qui est l’employeur de Guyot. Justin-Menier prétend incarner l’ambition réformatrice de la République en matière économique et propose à ce titre d’établir un impôt unique sur le capital afin de rénover le système fiscal, jugé injuste pour les classes laborieuses et nocif pour l’activité économique48Nicolas Delalande, « Émile-Justin Menier, un chocolatier en République. Les controverses sur la légitimité de la compétence politique d’un industriel dans la France des années 1870 », Politix, 2008, n° 84, p. 9-33.. Ce travail, s’il n’est pas explicitement cité, a sur Guesde une influence certaine. Il demande cette juste réforme des impôts dans plusieurs de ses articles dans Les Droits de l’Homme de Paris, le journal de Guyot. Ce dernier évoque également la participation de Guesde à la revue d’économie politique La Réforme économique49Nous n’avons malheureusement pas pu accéder aux articles qu’aurait écrits Guesde. Sur la plateforme RetroNews, La Réforme économique n’est pas numérisée avant 1878.. Une réputation d’économiste accompagne-t-elle alors Guesde ? Dans une lettre qu’il lui adresse, Yves Guyot écrit :
« Depuis le temps que vous habitez l’Italie, vous devez être fort au courant de ce qui s’y passe. Veuillez donc nous envoyer une lettre sur les tendances des doctrines économiques et financières de l’Italie. Vous connaissez « l’Impôt sur le Capital », vous l’avez étudié, vous voyez donc les tendances de cette revue : hardies dans les idées, pourvu qu’elles soient basées sur la méthode scientifique50Lettre d’Yves Guyot à Jules Guesde, 12 septembre 1875, citée dans Adéodat Compère-Morel, op. cit., p. 104.. »

Est-ce pour cette collaboration en devenir que Guesde se lance dans la lecture de l’ouvrage de l’économiste italien Fedele Lampertico, L’Économie des Peuples et des États51Fedele Lampertico, Economia dei popoli e degli stati, Milan, Fratelli Treves Editori, 1874., que Guesde critique ensuite longuement dans une série d’articles intitulée « De la propriété : lettre au sénateur Lampertico52Jules Guesde, « De la propriété : lettre au sénateur Lampertico », dans Jules Guesde, Ça et là, Paris, Marcel Rivière & Cie, 1914. ». À cet effet, Guesde travaille longuement dans son cahier de notes53Jules Guesde, « Du Capital », 542_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History. et lit plusieurs publications d’économistes et hommes politiques italiens comme Luigi Luzzatti, Giuseppe Toscanelli, Dr M. Boselli. Il lit également l’article d’André Sanson intitulé « Conditions économiques de la production animale54André Sanson, « Conditions économiques de la production animale », Réforme économique, 15 juin 1876. », qui influence son regard sur le salaire ouvrier. Ainsi, après avoir écrit des articles de polémique politique, Guesde s’investit dans un nouveau champ, celui de la diffusion et de la création de connaissances, voire dans la science.

