La vie des cultes en France au temps du Covid-19

Jacqueline Lalouette, professeure Ă©mĂ©rite en histoire contemporaine, spĂ©cialiste d’histoire religieuse et politique, a Ă©tudiĂ© pour la Fondation la pratique des cultes durant le mois d’avril 2020 au temps du Covid-19. Les fĂŞtes religieuses mobiles des trois monothĂ©ismes, fixĂ©es Ă  des dates concomitantes ou du moins très proches, se sont en effet toutes situĂ©es après ces deux dates : Pessa’h s’est dĂ©roulĂ©e entre le 8 avril et le 16 avril ; la Semaine sainte des catholiques et des protestants entre le 6 et le 12 ; celle des orthodoxes entre le 13 et le 19 ; le mois de Ramadan s’est ouvert le 24 avril.

La mise en place du confinement, le 17 mars 2020, et une disposition du décret du 23 mars 2020 sur les lieux de culte entravent les pratiques cultuelles ordinaires et pèsent encore plus fortement sur la célébration des grandes fêtes. Ces fêtes sont toutes marquées par des croyances religieuses vécues en commun à la synagogue, l’église ou la mosquée et par des pratiques communautaires, sociétales et familiales rendues impossibles par le décret du 23 mars. Bien que la fermeture des lieux de culte n’ait pas été ordonnée par les pouvoirs publics, nombre d’entre eux ont été fermés à l’initiative des autorités cultuelles, parfois avant même le confinement. Tous les cultes ont réagi en adoptant des solutions palliatives reposant sur les techniques audiovisuelles et numériques.

Accès aux lieux de culte, célébrations collectives et solutions alternatives

Les mesures rĂ©glementaires  

D’après l’arrĂŞtĂ© du 15 mars 2020 (« complĂ©tant l’arrĂŞtĂ© du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives Ă  la lutte contre la propagation du virus Covid-19 Â»), « les Ă©tablissements de culte, relevant de la catĂ©gorie V (rĂ©fĂ©rence Ă  un règlement pris en application d’un article du code de la construction et de l’habitation), sont autorisĂ©s Ă  rester ouverts. Tout rassemblement ou rĂ©union de plus de vingt personnes en leur sein est interdit jusqu’au 15 avril 2020, Ă  l’exception des cĂ©rĂ©monies funĂ©raires Â» (art. 1, al. 3). Sa teneur a Ă©tĂ© modifiĂ©e par le dĂ©cret du 23 mars : « Les Ă©tablissements de culte, relevant de la catĂ©gorie V, sont autorisĂ©s Ă  rester ouverts. Tout rassemblement ou rĂ©union en leur sein est interdit Ă  l’exception des cĂ©rĂ©monies funĂ©raires dans la limite de vingt personnes Â» (art. 8, al. 4). Donc, depuis cette date, si les fidèles sont autorisĂ©s Ă  pĂ©nĂ©trer dans les lieux de culte, aucune cĂ©rĂ©monie collective, autre que funĂ©raire, ne peut y ĂŞtre cĂ©lĂ©brĂ©e. Mais cette rĂ©daction pose divers problèmes. Tout d’abord, les attestations de dĂ©placement dĂ©rogatoire ne comprennent pas de case se rapportant aux lieux de culte. Toute personne dĂ©sireuse de se rendre dans un lieu de culte distant de moins d’un kilomètre peut le faire en cochant la case « dĂ©placements brefs Â» ; mais, lorsque la distance dĂ©passe le kilomètre, ce qui est frĂ©quent en zone rurale, aucun dispositif ne s’applique. Un autre problème se pose pour les cĂ©rĂ©monies solennelles cĂ©lĂ©brĂ©es par plus d’un officiant – ce qui est frĂ©quemment le cas pour les fĂŞtes mentionnĂ©es ci-dessus, du moins dans les cĂ©rĂ©monies chrĂ©tiennes â€“ et pour les cĂ©rĂ©monies retransmises par un procĂ©dĂ© audiovisuel nĂ©cessitant la prĂ©sence d’au moins une personne chargĂ©e de la technique. Jivko Panev, maĂ®tre de confĂ©rences en droit canon Ă  l’Institut de thĂ©ologie orthodoxe Saint-Serge de Paris, a adressĂ© plusieurs questions prĂ©cises au bureau central des cultes du ministère de l’IntĂ©rieur et, le 8 avril dernier, a retranscrit les rĂ©ponses sur le site orthodoxie.com. Il appert ainsi que « quelques personnes Â» peuvent se « trouver simultanĂ©ment (dans un lieu de culte), mais dispersĂ©es et en très petit nombre Â», qu’il ne doit y avoir « aucun regroupement fortuit ni rassemblement organisĂ© Â», qu’un office « peut ĂŞtre cĂ©lĂ©brĂ© par un ministre du culte, mais Ă  huis clos, afin d’être retransmis sur Internet ou Ă  la radio Â». Dans ce cas, « le ministre du culte peut ĂŞtre assistĂ© de quelques personnes, si nĂ©cessaire et dans un nombre le plus restreint possible, pour procĂ©der Ă  l’enregistrement de la cĂ©rĂ©monie. Ils doivent ĂŞtre porteurs de l’attestation dĂ©rogatoire sur laquelle la case “dĂ©placements professionnels” doit ĂŞtre cochĂ©e Â».

