Quelle place des filles et des femmes dans les domaines scientifique, du numérique et de l’intelligence artificielle ?

En 2024, la place des filles et des femmes dans les domaines scientifique, du numérique et de l’intelligence artificielle ne progresse pas, voire recule en France – la réforme du bac ayant accentué les écarts – et dans le monde, comme le révélaient différents rapports à l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, le 11 février dernier. Pour Ghislaine Toutain, conseillère du président de la Fondation Jean-Jaurès, il est pourtant urgent de lutter contre les stéréotypes de genre et de mettre en avant le rôle des femmes scientifiques afin de favoriser la participation des filles et des femmes dans ces métiers d’avenir.

Cette question de la place des filles et des femmes dans les domaines scientifique et plus récemment numérique et de l’intelligence artificielle n’est pas nouvelle. Elle se pose depuis longtemps au niveau mondial. L’Europe et la France n’y échappent pas. Elle demeure aujourd’hui en pleine actualité, comme l’ont démontré de nombreuses études récentes publiées à l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science qui s’est tenue, comme chaque année depuis 20151Le 22 décembre 2015, l’Assemblée générale a adopté la résolution A/RES/70/212 par laquelle elle décide de proclamer le 11 février de chaque année Journée internationale des femmes et des filles de science. L’initiative est mise en œuvre par l’Unesco et ONU-Femmes, en collaboration avec des institutions et des partenaires de la société civile qui visent à promouvoir les femmes et les filles., le 11 février dernier. Le constat est sans appel :  en 2024, la place des filles et des femmes dans les domaines scientifique et numérique – qui a toujours été minoritaire par rapport à celle des garçons et des hommes – ne progresse pas, voire recule, en France et dans le monde. 

Avant de faire le point sur la situation actuelle et d’analyser comment y remédier, il n’est pas inutile de replonger dans le passé pour mieux comprendre la force des préjugés et des stéréotypes de genre qui ont toujours limité la place des filles et des femmes dans ce domaine, même si certaines d’entre elles, au fil des siècles, pour la plupart méconnues, ont été à l’origine d’avancées majeures.

Un point d’histoire 

Déjà sous l’Antiquité gréco-romaine2Ce rappel historique a pour source quelques ouvrages dont Les Découvreuses. 20 destins de femmes pour la science de Marie Moinard et Christelle Pécout, préfacé par Marie-Sophie Pawlak, présidente de Elles bougent (21g, 2019) ; Les femmes et la science de Gérard Chazal (Ellipses, 2015) et un article de Wikipédia, « Place des femmes en sciences »., à aucune période, les femmes n’ont été des citoyennes à part entière, vivant séparées des hommes et soumises à leur domination. N’ayant pas accès à l’école, à l’exception de Sparte, les femmes ont eu une part dans le champ scientifique très limitée.

Quelques femmes ont pourtant agi dans le domaine médical, comme Agamédé (1194–1184 av. J.-C.), citée par Homère en tant que guérisseuse, et Agnodice, première femme médecin (vers 350 av. J.-C.). On relève aussi plusieurs femmes dans l’école de Pythagore comme Théano. Mais difficile de dire quelle place elles ont pris dans les travaux du philosophe-mathématicien car ils sont tous publiés sous son nom ! Citons aussi Marie la Juive qui a vécu à Alexandrie aux alentours de l’an 300 av. J.-C., en pleine époque hellénistique, considérée comme l’une des fondatrices de l’alchimie. Sans oublier Hypatie, fille de Théon, née entre 350 et 370 av. J.-C. à Alexandrie, mathématicienne, philosophe et astronome, dont les écrits ont marqué son époque et qui sera assassinée en 415 par des chrétiens fanatiques.

Tout au long du Moyen Âge européen, la participation des femmes à la science restera limitée. Elles seront même évincées du travail artisanal deux siècles plus tard, en 1688, par une loi qui leur interdira d’exercer une activité artisanale. Ce sont les couvents qui assureront leur éducation et permettront à certaines d’accéder à la recherche scientifique, à l’image de l’abbesse allemande Hildegarde de Bingen, dont les écrits prolifiques portent sur la médecine, la botanique et l’histoire naturelle (c.1151–58). Les femmes sont exclues des universités qui apparaissent au XIe siècle, à l’exception de certaines universités italiennes qui formeront de nombreuses femmes médecins, comme Trotula de Salerne (1050-1097) qui sera à la fois enseignante, médecin, chirurgienne et gynécologue. Elle est aussi l’autrice de plusieurs ouvrages sur la gynécologie et sur les soins spécifiques aux femmes.

