Malgré d’âpres luttes et quelques progrès, les sociétés occidentales ne sont pas parvenues à éradiquer la prégnance de la domination masculine. Ghislaine Toutain revient sur le séminaire américano-européen, « Avancer ensemble vers l’égalité ».
Dans le cadre du séminaire américano-européen d’octobre 2010 ayant pour thème « Avancer ensemble vers l’égalité », les débats ont mis en relief les similitudes des difficultés rencontrées par les femmes européennes et américaines et ont fait naître l’ambition des deux côtés de l’Atlantique de s’unir pour conquérir l’égalité. Deux thèmes ont été approfondis : « Agir contre les violences faites aux femmes » et « Comment développer l’accès des femmes à l’emploi et concilier vie professionnelle et vie privée ? ».
En Europe, 20 à 25 % des femmes ont subi des violences physiques au moins une fois dans leur vie ; c’est aux Etats-Unis le cas d’une femme sur trois. Or, ces chiffres sont encore largement sous-estimés. L’hésitation de nombreuses femmes à aller porter plainte souligne que si la question des violences sort de l’ombre, cela est encore inégal selon les régions, en particulier dans les Etats membres ex-communistes de l’Union européenne.
Une nouvelle prise de conscience semble toutefois se dessiner, comme le montre un rapport de l’Union de septembre 2010, qui révèle que 84 % des Européens considèrent que la violence domestique est inacceptable et doit être punie par la loi. Une évolution similaire est sensible aux Etats-Unis ; cependant, ce nouveau contexte n’empêche pas que les violences envers les femmes persistent. La distance entre l’adhésion théorique à la condamnation de la violence et la persistance de sa pratique est importante. On oublie également que les violences domestiques ne sont pas les seules formes de violence envers les femmes : traite, viol, agressions sexuelles, harcèlement, mutilations génitales, mariages forcés, crimes d’honneur, manque de soins sont souvent passés sous silence.
Aux Etats-Unis comme en Europe, les opinions ont évolué grâce à l’action des femmes et des féministes, dans laquelle réside la clef de tout changement, avec l’appui des lois et des instances nationales et internationales. Les initiatives conduites et à conduire doivent se faire à quatre niveaux : le niveau international et européen pour l’adoption de textes et de conventions, déjà nombreux, et pour l’action et l’information menées par les ONG ; les lois nationales, même si elles sont encore peu appliquées et connues par le grand public ; les collectivités locales pour le financement des infrastructures d’accueil, notamment ; le niveau individuel par la modification des comportements.
La question de l’éducation apparaît comme un facteur clef de la réduction de l’inégalité dans les rapports sociaux de sexe. Tous les êtres humains sont agressifs pour assurer leur survie, explique Annie Guilberteau. Mais dans l’éducation qu’elles ont reçue, les femmes n’ont pas appris à avoir comme mode de transaction avec les hommes le rapport à la violence, tandis que notre société a dispensé aux hommes une éducation qui leur permet d’utiliser plus facilement l’agressivité humaine pour la transformer en capacité à recourir à la violence. Ces rapports de domination doivent diminuer, de même que les violences ne doivent plus être considérées par les femmes elles-mêmes et par les autres sous le seul prisme de la victimisation. Elles doivent être analysées comme une violation des droits humains fondamentaux.
La question de l’emploi des femmes est au cœur de la mutation du monde actuel, appelant plus qu’hier encore à la vigilance sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes. Si la mondialisation a accru la demande de travail des femmes, cette main-d’œuvre est utilisée comme une ressource naturelle et un outil de croissance dont on peut se défaire à tout moment. L’égalité de traitement dans la sphère professionnelle est un droit fondamental, figurant dans de nombreux textes de droit international qui sont cependant très généraux et peu efficaces. De plus, le marché du travail est marqué par la division sexuelle. Un grand nombre de femmes travaillent dans des secteurs fortement féminisés, où la rémunération est faible : plus une profession est féminisée, plus les salaires sont orientés à la baisse.
Cette difficulté des femmes à faire reconnaître leur droit au travail est renforcée par celle consistant à concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale, corollaire de l’égalité de traitement. Ce sont toujours les femmes qui, très majoritairement, continuent de s’occuper des tâches ménagères et des enfants en plus de leur journée de travail.
La question de la migration transnationale se pose car désormais les femmes veulent faire faire par d’autres femmes, qui viennent des pays en développement, ce dont elles se sont chargées pendant des siècles, s’occuper des enfants et des personnes âgées. Pour Andrea Peto, deux interprétations de la situation des femmes migrantes est possible : soit elles n’ont aucun droit, sont exploitées et invisibles ; soit elles détiennent un certain pouvoir de décision, indépendantes des employeurs, elles négocient leur situation sur le marché noir et s’émancipent dans leur emploi.
Si la prise de conscience du problème progresse, les solutions pour le résoudre n’ont pas encore été trouvées. Des progrès doivent être réalisés pour donner l’accès aux congés payés, aménager le temps de travail pour les femmes et les hommes, développer l’accueil des enfants, mettre fin à la discrimination sur la base de la responsabilité familiale.
Il est nécessaire de faire reconnaître et de mettre en œuvre concrètement les droits de toutes les femmes, même dans les pays où ils sont déjà inscrits dans les législations nationales. Les sociétés américaine et européenne ne sont toujours pas parvenues, malgré d’âpres luttes et quelques progrès, à éradiquer la prégnance de la domination masculine sur laquelle elles se sont constituées. C’est pour y parvenir qu’Américaines et Européennes sont décidées à continuer d’avancer ensemble vers l’égalité.