En outre, ces années 1874-1875 sont marquées par deux événements qui ont une influence certaine sur Guesde. Benoît Malon et lui se rapprochent et deviennent bons amis55Cette amitié peut avoir débuté avant le 14 mai 1875, date à laquelle Malon fait parvenir aux époux Guesde une photographie avec dédicace, 43_2, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.. L’un comme l’autre font partie du cercle du journal La Plèbe de Milan et de Lodi du socialiste Enrico Bignami. Et d’après le biographe de Bignami, Malon n’est pas pour rien dans la trajectoire socialisante du groupe56Luigi Cortesi, « Enrico Bignami », art. cit.. Mais, peut-être plus important encore, Guesde et Malon semblent échanger leurs connaissances et leurs lectures, sur les conseils d’un César De Paepe distant géographiquement qui correspond déjà avec Malon. S’il est impossible d’identifier qui influence qui, tous deux, peut-être sur les conseils du socialiste belge, ont lu les travaux de John Stuart Mill, ou du moins un ouvrage vulgarisant sa pensée rédigé par un auteur russe, Nikolaï Gavrilovitch Tchernychevski57Nikolaï Gavrilovitch Tchernychevski, L’Économie politique jugée par la science. Critique des principes d’économie politique de John Stuart Mill, tome premier, Bruxelles, D. Brismée, 1874. Il est certain que Guesde et Malon l’ont eu entre les mains. Ils y font référence dans leurs productions respectives. Voir Jules Guesde, Essai de catéchisme socialiste, Bruxelles, Henry Kistemaeckers, 1878, p. 19 ; Benoît Malon, La Question sociale. Histoire critique de l’économie politique, Ajani et Berra, Lugano, 1876, p. 48, 77, 110, 136, 175., que De Paepe a fait traduire puis imprimer pour sa librairie. Cette lecture de la pensée de Stuart Mill n’a pas une influence négligeable sur Guesde. Il en récupère certaines idées et s’inscrit de ce fait momentanément dans une branche du socialisme libéral dans la continuité du socialisme du groupe de Milan58Serge Audier, Le Socialisme libéral, Paris, La Découverte, 2014, p. 54.. C’est peut-être encore De Paepe qui conseille la lecture de L’Origine des espèces59Charles Darwin, traduction de Clémence Royer, L’Origine des espèces, Paris, Guillaumin et Cie et Victore Masson et Fils, 1870 (troisième édition). de Charles Darwin à Guesde et Malon pour sa critique du malthusianisme ambiant. Guesde mobilise cette critique notamment dans son Essai de catéchisme socialiste, dans lequel la lecture de Darwin transparaît lorsqu’il parle de la sélection des bœufs et des moutons et des erreurs de Malthus60Jules Guesde, Essai de catéchisme socialiste, op. cit., p. 18-19..

Une fois établi près de Milan, Guesde rencontre Mathilde Constantini, qui bientôt deviendra son épouse. Mathilde dispose d’une solide éducation qui lui a permis d’être préceptrice en Russie et parle cinq langues (italien, français, anglais, allemand et russe), ce qui facilite les contacts de Guesde avec les socialistes étrangers61Jean-Numa Ducange, op. cit., p. 24.. Mais pas seulement. Sa nécrologie apprend à l’historien qu’elle a souvent accompagné Guesde dans ses tournées de propagande et que, durant les années d’exil italien, elle s’est consacrée à une ou à des traductions, et qu’elle a notamment fait paraître les œuvres de Tchernychevski en français. Du moins, l’historien peut être certain qu’elle est bien l’auteure de la traduction de Que faire ?, bien qu’elle soit signée Alexis Tvéritinoff62« Nécrologie de Mme Guesde », Le Socialiste, 8 juillet 1900 ; « Son roman Que faire ? dont le succès en Russie fut considérable ; c’est du reste l’un des meilleurs romans socialistes de la littérature européenne ; il a été traduit en français par feu Mme Jules Guesde » : extrait de Vladimir Korolenko, « Souvenir sur Tchernechevsky », La Revue Socialiste, tome XXXIV, juillet-décembre 1901, p. 473. ». Car l’ouvrage est publié aux presses du journal La Plèbe à Lodi, et non à Bruxelles chez Brismée, qui en revanche a fait initialement traduire et imprimer L’Économie politique jugée par la science du même Tchernychevski… De plus, dans une lettre, Yves Guyot confirme que Guesde lui a fait envoyer des extraits cette même année63Lettre d’Yves Guyot à Guesde, 28 mai 1875, 43_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History..