Au vu de ces rĂ©ponses, il est donc Ă©tonnant que trois policiers, qui plus est armĂ©s, appelĂ©s par un voisin, aient fait irruption le dimanche 19 avril dernier dans l’église parisienne Saint-AndrĂ©-de-l’Europe, oĂą officiait le curĂ©, assistĂ© d’un servant de messe (lui-mĂŞme policier !) et d’un chantre ; un organiste Ă©tait aussi prĂ©sent, ainsi que trois paroissiens, chargĂ©s des rĂ©pons et des lectures. La messe Ă©tait retransmise sur la chaĂ®ne YouTube de la paroisse ainsi que cela Ă©tait annoncĂ© sur son site : « Paroissiens, amis, famille… vous ĂŞtes tous invitĂ©s Ă  suivre la messe en direct ce dimanche sur le lien suivant. Â» SommĂ© d’interrompre l’office, le curĂ©, Philippe de Maistre, refusa d’obtempĂ©rer, mais les trois paroissiens durent se retirer. L’affaire se rĂ©gla ensuite, au mieux, avec le commissariat de police, par l’entremise de la mairie du 8e arrondissement. L’archevĂŞque de Paris, Mgr Aupetit, intervint vigoureusement Ă  ce sujet sur Radio Notre-Dame, le 22 avril, rappelant qu’il y a « interdiction formelle aux policiers d’entrer en arme dans une Ă©glise Â». Dans ce cas prĂ©sent, les règles fixĂ©es Ă©tant respectĂ©es, l’intervention de la police a relevĂ© de l’incompĂ©tence ou de l’excès de zèle. En revanche, Ă  Saint-Nicolas-du-Chardonnet, lors de la vigile pascale dans la nuit du 11 au 12 avril dernier, une trentaine de personnes auraient composĂ© l’assistance ; dans ce cas, lĂ  encore appelĂ©e par un voisin, la police aurait donc Ă©tĂ© fondĂ©e Ă  intervenir, bien qu’en principe seul le clergĂ© puisse la solliciter, mais le cas de Saint-Nicolas-du-Chardonnet est particulier. Les mĂ©dias ont dramatisĂ© ces incidents en parlant de « messes clandestines Â», comme si l’on Ă©tait revenu au temps des prĂŞtres insermentĂ©s de la RĂ©volution, tandis que des internautes stigmatisent le comportement des voisins dĂ©nonciateurs comparĂ©s aux dĂ©lateurs des annĂ©es 1940. L’histoire n’est jamais très loin…

Le 21 avril dernier, le prĂ©sident Macron s’est entretenu en visioconfĂ©rence avec les reprĂ©sentants de tous les cultes, des obĂ©diences maçonniques (dont les temples sont fermĂ©s) et d’autres associations laĂŻques. Il a alors annoncĂ© que les cĂ©rĂ©monies cultuelles collectives ne pourraient pas reprendre le 11 mai prochain, date du dĂ©but du dĂ©confinement. Le 24 avril, les Ă©vĂŞques, rĂ©unis en assemblĂ©e plĂ©nière virtuelle, ont alors dit souhaiter « que la vie ecclĂ©siale puisse retrouver son caractère pleinement communautaire au mĂŞme rythme que la vie scolaire, sociale et Ă©conomique de notre pays Ă  partir du 11 mai Â» ; quelques prĂ©lats s’exprimèrent aussi individuellement, comme Mgr Le Gall, archevĂŞque de Toulouse. De leur cĂ´tĂ©, 130 prĂŞtres se sont adressĂ©s au prĂ©sident de la RĂ©publique – Â« Laissez sans tarder les croyants cĂ©lĂ©brer, prier et se rassembler. Le dimanche, notre place est dans l’église. Â» â€“, tout comme de jeunes catholiques, auteurs d’une vidĂ©o : « S’il vous plaĂ®t, monsieur le prĂ©sident, rendez-nous la messe. Â» Le Salon beige, site traditionaliste, a, quant Ă  lui, diffusĂ© un billet de Guillaume de Thieulloy faisant allusion aux menaces pesant sur la libertĂ© des chrĂ©tiens « si souvent attaquĂ©e depuis la constitution civile du clergĂ©, les lois anticlĂ©ricales de Marianne III ou la tentative de nationalisation de l’école libre en 1984 Â», auquel est jointe une pĂ©tition adressĂ©e au Premier ministre : « Monsieur le Premier ministre, rendez-nous la messe, rendez-nous les sacrements, rendez-nous les cĂ©lĂ©brations liturgiques – avec toutes les mesures sanitaires qui s’imposeraient – dès le 11 mai. » Le 28 avril dernier, dans son intervention Ă  l’AssemblĂ©e nationale, le Premier ministre Édouard Philippe a dit comprendre « l’impatience » des fidèles, mais a exclu une reprise des cĂ©rĂ©monies le 11 mai et fixĂ© comme prochaine Ă©chĂ©ance le 2 juin, au-delĂ , donc, du jeudi de l’Ascension (21 mai), de la fĂŞte de l’AĂŻd al-Fitr (23 mai) et du dimanche de PentecĂ´te (31 mai). Le soir mĂŞme, le conseil permanent de la ConfĂ©rence des Ă©vĂŞques de France a exprimĂ© son Ă©tonnement et sa prĂ©occupation : « Nous partageons le souci du gouvernement de limiter au maximum la circulation de l’épidĂ©mie, mais nous voyons mal que la pratique ordinaire de la messe favorise la propagation du virus et gène le respect des gestes barrières plus que bien des activitĂ©s qui reprendront bientĂ´t. La dimension spirituelle et religieuse de l’être humain contribue, nous en sommes persuadĂ©s, Ă  la paix des cĹ“urs, Ă  la force dans l’épreuve, Ă  la fraternitĂ© entre les personnes, et Ă  toute la vie sociale. La libertĂ© de culte est un Ă©lĂ©ment constitutif de la vie dĂ©mocratique. C’est pourquoi les Ă©vĂŞques souhaitent rencontrer les pouvoirs publics, nationaux ou locaux, pour prĂ©parer la reprise effective du culte. Les catholiques ont respectĂ© et respecteront les consignes du gouvernement […]. » De son cĂ´tĂ©, Mgr Lebrun, archevĂŞque de Rouen, a exprimĂ© son incomprĂ©hension quant Ă  « la relĂ©gation de la libertĂ© de culte Ă  la dernière roue du carrosse de la nation française Â» et a appelĂ© les catholiques Ă  « continuer Ă  lutter contre la pandĂ©mie […], en utilisant toutes [leurs] ressources spirituelles pour passer de la dĂ©ception, voire de la colère, Ă  la paix des cĹ“urs, sans renoncer Ă  exprimer [leur] incomprĂ©hension. » Le 3 mai, invitĂ© par France Info, Mgr Leborgne, Ă©vĂŞque d’Amiens et vice-prĂ©sident de la confĂ©rence des Ă©vĂŞques de France, a expliquĂ© que « toutes les religions qui sont en France Â» – il n’a toutefois pas citĂ© le bouddhisme â€“travaillent ensemble pour amener le gouvernement Ă  modifier ses positions et a prĂ©cisĂ© que l’Église lui a proposĂ© « un plan de dĂ©confinement extrĂŞmement prĂ©cis Â». Le mĂŞme jour, Christophe Castaner a estimĂ© « que la prière n’a pas forcĂ©ment besoin de lieu de rassemblement Â». Ces propos ont provoquĂ© des rĂ©actions contrastĂ©es chez les catholiques, certaines comprĂ©hensives, d’autres plus acides. Quant au grand rabbin HaĂŻm Korsia, il a adoptĂ© le point de vue du ministre de l’IntĂ©rieur, au nom de l’unitĂ© nationale et de la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger les personnes âgĂ©es, nombreuses Ă  frĂ©quenter les lieux de culte. Enfin, dans l’après-midi du 4 mai, Édouard Philippe a annoncĂ© une possible reprise des cultes le 29 mai.

