Jean Jaurès et les statistiques

Jean Jaurès, quelques jours avant son assassinat, avait confié à Marcel Mauss être en pleine rédaction d’une brochure pour les ouvriers destinée à vulgariser les statistiques. À partir de cet épisode peu connu qu’il nous relate, l’historien Maxime Surman livre une enquête plus vaste sur les statistiques, le mouvement socialiste et la pensée de Jean Jaurès.

Pour commémorer la disparition de son ami Jean Jaurès, le sociologue Marcel Mauss1Jean Gaumont, « Marcel Mauss », dans Le Maitron, 2020. dans la revue La vie socialiste du 8 juillet 1920 décrit deux balades à Paris en sa compagnie. Ces conversations auraient eu lieu les « 12 ou 13 juillet » et le « vendredi 23 juillet » 1914. Dans la seconde, il aurait été brièvement question du patriotisme et des risques de guerre, que Jaurès suit avec particulièrement d’attention2Gilles Candar et Vincent Duclert, Jean Jaurès, Paris, Fayard, 2014., tandis que durant la première que Mauss intitule « science sociale », Jaurès y expose un projet d’écriture :
« Il [Jaurès] me dit à peu près : « Parlons d’autre chose, du livre qui fera suite à L’Armée nouvelle. Je vous en ai déjà parlé. L’idée s’est précisée. Mais j’ai besoin de vos conseils, de vous, de Durkheim3Ami proche de Jean Jaurès. Voir « Durkheim, l’ami de Jaurès qui n’est jamais devenu socialiste », dans Marcel Fournier, Émile Durkheim (1858-1917), Paris, Fayard, 2007, p. 10. » – J’ajoutai : « De Simiand4François Simiand (1872-1935) est alors dans le groupe des durkheimiens le spécialiste des phénomènes économiques. Sa démarche valorise l’usage des données statistiques et manifeste son désir d’ancrer la science économique dans l’histoire. Il est l’auteur d’une thèse sur Le salaire des ouvriers des mines de France, soutenue en 1904. » – « Oui, me dit-il, sûrement, car maintenant c’est bien défini, je voudrais écrire quelque chose d’assez court, mais d’assez difficile – surtout si je veux le rendre très clair, pour notre public socialiste – sur la Statistique. Il faut apprendre à nos militants, au peuple, ce que c’est que la Statistique, ses procédés, ses méthodes et ses résultats, comment la science économique est possible ; et comment seule une science économique précise peut asseoir une politique socialiste sûre. Il faut aussi déterminer un mouvement d’opinion, pour renforcer dès maintenant les services de la statistique nationale, qui sont dans un état pitoyable en France ; il faut multiplier les instituts internationaux de statistique, afin de savoir. » Et il accentuait le mot en le répétant, comme il savait nuancer.
L’entretien s’est poursuivi. Nous arrivions à des détails. Quand il fallut rentrer par la petite porte de Bourgogne, il passe des régions de la science à celle de la politique la plus passionnée5Marcel Mauss, « Science sociale », La vie socialiste, 8 juillet 1920. Ce projet non abouti est à ajouter à un autre travail contemporain dans lequel Jaurès aurait défini sa conception philosophique du socialisme, voir Vincent Duclert « Philosophie et politique », dans Vincent Duclert (dir.), Jaurès contemporain, Toulouse, Privat, p. 167.. »

Ce bref récit d’interaction entre les deux amis est la seule trace que nous disposons de cette brochure statistique en devenir. Trois idées peuvent en être retenues. Jaurès envisageait la rédaction d’une brochure de vulgarisation statistique à destination des prolétaires. Cela afin de renforcer l’image que ceux-ci avaient d’eux-mêmes, tout en faisant des statistiques un outil au service de l’émancipation par la connaissance. Enfin, Jaurès appelle de ses vœux la constitution d’organes de statistiques dignes de ce nom en France. Et comme d’autres de ses travaux6Pour rédiger L’histoire socialiste de la Révolution française, il s’est entouré d’une petite troupe de compilateurs des archicubes mis à sa disposition par le bibliothécaire de l’ENS Lucien Herr au service de l’entreprise, ainsi que les socialistes Gustave Rouanet et Gabriel Deville, ou encore son secrétaire Lucien Bilange., la réalisation du projet devait mobiliser plusieurs de ses amis compétents sur le sujet, ici des sociologues, dont Émile Durkheim7Pour qui les travaux de Marx ne disposaient pas des données statistiques nécessaires. Cette critique a pu pousser Jaurès à réaliser son projet. Voir Marcel Fournier, Émile Durkheim (1858-1917), op. cit., 2007, p. 270..

Cette anecdote ouvre la possibilité d’une enquête plus vaste sur les statistiques, le mouvement socialiste et la pensée de Jean Jaurès. Mais avant toute chose, il faut rappeler que le socialisme et le mouvement ouvrier ont depuis la fin du XVIIIe siècle fait des statistiques un outil de lutte8Laure Piguet, Statistiques et émancipation sociale. Rôles et usages des chiffres dans la formation des mouvements ouvriers (France, Grande-Bretagne, 1770-1840), thèse de doctorat, université de Genève-Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2024., et Jaurès ne fait que s’insérer dans cette pratique. Car le savoir statistique est l’un des outils que le socialiste doit savoir manier tout autant pour compter ses effectifs9Frédéric Cépède, « La SFIO des années 1905-1914 : construire le parti », Cahiers Jaurès, vol. 187-188, n°1-2, 2008, pp. 29-45. que pour connaître le monde social dans lequel il agit et pour lequel il agit. Fleurissent ainsi dans les diverses publications socialistes tout au long du XIXe siècle de multiples rubriques intitulées : « Statistiques », « Faits et chiffres », « Documents et chiffres », « Quelques chiffres », « Faits-Documents-Chiffres », « Un peu de statistique », etc., marquant ainsi cet usage des chiffres comme l’un des outils au service du projet politique socialiste devenant un « statactivisme10Isabelle Bruno, Emmanuel Didier et Julien Prévieux (dir.), Statactivisme. Comment lutter avec des nombres, Paris, La Découverte, coll. « Zones », 2014. ». À notre connaissance, Jaurès est le seul qui, dans le champ du socialisme français au début du XXe siècle, eut le projet de formaliser au sein d’un opus la pensée socialiste sur les statistiques11Cette proximité avec les statistiques et le cercle des sociologues durkheimiens encourage Maurice Halbwachs à le mentionner dans la liste des auteurs de sociologie à inclure dans l’Encyclopédie sociologique européenne (dont le projet est abandonné avec la Première Guerre mondiale). Son nom ne fait même pas débat contrairement à Bergson. Marcel Fournier, Émile Durkheim, (1858-1917), op. cit., 2007, pp. 850-851., ainsi que le seul des socialistes à avoir autant porté jusqu’à la Chambre des députés ce combat. C’est pour cette raison que nous nous proposons de faire l’archéologie de ce projet inabouti. Pour ce faire, notre analyse sera organisée en trois temps. Dans un premier, il est question de l’apprentissage des statistiques et de leur usage par Jaurès. Dans un second, nous montrons que Jaurès dresse un portrait sombre des statistiques officielles12Statistiques produites par les administrations., dont les lacunes peuvent être comblées par des statistiques ouvrières. Enfin, le troisième et dernier temps insère la trajectoire de Jaurès au sein des réseaux socialistes tant nationaux qu’internationaux13Je tiens à vivement remercier Gilles Candar pour ses précieux conseils pour la rédaction de cette note..

