Les jeunes et l’entreprise, vague 4

Comment les jeunes voient-ils l’entreprise ? Quelle serait leur entreprise idéale ? Quelles attentes ont-ils vis-à-vis du travail, des collègues et des managers ? Comment se projettent-ils dans leur avenir, professionnel mais aussi personnel ? Pour y répondre, la Fondation Jean-Jaurès et la Macif ont réalisé avec l’institut BVA Xsight une nouvelle vague d’enquête auprès des jeunes Français de 18 à 24 ans. Celle-ci aborde également – et c’est une nouveauté par rapport aux trois vagues précédentes – le regard que porte les jeunes sur le rôle de l’entreprise dans la vie politique, ainsi que leur sentiment sur le rôle des seniors.

Au-delà de ses missions traditionnelles, le souhait d’une entreprise plus à l’écoute de ses salariés et de leur bien-être

Interrogés sur le rôle principal d’une entreprise selon eux, les jeunes considèrent que l’entreprise doit servir avant tout à créer de l’emploi et à embaucher des gens (45%), suivi de près par le fait d’être utile pour la société (43%). L’écart se réduit entre ces deux dimensions, l’importance accordée à l’utilité pour la société étant en progression depuis deux ans (+5 points), tandis que dans le même temps, l’attente d’une entreprise d’abord créatrice d’emplois a tendance à reculer (-6 points). À la troisième place, le fait de donner les moyens aux salariés de s’épanouir professionnellement se stabilise (31%, après une chute de 9 points enregistrée l’an dernier). Notons que l’anticipation des transformations sociales et environnementales constitue moins une attente pour les jeunes et affiche une baisse cette année (13%, -4 points).

Ces résultats peuvent être mis en parallèle avec les attentes des jeunes concernant les sujets sur lesquels les entreprises doivent s’engager en priorité. Proposée pour la première fois depuis le lancement de cette enquête il y a trois ans, l’amélioration des conditions de travail se hisse à la première place et constitue ainsi une priorité pour un tiers des jeunes. La préservation de l’environnement régresse fortement (22%, -15 points par rapport à 2022) et les préoccupations liées aux inégalités (lutte contre les inégalités de genre, la pauvreté et le racisme) ne sont pas des attentes très fortes (entre 12% et 17% des citations) et enregistrent des baisses. Finalement, les jeunes semblent privilégier des engagements concrets visant à améliorer le quotidien des salariés et à promouvoir le bien-être au travail plutôt que l’implication de leur entreprise dans des problématiques environnementales ou sociales. 

Le portrait-robot du manager idéal pour les jeunes illustre bien cette quête de bien-être. Ils sont d’abord à la recherche d’un manager qui leur permet d’exercer leur activité professionnelle dans un cadre de travail épanouissant (28%) et qui reconnaît le travail accompli (24%). 

Par ailleurs, lorsque l’on demande aux jeunes ce qui manque surtout aux entreprises aujourd’hui, 29% d’entre eux citent en premiers lieux le manque de place pour la parole et la participation des salariés et 27% un management basé sur la confiance et l’autonomie. Cette demande de renforcement du processus démocratique en entreprise se retrouve également concernant leur regard sur le rôle de l’entreprise dans la vie politique. Les jeunes souhaitent que l’entreprise soit d’abord démocratique dans son fonctionnement (30%), avant d’encourager l’engagement des salariés (20%), leur participation aux élections (20%) ou à voter lors de l’élection présidentielle (13%). Par ailleurs, près des deux tiers des jeunes (64%) ne souhaitent pas que l’entreprise incite ses salariés à débattre de politique. Selon eux, la politique ne doit pas s’immiscer dans les relations professionnelles, du moins pas de manière formalisée par l’entreprise. 

Ces résultats illustrent la volonté des jeunes de voir les entreprises s’engager davantage concrètement pour leurs salariés et sur leur cadre de travail plutôt que sur des enjeux politiques.