Les dispositions prises par les autorités cultuelles

Les autoritĂ©s des divers cultes, y compris les plus minoritaires, avaient souvent pris les devants. Dès le 3 mars dernier, le siège mondial des TĂ©moins de JĂ©hovah, fixĂ© Ă  New York, a annoncĂ© suivre de près la marche de l’épidĂ©mie et recommandĂ© aux tĂ©moins vivant dans les pays touchĂ©s par le SARS-Cov-2 de « respecter les changements temporaires apportĂ©s au programme des rĂ©unions et des prĂ©dications Â» ; peu après, toutes les salles du Royaume (les lieux de rĂ©union) françaises ont Ă©tĂ© fermĂ©es. Le 12 mars, l’Église de JĂ©sus-Christ des Saints des Derniers Jours a suspendu ses cĂ©lĂ©brations publiques et ses rĂ©unions dans le monde entier et les missionnaires mormons dispersĂ©s Ă  travers les cinq continents ont tous dĂ» regagner Salt Lake City. Le 13 mars, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a ordonnĂ© la fermeture des mosquĂ©es « Ă  compter du dimanche 15 mars et jusqu’à nouvel ordre Â», puis, le 28 mars, a appelĂ© « les responsables musulmans Ă  maintenir les mosquĂ©es fermĂ©es et incit[Ă©] les fidèles Ă  accomplir leurs prières journalières chez eux jusqu’à nouvel ordre Â», ajoutant : « c’est la seule attitude responsable et conforme aux principes et aux valeurs de notre religion dans ce contexte d’épidĂ©mie Â». Mais dans l’Oise, dĂ©partement prĂ©cocement et fortement touchĂ© par le SARS-Cov-2, la grande mosquĂ©e de Compiègne avait Ă©tĂ© fermĂ©e dès le 6 mars. Ă€ la mi-mars, la FĂ©dĂ©ration protestante de France s’est montrĂ©e favorable Ă  la fermeture des temples – qui, en temps ordinaire, n’ouvrent d’ailleurs gĂ©nĂ©ralement que le dimanche â€“ et Ă  l’arrĂŞt de la cĂ©lĂ©bration des cultes. Le 16 mars, le mouvement juif libĂ©ral de France a pris la dĂ©cision de fermer les trois synagogues de Beaugrenelle, Copernic et Sumerlin, « conformĂ©ment aux mesures prises par le gouvernement (sic) Â» et, peu après, le Grand Rabbin HaĂŻm Korsia a annoncĂ© la fermeture de toutes les synagogues Ă  compter du 18 mars ; dans l’Oise, celle de Beauvais avait clos ses portes le 6 mars. L’accès aux Ă©tablissements de bains rituels (mikvaots) a suivi. Les temples et monastères bouddhistes ont, eux aussi, fermĂ©, Ă  des dates diverses (le 2 mars, pour le Village des Pruniers, près de Bordeaux, le 12 pour la pagode Khanh-Anh d’Evry, etc.) ; n’y demeurent plus que les moines et moniales et les rĂ©sidents habituels. Pour les Ă©glises, dont la dimension sacrale est essentielle, tous les diocèses n’ont pas adoptĂ© les mĂŞmes règles et, Ă  l’intĂ©rieur mĂŞme d’un mĂŞme diocèse, il y a des diffĂ©rences. Dans celui de Paris, si de nombreuses Ă©glises sont demeurĂ©es ouvertes, d’autres ont fermĂ© comme celle de la paroisse Saint-Louis d’Antin, fermĂ©e le 18 mars et de nouveau ouverte Ă  une date inconnue, postĂ©rieure au 27 mars ; l’église de La Madeleine, quant Ă  elle, garde ses portes closes. En revanche, les messes dominicales ont Ă©tĂ© suspendues le 13 mars par Mgr Aupetit dans tout le diocèse, sur la base d’un argument convaincant : « Nous avons Ă  transmettre la grâce divine, pas les virus. Â» Dans le diocèse de Laval, oĂą les Ă©glises ont Ă©tĂ© fermĂ©es le 18 mars, la rĂ©ouverture de certaines d’entre elles a Ă©tĂ© « envisagĂ©e Â» le 22 avril « au discernement des curĂ©s, dans le respect de l’âge et de la santĂ© des bĂ©nĂ©voles Â». Dans celui de Vannes, l’évĂŞque, Mgr Centène, a dĂ©cidĂ© que les Ă©glises pouvaient rester ouvertes Ă  condition que ne s’y trouvent jamais plus de « vingt personnes en prière individuelle et Ă  distance les unes des autres Â» ; si cette prĂ©caution ne pouvait ĂŞtre respectĂ©e, il Ă©tait prĂ©fĂ©rable de fermer l’église, la dĂ©cision Ă©tant prise « sous la responsabilitĂ© du curĂ© ou recteur Â». Les fermetures d’églises sont jugĂ©es très sĂ©vèrement par les catholiques traditionalistes, comme le père Danziec (pseudonyme) qui s’exprime sur le site Valeurs actuelles. Mais le vicaire gĂ©nĂ©ral de Paris, Mgr Benoist de Sinety, rappelle que, pour arrĂŞter la peste de 1576, Charles de BorromĂ©e, archevĂŞque de Milan, prit plusieurs directives parmi lesquelles figurait la fermeture des Ă©glises. Si, dans divers lieux, la dĂ©cision d’ouverture ou de fermeture semble correspondre Ă  la possibilitĂ© de s’assurer du respect des gestes barrières et de la distanciation sociale, dans plusieurs Ă©glises parisiennes du 13e arrondissement demeurĂ©es ouvertes (Notre-Dame de la Gare, Saint-Hippolyte, Sainte-Anne de la Butte-aux-Cailles, Sainte-Rosalie), on fait manifestement confiance aux fidèles et Ă  leur sens des responsabilitĂ©s et du bien commun.