Lutter avec les statistiques 

Devenir socialiste avec les statistiques

Alors que Jaurès est de retour dans le Midi vers 1889-1891, les données chiffrées sont de plus en plus présentes sous la plume du jeune homme politique détourné par son ami Durkheim du « formalisme et de la philosophie creuse des radicaux14Marcel Fournier, Marcel Mauss, Paris, Fayard, 1994, p. 58. » et frappé par le désenchantement15Jaurès traverse un moment de confusion. S’il prend position contre les écrits de ses anciens camarades d’école, Desjardins et Bergson, dans La Dépêche – il y souligne la crise religieuse auquel ils sont confrontés et la tourne en dérision –, il n’en reste pas moins que dans d’autres articles il affirme un espoir religieux. Est-ce là l’influence des néo-chrétiens ?. C’est ainsi que des lectures philosophiques laissent progressivement place à des lectures plus statistiques16Jaurès lit beaucoup, lors de son retour à Toulouse entre 1889 et 1892. Il consulte alors régulièrement les fonds de la bibliothèque municipale et ceux de la faculté.. Le manuscrit de l’été 1891, rare reliquat des écrits non publiés de Jaurès17Il ne subsiste, d’après nos connaissances à ce jour, que très peu de documents de sa main., témoigne de cet usage. Ce manuscrit où « la question sociale est partout18Gilles Candar, Devenir socialiste : le cas Jaurès, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2015, p. 40. » se veut être une esquisse d’une définition du socialisme. Il repose sur deux jambes : la philosophie métaphysique ainsi que l’étude sociale et économique. C’est pour s’accrocher au réel, à ce « monde sensible » étudié philosophiquement durant sa thèse, que Jaurès utilise les outils physiques à sa disposition19« De la réalité du monde sensible [titre de la thèse de Jaurès] résume le projet : montrer, contre les spiritualistes, que le monde extérieur a autant de réalité que la conscience humaine, puis tenter de concilier idéalisme et réalisme en démontrant qu’il y a interpénétration de la conscience et du monde », dans Vincent Duclert, « Philosophie et politique. Un retour vers Jaurès philosophe » dans Vincent Duclert (dir.), Jaurès contemporain, op. cit., 2018, p. 147.. Pour ce faire, il mobilise les travaux d’Alfred de Foville20Kang Zheng, « Foville, Alfred (de) (1842-1913). Professeur d’économie industrielle et de statistique (1885-1893) », dans Les professeurs du Conservatoire des Arts et Métiers. Dictionnaire biographique 1794-1955. Tome 1 : A-K., Paris, Institut national de recherche pédagogique, n°19, 1994, pp. 534-543., le directeur du Bureau de statistique et de législation comparée du ministère de l’Économie, le manuel de l’économiste Alphonse Courtois21Alphonse Courtois, Manuel des fonds publics et des sociétés par actions, Paris, Guillaumin, 1870., des chiffres tirés de divers journaux, dont Le Globe, Le journal officiel ou encore des données récoltées à Toulouse dans divers journaux locaux22Jaurès aurait également été assisté dans la préparation de ce manuscrit par un professeur à l’université de Liège, sur lequel nous n’avons pas plus d’informations.. Données que Jaurès ne fait pas que réciter d’une manière ordonnée : il donne aux chiffres une signification autre que celle signifiée par leurs créateurs, tout en se lançant dans la critique de cet appareil de connaissance dont la froideur le rebute. Lui le républicain humaniste, il amplifie au contact de ces faits sa révolte23Madeleine Rebérioux et Gilles Candar, Œuvres de Jean Jaurès, tome 2, Le passage au socialisme, 1889-1893, Paris, Fayard, 2011, pp. 625-714.. Car si, d’un côté, la richesse produite augmente, il n’en reste pas moins qu’« il n’est pas démontré que pour la consommation des produits essentiels, la viande, le vin, ce soit les classes ouvrières qui aient bénéficié surtout de l’accroissement24Ibid. ». Ce qui lui permet de formuler une critique directe à l’encontre de l’usage de ces statistiques : « Il y a dans tout ce déploiement de statistique, beaucoup d’artifice et d’équivoque25Ibid.. » Jaurès entreprend même quelques calculs personnels, contenant des erreurs de calcul26 Ibid..

Ainsi, Jaurès par le premier temps de ce manuscrit tente un exercice de mise en application des connaissances qu’il a accumulées tout au long de ces lectures. Il s’essaye à la déduction de phénomènes cachés derrière les données et se risque à percevoir des faits sociaux par-delà les taux d’émission des emprunts d’État, la démographie, l’indice des prix, etc. Une fois tous ces faits exposés, Jaurès revient vers la philosophie morale, et il en déduit deux « lois » qu’il tire de ses « observation[s] » empiriques que sont la « loi de diminution humaine » et la loi de « concurrence ». Il ne semble pas avoir développé ces deux concepts ultérieurement. C’est ainsi que ce texte l’inscrit dans le positivisme ambiant dont il adopte la démarche d’investigation. Il établit des faits avant toute tentative d’élaboration théorique27Jean-Charles Buttier, « James Guillaume et l’usage des statistiques : un savoir au service de l’émancipation », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n°138, 2018..

La lutte politique par les chiffres

Cet attrait statistique de Jaurès se retrouve tout au long de sa vie. Le 21 novembre 1893 lors de son discours à la Chambre intitulé « République et socialisme28Alain Boscus, Œuvres de Jean Jaurès, tome 4, Le militant ouvrier, 1893-1897, Paris, Fayard, 2017, pp. 450-466. », Jaurès démontre que la grande industrie et la grande propriété remplacent les petites structures de production à l’aide de données qu’il a extraites de la dernière grande enquête agricole ainsi que des travaux de l’économiste Yves Guyot :
« Voulez-vous, par un simple chiffre, l’indication de ce mouvement rapide, qui travaille pour nous en détruisant cette union de la propriété et du travail qui avait permis à la société actuelle de durer29Jean-Claude Wartelle, « Yves Guyot ou le libéralisme de combat », Revue française d’histoire des idées politiques, n°7, 1988, pp. 73-109. ? »

Point sur lequel il est immédiatement attaqué par son audience, connaissant elle aussi l’affaire :
« Un membre : C’est absolument inexact !
M. Émile Riotteau30Notice sur Émile Riotteau, Assemblée nationale. : Dans quel pays vivez-vous ?
M. Paul Doumer31Amaury Lorin, Paul Doumer. La République audacieuse, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2022. : C’est indéniable ; il n’y a qu’à consulter les statistiques ! »

Jaurès répond de la manière suivante à ces objections, non sans un trait d’humour :
« Messieurs, voici ce que dit textuellement M. Tisserand : « en résumé, les moyens et grands cultivateurs détiennent ensemble trois quarts du territoire agricole, tandis que les millions de nos paysans en ont à peine le quart » (Mouvements divers).
« Voilà la constatation de vos statistiques. J’oubliais de compter les statistiques ministérielles parmi les forces qui concourent au développement du socialisme ! » (On rit)32Jean Jaurès, « République et socialisme, discours à la chambre des députés, 21 novembre 1893 », dans Alain Boscus, Œuvres de Jean Jaurès, tome 4, op. cit., pp. 450-466.. »

Ce passage dans lequel Jaurès montre son expertise illustre la nécessaire maîtrise des statistiques lors des argumentations économiques pour que l’énonciateur puisse disposer d’une crédibilité aux yeux de ses détracteurs et des membres de son propre camp. Cette intervention sur les statistiques agricoles à la Chambre est loin d’être isolée. Jaurès faisant des questions budgétaires, économiques et sociales l’un de ses chevaux de bataille, il se doit alors d’être au fait des dernières données. Ceci l’inscrit dans une pratique plus large d’argumentation des chiffres chez les socialistes français, comme en attestent ses usages de l’expression « statistiques officielles ». Jaurès gage son argumentation sur un savoir produit par ses contradicteurs, les services de l’administration, et donc celui-ci ne saurait être remis en question, car produit par ces derniers pour eux-mêmes. Jaurès est loin d’être le seul à avoir recours à ce procédé rhétorique. Jules Guesde33Jean-Numa Ducange, Jules Guesde : l’anti-Jaurès ?, Paris, Armand Colin, 2017. fait, le 15 juin 1896, un usage rhétorique similaire lors de sa confrontation avec le ministre du Commerce Henri Boucher34Jules Guesde, Quatre ans de lutte de classe à la Chambre, 1893-1898, Paris, G. Jacques, 1901, pp. 267-268.. L’un a-t-il copié son effet rhétorique sur l’autre ? Faut-il vraiment rendre à l’un des deux Césars son dû ? L’historien ne peut ici qu’imaginer la transmission et les imitations conscientes et inconscientes entre les différents orateurs socialistes.