S’il est impossible d’affirmer que, derrière le nom d’Alexis Tvéritinoff64C’est peut-être un étudiant polonais, ingénieur de profession qui suit à l’université de Genève des études de finance en 1874-1875. Suzanne Stelling-Michaud (dir.), Le Livre du recteur de l’académie de Genève (1559-1878), Genève, Librairie E. Droz, 1959, p. 2275. Ou bien est-ce le nom de ce personnage éponyme inspiré d’un bien réel fonctionnaire russe tiré d’un roman d’Ivan Tourgueniev ? Mais nous n’avons aucune certitude…, se cache systématiquement Mathilde Constantini, qui aurait alors traduit l’œuvre économique de Tchernychevski et donc facilité l’accès de son mari à cette dernière. L’avant-propos du traducteur montre également une solide connaissance de la littérature russe de son temps, tout en attaquant frontalement le sexisme de Proudhon65Nikolaï Gavrilovitch Tchernychevski, Que faire ?, Lodi, 1875, p. V.. L’idée d’égalité entre l’homme et la femme qui jusque-là n’était pas présente sous la plume de Guesde devient l’une des thématiques qu’il va développer jusqu’à son dernier jour66Jules Guesde, Çà et là, Paris, Marcel Rivière & Cie, 1914, p. 113-116, tiré du journal Les Droits de l’Homme du 16 octobre 1876 ; id., Essai de catéchisme socialiste, op. cit., p. 76 : « L’impossibilité relative et accidentelle dans laquelle la femme a été mise par l’homme ou par la société organisée par l’homme et pour l’homme, de satisfaire elle-même à ses besoins, en suite d’un développement intellectuel incomplet et de sa NON-ADAPTATION au travail économique » ; invitation pour un banquet de la Ligue française pour le droit des femmes, 4 mars 1894, 236_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History, ; Jules Guesde, « Note pour Luzon sur les droits de la femme », 18 avril 1919, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History, 504_3., par la publication de divers articles et par son insertion dans des réseaux féministes socialistes en compagnie d’Aline Valette67Aisha Bazlamit, « Aline Valette’s L’Harmonie sociale (1892-1893) : From Social Theory to Editorial Practice », Journal of European Periodical Studies, été 2021, p. 56-68..

Le retour en France

Après cette riche période italienne, Guesde et sa petite famille sont de retour en France en septembre 1876. Guesde est toujours inséré dans les réseaux d’Yves Guyot, d’Alfred Naquet68Alfred Naquet fréquente également Karl Hirsch. Lettre d’Alfred Naquet à Jules Guesde, 24 juin 1877, 57_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History. et d’Émile Acollas. Cela lui permet de trouver rapidement à s’employer dans divers journaux parisiens.

Il s’exprime alors dans la Révolution française de Naquet ainsi que dans les colonnes des Droits de l’Homme, journal de Guyot et de Sigismond Lacroix, en octobre 1876. Les Droits de l’Homme critique les républicains modérés comme Gambetta et attaque le gouvernement. Guesde y contribue en relatant le congrès ouvrier et en développant son projet pour résoudre la question sociale. Il encourage les candidatures ouvrières encadrées par un mandat impératif69Pierre Rosanvallon, Le Peuple introuvable, Paris, Folio, 1998, p. 251.. Idée qu’il défend depuis ses articles montpelliérains70Jules Guesde, « La démocratie », Les Droits de l’Homme, n° 10, 11 juin 1870.. Il condamne les coopératives ouvrières, qu’il juge comme étant « le plus grand commun diviseur des forces ouvrières71Jules Guesde, « Les sociétés coopératives », Les Droits de l’Homme, n° 268, 5 novembre 1876. », et leur préfère la formation d’un parti. Son analyse sévère du proudhonisme commence à se faire sentir. Il rédige encore quelques articles sur l’Italie, d’autres anticléricaux, et développe une critique systématique de Gambetta. Puis, dans le journal prenant le relais des Droits de l’Homme de Paris, Le Radical, des articles de Guesde prennent une tournure plus savante. Il y fait publier notamment une longue étude, « La crise lyonnaise et l’ordre moral72Série d’articles parue dans Le Radical en février-mars 1877. », où il propose une analyse de la crise économique qui frappe la soierie lyonnaise à l’aide des outils de l’économie politique qu’il a progressivement acquis.

