L’action sociale : entre attentes fortes des Français et besoin de proximité

En cette période de forte mobilisation, dans quelle mesure les Français sont-ils attachés à l’action sociale, qui représente aujourd’hui 10% des dépenses de protection sociale ? Timothée Duverger, co-directeur de l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation, tire les principaux enseignements d’une enquête d’opinion de l’UNCCAS, du point de vue des risques pour la cohésion sociale et de l’émergence de nouveaux problèmes publics.

Quel rapport les Français entretiennent-ils à l’action sociale ? Alors que la crise du travail social ou plus largement de la cohésion sociale est souvent avancée, l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS) a mené une étude d’opinion, en partenariat avec l’Ifop, pour faire le point.

Rappelons d’abord ce qu’est l’action sociale. La loi du 2 janvier 2002 visant à la rénover indique qu’elle « tend à promouvoir […] l’autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté, à prévenir les exclusions et à en corriger les effets. Elle repose sur une évaluation continue des besoins et des attentes des membres de tous les groupes sociaux, en particulier des personnes handicapées et des personnes âgées, des personnes et des familles vulnérables, en situation de précarité ou de pauvreté, et sur la mise à disposition de prestations en espèces ou en nature1Loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. ».  

L’aide et l’action sociales pèsent aujourd’hui 10% des dépenses de protection sociale2Isabelle Leroux (dir.), L’aide et l’action sociales en France, Perte d’autonomie, handicap, protection de l’enfance et insertion, Drees, 2022.. Les départements en sont le chef de file, auxquels l’État a confié les quatre grands blocs de compétences : l’autonomie, le handicap, la protection de l’enfance et l’insertion. Les politiques publiques se structurent ensuite autour de trois composantes : des allocations, des services et des établissements.

Les communes n’ont pas de compétence en matière d’aide sociale, mais elles ont des obligations sur l’action sociale comme l’instruction des demandes d’aide sociale, la domiciliation des demandeurs d’aide sociale ou la réalisation d’une analyse des besoins sociaux de la population communale. Ces missions sont assurées par les centres communaux d’action sociale (CCAS) quand ils existent.

L’étude de l’UNCCAS s’intéresse à la fois à la perception et à la mise en œuvre de l’action sociale. Nous pouvons en tirer trois enseignements portant sur les risques pour la cohésion sociale et l’émergence de nouveaux problèmes publics.

Un risque pour la cohésion sociale

Il est remarquable d’abord de constater le niveau d’insatisfaction relatif à l’action sociale. 62% des personnes interrogées ne la jugent pas satisfaisante. Parmi celles-ci, on retrouve un consensus chez les personnes de catégorie pauvre qui sont jusqu’à 70% à la considérer pas satisfaisante et même 25% pas du tout satisfaisante3Cette catégorie pauvre se définit par un revenu mensuel de 900 euros par personne au foyer..

Cela démontre des attentes fortes à destination de l’action sociale, alors que le montant du RSA a par exemple décroché. S’il atteignait 49% du montant du smic lors de la création du RMI en 1988, il ne représentait plus que 39% du smic augmenté de la prime d’activité en 20194 Évaluation participative du revenu de solidarité active (RSA), Rapport d’ATD Quart Monde à destination de la Cour des comptes, ATD Quart Monde, janvier 2021.. En cause : le référentiel d’activation des politiques sociales qui vise à inciter le retour à l’emploi des allocataires au moyen d’incitations financières.

Dans le même temps, le consentement à la solidarité reste très faible. À la question de savoir si elles seraient prêtes à payer plus d’impôts pour développer l’action sociale, les personnes répondent très majoritairement par la négative : 69%, dont près de la moitié, opposent un refus net. Les préférences politiques jouent, comme en témoignent les résultats très élevés chez les proches des Républicains (75%) ou du Rassemblement national (80%).

L’émergence de nouveaux problèmes et publics

Si l’on considère les domaines d’action sociale jugés prioritaires, la santé ressort très clairement en tête avec 87% des mentions. La pandémie de Covid-19 est passée par-là, revoyant l’échelle des priorités et mettant à l’agenda les questions de santé, alors que la crise de l’hôpital public ou les déserts médicaux ont été très largement commentés.

L’alimentation et l’énergie apparaissent aussi très haut, avec réciproquement 74% et 72% des personnes qui les estiment prioritaires. Au-delà des tensions inflationnistes dues à la conjoncture, cela témoigne de la préoccupation croissante autour des conséquences de la transition écologique sur les questions sociales. Le Conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE) vient ainsi de lancer des travaux sur « l’impact social de l’écologie5Nicolas Duvoux, « Note de cadrage préliminaire au rapport 2023 du CNLE, “L’impact social de l’écologie : Comment faire de la transition écologique un levier de l’inclusion sociale ?” », CNLE, 22 février 2023. ». 