Les solutions palliatives

Dès la mise en place du confinement, le 17 mars, et antĂ©rieurement en cas de fermeture, tous les cultes ont cherchĂ© Ă  remĂ©dier Ă  l’absence de cĂ©rĂ©monies collectives, Ă  diffuser les textes sacrĂ©s, les homĂ©lies et les prières et Ă  garder des liens avec leurs fidèles. Tous disposaient dĂ©jĂ  des moyens audiovisuels classiques grâce aux Ă©missions diffusĂ©es sur France 2 (« Le Jour du Seigneur Â», « PrĂ©sence protestante Â», « Islam Â», « Orthodoxie Â», « Ă€ l’origine Berechit Â», « Sagesses bouddhistes Â») et sur France Culture. Toutefois, sauf pour les messes qui sont retransmises, ces Ă©missions correspondent surtout Ă  des magazines, des dĂ©bats, des causeries et ne rĂ©pondent donc pas vraiment au but recherchĂ©. Celui-ci peut-ĂŞtre davantage atteint grâce Ă  l’audiovisuel privĂ©. Les catholiques disposent des chaĂ®nes KTO, les musulmans d’un Bouquet TV musulman, sur lequel ils peuvent choisir la chaĂ®ne Iqraa international qui diffuse en français. Les radios sont plus nombreuses : pour les catholiques Radio Notre-Dame, Radio FidĂ©litĂ©, Radio PrĂ©sence, Radio Salve Regina, etc., pour les protestants FrĂ©quence protestante, Radio Omega, Radio Grille ouverte, Alliance et toutes les radios locales du rĂ©seau Radio chrĂ©tienne francophone (RCF). Les musulmans peuvent accĂ©der Ă  des Ă©missions religieuses sur deux radios gĂ©nĂ©ralistes, Radio Orient et Radio Gazelle (Ă  Marseille), comme cela est le cas pour les juifs avec Radio JudaĂŻca ou Radio RCJ.

Mais les moyens numĂ©riques sont plus nombreux, plus souples et rĂ©pondent ainsi davantage aux besoins. Tous les cultes disposent de sites Internet ou de blogs : eglise.catholique.fr, liturgie.catholique.fr, paris.catholique.fr, lyon.catholique.fr pour les catholiques ; cfcm-officiel.fr pour le Conseil français du culte musulman ; protestants.org, eglise-protestante-unie.fr pour les protestants et eglises.org pour le Conseil national des Ă©vangĂ©liques de France ; bouddhisme-france.org, pour les bouddhistes ; mjlf.org et cjl.org pour les juifs libĂ©raux et chabad.org pour les juifs se rĂ©clamant du mouvement Loubavitch. Les diocèses, les paroisses, les consistoires, les Ă©glises, synagogues et mosquĂ©es, notamment les principales (la cathĂ©drale Saint-Alexandre-Nevsky, la synagogue de la Victoire et la Grande MosquĂ©e de Paris), les pagodes disposent au minimum d’une adresse mail, souvent d’une page Facebook, d’un compte Twitter et surtout d’une chaĂ®ne YouTube permettant de retransmettre les cĂ©rĂ©monies en direct. Cette chaĂ®ne Ă©tait parfois en sommeil, Ă  l’instar de celle de la paroisse de Clisson (Loire-Atlantique) que le curĂ©, le père CĂ©dric Van Waesberghe, redynamisa dès qu’il comprit, Ă  la mi-mars, qu’il allait devenir impossible de cĂ©lĂ©brer la messe devant des fidèles. Il prĂ©fère YouTube, qui prĂ©serve la vie paroissiale, Ă  France 2 ou Ă  KTO : « On ne voit pas nos paroissiens, mais, comme c’est du direct, nous sentons que nous sommes tous ensemble, au mĂŞme moment, en prière Â», dit-il, en Ă©voquant les deux cent quarante connexions dominicales. Des communautĂ©s religieuses se tournent vers d’autres applications permettant des interactions, Messenger, Skype, WhatsApp : dans la paroisse de Chelles, les messes quotidiennes sont retransmises sur Facebook et des groupes WhatsApp, trois cents personnes au total sont chargĂ©s de diffuser les informations paroissiales ; un autre groupe WhatsApp s’occupe des catĂ©chismes et de l’aumĂ´nerie. L’application Zoom remporte actuellement un grand succès, permettant de crĂ©er des Ă©changes d’un type nouveau entre le clergĂ© et les fidèles ou encore entre les fidèles entre eux, comme cela s’est, par exemple, produit dans la paroisse orthodoxe de Besançon, au tĂ©moignage de l’un de ses membres, le pianiste Thierry Rosbach. La FĂ©dĂ©ration de l’Église adventiste du septième jour a publiĂ© sur son site une sĂ©rie de conseils relatifs Ă  l’utilisation de Zoom, « outil pratique et utile pour rĂ©aliser des rĂ©unions d’église en ligne Â». Comme le consistoire de Lyon, le Mouvement juif libĂ©ral de France utilise Ă©galement Zoom et c’est aussi grâce Ă  cette application, qui s’ajoute aux contacts par mails, que les six moines de la pagode Khanh-Anh d’Evry correspondent avec les deux cents ou deux cent cinquante fidèles qui frĂ©quentent habituellement la pagode, comme me l’a rapportĂ© le moine Kim Ong. Ă€ Toulouse, le rabbin consistorial Rav Doron NaĂŻm envoie des vidĂ©os par mail Ă  toutes les personnes n’ayant pas de compte Facebook.