Ce retour en France s’accompagne également de changements dans son réseau. Guesde fréquente les tables du café Soufflet à Paris, haut lieu de discussion entre jeunes socialistes français. C’est au sein du Soufflet qu’au cours de discussions avec José Mesa et Karl Hirsch73Voir Jean-Numa Ducange, op. cit., p. 31., Guesde se familiarise de plus en plus avec le marxisme74Ibid., tout en s’éloignant de ses réseaux républicains. C’est alors, le 18 novembre 1877, que ses compagnons et lui fondent L’Égalité : journal républicain socialiste, dont la devise, inspirée de celle de la République française, se décline ainsi : « Liberté, solidarité, justice ». Ce journal marque une inflexion. Comme le note l’historien Jean-Numa Ducange, Guesde « a fondé le premier journal ouvrier socialiste imprégné des théories marxistes, alors désignées comme “collectivistes”, sur le sol français75Ibid., p. 26. ». La rupture avec la République dite bourgeoise s’y fait de plus en plus sentir, alors que Guesde reste un partisan de la République dite sociale. Celle-ci est définie par la devise du journal, dont les mots n’ont pas été choisis au hasard. En plus de tenir des positions féministes, radicales pour l’époque, Guesde souhaite ouvrir le champ de liberté des individus par la réalisation de la société. Il faut ainsi pour lui distinguer une liberté de droit et une liberté de fait76Jules Guesde, Essai de catéchisme socialiste, op. cit., chapitre V « De la liberté », p. 46-52., et ainsi poser un objectif : « […] la liberté sera égale, [quand elle] existera pour tous77Ibid., p. 52. Voir également Jules Guesde, Collectivisme et révolution, Paris, Adolphe Reiff, 1879, p. 10. ». Ce principe, Guesde l’appelle la justice : « La justice est l’égalité dans la liberté, autrement dit l’égalité des moyens organiques et extérieurs d’action assurée à chacun et à tous78Id., Essai de catéchisme socialiste, op. cit., p. 46-52.. »

Ici, il fait encore une fois un lointain emprunt aux écrits de Proudhon. Et il exprime un premier matérialisme. La possibilité de liberté s’inscrit dans une époque donnée, elle est « relative et varie à la fois dans le temps et dans l’espace79Ibid. ». Enfin, la « solidarité » remplace la lutte de tous contre tous par l’harmonie entre les hommes. C’est sa réponse au social-darwinisme. Mais c’est également son interprétation de la théorie darwinienne, qu’il pense remettre sur des pieds plus solides en affirmant que l’homme n’est pas n’importe quel animal, mais un animal social, ce qui lui permet de coopérer avec ses semblables et de partager le travail.

Guesde fait également publier une série de petites brochures théoriques80Jules Guesde, La République et les grèves, Paris, Adolphe Reiff, 1878 ; id., La Loi des salaires et ses conséquences, Paris, Adolphe Reiff, 1878 ; id., Collectivisme et révolution, op. cit. dans lesquelles il expose son socialisme, le collectivisme, à un moment où il faut convaincre les sympathisants socialistes de la pertinence de ses idées. Pour ce faire, il s’appuie sur plusieurs autorités, dont Ferdinand Lassalle81Id., La Loi des salaires et ses conséquences, op. cit. Voir Emmanuel Jousse, « Lassalle en France », dans Juliette Grange et Pierre Musso, Les Socialismes, Lormont, Le Bord de l’eau, 2012. et John Stuart Mill82Jules Guesde, Collectivisme et révolution, op. cit., p. 4.. Cette production de brochures théoriques par Guesde est de courte durée et il ne développe pas sa pensée dans de longs essais, contrairement à Benoît Malon, Gabriel Deville ou Paul Lafargue. Guesde s’investit alors dans la polémique de presse, la direction de parti, la propagande collectiviste et la lutte contre la République bourgeoise.