Mais attention, la controverse chiffrée n’est pas l’apanage de la Chambre. Les affrontements entre socialistes sont également l’occasion de duels chiffrés35Frédéric Potier, Jaurès en duel, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2024.. C’est dans ce cadre que doit être appréhendé le débat éclatant en janvier 1910 opposant notamment Jaurès et Paul Lafargue36Jean Maitron, Justinien Raymond et Jean Dautry, « Paul Lafargue », dans Le Maitron, 2022. sur les retraites ouvrières. Celui-ci est tout aussi politique, moral que technique entre les deux hommes, qui, pendant une année, par articles interposés, notamment dans les colonnes de L’Humanité, alimentent leur point de vue37Voir L’Humanité entre le 8 janvier 1910 et le 9 mars 1910.. Si, de ce moment, il est difficile d’affirmer que la victoire du projet de loi porté par Jaurès tient aux arguments statistiques qu’il a avancés par rapport aux arguments moraux, il n’en reste pas moins que les données ont été au cœur de sa démonstration victorieuse à la Chambre et au parti38Paul-André Rosental, « Jean Jaurès, avocat de la retraite par capitalisation : pour une histoire politique longue du capital mutualisé du XXIe siècle », n°51, Histoire@Politique, 2023..

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Lutter pour des statistiques

L’exigence de la connaissance par la compilation de nouvelles statistiques « officielles »

Le constat posé lors du débat à la Chambre à propos du manque d’informations sur le monde agricole est reposé bien des années plus tard, porté par le projet rationaliste de Jaurès39Jean-Félix de Bujadoux, « Jaurès, aux origines du modèle français de parlementarisme rationalisé », Jus Politicum, n°11, 2013.. Dans un article publié dans La Dépêche40Jean Jaurès, « Activité productrice », La Dépêche, 20 septembre 1911, dans Marion Fontaine, Alain Chatriot, Fabien Conord et Emmanuel Jousse (dir.), Œuvres de Jean Jaurès, tome 14, La voix du socialisme, Paris, Fayard, 2022, pp. 311-312., les statistiques françaises sont présentées comme insuffisantes pour bien connaître le pays, alors qu’ailleurs en Europe, comme en Angleterre, les statistiques y seraient pléthoriques. Jaurès donne trois raisons à ces manques français. La première est que les capitalistes font tout pour cacher leurs profits et s’assurent d’en maintenir le mystère. La seconde est que ce savoir étant une arme dans les mains de l’État, les capitaines d’industrie le craignent et donc se refusent à remplir les formulaires d’enquête. Enfin, il fait le constat du manque d’ambition politique et du faible investissement de l’État dans les services statistiques.

Pour le pallier, Jaurès tente d’impulser des enquêtes depuis la Chambre. Il essaye de passer avec plus ou moins de succès plusieurs commandes d’enquêtes sur l’état du pays : enquête sur « l’état d’agriculture et de la propriété rurale, et la condition des travailleurs agricoles » en 189741Jean Jaurès, « Nouvel affichage », La Lanterne, 23 novembre 1897, dans Éric Cahm, Œuvres de Jean Jaurès, tome 6, L’affaire Dreyfus (1897-1989), Paris, Fayard, 2001, pp. 41-44., « enquête parlementaire sur la situation de l’industrie textile42Marion Fontaine, « Jaurès et la question ouvrière », dans Vincent Duclert (dir.), Jaurès contemporain, op. cit., 2018, p. 84. », qu’il justifie de la manière suivante :
« Cette enquête dira si le salaire est bien celui qui permet la protection douanière accordée à l’industrie textile. Elle éclairera en même temps le Parlement sur les conditions difficiles de l’industrie elle-même ; elle dira aussi si les conditions d’hygiène dans les usines et dans les habitations ouvrières ne sont pas à réformer profondément43Bulletin de l’Office du travail, Tome X, Paris, Berger-Levrault et Armand Colin, 1903, p. 928.. »

L’objectif est alors de faire rentrer la condition ouvrière par les faits dans les débats parlementaires, tout en connaissant mieux le pays réel. Enfin, Jaurès propose en 1912 une « enquête sur la condition réelle des commerçants ». Cette dernière montre la confiance de Jaurès dans cet outil pour éclairer le débat parlementaire ainsi que la résistance de ses adversaires à son projet :
« Nous sommes bien résolus en tout cas à persévérer dans notre demande d’une vaste enquête sociale sur le fonctionnement commercial de la France. Et c’est nous qui aurons le dernier mot, parce que ce sont toujours les faits qui ont le dernier mot44Jean Jaurès, « La peur du fait », L’Humanité, 13 novembre 1912.. »

Cette enquête viendrait, semble-t-il en imaginant l’implicite de l’affirmation, profondément remettre en question l’un des fondements sociologiques de la IIIe République construite sur les « nouvelles couches sociales » de Gambetta. Demande d’enquête sur laquelle il insiste encore à plusieurs reprises jusqu’en janvier 191345Jean Jaurès, « Finances nationales », L’Humanité, 3 janvier 1913..

Ainsi, alors que les statistiques nationales ne peuvent lui donner toujours la matière nécessaire, Jaurès se tourne vers le mouvement ouvrier. Les socialistes français tentent à plusieurs reprises de construire leur propre appareil de connaissance de la société, sans grande réussite. L’enquête ouvrière patronnée par Karl Marx de 1880 est bien connue46Marcello Musto, Les dernières années de Karl Marx. Une biographie intellectuelle (1881-1883), Paris, Presses universitaires de France, 2023, pp. 68-70., non tant par ses résultats, perdus dans une boîte quelque part, que par le nom de son illustre directeur honoraire. Le Parti ouvrier et plus tard la SFIO lancent encore deux enquêtes agricoles socialistes, qui sont passées jusqu’à présent inaperçues47Le Parti ouvrier envisage une enquête en 1892 et le Congrès de la SFIO de Limoges en 1906 entreprend sous la direction d’Adéodat Compère-Morel la réalisation d’une enquête sur la propriété agricole., car ne pouvant capitaliser sur leurs grands résultats. Jaurès mobilise la première. Alors que tarde la publication en 1897 des résultats de l’enquête décennale du ministère de l’Agriculture sur la France agricole, réalisée en 1892, Jaurès annonce que le groupe socialiste s’est lancé dans la réalisation d’une enquête rurale indépendante48Alain Boscus, Œuvres de Jean Jaurès, tome 5, Le socialisme en débat, 1893-1897, Paris, Fayard, 2018, pp. 360-386 et « Socialisme et paysans », discours à la chambre des députés, 19 juin 1897.. De celle-ci, nous ne connaissons que bien peu d’éléments, car ses résultats n’ont jamais été communiqués49Depuis notre première rencontre avec celle-ci, nous n’étions pas certains de sa réalisation pratique mais de nouveaux documents contenus dans le fonds Jules Guesde de la Fondation Jean-Jaurès permettent d’attester l’amorce de réalisation d’une synthèse. C’est peut-être ces documents que Jules Guesde ou un autre membre du parti aurait communiqués à Jaurès., et Jaurès n’en fait plus tard plus mention. À cet ensemble de réalisations collectives, il est possible d’y adjoindre plusieurs enquêtes jaurésiennes monographiques parues dans la presse socialiste50Liste non exhaustive des enquêtes sur le terrain de Jaurès : sur les ouvriers du Nord (« Dans le Nord », La Dépêche, 31 mars 1898) ; sur les cheminots (« Dans les chemins de fer », La Petite République, 9 août 1898) ; sur la fidélité à l’identité ouvrière des anciens élus socialistes (« Un ouvrier d’art », La Dépêche, 24 août 1898), sur l’évolution de la Verrerie ouvrière de Carmaux (« Justice capitaliste », La Lanterne, 30 janvier 1898 ; « L’action ouvrière », La Petite République, 26 mars 1898). D’après Gilles Candar et Vincent Duclert, Jean Jaurès, op. cit., 2014, p. 235. Voir également Éric Geerkens, Nicolas Hatzfeld, Isabelle Lespinet-Moret et Xavier Vigna (dir.), Les enquêtes ouvrières dans l’Europe contemporaine, Paris, La Découverte, 2019..

