Désengagés, les jeunes ? La réalité est plus nuancée. C’est ce qui ressort d’un séminaire de la Fondation Jean-Jaurès et de L’Ascenseur, organisé le 2 avril 2024, qui a analysé la thématique de l’engagement entre ses mutations, les freins ressentis par les jeunes et la résilience dont ils font preuve.
La perception politique ou médiatique de la jeunesse brosse souvent un portrait relativement désengagé de celle-ci. À la fois critiqué et exigé1Valérie Becquet et Martin Goyette, « L’engagement des jeunes en difficulté », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°14, 2014., cet engagement des jeunes ne peut être appréhendé qu’au travers d’un nouveau paradigme, dont les mécaniques d’engagement telles que mesurées auparavant semblent se transformer.
Pour mieux appréhender ce changement, la Fondation Jean-Jaurès – fondation politique défendant le progrès et la démocratie dans le monde – et L’Ascenseur – un collectif dédié à l’égalité des chances pour toutes et tous – ont organisé un séminaire sur l’engagement de la jeunesse. L’occasion de réunir des intervenants aux profils complémentaires : institutionnels, associations, chercheurs et jeunes engagés. Ceux-ci ont pu aborder la thématique de l’engagement entre ses mutations, les freins ressentis par les jeunes et la résilience dont ils font preuve.
Séminaire du 2 avril 2024, Les jeunes et l’engagement : entre mutations, freins et résiliences, Fondation Jean-Jaurès x L’Ascenseur.
Un nouveau regard sur les formes d’engagement traditionnelles
Si l’on se penche sur les critères d’engagement traditionnels, l’engagement des jeunes peut poser question. Seuls 28% des moins 30 ans ont voté au second tour des législatives en 2022, contre 59% des 65 ans ou plus, soit 31 points d’écart (contre 25 points en 2022)2Élisabeth Algava, Kilian Bloch, Vingt ans de participation électorale : en 2022, les écarts selon l’âge et le diplôme continuent de se creuser, Insee, 2022.. L’engagement bénévole, quant à lui, diminue également au fil du temps pour les 18-29 ans. Il était de 25% en 1990 et de 19% en 20183Laurent Lardeux et Mathilde Renault-Tinacci, La participation associative des jeunes, INJEP, 2021..
Ce détournement des jeunes des formes d’engagement plus traditionnelles, qu’elles soient politiques ou bénévoles, s’explique notamment par des facteurs sociaux. Si l’engagement est perçu comme un acte qui dépend de la volonté, le manque de ressources personnelles, organisationnelles ou culturelles peut expliquer un engagement moindre, notamment de la part des populations les plus défavorisées4Valérie Becquet et Martin Goyette, « L’engagement des jeunes en difficulté », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°14, 2014.. À ce titre, les statistiques sont explicites à ce sujet. D’après une étude de l’INJEP de 20225Laurent Lardeux et Vincent Tiberj, Le vote et l’abstention des jeunes au prisme de leurs valeurs et de leur situation sociale, INJEP, 2022., les populations les plus diplômées ont eu tendance à voter aux deux tours de l’élection présidentielle de 2022 davantage que celles moins diplômées. Il en va de même avec l’origine sociale, qui constitue un déterminant du vote, où les enfants de catégories sociales favorisées avaient davantage tendance à aller aux urnes que ceux issus de familles d’ouvriers ou d’employés. Économiquement, les jeunes disposant de davantage de ressources économiques votent près de 1,5 fois plus que ceux les plus précaires. Il en va de même pour les conditions socio-économiques et leurs impacts sur l’engagement bénévole. Les jeunes de 18 à 30 les moins engagés bénévolement sont ceux inactifs, avec un niveau de diplôme inférieur au bac, habitant dans des communes rurales6Sandra Hoibian, Jörg Müller, Charlotte Millot, Amélie Charruault, Moral, état d’esprit et engagement citoyen des jeunes en 2022 – Résultats du baromètre DJEPVA sur la jeunesse, INJEP–Crédoc, 2022..
Pour Assia Benregreg, membre de la Génération Ascenseur, un collectif de jeunes issus du monde associatif et accompagné par L’Ascenseur pour devenir de futurs leaders économiques, « nos engagements sont intimement liés à nos milieux sociaux. Dans les milieux défavorisés, on ne parle pas de la politique européenne ». Ces mots démontrent le lien entre engagement et origine sociale. C’est ce que nous confirme Nans Kom, membre également de la Génération Ascenseur : selon lui, ces jeunes issus de milieux défavorisés « doivent faire un choix entre gagner de l’argent et s’engager ».
Assia Benregreg au cours du séminaire du 2 avril 2024, Les jeunes et l’engagement : entre mutations, freins et résiliences, Fondation Jean-Jaurès x L’Ascenseur.