Pour autant, la place des femmes dans le monde scientifique évoluera peu au fil des siècles suivants, l’idée dominante aux XVIe et XVIIe siècles étant que toute formation des femmes nuirait aux tâches domestiques qui leur incombaient. Margaret Cavendish (1623-1673), aristocrate anglaise, écrivaine de science-fiction, philosophe et scientifique, fera exception. Seuls quelques hommes, comme Montesquieu et Diderot, reconnaissent la nécessité de l’éducation pour les filles. François Poullain de la Barre publiera anonymement en 1673 un livre intitulé De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugez dans lequel il démontre que l’inégalité de traitement que subissent les femmes n’a pas de fondement naturel mais procède d’un préjugé culturel

Le XVIIIe siècle sera plus ouvert, permettant à certaines femmes comme Maria Winkelmann (1670-1720) en Allemagne, et Émilie du Châtelet (1706-1749), en France, de se faire accepter, la première comme astronome, l’autre, soutenue par Voltaire, comme l’une des premières femmes scientifiques dont les écrits en physique-mathématiques ont été conservés. La Révolution française en 1789, qui aurait pu poursuivre la voie, n’apportera toutefois pas beaucoup de réponses positives à la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne  rédigée par Olympe de Gouges (1748-1793) en 1791.

Au XIXe siècle, en Europe et aux États-Unis, bien que les femmes restent toujours exclues du domaine scientifique, un certain nombre d’entre elles y parviennent quand même, comme Sophie Germain (1776-1831), mathématicienne, première femme à intégrer l’Académie des Sciences au siècle des Lumières, l’anglaise Ada Lovelace (1815-1852), créatrice du premier programme informatique, ou encore l’américaine Élizabeth Blackwell (1821-1910), première femme médecin certifiée. D’autres femmes scientifiques resteront inconnues, victimes de « l’effet Matilda3Ce phénomène a été décrit pour la première fois par la suffragette et abolitionniste Matilda Joslyn Gage (1826-1898) dans son essai Woman as Inventor (publié pour la première fois sous forme de tract en 1870 et dans la North American Review en 1883). Le terme « effet Matilda » a été inventé en 1993 par l’historienne des sciences Margaret W. Rossiter. », leurs travaux étant systématiquement minimisés ou attribués aux hommes. Comme Emmy Noether (1882-1935), mathématicienne allemande, qui révolutionnera l’algèbre.

En France, dès la fin des années 1860, les premières femmes obtiennent des diplômes universitaires en sciences et en lettres. Julie-Victoire Daubié est, en 1861, la première femme à obtenir le baccalauréat ès lettres et Emma Chenu, en 1863, obtiendra le premier baccalauréat ès sciences. Marie Curie (1867-1934)4Lire Claudine Monteil, Marie Curie et ses filles. Libres, géniales, pionnières, inspirantes, puissantes, Paris, Poche Harpercollins, 8 mars 2023., est la première femme qui obtiendra un doctorat de sciences physiques en 1902. Elle ne deviendra la première femme professeure à la Sorbonne qu’à la mort de son époux, Pierre Curie, titulaire de la chaire. Pionnière sur la recherche en radioactivité, elle est la première femme à recevoir, en 1903 le prix Nobel de physique et en 1911 le prix Nobel de chimie. 

