Il faut allier démocratie représentative, démocratie participative et « démocratie d’engagement », trois piliers qui doivent constituer le socle de la citoyenneté du XXIe siècle. C’est le message de Michel Debout, membre fondateur et trésorier de la Fondation Jean-Jaurès, membre associé du CESE, Philippe Bassinet, ancien député des Hauts-de-Seine, ancien questeur de l’Assemblée nationale, et Jean-Pierre Bequet, ancien député du Val-d’Oise, maire honoraire d’Auvers-sur-Oise.
Il y a plus d’un siècle, Émile Durkheim, fondateur de la sociologie moderne, observait que « le suicide s’explique par les crises politiques, économiques, institutionnelles et les troubles qui affectent la société dans son ensemble ».
Une étude très récente publiée par la Fondation Jean-Jaurès et l’Ifop établit qu’en 2016 un Français sur cinq (20 %) a déjà pensé sérieusement à se suicider, alors qu’ils n’étaient que 13 % en 2000. Ce taux est de loin le plus important pour un ensemble de pays comparables au nôtre, l’Allemagne et l’Espagne entre autres, et qu’il est même le double de celui observé en Italie.
Cela montre que les Français n’ont pas seulement l’esprit chagrin, mais que plus profondément encore ils ressentent que le lien social s’est délité, que les règles communes du travail et du vivre-ensemble se sont altérées, et surtout qu’il n’y a plus vraiment de projet partagé : la France est revenue en état d’anomie sociale, comme l’avait observé Émile Durkheim, et notre démocratie est en souffrance.
Notre démocratie, fondée depuis la Révolution de 1789 sur la représentation du peuple par ses élus, n’est plus adaptée à l’attente réelle de nos concitoyens, dès lors que le monde moderne les rapproche plus que jamais des lieux de pouvoir et que, dans le même temps, celui-ci semble irrémédiablement leur échapper.
La démocratie représentative est percutée, dans son fondement même, par la mondialisation des échanges, la croissance abyssale des inégalités, les avancées technologiques sans précédent qui transforment nos modes de vie et de pensée. Étranger à ces évolutions, le pouvoir de la finance continue de tirer de façon anonyme les ficelles d’un monde qu’il prétend sans boussole : « la main invisible du marché » n’a été inventée que pour mieux protéger les bénéfices des détenteurs de capitaux qui sont, eux, bien réels.
Pour ces raisons, certains proposent de compléter voire substituer la démocratie représentative par la démocratie participative : à travers les réseaux sociaux (voire les sondages), tous les citoyens veulent prendre la parole, s’exprimer sur chaque sujet et participer à chaque décision. Mais cette expression directe risque de se transformer en une simple « démocratie d’opinion » parce qu’elle est relayée seconde par seconde par les chaînes d’information continue qui traitent tous les événements dans l’urgence, sans aucune distance pour les hiérarchiser et leur donner du sens. Bien plus, ce « sens » est confondu avec l’émotion du public sollicitée en permanence par les médias, ce qui contribue au désenchantement de la société elle-même qui a renoncé ainsi au rôle de l’histoire et de l’expérience pour comprendre ce qu’est la vie des hommes et des femmes.
Comment dans ces conditions être surpris par la montée des populismes, puisque ces mouvements se caractérisent par un rapport direct du peuple avec son chef ? D’ailleurs, le chef n’en appelle au peuple que pour mieux confisquer le pouvoir.
Notre démocratie a plus que jamais besoin d’un troisième pilier, celui de l’engagement : engagement syndical, mutualiste, associatif, humanitaire, qui complète l’action des élus et l’expression directe des citoyens. Dès lors que ces différents organismes sauront eux-mêmes adapter leur démocratie interne au monde qui vient, ces multiples engagements exprimeront par un positionnement distancié leur compétence sociétale qui ne provient pas seulement des individus, mais de la construction collective d’une pensée et d’un avenir partagés.
C’est bien ce dont ne veut plus la droite des Républicains, toutes tendances confondues, rejoignant par là la vision de l’extrême droite, lorsqu’elle met en cause le rôle des syndicats et qu’elle supprime les subventions aux différentes associations dans les collectivités territoriales qu’elle dirige.
La gauche, au contraire de la droite, doit promouvoir l’expression et la participation des citoyens dans leur commune, des salariés dans leurs entreprises et services, des jeunes dans leur diversité, des acteurs économiques dans un monde de plus en plus compétitif et injuste, des défenseurs de l’écologie dans une planète menacée par le réchauffement climatique et la dégradation de l’environnement.
La question du fonctionnement de notre démocratie, et donc de nos institutions, est bien au cœur du choix politique que les Français devront exprimer au printemps prochain. Pouvoir et durée du mandat présidentiel redéfini, rôle du Parlement réaffirmé : la gauche doit aussi renforcer le rôle du Conseil économique, social et environnemental, troisième assemblée de notre République qui exprime à travers l’engagement de ses membres, la qualité de ses travaux et le contenu innovant de ses rapports la volonté de changer le réel pour mieux maîtriser l’avenir de notre société. Cette construction d’une pensée collective doit progresser dans le consensus, mais aussi dans la controverse, comme progresse le savoir scientifique ou la création artistique ; il y a une condition à cela : que les débats soient respectueux de l’ensemble des protagonistes.
La gauche doit permettre à l’action collective de retrouver toute sa place, celle qui était la sienne au début du XXe siècle, pour construire une société de progrès, où chacun trouve un rôle dans le respect des autres, tout en refusant la montée de l’individualisme et le poids de la finance, qui sont devenus aujourd’hui les deux principes organisateurs de nos vies.
Démocratie représentative, démocratie participative et démocratie d’engagement (reconnue dans l’importance de son rôle) doivent devenir les trois sommets du triangle de nos institutions et constituer le socle de la citoyenneté du XXIe siècle.
Les élections du printemps prochain seront l’occasion de repenser nos institutions pour transformer la souffrance démocratique en un progrès pour tous.
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