L’entreprise idéale aux yeux des jeunes : une entreprise enracinée et solidaire

La tendance observée lors de la précédente vague se confirme : les entreprises françaises et locales restent les structures professionnelles plébiscitées par les jeunes. En effet, 34% d’entre eux aspirent à intégrer une entreprise française, tandis que 28% considèrent le modèle de l’entreprise locale, enracinée dans son territoire, comme idéal (des résultats strictement identiques à ceux de la précédente enquête). Ainsi, plus de la moitié des jeunes préfèrent rejoindre une entreprise française ou locale, une préférence encore plus marquée chez les cadres. À l’inverse, les grandes entreprises du CAC 40 et les entreprises étrangères peinent à les séduire, stagnant respectivement à 12% et 10%. Tout comme en 2023, il semble que l’enracinement des entreprises apparaisse comme un fort levier d’attractivité pour les jeunes.

Témoignant de cette recherche d’une entreprise à visage humain, la quête de solidarité paraît très forte chez les jeunes interrogés. Effectivement, la question des relations avec les collègues a révélé l’importance de la solidarité pour eux. Juste derrière la bonne ambiance au travail (44%), les jeunes souhaitent avant tout pouvoir compter sur leurs collègues en cas de difficulté (41%). Cette attente de solidarité est nettement plus essentielle pour eux que les temps conviviaux proposés par l’entreprise (13%), ou une relation d’égal à égal avec le manager (15%).

D’ailleurs, cette notion d’entraide fait partie du trio de tête des valeurs les plus attrayantes pour une entreprise aux yeux des jeunes (31%, en progression de trois points depuis 2022). Devant la solidarité, l’entreprise idéale doit également véhiculer respect (52%) et confiance (38%) pour leur donner envie de la rejoindre. Les valeurs qui s’apparentent davantage à la responsabilité sociétale des entreprises, comme la transparence (22%) et l’engagement (16%), ont moins le vent en poupe.

De manière plus générale, lorsque l’on demande aux jeunes ce qui manque surtout dans notre société aujourd’hui, près de la moitié des jeunes placent l’entraide entre les gens en première position (49%), loin devant l’optimisme (27%) ou la liberté (22%).

Recevez chaque semaine toutes nos analyses dans votre boîte mail

Abonnez-vous

L’expérience : un facteur clé dans le parcours professionnel d’un jeune

Dans le monde professionnel, l’expérience est souvent vue comme une clé précieuse, ouvrant des portes et créant des opportunités. Pour les jeunes, cette expérience représente un défi de taille, une sorte de barrière invisible mais bien réelle. Cette année encore, les jeunes perçoivent ce manque d’expériences comme le principal obstacle à l’obtention du premier emploi (48%, un score stable depuis deux ans). Mais ce n’est pas seulement une question de compétences techniques. Près d’un tiers des jeunes citent également un manque de confiance vis-à-vis des jeunes dans la société, ce qui complique encore leur entrée dans le monde professionnel. Et bien que l’alternance soit une voie prometteuse, 14% des jeunes estiment que le manque de valorisation de cette voie est le principal obstacle au premier emploi, un taux qui a augmenté de 3 points par rapport à 2023. 

Face à ces défis, l’obtention du premier emploi est donc une quête essentielle. Pour la majorité des jeunes (53%), l’objectif de ce premier emploi est avant tout de gagner de l’expérience. Ce sentiment est stable et particulièrement fort chez les plus diplômés (60%). Dans un contexte économique difficile, le premier emploi est également une nécessité financière : quatre jeunes sur dix le voient comme un moyen de subvenir à leurs besoins.

Dans cette logique de gagner en expérience, les stages sont toujours considérés comme bénéfiques. Les jeunes sont une grande majorité (68%) à estimer que les stages ont été utiles dans leur vie et leur parcours, cette proportion montant à 78% parmi les plus diplômés. Dans un marché du travail concurrentiel, les jeunes voient les stages comme de bons moyens d’étoffer leur CV. Ainsi, le principal bénéfice de leurs études et de leurs expériences professionnelles dans le cadre de leur formation a été d’apporter une valorisation à leur CV (34%), devant le fait d’être un tremplin vers l’emploi (23%) ou la constitution d’un réseau (13%). 