Si les déterminismes sociaux pèsent autant sur l’engagement associatif7Anne Muxel, Avoir 20 en politique. Les enfants du désenchantement, Seuil, Paris, 2010., l’abstention ou encore la syndicalisation des jeunes8Sophie Béroud, Camille Dupuy, Marcus Kahmann, Karel Yon, « Jeunes et engagements au travail. Une génération asyndicale ? », Agora débats/jeunesses, 2019/2, n°82, 2019, pp. 7-25., ce désengagement observé ne trouverait-il pas plutôt sa cause dans des inégalités structurelles à leurs égards ? Ne regardons-nous pas la jeunesse sous le prisme d’un engagement qui bénéficierait surtout aux personnes les plus privilégiées de notre société ? Et de fait, la mesure de ces formes d’engagement traditionnelles traduit-elle réellement un désengagement massif de toute une jeunesse ?
De nouvelles formes d’engagement plus protéiformes
Ce détournement des formes traditionnelles d’engagement ne témoigne en rien d’un désintérêt des jeunes des sujets sociétaux. 72% d’entre eux se disent d’ailleurs optimistes quant à leur avenir (+10 points par rapport à 2022)9Sondage BVA réalisé pour la Fondation Jean-Jaurès et la Macif en novembre 2023 auprès d’un échantillon de 1000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 à 24 ans, novembre 2023.. Si l’accès à l’engagement peut être freiné par des déterminismes sociaux, les engagements politique ou associatif ne suffisent pas, à eux seuls, à définir toutes les formes d’engagement de toutes les jeunesses. Leurs engagements sont aujourd’hui plus protéiformes et s’incarnent dans d’autres champs. En 2023, la forme d’engagement la plus répandue chez les jeunes se fait via les réseaux (signer une pétition ou défendre une cause sur internet, un blog, un réseau social) et cela touche 40% d’entre eux en 202310Sandra Hoibian, Jörg Müller, Charlotte Millot, Amélie Charruault, Moral, état d’esprit et engagement des jeunes en 2023. Baromètre DJEPVA sur la jeunesse, INJEP–Crédoc, 2023.. Dans le même temps, le rapport au travail des plus jeunes se transforme, ceux-ci se différencient particulièrement des autres classes d’âge dans leur capacité à choisir un travail qui leur donne la possibilité d’agir sur des sujets qui leur tiennent à cœur (28% pour les moins de 31 ans contre seulement 14% pour les plus de 31 ans)11Clara Ponton, Roxane Saumon, Charlotte Millot, Sandra Hoibian, Amélie Charruault, Le rapport des jeunes au travail en 2023. Résultats du baromètre DJEPVA sur la jeunesse, INJEP–Crédoc, 2023.. De la même manière, 43% d’entre eux, attendent des entreprises qu’elles soient utiles à la société (contre 37% en 2021)12Sondage BVA cité, 2023..
Cette manière d’investir tantôt les réseaux sociaux, tantôt son environnement de travail montre bien le nouveau paradigme auquel fait face la jeunesse. Celle-ci s’éloigne de deux clivages, celui de la séparation entre vie privée et engagement public, ainsi que celui entre monde « virtuel » et politique « réelle » de l’autre13Geoffrey Pleyers, Brieg Capitaine, « Engagement et relation à soi chez les jeunes alteractivistes », Agora débats/jeunesses, 2016/1, n°72, 2016, pp. 107 à 122.. Il se joue alors, pour cette jeunesse, une forme de réaffirmation de l’engagement. Plus particulièrement, si des inégalités les empêchent de s’engager au sein de structures traditionnelles, ces derniers contournent ces inégalités en s’appropriant une forme d’engagement singulière.
C’est ce que nous confirme Nans Kom : « Dans mon parcours scolaire, j’ai été confronté à des inégalités, de droits et d’opportunités. J’ai choisi d’agir : nous ne sommes pas condamnés à l’échec ». Il n’a eu de cesse de s’engager, et cela, de plusieurs manières singulières. Création d’entreprises, d’associations, adhésion à des fondations et des cercles de réflexion sont autant de formes d’engagement qu’il a explorées et qui traduisent un besoin de se réapproprier son engagement.
Nans Kom au cours du séminaire du 2 avril 2024, Les jeunes et l’engagement : entre mutations, freins et résiliences, Fondation Jean-Jaurès x L’Ascenseur.
Réenchanter les parcours d’engagement par le collectif
Si les jeunes parviennent à contrer les inégalités vécues au travers d’une manière de s’engager différente, ceux-ci ont besoin de s’organiser, de faire collectif. Il est alors essentiel de permettre aux jeunes de créer le cadre de leur expression. Cela peut être sur les réseaux sociaux, au sein de leur environnement de travail ou encore sur des projets.