Conclusion

Ainsi, la trajectoire de Guesde du républicanisme vers le socialisme connut de multiples accidents qui auraient pu ouvrir d’autres possibles. Plusieurs de ses connaissances les ont empruntés. Son correspondant Alfred Naquet est élu député du Vaucluse en juillet 1871. Après avoir fait publier l’influent ouvrage La République radicale en 1873, il est l’un des signataires du Manifeste des 363, contre la politique du président de la République Patrice de Mac Mahon. Il milite ardemment pour le divorce avant de devenir boulangiste. Yves Guyot, quant à lui, poursuit une carrière de journaliste et d’homme politique. Il est élu à la Chambre en 1885 et siège à l’extrême gauche puis, en 1889, dans le groupe parlementaire de la gauche radicale, tout en devenant un adversaire du socialisme. Il devient rédacteur en chef du très libéral Journal des économistes en 1910, jusqu’à son décès. Dans les années 1870-1880, Léon Millot participe activement au radicalisme et se rapprocha de George Clemenceau. Guesde, lui, devient marxiste avant d’avoir lu Marx83Compère-Morel raconte l’anecdote suivante : « Pendant une soirée passée chez Lafargue à Draveil, en février 1907, il me dira que ce qui l’avait le plus frappé dans “ces révélations”, c’était comment les passages de la Sainte Famille – dans laquelle la conception matérialiste de l’histoire fait une entrée si brillante et si retentissante dans la littérature révolutionnaire – lus et commentés devant lui rejoignaient ses propres pensées et corroboraient les opinions qu’il avait affirmées, avec quelque hésitation il est vrai, dès 1872, sur l’Histoire de la Civilisation. Adéodat Compère-Morel, op. cit., p. 122.. Puis, sa pensée se cristallise. Aux écrits théoriques succèdent à nouveau les écrits polémiques, aux lectures d’ouvrages sont préférés les journaux de la veille. Un combat politique l’emporte sur un combat théorique.

  • 1
    Paul Faure, « La mort de l’Apôtre », Le Populaire, 30 juillet 1922.
  • 2
    Jean-Numa Ducange, Jules Guesde. L’Anti-Jaurès ?, Paris, Armand Colin, 2017 ; Gilles Candar et Vincent Duclert, Jean Jaurès, Paris, Fayard, 2014.
  • 3
    Jean Garrigues, « Jean Jaurès et Jules Guesde : l’éternelle lutte finale de la gauche française », Franc-Tireur, n° 36, 20 juillet 2022.
  • 4
    Frédéric Cépède et François Lafon, « Guy Mollet, Albert Gazier, 1936-1946-1956-1966 : itinéraires croisés au prisme de l’histoire socialiste », Recherches socialistes, nos 74-75, janvier-juin 2016, p. 53-74.
  • 5
    Jean-Numa Ducange, « Jaurès, Guesde, “Infiniment plus proches l’un de l’autre qu’on ne l’a cru de leur vivant” ? (Léon Blum) », Cahiers Jaurès, n° 221, 2016, p. 11-33.
  • 6
    Ibid.
  • 7
    Gilles Candar, Devenir socialiste. Le cas Jaurès, Lormont, Le Bord de l’eau, 2015.
  • 8
    La correspondance conservée entre les deux hommes se déploie entre le 25 juillet 1867 et le 4 janvier 1874, pour les lettres datées. Elle est composée de quinze lettres, toutes de Millot.
  • 9
    Affaire Berezowski, Attentat contre la personne de S. M. l’Empereur de Russie. Réquisitoire et réplique de M. le procureur général de Marnas, Paris, E. Donnaud, imprimeur de la cour impériale et des tribunaux, 1867.
  • 10
    Leur correspondance se déploie entre janvier 1871 et juillet 1877. Article « Alfred Naquet » dans Le Maitron en ligne, version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 19 mars 2020.
  • 11
    Lettre d’Alfred Naquet à Jules Guesde, 12 janvier 1871, 13_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.
  • 12
    Frédéric Audren, « Émile Acollas, libertarien de la République. La République et son droit (1870-1930) », in La République et son droit (1870-1930), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2008, p. 239-261.
  • 13
    Adéodat Compère-Morel Compère, Jules Guesde : le socialisme fait homme 1845-1922, Paris, Librairie Aristide Quillet, 1937, p. 16.