Il faudra ensuite attendre le XXe siècle, en 1963, pour qu’une femme, Maria Goeppert-Mayer, germano-américaine, reçoive le prix Nobel de physique et 2018 pour qu’une troisième femme, Donna Strickland, le reçoive à son tour, puis une quatrième, Andrea Ghez en 2020, et enfin une cinquième, Anne L’Huillier, en 2023. Ce n’est qu’en 2020 que le prix Nobel de chimie sera décerné à deux femmes, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, honorant leur travail sur la technologie d’édition génomique5Selon les données de la Fondation Nobel, seuls 6,3% des lauréats des prix Nobel décernés entre 1901 et 2022 étaient des femmes. Durant cette période, 60 femmes ont reçu la prestigieuse distinction contre 894 hommes. Marie Curie reste la seule personne, à ce jour, à avoir été récompensée dans deux domaines scientifiques différents : en physique, avec son mari, Pierre Curie, en 1903, et en chimie en 1911.. Comme aux siècles précédents, certaines s’imposeront comme Rosalind Franklin (1920-1958), pionnière des recherches sur l’ADN et archétype de l’effet Matilda – ce sont ses collègues masculins qui recevront le prix Nobel de médecine en 1962, alors qu’il peut être attribué à titre posthume –, comme Lise Meitner (1878-1968), découvreuse de la fission nucléaire, ou encore la française Marthe Gautier (1925-2022) qui découvrira la trisomie 21. Notons aussi Irène Joliot-Curie (1897-1956), fille de Marie, chimiste et physicienne, prix Nobel de chimie en 1935 pour la découverte de la radioactivité induite et de la radioactivité artificielle, conjointement avec son époux, Frédéric Joliot-Curie. Elle a été aussi l’une des trois premières femmes membre d’un gouvernement français, en devenant sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique sous le Front populaire en 1936. Aux États-Unis, c’est la mathématicienne Grace Hopper (1906-1992), qui fut le témoin du premier « bug » informatique (terme qui signifie « insecte » en anglais), dû à une mite prise dans un relais. Au Niger, Grace Alele-Williams (née en 1932), mathématicienne, sera membre de la Commission africaine des mathématiques et vice-présidente de l’organisation du Tiers-monde pour les femmes et la science. Dorothy Vaughan (1910-2008), mathématicienne et informaticienne, recevra la médaille d’or du congrès américain à titre posthume.

Petit à petit devenues plus nombreuses dans le monde scientifique pris au sens large, elles vont investir d’autres spécialités. Valentina Vladimirovna Terechkova (née en 1937) sera la première femme à être allée dans l’espace. La Française Françoise Barré-Sinoussi (née en 1947), qui sera prix Nobel de médecine en 2008, instruit la connaissance du VIH et son contrôle, la Britannique Susan Greenfield (née en 1950) se spécialise dans les neurosciences pour traiter des maladies du vieillissement, et la généticienne allemande Christiane Nüsslein-Volhard (née en 1942), prix Nobel de physiologie en 1995, se consacre à l’étude du développement de l’embryon. Elinor Ostrom (1933-2012) est la première femme à recevoir le prix Nobel d’économie en 2009. Elle sera suivie, plus récemment, par Esther Duflo en 2019 et Claudia Goldin en 2023.

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La situation aujourd’hui

Malgré ces avancées et la relative reconnaissance sociale que les femmes peuvent s’approprier, en ce début de XXIe siècle, la représentation des filles et les femmes demeure minoritaire dans les domaines scientifique, du numérique et de l’intelligence artificielle, quand elle ne recule pas. Les femmes scientifiques de haut niveau sont toujours considérées comme faisant exception. Elles doivent faire leurs preuves pour se faire entendre, imposer leurs sujets, diriger de grandes institutions scientifiques. 

Au niveau mondial

La Journée internationale des femmes et des filles de science organisée par l’Unesco, l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, qui se tient tous les 11 février, avait pour thème cette année « Combler l’écart entre les genres en science : accélérer l’action ». Le dernier rapport de cette organisation a démontré que dans la plupart des pays, quel que soit leur niveau de développement, l’égalité des sexes n’est pas atteinte dans les domaines de la science, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM), alors même que ces domaines sont considérés comme essentiels pour les économies nationales. Les chiffres sont sans appel : les femmes restent minoritaires au niveau mondial, ne représentant aujourd’hui que « 33,3% des chercheurs et n’occupant que 12% des sièges dans les académies nationales des sciences. Seulement 35% de tous les étudiants dans les domaines d’études liés aux STIM sont des femmes. Les bourses de recherche allouées aux femmes sont moins importantes que celles allouées à leurs collègues masculins. Dans les secteurs de pointe tels que l’intelligence artificielle, les chercheuses ne représentent que 22% des professionnels. Malgré une pénurie de compétences dans la plupart des domaines technologiques moteurs de la quatrième révolution industrielle, les femmes ne représentent que 28% des diplômés en ingénierie et 40% des diplômés en informatique ». Si dans les années 1990, on comptait 27% de chercheuses dans le monde et 33% aujourd’hui, ce chiffre en cache un autre, celui du nombre encore plus faible de femmes occupant des postes à responsabilité dans le monde de la recherche (18%), soulignant le plafond de verre auquel elles sont confrontées, comme le rappelait Alexandra Palt, directrice générale de la Fondation L’Oréal dans un entretien