AisĂ©ment visibles sur la toile, les retransmissions de ces cĂ©rĂ©monies montrent des mosquĂ©es, des temples et des Ă©glises vides. Mais quelques prĂŞtres ont repeuplĂ© leur Ă©glise en collant sur les chaises ou les bancs les photographies de tous leurs paroissiens, comme l’a fait le père Georges Nicoli, curĂ© de Notre-Dame-de-Lourdes, Ă  Bastia. Quand les groupes religieux ne disposent pas des moyens techniques les plus modernes, les prĂŞtres â€“ par exemple ceux de la paroisse Notre-Dame de la Gare Ă  Paris –, les pasteurs, les rabbins, les imams restent en contact avec les fidèles de leur communautĂ© par tĂ©lĂ©phone. Le père Christian Lancrey-Javal, curĂ© de la paroisse parisienne Notre-Dame-de-Compassion, dispose des rĂ©seaux sociaux, mais passe nĂ©anmoins beaucoup de temps au tĂ©lĂ©phone, car, dit-il, « la plus grosse demande aujourd’hui est une demande d’écoute. Dans le confinement, les gens ont besoin de parler, d’autant qu’ils sont abreuvĂ©s d’informations, ce qui accentue la frustration de ne pas parler Â». Les adresses mail sont aussi utilisĂ©es pour mieux associer les fidèles Ă  une cĂ©lĂ©bration en envoyant Ă  l’avance textes et prières – ont ainsi Ă©tĂ© envoyĂ©s des « kits de Semaine sainte Â» â€“ et en donnant des conseils pour crĂ©er au domicile un endroit propice Ă  la prière et Ă  la mĂ©ditation, pour suivre la messe comme si l’on Ă©tait Ă  l’église, en parlant Ă  voix haute et en faisant les gestes appropriĂ©s ; chez les catholiques a ainsi ressurgi la notion d’« Ă©glise domestique Â».

Des fêtes sorties de l’ordinaire

Malgré cette adaptation à la situation et ce rapide passage au registre 2.0, cette année, les fêtes de Pessa’h, Pâques et Ramadan ont été en tous points extraordinaires, au sens propre du terme, car il leur a manqué des pratiques et des rites essentiels, que les ersatz numériques n’ont pas remplacés, en dépit de leurs effets positifs.

La Semaine sainte chrétienne

L’impossibilitĂ© de se rĂ©unir en nombre dans les lieux de culte provoque un manque ressenti plus ou moins profondĂ©ment. L’évĂŞque du Puy-en-Velay, Mgr CrĂ©py, a ainsi constatĂ© : « Nous entrons dans une Semaine sainte comme nous n’en avons jamais vĂ©cu. Nous n’aurons pas de rameaux pour acclamer le Christ entrant Ă  JĂ©rusalem. Nos communautĂ©s ne se rassembleront pas dans les Ă©glises pour cĂ©lĂ©brer la dernière Cène de JĂ©sus, ni pour parcourir le Chemin de croix. Seul le silence du samedi saint, oĂą le Christ est au tombeau, rĂ©sonnera avec notre temps de confinement. Â». Les catholiques et les orthodoxes ont, en effet, Ă©tĂ© privĂ©s de la bĂ©nĂ©diction et de la distribution du dimanche des rameaux, jour prĂ©cĂ©dant la Semaine sainte, le 5 avril pour les premiers, le 12 pour les seconds, qui suivent un autre calendrier liturgique. D’après le site liturgie.catholique.fr, dans certains diocèses catholiques, les rameaux ont Ă©tĂ© bĂ©nis Ă  distance, les fidèles se tenant, buis ou autres branchages Ă  la main, devant leur radio, leur tĂ©lĂ©vision ou leur ordinateur ; dans d’autres, les rameaux ont Ă©tĂ© bĂ©nis et conservĂ©s dans l’église dans l’attente d’une distribution ultĂ©rieure ; dans le diocèse de Belfort-MontbĂ©liard, la possibilitĂ© a Ă©tĂ© laissĂ©e aux personnes le souhaitant « de faire elles-mĂŞmes une prière de bĂ©nĂ©diction sur leur propre rameau Â». Les catholiques ont dĂ» renoncer non seulement Ă  l’anniversaire de l’institution de la Cène, mais aussi Ă  la cĂ©rĂ©monie du lavement des pieds, le Jeudi saint. Toutefois, cette annĂ©e, Ă  Paris, le Jeudi saint a vu s’accomplir un rite qui, sans ĂŞtre une innovation, est de nos jours des plus inhabituels. Depuis le parvis de la basilique du SacrĂ©-CĹ“ur, Mgr Aupetit a bĂ©ni la capitale en Ă©levant l’ostensoir renfermant le saint sacrement et en rĂ©citant une prière se rapportant en partie Ă  la pandĂ©mie : « Viens bĂ©nir notre ville capitale et tous ses habitants, / particulièrement ceux qui sont le plus Ă©prouvĂ©s par la maladie, / l’isolement, le manque de logement. / Assiste tous ceux qui souffrent des consĂ©quences de la pandĂ©mie. / Soutiens ceux qui, de tant de manières, se mettent au service de leurs frères : les soignants, les priants,… / accorde la santĂ© aux malades, la force au personnel mĂ©dical, le rĂ©confort aux familles et le salut Ă  toutes les personnes qui ont trouvĂ© la mort. Â» PrĂ©sente, Anne Hidalgo ne s’est pas agenouillĂ©e lors de l’élĂ©vation de l’ostensoir, marquant ainsi sa volontĂ© de tenir compte, en tant que maire de Paris, de cette initiative catholique tout en gardant une attitude laĂŻque (que les milieux laĂŻques n’ont certainement pas vue de cet Ĺ“il-lĂ ). D’autres cĂ©rĂ©monies du mĂŞme type se sont dĂ©roulĂ©es Ă  Saint-Roch, oĂą le curĂ© de l’église est montĂ© sur le toit, comme celui de Saint-François-Xavier l’avait fait dès le 2 avril (les scènes, visibles sur les clichĂ©s prĂ©sents sur le site du Salon beige, sont spectaculaires) ; en province, des prĂŞtres avaient dĂ©jĂ  accompli ce rite dès la fin du mois de mars dernier. Le Vendredi saint, les catholiques ont Ă©tĂ© privĂ©s du traditionnel Chemin de croix normalement accompli Ă  l’intĂ©rieur des Ă©glises et, parfois, au-dehors. Les processions de pĂ©nitents ont Ă©tĂ© annulĂ©es, comme celle du Puy-en-Velay ou celle de la Sanch, Ă  Collioure et Ă  Perpignan. Dans cette ville, pour compenser cette annulation, l’Association culturelle de la CathĂ©drale, l’ArchiconfrĂ©rie de la Sanch et la Ville ont lancĂ© l’opĂ©ration « Pavoisez vos balcons Ă  l’occasion de la Semaine sainte Ă  Perpignan Â», consistant Ă  renouer avec une ancienne tradition ; les habitants ont entendu cet appel et y ont « rĂ©pondu rapidement et avec engouement Â». Ă€ Paris, Mgr Aupetit, accompagnĂ© de trois prĂŞtres, a pĂ©nĂ©trĂ© sur le chantier de Notre-Dame pour vĂ©nĂ©rer la couronne d’épines, ordinairement offerte Ă  la vĂ©nĂ©ration des fidèles chaque Vendredi saint ; après une lecture de poèmes par Philippe Torreton, Renaud Capuçon a jouĂ© des pièces de violon et Judith Chemla a chantĂ© l’Ave Maria. Les TĂ©moins de JĂ©hovah, eux, n’ont pu organiser leur grand rassemblement du MĂ©morial de la mort de JĂ©sus. Ce qui a le plus manquĂ© Ă  l’ensemble des chrĂ©tiens, c’est de ne pouvoir vivre ensemble la certitude et la joie de la RĂ©surrection, mais la privation suprĂŞme est celle de la communion eucharistique. En annonçant, dès le 13 mars, la suspension des messes dominicales, Mgr Aupetit a Ă©crit : « Cette dĂ©cision est extrĂŞmement douloureuse car l’eucharistie est bien la source et le sommet de la vie chrĂ©tienne. Â» Ce manque d’eucharistie a d’ailleurs fait naĂ®tre une rĂ©flexion approfondie sur la communion spirituelle et la communion de dĂ©sir.