  • 14
    Ce passage s’inspire probablement de l’essai de 1866 du philosophe bisontin, Théorie de la propriété : « La propriété moderne, constituée en apparence contre toute raison de droit et tout bon sens, sur un double absolutisme, peut être considérée comme le triomphe de la Liberté. C’est la Liberté qui l’a faite, non pas, comme il semble au premier abord, contre le droit, mais par une intelligence bien supérieure du droit. Qu’est-ce que la Justice, eu effet, sinon l’équilibre entre les forces ? La Justice n’est pas un simple rapport, une conception abstraite, une fiction de l’entendement, ou un acte de foi de la conscience : elle est une chose réelle, d’autant plus obligatoire qu’elle repose sur des réalités, sur des forces libres », Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de la propriété, Paris, Verboeckhoven et Cie, 1866, p. 79.
  • 15
    Adéodat Compère-Morel Compère, Jules Guesde, op. cit, p. 17-19.
  • 16
    Jules Guesde, « La Démocratie » dans Les Droits de l’Homme, n° 10, 11 juin 1870.
  • 17
    Jules Guesde, « La démocratie », Les Droits de l’Homme, n° 10, 11 juin 1870.
  • 18
    Jean-Numa Ducange, Silyane Larcher, Stephen W. Sawyer, « La République multiple. Une histoire transnationale et globale », in Quentin Deluermoz, D’ici et d’ailleurs, Paris, La Découverte, 2021, p. 274-275.
  • 19
    Jules Guesde, « Démocratie », Les Droits de l’Homme, n° 11, 12 juin 1870.
  • 20
    Guesde poursuit ce combat au long de sa vie. Les députés guesdistes élus à la Chambre proposent en 1898 la nomination d’une « commission du suffrage universel » chargée de proposer à la Chambre des mesures assurant la liberté et la sincérité du vote. Voir Pierre Rosanvallon, Le Sacre du citoyen, Paris, Folio, 1992, p. 510.
  • 21
    « Alliance républicaine de Montpellier », Les Droits de l’Homme, n° 21, 2 janvier 1871.
  • 22
    Courrier de la Gironde (article sans titre), n° 187, 21 janvier 1871.
  • 23
    Peut-être sous l’influence des théories de Proudhon et de sa banque du peuple.
  • 24
    « Alliance républicaine de Montpellier », art. cit.
  • 25
    Ibid.
  • 26
    Jules Guesde, « Sur les élections législatives », Les Droits de l’Homme, n°52, 23 février 1871.
  • 27
    Est-ce un nouvel indice de l’influence de Proudhon ? Sa théorie sur le fédéralisme vise à la mise en place d’une libre association des communes ainsi qu’à la jonction entre l’industrie et la campagne. Voir Pierre-Joseph Proudhon, De la capacité politique des classes ouvrières, Paris, E. Dentu, 1865.
  • 28
    Jules Guesde, « En économie on compte trois capitaux… », Les Droits de l’Homme, n° 90, 1er avril 1871.
  • 29
    Jules Guesde, article sans titre, Les Droits de l’Homme, n° 90, 1er avril 1871. Le Chassepot est le premier fusil à verrou de l’armée française. Il est mis en service en 1866. La culture populaire, notamment plusieurs chansons communardes, l’associe à la répression des mouvements ouvriers.
  • 30
    Jean-Numa Ducange, op. cit., p. 20.
  • 31
    Fabien Conord (dir.), Le Radicalisme en Europe, XIXe-XXIe siècles, Nancy, Arbre bleu, 2022.
  • 32
    Les Droits de l’Homme, n° 178, 2 juillet 1871.
  • 33
    Prospectus « La République universelle », juillet 1871, 19_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.
  • 34
    Jean de Senarclen, « Fazy, James » in Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 7 février 2018, consulté le 25 août 2022 ; article « James Fazy » dans Le Maitron en ligne, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 16 avril 2020.
  • 35
    Lettre d’Élie Ducommun à Jules Guesde, 25 septembre 1871, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.
  • 36
    Lettre de Léon Laurent-Pichat à Jules Guesde, 6 septembre 1871, 21_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.
  • 37
    Adéodat Compère-Morel, Jules Guesde. Le socialisme fait homme, 1845-1922, Paris, A. Quillet, 1937, p. 79.
  • 38
    Naquet a peut-être également orienté Guesde vers le courant bakouninien, car lui-même fut un membre actif de l’Alliance internationale de la démocratie socialiste.