Pour la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, l’organisation de la Journée internationale des femmes et des filles de science doit être l’occasion de montrer que « les femmes ont besoin de la science, et la science a besoin des femmes ». Dans cette optique, rappelons que la 67e session de la Commission sur le statut des femmes aux Nations unies en mars 2023 avait pour thème prioritaire « Innovation et évolution technologique, et éducation à l’ère du numérique aux fins de la réalisation de l’égalité des sexes et de l’autonomisation de toutes les femmes et de toutes les filles ». Le document final, qui recueille les « conclusions concertées » adoptées par les États membres, fournit un plan directeur à toutes les parties prenantes – gouvernements, secteur privé, société civile et organisations de jeunes –, qui devrait permettre de « promouvoir la participation pleine et égale et le leadership des femmes et des filles dans la conception, la transformation et l’intégration des technologies numériques et de l’innovation, processus qui répondent aux droits humains et aux besoins des femmes et des filles ».

Au niveau européen

L’Union européenne soutient, depuis les années 2000, les principes de parité et d’égalité dans les parcours et professions dans le cadre de la stratégie en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes 2020-2025. L’Union européenne a lancé en juillet 2021 le programme pilote Women TechEU en tant que nouveau programme européen soutenant les start-ups de technologie profonde dirigées par des femmes et les aidant à devenir les championnes dans ce secteur d’avenir. Un plan d’égalité entre les sexes figure aussi dans Horizon Europe, le programme-cadre de l’Union européenne pour la recherche et l’innovation pour la période de 2021 à 2027.

Malgré ces mesures pour faire progresser la parité, le déséquilibre persiste entre les sexes dans le domaine des STIM. Selon l’étude publiée à l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, l’Union européenne comptait en 2022 7,3 millions de femmes scientifiques et ingénieures, soit 41% de l’emploi total dans ces domaines. Par ailleurs, les contrastes sont marqués entre les différents pays de l’Union européenne, avec un pourcentage de femmes ingénieures et scientifiques allant de 31% en Hongrie, 32% en Finlande et 34% en Allemagne à 51% en Bulgarie, 52% en Lituanie et 53% au Danemark, près de 42% en France. 

Notons enfin que, le 30 janvier 2024, le Parlement européen a déposé, au nom de la commission des droits des femmes et de l’égalité des genres une proposition de résolution sur les priorités de l’Union européenne en vue de la 68e session de la Commission de la condition de la femme des Nations unies6Cette année, la 68e session de la Commission sur le statut des femmes aux Nations unies aura pour thème prioritaire : « Accélérer la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes et l’autonomisation de toutes les femmes et de toutes les filles en s’attaquant à la pauvreté et en renforçant les institutions et le financement dans une perspective de genre ». qui, parmi les nombreuses recommandations adressées au Conseil, lui demande de « souligner l’importance de promouvoir l’autonomisation des femmes grâce à l’éducation, à la formation et l’apprentissage tout au long de la vie, qui sont essentiels pour lutter contre les stéréotypes préjudiciables et contre les inégalités tenaces qui engendrent la pauvreté, tout en améliorant le taux d’emploi des femmes et en remédiant à leur sous-représentation dans certains secteurs, tels que les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques (STIM) ainsi que l’intelligence artificielle ».

En France

Les statistiques

La France n’échappe pas aux préjugés culturels et aux stéréotypes de genre concernant la présence des filles et des femmes dans le monde scientifique, et particulièrement dans les STEM. 

Les femmes sont toujours sous-représentées dans la recherche scientifique. Selon les chiffres du CNRS, au début de l’année 2023, 34,5% des chercheurs étaient des femmes. Bien que les questions de parité soient davantage prises en considération, la représentation des chercheuses peine à progresser. Un policy brief de la Fondation Jean-Jaurès et de la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) réalisé en mars 2014, intitulé « Les femmes à l’assaut du numérique», avait analysé « la place des femmes dans l’informatique et les nouvelles technologies ». 28% seulement d’entre elles franchissaient alors le pas et se dirigeaient vers les filières scientifiques, les mathématiques, l’informatique et les nouvelles technologies.