Pessa’h

Pour les juifs, Pessa’h, qui commença cette annĂ©e le 8 avril au soir, est une fĂŞte dont la dimension spirituelle est importante. CommĂ©morant la sortie d’Égypte du peuple hĂ©breu, elle marque le passage de l’esclavage Ă  la libertĂ©, ce qui s’entend aussi au sens symbolique ; vivre ce passage alors que le confinement se traduit par une privation de libertĂ© peut paraĂ®tre paradoxal. Par ailleurs, la dimension sociĂ©tale et familiale de Pessa’h est essentielle car, lors du premier Seder, c’est-Ă -dire le deuxième soir, au cours d’un repas dont les mets (le pain sans levain, les herbes amères…) sont chargĂ©s d’une forte valeur symbolique, on lit en commun la Haggada, long texte relatant les tribulations d’IsraĂ«l en Égypte, sa sortie de ce pays et se terminant par une sĂ©rie de louanges Ă  l’Éternel ponctuĂ©es par la formule « l’an prochain Ă  JĂ©rusalem Â». La dimension intergĂ©nĂ©rationnelle de ce rĂ©cit est forte, car les enfants y sont Ă©troitement associĂ©s. L’impossibilitĂ© de se rendre Ă  la synagogue et de cĂ©lĂ©brer collectivement ce premier Seder a donc Ă©tĂ© vivement ressentie dans les communautĂ©s et les familles juives, qui n’ont pas toutes trouvĂ© un recours dans les moyens audiovisuels et numĂ©riques Ă  cause de l’interdiction de se servir de l’électricitĂ© et des instruments Ă©lectroniques qui s’impose pour Pessa’h comme pour le shabbat. La communautĂ© juive libĂ©rale d’Île-de-France a mis un Seder communautaire en ligne, mais pour d’autres juifs il Ă©tait inenvisageable de profaner Pessa’h. Une sorte de moyen terme a Ă©tĂ© trouvĂ© par diverses communautĂ©s, grâce au recours Ă  un « prĂ©-Seder Â» organisĂ© sur Zoom, comme l’a fait, par exemple, la communautĂ© lyonnaise de Beth-Habad : le Seder commençant alors que la soirĂ©e est dĂ©jĂ  bien avancĂ©e, vers 20 heures, il a Ă©tĂ© recommandĂ© de lancer Zoom dans l’après-midi afin que les membres d’une mĂŞme famille puissent communiquer entre eux, que les enfants montrent leurs dessins se rapportant Ă  la Haggada et rĂ©pondent aux questions qui leur sont posĂ©es pour s’assurer qu’ils connaissent bien leur histoire ; l’application doit ĂŞtre arrĂŞtĂ©e quelques minutes avant le traditionnel allumage des bougies.