  • 39
    K. Steven Vincent, Between Marxism and Anarchism. Benoît Malon and France Refomist Socialism, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1992, p. 48.
  • 40
    Nous n’avons pas trouvé d’informations supplémentaires sur ce journal.
  • 41
    Giuseppe Sircana, « Osvaldo Gnocchi Viani » in Dizionario biografico degli Italiani, vol. 57, 2001.
  • 42
    Ibid.
  • 43
    Luigi Cortesi, « Enrico Bignami » in Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 10, 1968. Consulté en ligne.
  • 44
    Lettre d’Yves Guyot à Jules Guesde, 17 septembre 1872, 27_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.
  • 45
    Leur correspondance ne semble commencer qu’en 1876.
  • 46
    Même s’il nous est difficile d’établir la date de leur rencontre et le début de leur amitié. Voir Jean-Numa Ducange, Jules Guesde, op. cit., p. 26.
  • 47
    Lettre d’Yves Guyot à Jules Guesde, 28 mai 1875, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.
  • 48
    Nicolas Delalande, « Émile-Justin Menier, un chocolatier en République. Les controverses sur la légitimité de la compétence politique d’un industriel dans la France des années 1870 », Politix, 2008, n° 84, p. 9-33.
  • 49
    Nous n’avons malheureusement pas pu accéder aux articles qu’aurait écrits Guesde. Sur la plateforme RetroNews, La Réforme économique n’est pas numérisée avant 1878.
  • 50
    Lettre d’Yves Guyot à Jules Guesde, 12 septembre 1875, citée dans Adéodat Compère-Morel, op. cit., p. 104.
  • 51
    Fedele Lampertico, Economia dei popoli e degli stati, Milan, Fratelli Treves Editori, 1874.
  • 52
    Jules Guesde, « De la propriété : lettre au sénateur Lampertico », dans Jules Guesde, Ça et là, Paris, Marcel Rivière & Cie, 1914.
  • 53
    Jules Guesde, « Du Capital », 542_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.
  • 54
    André Sanson, « Conditions économiques de la production animale », Réforme économique, 15 juin 1876.
  • 55
    Cette amitié peut avoir débuté avant le 14 mai 1875, date à laquelle Malon fait parvenir aux époux Guesde une photographie avec dédicace, 43_2, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.
  • 56
    Luigi Cortesi, « Enrico Bignami », art. cit.
  • 57
    Nikolaï Gavrilovitch Tchernychevski, L’Économie politique jugée par la science. Critique des principes d’économie politique de John Stuart Mill, tome premier, Bruxelles, D. Brismée, 1874. Il est certain que Guesde et Malon l’ont eu entre les mains. Ils y font référence dans leurs productions respectives. Voir Jules Guesde, Essai de catéchisme socialiste, Bruxelles, Henry Kistemaeckers, 1878, p. 19 ; Benoît Malon, La Question sociale. Histoire critique de l’économie politique, Ajani et Berra, Lugano, 1876, p. 48, 77, 110, 136, 175.
  • 58
    Serge Audier, Le Socialisme libéral, Paris, La Découverte, 2014, p. 54.
  • 59
    Charles Darwin, traduction de Clémence Royer, L’Origine des espèces, Paris, Guillaumin et Cie et Victore Masson et Fils, 1870 (troisième édition).
  • 60
    Jules Guesde, Essai de catéchisme socialiste, op. cit., p. 18-19.
  • 61
    Jean-Numa Ducange, op. cit., p. 24.
  • 62
    « Nécrologie de Mme Guesde », Le Socialiste, 8 juillet 1900 ; « Son roman Que faire ? dont le succès en Russie fut considérable ; c’est du reste l’un des meilleurs romans socialistes de la littérature européenne ; il a été traduit en français par feu Mme Jules Guesde » : extrait de Vladimir Korolenko, « Souvenir sur Tchernechevsky », La Revue Socialiste, tome XXXIV, juillet-décembre 1901, p. 473.
  • 63
    Lettre d’Yves Guyot à Guesde, 28 mai 1875, 43_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.