Une enquête à part : l’histoire socialiste de la Révolution française

Ces demandes répétées de production de données et d’enquêtes ne souhaitent pas uniquement connaître le temps présent. Jaurès, alors qu’il a été contraint à une pause parlementaire en mai 1898 par sa non-réélection, poursuit grâce au temps libre ainsi acquis un ambitieux travail d’historien sur la Révolution française51Madeleine Rebérioux, « Jaurès historien de la Révolution française », Annales historique de la Révolution française, vol. 184, 1966, pp. 171-195.. Il reproche à l’historiographie dominante de laisser de côté l’histoire économique et sociale au profit des faits politiques52Ibid,p. 184.. Jaurès, pour reprendre les mots de l’historienne Madeleine Rebérioux, a alors le « souci non seulement du chiffre, mais de l’évolution sérielle. Il a senti que là était la pierre de touche d’une étude économique sérieuse de l’événement. Pour ce faire, Jaurès utilise, pour comprendre la hausse des prix de 1792, les tableaux de Creuzé-Latouche53Madeleine Rebérioux fait ici référence au rapport du député Jacques Antoine Creuzé-Latouche, député de la Vienne, Rapport des députés de la Convention nationale réunis, pour présenter leurs idées en faveur de la liberté entière du commerce des grains, Paris, Imprimerie nationale, 1792. ». Des tableaux qu’il publie et commente : prix du blé par département entre le 8 et le 16 octobre 1792, évolution annuelle du prix moyen du froment depuis 1756, etc.54Ibid, p. 184. Jaurès se fait alors historien en partant des traces documentaires pour les recouper, les analyser, les interpréter. Et c’est là que Jaurès se fait le plus « scientifique ». Il interprète pour dévoiler le non-dit du dit55Bruno Antonini, « Jaurès historien de l’avenir : gestation philosophique d’une “méthode socialiste” dans L’Histoire socialiste de la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, juillet-septembre 2004, n°337, pp. 117-142.. Mais pour réaliser cette histoire économique et sociale, il faut mener des enquêtes sur les ventes des biens nationaux, sur le prix des subsistances, sur les revendications des contenus dans les cahiers paysans. Jaurès a amorcé son travail dans les archives du Tarn, dans les archives de Paris, aux Archives nationales56Sites d’archives qui pour les années 1900 et 1901 ont gardé trace des demandes de Jaurès. Voir Madeleine Rebérioux, op. cit., p. 176.. Mais les archives à mobiliser sont tant dispersées dans tous les départements que « la vie d’un homme ne suffirait point à les épuiser57Ibid., p. 772. ». Les volumes qu’il rédige sur La Constituante, la Législative et la Convention I et II mettent en pratique cette démarche d’enquête, bien que limitée à quelques territoires. C’est pourquoi une fois les premiers volumes publiés Jaurès souhaite pérenniser son projet en créant une Commission parlementaire spécialisée58Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, Paris, Rouff, 1901, p. VI. en mobilisant les compétences de mise en tableau et d’étude de l’Office du travail, qu’il connaît bien59Il fait d’ailleurs mention des travaux de cet Office en grand bien dans le premier tome de son Histoire socialiste, op. cit., p. 55.. Il fait de ce projet une réalité en novembre 1903, sous le surnom de « Commission Jaurès » ou sous son nom officiel de « Commission pour la recherche et la publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution française60« Vie et mort de la “Commission Jaurès” », dans Christine Peyrard et Michel Vovelle (dir.), Héritage de la Révolution française à la lumière de Jaurès, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2002, pp. 6-7. ». Jaurès en est le président jusqu’à sa mort et semble suivre avec un intérêt constant les débats et les publications. Ce qui ne peut que participer à l’enracinement de Jaurès au sein des productions statistiques et donc accompagne sa réflexion sur le sujet ainsi que ses usages.

Produire de nouvelles statistiques pour le monde ouvrier, par le monde ouvrier

Mais Jaurès aspire également à ce que le mouvement ouvrier devienne lui-même un producteur de données statistiques. Loin d’être une idée nouvelle, car remontant au début du XIXe siècle61Laure Piguet, Statistiques et émancipation sociale, op. cit., 2024., la production de statistiques par et pour les organes représentatifs du monde du travail dans les années 1880-1910 est un projet constamment repoussé et inachevé tant dans les syndicats que dans les Bourses du travail62Du moins, nous n’avons pas connaissance d’une plus ample réalisation à l’échelle nationale. Il reste encore à mener un chantier à des échelles plus locales.. Jaurès, qui fréquente les Bourses du travail depuis au moins juillet 1892, souscrit au projet statistique évoqué par le secrétaire général des Bourses du travail Fernand Pelloutier63Jean Maitron, « Fernand Pelloutier », dans Le Maitron, 2022. dans un article de 1898. Pour Jaurès, les Bourses du travail ont une nouvelle mission :
« La Bourse du travail a surtout pour objet une œuvre d’enquête, de statistique permanente sur les conditions du travail, sur le chômage, sur les mouvements de la production. L’un, si je comprends bien, est considéré surtout comme un organe de combat [syndicat] ; l’autre, comme un organe d’éducation et d’information préparant l’avenir et recueillant les éléments dont la classe ouvrière aura besoin plus tard pour organiser la production sur la base sociale64Jean Jaurès, « Le mouvement ouvrier », La Dépêche, 6 octobre 1898, dans Éric Cahm, Œuvres de Jean Jaurès, tome 7, L’Affaire Dreyfus, op. cit., 2001, pp. 416-417.. »

Mais cette ambition jaurésienne de production de savoirs ouvriers au sein du mouvement syndical et des Bourses du travail s’affirme surtout ultérieurement durant les années 1905-191465Alain Boscus, « Jean Jaurès, la CGT, le syndicalisme révolutionnaire et la question sociale », 2008, Hal open science, pp. 113-121 (consulté le 17 juillet 2024).. Jaurès convoque une nouvelle fois le pouvoir des statistiques dans la lutte ouvrière en dressant les insuffisances du mouvement syndical lors du Congrès de la SFIO à Nîmes, le 8 février 1910. Alors que deux ans auparavant le secrétaire général de la CGT Victor Griffuelhes66Bruce C. Vandervort, « Victor Griffuelhes », dans Le Maitron, 2022. avait refusé de rendre conforme aux décisions de l’Internationale syndicale la collecte de statistique au sein de la CGT, car cela était pour lui une perte de temps67Susan Milner, The Dilemmas of Internationalism. French Syndicalism and the International Labour Mouvement 1900-1914, New York, Berg, 1990, p. 143., Jaurès s’attaque à ce manquement, après avoir évoqué le projet de loi sur les retraites ouvrières, et proposé quelques chiffres illustrant son propos. Il mentionne la menace que la non-conformité du syndicalisme français à la réalisation de statistiques ferait peser le poids de l’ignorance à la lutte :
« Mais, et j’ajouterai à l’adresse de nos camarades des syndicats et de Luquet, il faudra à l’avenir qu’en ce qui concerne les statistiques sociales, les syndiqués, les militants, les ouvriers, changent d’attitude. Jusqu’ici, par une sorte de méfiance qui est vraiment un peu puérile dans une classe qui est en train de devenir majeure, on a considéré les renseignements statistiques demandés sur les professions, sur le travail, sur le chômage, comme des pièges de la police. Dans plus d’un syndicat, le mot d’ordre a été donné : ou ne répondez jamais, ou répondez en trompant les autorités…
[…] Je constate un état d’esprit, et je constate que cet état d’esprit rend presque impossible l’établissement préalable des statistiques qui seraient nécessaires pour bâtir avec certitude des lois sociales comme la loi sur les retraites68Ibid., pp. 100-101.. »