Le mois de Ramadan

La situation des musulmans se prĂ©sente sous un jour comparable. Ghaleb Bencheikh, prĂ©sident de la Fondation de l’Islam de France, organisme qui entend promouvoir un islam progressiste, rappelle que le Ramadan offre trois dimensions, une dimension spirituelle personnelle, une dimension sociĂ©tale transversale et une dimension festive et joyeuse vĂ©cue par la famille Ă©largie et le voisinage. La fermeture des mosquĂ©es et le confinement font donc de ce Ramadan, qui s’est ouvert Ă  la pointe de l’aube du 24 avril, « un Ramadan morose Â». « Il y aura un manque Ă©vident pour les fidèles, dit un musulman dijonnais, puisque ce sont des moments de communion très forts. Â» En ce qui concerne la rĂ©citation du Coran et les prières, le Conseil français du culte musulman (CFCM) souhaite que son site officiel et sa chaĂ®ne YouTube soient « des lieux de ressourcement Â» visitĂ©s et enrichis par tous les fidèles qui pourraient y dĂ©poser « des rĂ©citations, des invocations et tout ce qui peut ĂŞtre une alternative Ă  la rencontre physique dans les mosquĂ©es Â». Ă€ cette dĂ©cision, correspondent des choix locaux. Dès l’ouverture du Ramadan, la Grande MosquĂ©e de Paris a lancĂ© une Ă©mission religieuse audible chaque jour, avant la rupture du jeĂ»ne, sur sa chaĂ®ne YouTube et sur le site de Radio Orient, tandis qu’à Marseille, les prières peuvent ĂŞtre Ă©coutĂ©es sur Radio Gazelle. Ă€ Toulouse, Mamadou DaffĂ©, imam de la mosquĂ©e du Mirail, met en ligne des vidĂ©os sur le site internet de la mosquĂ©e, sur la page Facebook et le compte Instagram ; Ă  Cholet, l’imam de la mosquĂ©e Arrahma, Mohamed Nayma, recourt aussi aux rĂ©seaux sociaux. Mais certains imams se dĂ©fient de ces moyens. Driss Rennane, aumĂ´nier gĂ©nĂ©ral des scouts musulmans de France, estime qu’il faut arracher les fidèles Ă  leurs Ă©crans et prĂ©conise les envois audio de prières. D’après la journaliste Bernadette Sauvaget, « contrairement aux cultes chrĂ©tiens qui ont vu exploser la diffusion de leurs offices sur les rĂ©seaux sociaux, rien de tel en islam Â» ; cette diffĂ©rence s’explique, dit le sociologue de l’ethnicitĂ© et des religions Omero Marongiu-Perria, par le fait que, pour les musulmans, les prières sont valides Ă  la condition « que les rangs des fidèles ne soient pas rompus Â». Cette question entraĂ®ne des dĂ©bats d’ordre thĂ©ologique, notamment dans les milieux salafistes, autour de la question des Tarawih, prières rĂ©citĂ©es après la rupture du jeĂ»ne, durant la nuit. En ce qui concerne le caractère festif du Ramadan, les autoritĂ©s musulmanes, comme le recteur de la Grande MosquĂ©e de Paris, Chems-Eddine Hafiz, ont insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© de respecter scrupuleusement le confinement. En dĂ©pit de cette discipline civique et rationnelle, des polĂ©miques relatives au respect du confinement par les musulmans ont surgi, notamment Ă  propos du contexte marseillais – le prĂ©fet des Bouches-du-RhĂ´ne ayant dit, lors d’une interview au Point : « Certes, nous ne pourrons pas Ă©viter que les gens se rendent visite les uns aux autres dans une mĂŞme barre d’immeuble. Mais lĂ , il s’agit d’une question de responsabilitĂ© individuelle. […] En revanche, les soirĂ©es festives “hors les murs”, comme il y en a tous les ans, seront interdites. Â» Ces propos de bon sens – que n’aurait-on pas entendu si la police avait Ă©tĂ© autorisĂ©e Ă  pĂ©nĂ©trer dans les immeubles pour s’assurer que chaque famille Ă©tait bien recluse dans son propre domicile ? – ont fait naĂ®tre la rumeur selon laquelle le prĂ©fet autorisait les musulmans Ă  fĂŞter le Ramadan entre voisins. Ă€ l’extrĂŞme droite, les commentaires allèrent bon train. Jacques de Guillebon, rĂ©dacteur en chef de L’Incorrect, s’est distinguĂ© par sa violence et sa grossièretĂ©. En revanche, il y a eu un problème rĂ©el dans le Calvados, oĂą une note de police interne a recommandĂ© d’éviter les contrĂ´les dans « les quartiers Ă  forte concentration de population suivant le Ramadan, pour relever un tapage, contrĂ´ler un regroupement de personnes rassemblĂ©es après le coucher du soleil pour s’alimenter Â», afin d’éviter « qu’un manquement aux règles de confinement ne dĂ©gĂ©nère et provoque un trouble supĂ©rieur de violences urbaines Â». Le syndicat de police Alliance s’est dit outrĂ© et la prĂ©fecture a affirmĂ© n’avoir donnĂ© aucune directive de cette nature. Christophe Castaner a publiĂ© un court communiquĂ© d’après lequel les forces de l’ordre doivent partout agir « avec la mĂŞme rigueur et le mĂŞme professionnalisme Â» et Laurent Nunez, secrĂ©taire d’État auprès du ministre de l’IntĂ©rieur, a confirmĂ© l’absence « de consignes d’allègement des contrĂ´les, sur quelque territoire que ce soit, y compris dans les quartiers Â».

Les fĂŞtes religieuses : fraternitĂ©, charitĂ© et partage

Durant cette pĂ©riode de fĂŞte, les relations entre les trois monothĂ©ismes ont Ă©tĂ© marquĂ©es par des relations fraternelles, des Ă©changes mutuels de souhaits de bonnes fĂŞtes. Ainsi, la FĂ©dĂ©ration protestante de France a adressĂ© un « message fraternel Â» aux musulmans de France Ă  la veille du Ramadan : « As salam aleykum […] Dans le contexte de limitations liĂ©es au confinement, ce mois de jeĂ»ne s’annonce pour l’ensemble de la communautĂ© musulmane de France très particulier. L’impossibilitĂ© des rassemblements dans les espaces de prières et mosquĂ©es, les iftars (ruptures du jeĂ»ne) chacun chez soi, reprĂ©sentent d’importantes Ă©preuves Ă  surmonter. Également privĂ©e de la joie des rassemblements cultuels, la communautĂ© protestante s’associe sans peine Ă  vos difficultĂ©s. […] Que ce mois de jeĂ»ne, manifestation de votre belle libertĂ© religieuse, soit l’occasion d’une grande joie pour toute la communautĂ© musulmane de France. Â»