L’expérience étant clé dans le parcours des jeunes, il paraît intéressant de se pencher sur la façon dont celle-ci peut leur être transmise. Pour la première fois dans ce baromètre, les interviewés ont été interrogés sur leur perception des « seniors », et notamment sur les avantages qu’ils peuvent représenter pour une entreprise. Selon les jeunes, le principal avantage des seniors est leur expérience, tant professionnelle que personnelle. En effet, 48% d’entre eux considèrent que l’expérience professionnelle est l’atout majeur des seniors, et 34% pensent qu’ils apportent également une expérience de vie précieuse à l’entreprise. Ils soulignent également leur capacité à transmettre aux plus jeunes (32%). À ce sujet, notons que les jeunes ont plutôt le sentiment que les seniors sont dévalorisés dans le monde du travail (49%). Ils ne sont qu’un quart (27%) à penser qu’ils sont bien valorisés. Alors que le rôle des seniors en entreprise est souvent questionné, il semble qu’ils puissent être valorisés en particulier pour le rôle très important qu’ils peuvent jouer auprès des jeunes.

Une quête de stabilité chez les jeunes ?

Dans un contexte où le pouvoir d’achat est une préoccupation majeure en particulier pour les jeunes qui font souvent face à de réelles difficultés financières, un enseignement important de l’enquête est la place centrale du salaire dans les priorités des jeunes. Ils ont des aspirations variées concernant leur travail mais la principale demeure, pour la troisième année consécutive, la rémunération : le fait d’être bien payé constitue la première attente pour quatre jeunes sur dix (40%). En parallèle, la principale angoisse liée au travail chez les jeunes est la peur de ne pas gagner suffisamment d’argent (47%), devant la peur de s’ennuyer au travail (35%) ou l’idée de ne pas être intéressé par son travail (33%). L’argent semble donc l’élément rassurant et sécurisant pour permettre aux jeunes de se projeter dans l’avenir dans la période instable que nous vivons. L’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle reste une attente importante pour les jeunes (29%) malgré une baisse de six points par rapport à 2023. 

Par ailleurs, la quatrième vague de notre étude confirme les aspirations familiales des jeunes. Une vie réussie est toujours perçue en premier lieu comme une vie de famille épanouie (29%), devant une vie en bonne santé (19%) ou le fait de bien gagner sa vie (18%). Et les projets familiaux progressent : 40% des jeunes envisagent de se marier (+2 points), la moitié souhaite fonder une famille (50%, +4 points).

Dans cette quête de réassurance, les projets de logement restent également importants. En effet, 56% des jeunes souhaitent être propriétaires de leur logement, et un tiers ont envie de construire une maison. D’ailleurs, les deux tiers des répondants (66%, +2 points) disent souvent penser à l’argent qu’ils souhaitent mettre de côté pour constituer une épargne.

La tendance qui se dessine est donc un besoin de stabilité et de sécurité chez les jeunes, tout du moins sur le plan personnel. Bien que souvent perçus comme moins attirés par les modes de vie classiques (mariage, enfant, bien immobilier…), les jeunes continuent d’aspirer à la propriété et à fonder une famille.

Si l’on observe également une certaine quête de stabilité sur le plan professionnel, elle inclut aussi une part de mobilité. Effectivement, la mobilité reste un enjeu crucial pour comprendre le rapport des jeunes au monde du travail. Cette année, ils semblent très partagés : on note une répartition équilibrée entre ceux souhaitant exercer le même métier toute leur vie (37%) et ceux préférant changer régulièrement de métier (35% – le taux atteint 45% en agglomération parisienne). Comparé à la vague précédente, les jeunes sont moins enclins à rester dans la même profession tout au long de leur carrière (-6 points) et notons qu’ils sont plus nombreux à ne pas savoir répondre à cette question (28%, +4 points). On retrouve ce désir d’évolution quand on s’intéresse à leurs souhaits d’une formation tout au long de la vie : les jeunes sont de plus en plus nombreux à vouloir apprendre et suivre des formations pendant toute leur vie professionnelle (65%, un taux en hausse de 6 points par rapport à 2022). Par ailleurs, les jeunes paraissent vouloir prendre de plus en plus en main leur propre sort : ils sont plus nombreux que l’an dernier à avoir envie de créer leur entreprise dans les années à venir (28% ; + 3 points).

Le futur professionnel des jeunes apparaît plutôt incertain, dans un contexte où les choix d’orientation se font de plus en plus tôt et où les réorientations sont fréquentes. La transformation rapide des secteurs d’activité (notamment avec l’intelligence artificielle) contribue certainement à accroître cette incertitude. Face à cet avenir confus, les jeunes semblent en quête permanente d’équilibre entre sécurité et mobilité. Un défi de taille pour le monde de l’entreprise pour réussir à répondre à ce double enjeu !

 

Sur le même thème