Le militant socialiste et syndicaliste Alexandre Luquet69Alexandre Luquet (1874-1930) est un militant socialiste et responsable CGT (Fédération des coiffeurs) dont il est le secrétaire général par intérim en 1908. lui objecte alors que ces enquêtes permettraient à la police de référencer les syndicalistes et donc de servir les intérêts de la bourgeoisie plutôt que ceux des syndicats, qui sont « des cas d’espèces qu’ils ont seule qualité pour apprécier70Ibid., p. 101. ». Celui-ci est loin d’être le seul, cette attitude est partagée par bon nombre des syndicalistes d’action directe surtout dans les années 1904-190671Isabelle Lespinet-Moret, L’Office du travail, 1891-1914. La république et la réforme sociale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, pp. 262-263.. Mais pour Jaurès, il ne peut en être autrement car pour connaître la société les statistiques sont un outil incontournable. Les ouvriers doivent cesser de les considérer avec méfiance comme un appareil de surveillance et de discipline. Car la mise en pratique d’une politique, voire d’une société, socialiste passera pour Jaurès par la réalisation d’enquêtes fiables assorties d’une confiance dans leurs résultats : « Donc, le devoir du congrès, non seulement ici, mais en dehors, c’est de chasser toute cette fantasmagorie de chiffres inexacts et de remettre la classe ouvrière en face de la réalité72Ibid., p. 102.. »

Un argumentaire qu’il continue de développer les années suivantes dans quelques-unes de ces prises de position73Jean Jaurès, « Activité productive », La Dépêche, 20 septembre 1911, dans Marion Fontaine, Alain Chatriot, Fabien Conord et Emmanuel Jousse, Œuvres de Jean Jaurès. tome 14, La Voix du socialisme, op. cit., 2022, pp. 311-312. et qui est inscrit dans les débats socialistes de son époque74Louis Dubreuilh, « Statistique révolutionnaire », L’Humanité, 14 septembre 1913..

Jaurès et les réseaux socialistes statisticiens

Pour terminer cette note, il est nécessaire de faire un pas de côté au sein des réseaux socialistes et socialisants. Cela nous permet de donner une vue plus globale des influences sur Jaurès, tant au sein du cadre français que depuis l’Internationale ouvrière.

Importer les pratiques statistiques dans le socialisme français

Nous l’avons déjà montré plus haut, Jaurès n’est pas le seul socialiste à faire des statistiques un outil politique au service de l’émancipation du prolétariat. Il est d’ailleurs loin d’être celui qui en fait un usage systématique75Par exemple, le guesdiste Adéodat Compère-Morel est bien plus significatif en la matière.. C’est ainsi qu’il se trouve être sous l’influence de différents acteurs et réseaux, dont nous avons déjà mentionné certains76L’influence des guesdistes, l’influence de l’Office du travail, l’influence du mouvement syndical.. Et parmi ceux-ci, le réseau des durkheimiens ne doit pas être sous-estimé. Bon nombre d’entre eux fréquentent Jaurès et ces premiers sociologues professionnels publient ouvrages et articles de revue avec les statistiques françaises et surtout européennes. Ils mettent la sociologie au service du socialisme77Marcel Fournier, Émile Durkheim, op. cit., pp. 679-684.. Certains des membres de ce réseau se retrouvent dans les colonnes de L’Humanité et, en mobilisant une technique comparatiste, issue de leurs propres travaux, ils se proposent de mettre le socialisme français en relation avec d’autres modèles européens. N’ont ainsi pu échapper à Jaurès, lecteur avide du journal78Et d’un ensemble de publications socialistes que nous n’avons que commencé à esquisser, du fait de la faiblesse documentaire., les commentaires de ces journalistes-sociologues Albert Thomas et Marcel Mauss sur la social-démocratie allemande et les socialistes britanniques, dont la Fabien Society. Les articles d’Albert Thomas79Justinien Raymond, « Albert Thomas », dans Le Maitron, 2021. sur les syndicats allemands, dans lesquels celui-ci qualifie le dirigeant des syndicats libres Carl Legien80Karl Christian Führer, Carle Legien 1865-1921. Ein Gewerkschafter im Kampf um ein „möglichst gutes Leben“ für alle Arbeiter, Essen, Flartext, 2009. de « statisticien81Albert Thomas, « Le mouvement syndical international », L’Humanité, 28 avril 1905. ». Legien avait alors vanté lors de la Conférence internationale des syndicats de Stuttgart de 1902 les mérites des compilations allemandes, autrichiennes et danoises82Susan Milner, The Dilemmas of Internationalism, op. cit., 1990, p. 83., avant de se lancer l’année suivante dans la critique des rapports français et britannique. Car ni l’un ni l’autre n’était « basé sur des matériaux obtenus à l’aide d’une méthode statistique telle que pratiquée en Allemagne83Ibid., p. 85. ». Thomas en profite pour appeler de ses vœux la compilation de données sur le modèle allemand : « Malheureusement, ces documents sont bien insuffisants encore, et il y aura fort à faire, un peu partout, pour que la statistique internationale devienne aussi complète et précise que celle des syndicats allemands84Ibid. ». Marcel Mauss85Mauss a converti Jaurès à la coopération., dans ses articles sur la coopération, fait également mention de la production de données par les Allemands ainsi que par les syndicats anglais et souhaite l’importation de cette technique en France86Marcel Mauss, « Mouvement coopératif », L’Humanité, 11 juillet 1904.. L’influence de cet étranger socialisant proche se retrouve encore sous la plume de Louis Dubreuilh87Justinien Raymond, « Louis Dubreuilh », dans Le Maitron, 2022. dans son article « Statistique révolutionnaire », dont il se montre envieux du prolétariat organisé d’outre-Rhin et souhaite que « notre Confédération générale du travail, comme notre Parti socialiste seront appelés un jour qui est proche à forger eux aussi, pour les prolétaires de France, les mêmes armes efficaces88Louis Dubreuilh, « Statistique révolutionnaire », article cité, 14 septembre 1913. ». Jaurès leur emboîte alors le pas. Lors du Congrès national du Parti socialiste français préparatoire au défunt Congrès de Vienne d’août 1914, il justifie la nécessité d’une enquête sur la cherté de la vie et l’augmentation des salaires et se « réfère aux statistiques publiées par les syndicats allemands » pour mener à bien cette entreprise89« Au Congrès national du Parti socialiste. On a voté hier sur toutes les questions à l’ordre du jour du Congrès international », L’Humanité, 17 juillet 1914..