Mais cette pĂ©riode est surtout marquĂ©e par les « Ĺ“uvres de misĂ©ricorde Â» prĂ´nĂ©es par tous les cultes et organisĂ©es par chacun d’entre eux par l’intermĂ©diaire d’organismes spĂ©cifiques. Les catholiques, pour qui il existe sept Ĺ“uvres de misĂ©ricorde corporelle et sept spirituelles, agissent par l’intermĂ©diaire du Secours catholique, de la Fondation Notre-Dame et des Ĺ“uvres propres aux diocèses, comme le Vicariat pour la SolidaritĂ© de Paris, Caritas Alsace ou SolidaritĂ© catholique Marseille. Les musulmans disposent du Secours islamique de France et de l’Association des projets de bienfaisance islamiques en France (APBIF) et les juifs du Fonds social juif unifiĂ©, qui Ĺ“uvre par l’intermĂ©diaire de son rĂ©seau Ezra, etc. La solidaritĂ© est Ă©galement mise en Ĺ“uvre au niveau des assemblĂ©es de fidèles unies par la frĂ©quentation d’un mĂŞme lieu de culte. Ă€ Paris, en association avec la Ville, vingt-huit paroisses participent Ă  des distributions alimentaires qui s’effectuent devant les Ă©glises ; chaque jour, cent dix repas sont ainsi distribuĂ©s devant l’église Sainte-Anne de la Butte-aux-Cailles. Chez les musulmans, les personnes qui ne peuvent pas jeĂ»ner versent une indemnitĂ© compensatoire (al fidya), fixĂ©e Ă  cinq euros, qui s’ajoute Ă  l’aumĂ´ne obligatoire (zakaat al fitr) destinĂ©e Ă  aider les pauvres et qui peut ĂŞtre, dit le site musulmansdefrance.fr, versĂ©e Ă  une mosquĂ©e ou Ă  une association humanitaire. Pendant le mois de Ramadan, les sommes recueillies servent Ă  prĂ©parer des colis alimentaires distribuĂ©s Ă  l’heure de l’iftar ou bien au cours des maraudes assurĂ©es par le Secours islamique de France.

L’entraide n’est pas seulement matĂ©rielle. En plus des numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone des paroisses, consistoires et communautĂ©s, chaque culte a ouvert sa propre ligne d’écoute qui s’ajoute au numĂ©ro vert national. Celle de l’Église catholique, gratuite et anonyme, rassemble deux cent quatre-vingts personnes ayant gĂ©nĂ©ralement une longue pratique d’« Ă©coute bienveillante Â» pour avoir, par exemple, travaillĂ© pour SOS AmitiĂ©s. Yannick Bourrat, coordonnateur du dispositif, prĂ©cise que leur Ă©coute n’est ni « confessionnelle Â», ni destinĂ©e Ă  convertir, qu’il s’agit « d’un geste dĂ©sintĂ©ressĂ© de la part de chaque individu souhaitant rĂ©pondre Ă  la pĂ©riode que nous vivons Â». La FĂ©dĂ©ration protestante de France a ouvert L’Écoute protestante, numĂ©ro vert gratuit permettant Ă  tous « de bĂ©nĂ©ficier dans cette pĂ©riode difficile d’un accompagnement spirituel par des pasteurs ou des aumĂ´niers Â». Le Conseil français du culte musulman a mis en place « une plateforme d’information et d’assistance psychologique et spirituelle particulièrement pour les personnes victimes du Covid-19 et leurs familles Â», qui peut « faciliter la liaison entre les aumĂ´niers musulmans hospitaliers et imams, les patients et leurs familles Â» ; un sujet de douleur spĂ©cifique touche les musulmans : l’impossibilitĂ© actuelle d’envoyer au pays d’origine les corps des dĂ©funts et le nombre insuffisant, dans les cimetières communaux, des carrĂ©s musulmans prĂ©vus par les circulaires du 28 novembre 1975, 14 fĂ©vrier 1991 et 19 fĂ©vrier 2008. Pour les juifs, une cellule de crise, composĂ©e de l’ensemble des institutions juives, a ouvert : PĂ´lepsy, « plateforme gratuite de consultation psychologique de la communautĂ© juive Â», qui dispose de deux numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone et d’une adresse mail.

Ainsi, le Covid-19 a privĂ© les fidèles de tous les cultes du rĂ©confort spirituel et affectif que leur foi, leurs rites et leurs pratiques peuvent leur offrir. Tout en cherchant Ă  comprendre le sens profond de cette crise pour eux et pour l’humanitĂ© entière – ils ne sont pas les seuls Ă  le faire â€“, ils ont, pour la plupart d’entre eux, cherchĂ© Ă  s’adapter Ă  une situation inĂ©dite grâce aux moyens techniques les plus modernes, ce qui a sans doute accru leur visibilitĂ©, de mĂŞme que les articles de presse qui leur ont Ă©tĂ© consacrĂ©s Ă  l’occasion de ces fĂŞtes particulières. Cela n’a pas Ă©tĂ© sans faire naĂ®tre des propos d’internautes anticlĂ©ricaux et antireligieux, certains Ă©tant caractĂ©risĂ©s par leur islamophobie (contrairement Ă  une idĂ©e reçue, ce terme n’est pas rĂ©cent : on le relève sous la plume du lieutenant-colonel Alain Quellien et de Maurice Delafosse en 1910). Enfin, mĂŞme si quelques ministres des cultes ont lancĂ© des propos irrationnels prĂ©sentant le SARS-Cov-2 comme un châtiment divin et prĂ©tendant que la religion l’emporte sur la mĂ©decine, il apparaĂ®t clairement que les autoritĂ©s de tous les cultes se sont associĂ©es pleinement Ă  la politique sanitaire mise en Ĺ“uvre par le gouvernement.

Nota bene : Ce texte a Ă©tĂ© finalisĂ© le 29 avril 2020, et mis Ă  jour le 4 mai 2020. Je remercie toutes les personnes qui m’ont communiquĂ© des informations ou signalĂ© des pistes : Marc-Olivier Baruch, Élisabeth Belmas, Patrick Cabanel, Gilles Candar, Jean CĂ©ard, Ong Kim, SĂ©verine-Antigone Marin, Laurent Mazliak, Eugène de Montalembert, Thierry Rosbach.

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