En ce sens, de nombreuses associations proposent des actions par et pour la jeunesse. C’est le cas par exemple de l’association Cop1 – Solidarités étudiantes. L’association souhaite porter assistance à tout étudiant dans le besoin grâce à des distributions gratuites (denrées alimentaires, produits d’hygiène, etc.). Benjamin Flohic, président et co-fondateur de l’association, observe une hausse de l’engagement de ses bénévoles ; de fait, « l’aide par les pairs est cruciale, nous n’avons que des bénévoles étudiants ». Cela s’explique aussi car « 30% des étudiants bénévoles chez Cop1 sont aussi bénéficiaires ».
De la même façon, l’association Yes Akademia qui valorise la jeunesse et son engagement citoyen pour la solidarité internationale et le développement durable, représentée pendant le séminaire par sa directrice générale Estelle Muyumba, souhaite « créer des espaces d’échanges entre jeunes pour aborder des sujets de société et les conscientiser ». Ce cadre, fait par et pour des jeunes, permet par la suite la création de projets émancipateurs pour eux. Selon elle, « c’est par le collectif et l’apprentissage par les pairs qu’on peut susciter cette volonté d’engagement ».
Benjamin Flohic au cours du séminaire du 2 avril 2024, Les jeunes et l’engagement : entre mutations, freins et résiliences, Fondation-Jean Jaurès x L’Ascenseur.
Si les jeunes paraissent désengagés, désintéressés politiquement, c’est sans compter sur les nombreux freins qu’ils rencontrent, que ceux-ci soient dus à leur environnement socio-économique ou encore au manque de prise en compte des structures traditionnelles de la jeunesse. Ces jeunes ne sont pas démotivés, au contraire, ceux-ci franchissent les obstacles des inégalités, les évitent, les contournent, pour s’en affranchir et trouver de nouvelles formes d’engagement, plus singulières, qui méritent d’être valorisées au même titre que toutes autres formes d’engagement. Celles-ci s’illustrent par une plus grande proximité entre pairs et dont le collectif devient le terrain d’expression privilégié.
Engagement des jeunes : nous ne sommes pas condamnés à l’échec, par Nans Kom, membre de la Génération Ascenseur
Engagement des jeunes : créer des espaces d’échange pour les conscientiser, par Estelle Muyumba, directrice générale de Yes Akademia
- 1Valérie Becquet et Martin Goyette, « L’engagement des jeunes en difficulté », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°14, 2014.
- 2Élisabeth Algava, Kilian Bloch, Vingt ans de participation électorale : en 2022, les écarts selon l’âge et le diplôme continuent de se creuser, Insee, 2022.
- 3Laurent Lardeux et Mathilde Renault-Tinacci, La participation associative des jeunes, INJEP, 2021.
- 4Valérie Becquet et Martin Goyette, « L’engagement des jeunes en difficulté », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°14, 2014.
- 5Laurent Lardeux et Vincent Tiberj, Le vote et l’abstention des jeunes au prisme de leurs valeurs et de leur situation sociale, INJEP, 2022.
- 6Sandra Hoibian, Jörg Müller, Charlotte Millot, Amélie Charruault, Moral, état d’esprit et engagement citoyen des jeunes en 2022 – Résultats du baromètre DJEPVA sur la jeunesse, INJEP–Crédoc, 2022.
- 7Anne Muxel, Avoir 20 en politique. Les enfants du désenchantement, Seuil, Paris, 2010.
- 8Sophie Béroud, Camille Dupuy, Marcus Kahmann, Karel Yon, « Jeunes et engagements au travail. Une génération asyndicale ? », Agora débats/jeunesses, 2019/2, n°82, 2019, pp. 7-25.
- 9Sondage BVA réalisé pour la Fondation Jean-Jaurès et la Macif en novembre 2023 auprès d’un échantillon de 1000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 à 24 ans, novembre 2023.
- 10Sandra Hoibian, Jörg Müller, Charlotte Millot, Amélie Charruault, Moral, état d’esprit et engagement des jeunes en 2023. Baromètre DJEPVA sur la jeunesse, INJEP–Crédoc, 2023.
- 11Clara Ponton, Roxane Saumon, Charlotte Millot, Sandra Hoibian, Amélie Charruault, Le rapport des jeunes au travail en 2023. Résultats du baromètre DJEPVA sur la jeunesse, INJEP–Crédoc, 2023.
- 12Sondage BVA cité, 2023.
- 13Geoffrey Pleyers, Brieg Capitaine, « Engagement et relation à soi chez les jeunes alteractivistes », Agora débats/jeunesses, 2016/1, n°72, 2016, pp. 107 à 122.