Jaurès, l’Internationale et les statistiques

Par ailleurs, Jaurès en tant que membre actif de l’Internationale ouvrière90Ladislas Mysyrowicz, « Karl Marx, La Première Internationale et la Statistique », Le Mouvement social, n°69, 1969, pp. 51-84. a été mis au contact des débats sur la collecte de données, même si aucun document n’atteste de prises de parole de sa part sur ce sujet. La Seconde Internationale, si elle ne produisit des statistiques en son nom, lança à partir du Congrès de Paris de 1900 plusieurs appels à destination des partis pour que ceux-ci communiquent et éditent leurs données. C’est notamment l’une des trois missions confiées au Bureau international du travail (BIT) à partir de sa création en 1900, que sont : l’organisation régulière de congrès, la communication via des bulletins internationaux périodiques et la production de statistiques91Pierre Alayrac, L’Internationale au milieu du gué. De l’Internationalisme socialiste au Congrès de Londres (1896), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 190.. Jaurès en tant que membre de ce dernier avec Édouard Vaillant92Justinien Raymond, « Édouard Vaillant », dans Le Maitron en 2022. depuis 1905 a dû être informé de ces débats. L’objectif de cette production interne était d’avoir une vue d’ensemble du mouvement et de pouvoir collectivement en suivre les évolutions. Parallèlement à cela, le Bureau avait pour ambition de collecter des données sur le travail dans les différents pays et de les diffuser au sein de son Bulletin ou via les comptes rendus des Congrès dans les Rapports sur les différents pays membres de l’organisation93Georges Haupt, Congrès socialiste international, Copenhague 28 août-3 septembre 1910, T2, Minkoff Reprint, 1981.. Les débats sur la production de données donnent naissance lors du Congrès de Copenhague à la création d’une Commission sur la législation ouvrière et le chômage, dont l’objectif est alors de compiler et de lancer des enquêtes « comme en Allemagne » sur les sans-emploi. Un débat tendu porta sur l’institution devant être chargée de l’enquête. L’Autrichien Adolf Braun94« Adolf Braun », dans Le Maitron, 2022., rapporteur de la commission, mit en avant que l’État devait être celui qui mettrait en place les enquêtes avec « une statistique officielle95Georges Haupt, Congrès socialiste international, Copenhague 28 août-3 septembre 1910, Minkoff Reprint, 1981, pp. 609-612. » en coopération avec les organisations ouvrières. Une participation de l’État qui ne pouvait être admise par les représentants anglais et nombre de représentants français, qui s’abstiendront lors du vote de la mention. Par ailleurs, ce congrès institue le chômage comme une question d’étude internationale et le « Congrès manqué » de Vienne aurait dû accueillir la lecture de trois rapports96Justo, Vaillant et Molkenbuhr. sur le « chômage involontaire », tout comme une commission sur la cherté de la vie et l’alcoolisme. Vaillant, au regard de la pratique allemande, se permet de poursuivre : « Aussi pouvons-nous inscrire la statistique ouvrière parmi les moyens pratiques d’action contre le chômage qu’il nous faut examiner97George Haupt, Le Congrès manqué. L’Internationale à la veille de la Première Guerre mondiale. Étude et documents, Paris, Maspero, 1965, p. 130.. » Jaurès ne pouvait ignorer ces débats du fait de son intérêt pour la question.

Enfin, pour boucler sur notre citation d’introduction et la circulation des idées au sein du réseau internationaliste, Jaurès prévoyait d’écrire sa brochure de statistiques socialistes sur un plan en trois parties : « ses procédés, ses méthodes et ses résultats ». Ce plan reprend le titre du travail, et le développement, d’un socialiste autrichien très présent dans les débats sur les statistiques au sein de l’Internationale, Adolf Braun. Son ouvrage Statistik. Aufgaden, Methoden und Résultate der Statistik. Ein kurzer Abriß für Arbeiter (1912)98Adolf Braun, Statistik. Aufgaben, Methoden und Resultate der Statistik. Ein kurzer Abriss für Arbeiter, Vienne, Verlag von Robert Danneberg, 1912., dont la diffusion ne nous est pas connue, développe dans une soixantaine de pages le rôle que jouent et pourront jouer les données dans la lutte politique. En annexe, l’auteur donne également quelques techniques de calcul des pourcentages et de multiples tableaux sur la vie économique et sociale en Allemagne et en Autriche. L’historien que nous sommes a du mal à croire à la simple coïncidence, mais notre travail s’arrête ici, car il ne nous est pas permis de compléter les manques que notre documentation ne permet pas de remplir. Nous rêvons de ce transfert que le germaniste Jaurès aurait permis, tout comme nous ne pouvons qu’imaginer les conversations de Jaurès avec ses amis sociologues et d’autres socialistes sur le sujet. Cependant, il n’en reste pas moins que Jaurès a eu pour projet de faire des statistiques cet outil d’émancipation sur lequel le socialisme aurait trouvé des fondements grâce à une méthode scientifique d’observation. Et à ce titre, il participe à la « scientifisation du politique99Néologisme issu des travaux de l’historien allemand des sciences Raphael Lutz dans « Die Verwissenschaftlichung des Sozialen als methodische und konzeptionelle Herausforderung für eine Sozialgeschichte des 20. Jahrhunderts », Geschichte und Gesellschaft, 22. Jahrg, H2, 1996, pp. 165-193 et « Verwissenschaftlichung von Politik nach 1945 », Archiv für Sozialgeschichte, n°50, 2010. » en France, même si l’idéologique guide toujours la construction des discours. Ainsi, cet usage de données permet de montrer la domestication du socialisme par le parlementarisme et la culture politique de la IIIe République. Ceux-ci lui apportent leurs pratiques rhétoriques et numériques. Pour être crédible politiquement, il faut agir avec les outils du groupe social dominant, permettant de symboliquement jouer à armes égales. Par ailleurs, le transfert se fait également dans l’autre direction, la culture politique dite dominante est influencée par le socialisme100Gilles Candar, « Comment le parlementarisme s’est nourri du socialisme », Parlement(s), n°6, 2006., dont la culture des chiffres est, comme nous venons de le démontrer, l’un des fondements. Jaurès n’aurait alors certainement pas désavoué les propos de Marcel Mauss pour qui tout l’effort du socialisme doit tendre à « faire naître dans les esprits des individus et dans tout le groupe social une nouvelle manière de voir, de penser et d’agir101Marcel Fournier, Marcel Mauss, op. cit., 1994, pp. 210-211. » grâce à la diffusion du savoir.