  • 64
    C’est peut-être un étudiant polonais, ingénieur de profession qui suit à l’université de Genève des études de finance en 1874-1875. Suzanne Stelling-Michaud (dir.), Le Livre du recteur de l’académie de Genève (1559-1878), Genève, Librairie E. Droz, 1959, p. 2275. Ou bien est-ce le nom de ce personnage éponyme inspiré d’un bien réel fonctionnaire russe tiré d’un roman d’Ivan Tourgueniev ? Mais nous n’avons aucune certitude…
  • 65
    Nikolaï Gavrilovitch Tchernychevski, Que faire ?, Lodi, 1875, p. V.
  • 66
    Jules Guesde, Çà et là, Paris, Marcel Rivière & Cie, 1914, p. 113-116, tiré du journal Les Droits de l’Homme du 16 octobre 1876 ; id., Essai de catéchisme socialiste, op. cit., p. 76 : « L’impossibilité relative et accidentelle dans laquelle la femme a été mise par l’homme ou par la société organisée par l’homme et pour l’homme, de satisfaire elle-même à ses besoins, en suite d’un développement intellectuel incomplet et de sa NON-ADAPTATION au travail économique » ; invitation pour un banquet de la Ligue française pour le droit des femmes, 4 mars 1894, 236_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History, ; Jules Guesde, « Note pour Luzon sur les droits de la femme », 18 avril 1919, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History, 504_3.
  • 67
    Aisha Bazlamit, « Aline Valette’s L’Harmonie sociale (1892-1893) : From Social Theory to Editorial Practice », Journal of European Periodical Studies, été 2021, p. 56-68.
  • 68
    Alfred Naquet fréquente également Karl Hirsch. Lettre d’Alfred Naquet à Jules Guesde, 24 juin 1877, 57_1, Jules Guesde Papers, International Institute of Social History.
  • 69
    Pierre Rosanvallon, Le Peuple introuvable, Paris, Folio, 1998, p. 251.
  • 70
    Jules Guesde, « La démocratie », Les Droits de l’Homme, n° 10, 11 juin 1870.
  • 71
    Jules Guesde, « Les sociétés coopératives », Les Droits de l’Homme, n° 268, 5 novembre 1876.
  • 72
    Série d’articles parue dans Le Radical en février-mars 1877.
  • 73
    Voir Jean-Numa Ducange, op. cit., p. 31.
  • 74
    Ibid.,
  • 75
    Ibid., p. 26.
  • 76
    Jules Guesde, Essai de catéchisme socialiste, op. cit., chapitre V « De la liberté », p. 46-52.
  • 77
    Ibid., p. 52. Voir également Jules Guesde, Collectivisme et révolution, Paris, Adolphe Reiff, 1879, p. 10.
  • 78
    Id., Essai de catéchisme socialiste, op. cit., p. 46-52.
  • 79
    Ibid.
  • 80
    Jules Guesde, La République et les grèves, Paris, Adolphe Reiff, 1878 ; id., La Loi des salaires et ses conséquences, Paris, Adolphe Reiff, 1878 ; id., Collectivisme et révolution, op. cit.
  • 81
    Id., La Loi des salaires et ses conséquences, op. cit. Voir Emmanuel Jousse, « Lassalle en France », dans Juliette Grange et Pierre Musso, Les Socialismes, Lormont, Le Bord de l’eau, 2012.
  • 82
    Jules Guesde, Collectivisme et révolution, op. cit., p. 4.
  • 83
    Compère-Morel raconte l’anecdote suivante : « Pendant une soirée passée chez Lafargue à Draveil, en février 1907, il me dira que ce qui l’avait le plus frappé dans “ces révélations”, c’était comment les passages de la Sainte Famille – dans laquelle la conception matérialiste de l’histoire fait une entrée si brillante et si retentissante dans la littérature révolutionnaire – lus et commentés devant lui rejoignaient ses propres pensées et corroboraient les opinions qu’il avait affirmées, avec quelque hésitation il est vrai, dès 1872, sur l’Histoire de la Civilisation. Adéodat Compère-Morel, op. cit., p. 122.

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