Du point de vue des publics, ce sont les personnes vulnérables qui apparaissent en tête des priorités avec 40% des citations en premier ou en second. On peut y voir le signe d’une inquiétude concernant la montée de la pauvreté après la pandémie et face à l’inflation.

Les jeunes (enfance, étudiants, jeunes actifs et lycéens) qui cumulent 35% des citations viennent s’y ajouter, alors que leur taux de pauvreté monétaire est très supérieur à la moyenne nationale. En 2019, alors que le taux de pauvreté était de 14,6% en France, il atteignait 20,2% chez les moins de dix-huit ans et 19% chez les 18-29 ans6« Pauvreté selon l’âge et le seuil. Données annuelles de 1996 à 2019 », Insee, 5 octobre 2021.. Notre proposition récente d’ouvrir le RSA aux jeunes prend ici tout son sens7Timothée Duverger, « L’ouverture du RSA aux jeunes dès dix-huit ans : la conquête d’un nouveau droit », Fondation Jean-Jaurès, 27 février 2023..

Plus paradoxal, les personnes âgées obtiennent 33% des citations, alors que la dépendance est l’un des domaines d’action sociale qui apparaît le moins prioritaire, avec seulement 44% de réponses (contre 87% pour la santé, rappelons-le).

Un besoin de proximité

Sans surprise, en revanche, les répondants ont considéré à 73% que le service public est le mieux placé pour assurer la mise en œuvre de l’action sociale en France. La solidarité reste d’abord une responsabilité collective, même si l’on a pu relever ailleurs la forte croissance des fondations d’entreprise ces dernières années8Baromètre annuel de la philanthropie. Les fondations et fonds de dotation en France, Observatoire de la philanthropie, Fondation de France, 2022..

Surtout, ce sont les collectivités territoriales qui sont plébiscitées pour mettre en œuvre une action sociale efficace. À l’heure de la recentralisation du RSA9Stéphane Troussel, « RSA : la recentralisation de son financement expérimentée en Seine-Saint-Denis », Fondation Jean-Jaurès, 21 décembre 2022., c’est une demande de proximité qui s’exprime pour 61% des répondants. La commune arrive en tête avec 21% des réponses, mais de peu par rapport aux autres niveaux de collectivité, ce qui s’explique par la faible lisibilité pour le citoyen de la décentralisation en France.

Quoi qu’il en soit, si l’on peut supposer que la solidarité redistributive reste l’affaire de l’État, l’action sociale est d’abord un enjeu local, à l’échelle de la construction du lien social. Les attentes des Français sont fortes, alors que la question sociale se renouvelle sous l’influence des questions sanitaires ou écologiques.

Si elle doit se concentrer sur les plus fragiles, l’action sociale forme néanmoins un continuum, les objectifs de réduction des inégalités et d’accompagnement des plus vulnérables apparaissant au même niveau (75% citent en premier ou en second la réduction des inégalités, 73% l’accompagnement des plus vulnérables).

  • 1
    Loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
  • 2
    Isabelle Leroux (dir.), L’aide et l’action sociales en France, Perte d’autonomie, handicap, protection de l’enfance et insertion, Drees, 2022.
  • 3
    Cette catégorie pauvre se définit par un revenu mensuel de 900 euros par personne au foyer.
  • 4
    Évaluation participative du revenu de solidarité active (RSA), Rapport d’ATD Quart Monde à destination de la Cour des comptes, ATD Quart Monde, janvier 2021.
  • 5
    Nicolas Duvoux, « Note de cadrage préliminaire au rapport 2023 du CNLE, “L’impact social de l’écologie : Comment faire de la transition écologique un levier de l’inclusion sociale ?” », CNLE, 22 février 2023.
  • 6
    « Pauvreté selon l’âge et le seuil. Données annuelles de 1996 à 2019 », Insee, 5 octobre 2021.
  • 7
    Timothée Duverger, « L’ouverture du RSA aux jeunes dès dix-huit ans : la conquête d’un nouveau droit », Fondation Jean-Jaurès, 27 février 2023.
  • 8
    Baromètre annuel de la philanthropie. Les fondations et fonds de dotation en France, Observatoire de la philanthropie, Fondation de France, 2022.
  • 9
    Stéphane Troussel, « RSA : la recentralisation de son financement expérimentée en Seine-Saint-Denis », Fondation Jean-Jaurès, 21 décembre 2022.

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