  • 1
    Jean Gaumont, « Marcel Mauss », dans Le Maitron, 2020.
  • 2
    Gilles Candar et Vincent Duclert, Jean Jaurès, Paris, Fayard, 2014.
  • 3
    Ami proche de Jean Jaurès. Voir « Durkheim, l’ami de Jaurès qui n’est jamais devenu socialiste », dans Marcel Fournier, Émile Durkheim (1858-1917), Paris, Fayard, 2007, p. 10.
  • 4
    François Simiand (1872-1935) est alors dans le groupe des durkheimiens le spécialiste des phénomènes économiques. Sa démarche valorise l’usage des données statistiques et manifeste son désir d’ancrer la science économique dans l’histoire. Il est l’auteur d’une thèse sur Le salaire des ouvriers des mines de France, soutenue en 1904.
  • 5
    Marcel Mauss, « Science sociale », La vie socialiste, 8 juillet 1920. Ce projet non abouti est à ajouter à un autre travail contemporain dans lequel Jaurès aurait défini sa conception philosophique du socialisme, voir Vincent Duclert « Philosophie et politique », dans Vincent Duclert (dir.), Jaurès contemporain, Toulouse, Privat, p. 167.
  • 6
    Pour rédiger L’histoire socialiste de la Révolution française, il s’est entouré d’une petite troupe de compilateurs des archicubes mis à sa disposition par le bibliothécaire de l’ENS Lucien Herr au service de l’entreprise, ainsi que les socialistes Gustave Rouanet et Gabriel Deville, ou encore son secrétaire Lucien Bilange.
  • 7
    Pour qui les travaux de Marx ne disposaient pas des données statistiques nécessaires. Cette critique a pu pousser Jaurès à réaliser son projet. Voir Marcel Fournier, Émile Durkheim (1858-1917), op. cit., 2007, p. 270.
  • 8
    Laure Piguet, Statistiques et émancipation sociale. Rôles et usages des chiffres dans la formation des mouvements ouvriers (France, Grande-Bretagne, 1770-1840), thèse de doctorat, université de Genève-Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2024.
  • 9
    Frédéric Cépède, « La SFIO des années 1905-1914 : construire le parti », Cahiers Jaurès, vol. 187-188, n°1-2, 2008, pp. 29-45.
  • 10
    Isabelle Bruno, Emmanuel Didier et Julien Prévieux (dir.), Statactivisme. Comment lutter avec des nombres, Paris, La Découverte, coll. « Zones », 2014.
  • 11
    Cette proximité avec les statistiques et le cercle des sociologues durkheimiens encourage Maurice Halbwachs à le mentionner dans la liste des auteurs de sociologie à inclure dans l’Encyclopédie sociologique européenne (dont le projet est abandonné avec la Première Guerre mondiale). Son nom ne fait même pas débat contrairement à Bergson. Marcel Fournier, Émile Durkheim, (1858-1917), op. cit., 2007, pp. 850-851.
  • 12
    Statistiques produites par les administrations.
  • 13
    Je tiens à vivement remercier Gilles Candar pour ses précieux conseils pour la rédaction de cette note.
  • 14
    Marcel Fournier, Marcel Mauss, Paris, Fayard, 1994, p. 58.
  • 15
    Jaurès traverse un moment de confusion. S’il prend position contre les écrits de ses anciens camarades d’école, Desjardins et Bergson, dans La Dépêche – il y souligne la crise religieuse auquel ils sont confrontés et la tourne en dérision –, il n’en reste pas moins que dans d’autres articles il affirme un espoir religieux. Est-ce là l’influence des néo-chrétiens ?
  • 16
    Jaurès lit beaucoup, lors de son retour à Toulouse entre 1889 et 1892. Il consulte alors régulièrement les fonds de la bibliothèque municipale et ceux de la faculté.
  • 17
    Il ne subsiste, d’après nos connaissances à ce jour, que très peu de documents de sa main.
  • 18
    Gilles Candar, Devenir socialiste : le cas Jaurès, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2015, p. 40.
  • 19
    « De la réalité du monde sensible [titre de la thèse de Jaurès] résume le projet : montrer, contre les spiritualistes, que le monde extérieur a autant de réalité que la conscience humaine, puis tenter de concilier idéalisme et réalisme en démontrant qu’il y a interpénétration de la conscience et du monde », dans Vincent Duclert, « Philosophie et politique. Un retour vers Jaurès philosophe » dans Vincent Duclert (dir.), Jaurès contemporain, op. cit., 2018, p. 147.
  • 20
    Kang Zheng, « Foville, Alfred (de) (1842-1913). Professeur d’économie industrielle et de statistique (1885-1893) », dans Les professeurs du Conservatoire des Arts et Métiers. Dictionnaire biographique 1794-1955. Tome 1 : A-K., Paris, Institut national de recherche pédagogique, n°19, 1994, pp. 534-543.
  • 21
    Alphonse Courtois, Manuel des fonds publics et des sociétés par actions, Paris, Guillaumin, 1870.
  • 22
    Jaurès aurait également été assisté dans la préparation de ce manuscrit par un professeur à l’université de Liège, sur lequel nous n’avons pas plus d’informations.
  • 23
    Madeleine Rebérioux et Gilles Candar, Œuvres de Jean Jaurès, tome 2, Le passage au socialisme, 1889-1893, Paris, Fayard, 2011, pp. 625-714.
  • 24
    Ibid.
  • 25
    Ibid.
  • 26
    Ibid.
  • 27
    Jean-Charles Buttier, « James Guillaume et l’usage des statistiques : un savoir au service de l’émancipation », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n°138, 2018.
  • 28
    Alain Boscus, Œuvres de Jean Jaurès, tome 4, Le militant ouvrier, 1893-1897, Paris, Fayard, 2017, pp. 450-466.
  • 29
    Jean-Claude Wartelle, « Yves Guyot ou le libéralisme de combat », Revue française d’histoire des idées politiques, n°7, 1988, pp. 73-109.
  • 30
    Notice sur Émile Riotteau, Assemblée nationale.
  • 31
    Amaury Lorin, Paul Doumer. La République audacieuse, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2022.
  • 32
    Jean Jaurès, « République et socialisme, discours à la chambre des députés, 21 novembre 1893 », dans Alain Boscus, Œuvres de Jean Jaurès, tome 4, op. cit., pp. 450-466.
  • 33
    Jean-Numa Ducange, Jules Guesde : l’anti-Jaurès ?, Paris, Armand Colin, 2017.
  • 34
    Jules Guesde, Quatre ans de lutte de classe à la Chambre, 1893-1898, Paris, G. Jacques, 1901, pp. 267-268.
  • 35
    Frédéric Potier, Jaurès en duel, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2024.
  • 36
    Jean Maitron, Justinien Raymond et Jean Dautry, « Paul Lafargue », dans Le Maitron, 2022.
  • 37
    Voir L’Humanité entre le 8 janvier 1910 et le 9 mars 1910.
  • 38
    Paul-André Rosental, « Jean Jaurès, avocat de la retraite par capitalisation : pour une histoire politique longue du capital mutualisé du XXIe siècle », n°51, Histoire@Politique, 2023.
  • 39
    Jean-Félix de Bujadoux, « Jaurès, aux origines du modèle français de parlementarisme rationalisé », Jus Politicum, n°11, 2013.
  • 40
    Jean Jaurès, « Activité productrice », La Dépêche, 20 septembre 1911, dans Marion Fontaine, Alain Chatriot, Fabien Conord et Emmanuel Jousse (dir.), Œuvres de Jean Jaurès, tome 14, La voix du socialisme, Paris, Fayard, 2022, pp. 311-312.
  • 41
    Jean Jaurès, « Nouvel affichage », La Lanterne, 23 novembre 1897, dans Éric Cahm, Œuvres de Jean Jaurès, tome 6, L’affaire Dreyfus (1897-1989), Paris, Fayard, 2001, pp. 41-44.
  • 42
    Marion Fontaine, « Jaurès et la question ouvrière », dans Vincent Duclert (dir.), Jaurès contemporain, op. cit., 2018, p. 84.
  • 43
    Bulletin de l’Office du travail, Tome X, Paris, Berger-Levrault et Armand Colin, 1903, p. 928.
  • 44
    Jean Jaurès, « La peur du fait », L’Humanité, 13 novembre 1912.
  • 45
    Jean Jaurès, « Finances nationales », L’Humanité, 3 janvier 1913.
  • 46
    Marcello Musto, Les dernières années de Karl Marx. Une biographie intellectuelle (1881-1883), Paris, Presses universitaires de France, 2023, pp. 68-70.
  • 47
    Le Parti ouvrier envisage une enquête en 1892 et le Congrès de la SFIO de Limoges en 1906 entreprend sous la direction d’Adéodat Compère-Morel la réalisation d’une enquête sur la propriété agricole.
  • 48
    Alain Boscus, Œuvres de Jean Jaurès, tome 5, Le socialisme en débat, 1893-1897, Paris, Fayard, 2018, pp. 360-386 et « Socialisme et paysans », discours à la chambre des députés, 19 juin 1897.
  • 49
    Depuis notre première rencontre avec celle-ci, nous n’étions pas certains de sa réalisation pratique mais de nouveaux documents contenus dans le fonds Jules Guesde de la Fondation Jean-Jaurès permettent d’attester l’amorce de réalisation d’une synthèse. C’est peut-être ces documents que Jules Guesde ou un autre membre du parti aurait communiqués à Jaurès.
  • 50
    Liste non exhaustive des enquêtes sur le terrain de Jaurès : sur les ouvriers du Nord (« Dans le Nord », La Dépêche, 31 mars 1898) ; sur les cheminots (« Dans les chemins de fer », La Petite République, 9 août 1898) ; sur la fidélité à l’identité ouvrière des anciens élus socialistes (« Un ouvrier d’art », La Dépêche, 24 août 1898), sur l’évolution de la Verrerie ouvrière de Carmaux (« Justice capitaliste », La Lanterne, 30 janvier 1898 ; « L’action ouvrière », La Petite République, 26 mars 1898). D’après Gilles Candar et Vincent Duclert, Jean Jaurès, op. cit., 2014, p. 235. Voir également Éric Geerkens, Nicolas Hatzfeld, Isabelle Lespinet-Moret et Xavier Vigna (dir.), Les enquêtes ouvrières dans l’Europe contemporaine, Paris, La Découverte, 2019.
  • 51
    Madeleine Rebérioux, « Jaurès historien de la Révolution française », Annales historique de la Révolution française, vol. 184, 1966, pp. 171-195.
  • 52
    Ibid,p. 184.
  • 53
    Madeleine Rebérioux fait ici référence au rapport du député Jacques Antoine Creuzé-Latouche, député de la Vienne, Rapport des députés de la Convention nationale réunis, pour présenter leurs idées en faveur de la liberté entière du commerce des grains, Paris, Imprimerie nationale, 1792.
  • 54
    Ibid, p. 184.
  • 55
    Bruno Antonini, « Jaurès historien de l’avenir : gestation philosophique d’une “méthode socialiste” dans L’Histoire socialiste de la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, juillet-septembre 2004, n°337, pp. 117-142.
  • 56
    Sites d’archives qui pour les années 1900 et 1901 ont gardé trace des demandes de Jaurès. Voir Madeleine Rebérioux, op. cit., p. 176.
  • 57
    Ibid., p. 772.
  • 58
    Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, Paris, Rouff, 1901, p. VI.
  • 59
    Il fait d’ailleurs mention des travaux de cet Office en grand bien dans le premier tome de son Histoire socialiste, op. cit., p. 55.
  • 60
    « Vie et mort de la “Commission Jaurès” », dans Christine Peyrard et Michel Vovelle (dir.), Héritage de la Révolution française à la lumière de Jaurès, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2002, pp. 6-7.
  • 61
    Laure Piguet, Statistiques et émancipation sociale, op. cit., 2024.
  • 62
    Du moins, nous n’avons pas connaissance d’une plus ample réalisation à l’échelle nationale. Il reste encore à mener un chantier à des échelles plus locales.
  • 63
    Jean Maitron, « Fernand Pelloutier », dans Le Maitron, 2022.
  • 64
    Jean Jaurès, « Le mouvement ouvrier », La Dépêche, 6 octobre 1898, dans Éric Cahm, Œuvres de Jean Jaurès, tome 7, L’Affaire Dreyfus, op. cit., 2001, pp. 416-417.
  • 65
    Alain Boscus, « Jean Jaurès, la CGT, le syndicalisme révolutionnaire et la question sociale », 2008, Hal open science, pp. 113-121 (consulté le 17 juillet 2024).
  • 66
    Bruce C. Vandervort, « Victor Griffuelhes », dans Le Maitron, 2022.
  • 67
    Susan Milner, The Dilemmas of Internationalism. French Syndicalism and the International Labour Mouvement 1900-1914, New York, Berg, 1990, p. 143.
  • 68
    Ibid., pp. 100-101.
  • 69
    Alexandre Luquet (1874-1930) est un militant socialiste et responsable CGT (Fédération des coiffeurs) dont il est le secrétaire général par intérim en 1908.
  • 70
    Ibid., p. 101.
  • 71
    Isabelle Lespinet-Moret, L’Office du travail, 1891-1914. La république et la réforme sociale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, pp. 262-263.
  • 72
    Ibid., p. 102.
  • 73
    Jean Jaurès, « Activité productive », La Dépêche, 20 septembre 1911, dans Marion Fontaine, Alain Chatriot, Fabien Conord et Emmanuel Jousse, Œuvres de Jean Jaurès. tome 14, La Voix du socialisme, op. cit., 2022, pp. 311-312.
  • 74
    Louis Dubreuilh, « Statistique révolutionnaire », L’Humanité, 14 septembre 1913.
  • 75
    Par exemple, le guesdiste Adéodat Compère-Morel est bien plus significatif en la matière.
  • 76
    L’influence des guesdistes, l’influence de l’Office du travail, l’influence du mouvement syndical.
  • 77
    Marcel Fournier, Émile Durkheim, op. cit., pp. 679-684.
  • 78
    Et d’un ensemble de publications socialistes que nous n’avons que commencé à esquisser, du fait de la faiblesse documentaire.
  • 79
    Justinien Raymond, « Albert Thomas », dans Le Maitron, 2021.
  • 80
    Karl Christian Führer, Carle Legien 1865-1921. Ein Gewerkschafter im Kampf um ein „möglichst gutes Leben“ für alle Arbeiter, Essen, Flartext, 2009.
  • 81
    Albert Thomas, « Le mouvement syndical international », L’Humanité, 28 avril 1905.
  • 82
    Susan Milner, The Dilemmas of Internationalism, op. cit., 1990, p. 83.
  • 83
    Ibid., p. 85.
  • 84
    Ibid.
  • 85
    Mauss a converti Jaurès à la coopération.
  • 86
    Marcel Mauss, « Mouvement coopératif », L’Humanité, 11 juillet 1904.
  • 87
    Justinien Raymond, « Louis Dubreuilh », dans Le Maitron, 2022.
  • 88
    Louis Dubreuilh, « Statistique révolutionnaire », article cité, 14 septembre 1913.
  • 89
    « Au Congrès national du Parti socialiste. On a voté hier sur toutes les questions à l’ordre du jour du Congrès international », L’Humanité, 17 juillet 1914.
  • 90
    Ladislas Mysyrowicz, « Karl Marx, La Première Internationale et la Statistique », Le Mouvement social, n°69, 1969, pp. 51-84.
  • 91
    Pierre Alayrac, L’Internationale au milieu du gué. De l’Internationalisme socialiste au Congrès de Londres (1896), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 190.
  • 92
    Justinien Raymond, « Édouard Vaillant », dans Le Maitron en 2022.
  • 93
    Georges Haupt, Congrès socialiste international, Copenhague 28 août-3 septembre 1910, T2, Minkoff Reprint, 1981.
  • 94
    « Adolf Braun », dans Le Maitron, 2022.
  • 95
    Georges Haupt, Congrès socialiste international, Copenhague 28 août-3 septembre 1910, Minkoff Reprint, 1981, pp. 609-612.
  • 96
    Justo, Vaillant et Molkenbuhr.
  • 97
    George Haupt, Le Congrès manqué. L’Internationale à la veille de la Première Guerre mondiale. Étude et documents, Paris, Maspero, 1965, p. 130.
  • 98
    Adolf Braun, Statistik. Aufgaben, Methoden und Resultate der Statistik. Ein kurzer Abriss für Arbeiter, Vienne, Verlag von Robert Danneberg, 1912.
  • 99
    Néologisme issu des travaux de l’historien allemand des sciences Raphael Lutz dans « Die Verwissenschaftlichung des Sozialen als methodische und konzeptionelle Herausforderung für eine Sozialgeschichte des 20. Jahrhunderts », Geschichte und Gesellschaft, 22. Jahrg, H2, 1996, pp. 165-193 et « Verwissenschaftlichung von Politik nach 1945 », Archiv für Sozialgeschichte, n°50, 2010.
  • 100
    Gilles Candar, « Comment le parlementarisme s’est nourri du socialisme », Parlement(s), n°6, 2006.
  • 101
    Marcel Fournier, Marcel Mauss, op. cit., 1994, pp. 210-211.

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