En outre, les filles qui s’inscrivent dans des filières scientifiques sont plus poussées à s’orienter vers la médecine ou les sciences humaines que vers les mathématiques ou la physique. Elles ne sont que 20% dans les domaines de la physique, de l’informatique ou des mathématiques, moins encore dans celui de l’intelligence artificielle. Comment expliquer ces chiffres alors que, de façon générale, les filles réussissent mieux à l’école que les garçons ?

Dès l’école, une formation des filles orientée

Déjà à la crèche, les petits garçons et les petites filles ne jouent pas avec les mêmes jouets. Mais c’est dès l’entrée à l’école que tout se joue. Une récente étude de l’Institut des politiques publiques, confortée par un rapport du ministère de l’Éducation nationale en 2023, confirme que « les filles ont le même niveau en mathématiques que les garçons en début de cours préparatoire (CP) mais décrochent dès le milieu de cette première année d’école primaire alors qu’elles conservent un avantage sur les garçons en français ». Ce décrochage se poursuivra au cours des années scolaires suivantes. 

L’explication réside dans les stéréotypes de genre véhiculés aussi bien par les enseignants, les manuels scolaires, les familles elles-mêmes, qui reproduisent la division sociale des tâches. Ce qui entraîne les inégalités entre les sexes en termes d’orientation scolaire et professionnelle, provoquant entre autres une sous-représentation des filles et des femmes dans les STIM, qui ont moins confiance en leurs compétences en mathématiques que les garçons. Elles se dirigent donc vers les filières médicales et littéraires ou de l’éducation, dont les métiers qui en découlent ne sont pas ceux qui offrent un haut niveau de rémunération et/ou de postes à responsabilité.

Au fil des années, les filles n’ont pas déserté totalement les filières scientifiques au lycée. Même si elles n’y sont pas majoritaires (elles étaient 43,6% en filière générale en 2019), cela ne les a pas empêchées de faire des mathématiques et d’avoir les meilleurs résultats au baccalauréat. Mais la disparition du bac S et la réforme des lycées en 2019, qui a rendu optionnelles les mathématiques, ont fait chuter de 61% la part des filles dans cette matière, la spécialité « Numérique et sciences de l’informatique » étant particulièrement abandonnée par les filles, comme le rapportait une note du collectif Maths&Sciences en mars 2022. Face à cette situation, les mathématiques sont à nouveau enseignées de manière obligatoire pour toutes les lycéennes et lycéens en classe de première depuis l’année dernière. Néanmoins, cela ne suffira pas pour que les filles soient plus nombreuses à Polytechnique (quatre élèves sur cinq sont des garçons) ou à CentraleSupélec, qui compte seulement 19% de filles. Cela ne suffira pas non plus pour qu’il y ait plus de 20% de mathématiciennes dans les domaines cruciaux de l’intelligence artificielle et du numérique qui manquent pourtant cruellement de compétences. De plus, cette éviction des filles des mathématiques ne peut qu’avoir des effets négatifs sur leur carrière professionnelle, leur niveau de rémunération et leur accession à des postes de responsabilité. 

C’est pourquoi Anne Canteaut, lauréate 2023 du prestigieux prix Joliot-Curie7Depuis 2001, un prix promeut la place des femmes dans la recherche et la technologie en France, le prix Irène Joliot-Curie. Il met en avant l’excellence scientifique de femmes aux parcours exemplaires, afin de lutter contre les stéréotypes de genre et l’autocensure. de la « Femme scientifique de l’année » en France pour ses travaux sur le chiffrement, avait qualifié de « terrible » la place accordée aux femmes dans les sciences dans un entretien pour l’AFP. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’en décembre 2023, le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) de l’OCDE note « une baisse sans précédent des performances scolaires » en France, notamment en mathématiques, ce qui la situe en vingt-troisième position derrière l’Allemagne pour cette discipline et en vingt-deuxième position pour les sciences sur les trente-huit pays de l’OCDE. 

Que faire ?

La réponse n’est pas simple car le sexisme perdure en France comme dans le monde entier, comme l’indiquait en juin dernier le nouvel Indice des normes sociales de genre du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Par ailleurs, la question de la place des filles et des femmes dans les domaines scientifiques n’est pas assez publiquement abordée dans les débats sur les droits des femmes et dans les médias. D’où l’importance de cette Journée internationale des femmes et des filles de science qui a, d’ailleurs, été largement fêtée en 2024 par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le monde universitaire, notamment Sorbonne Université, les grandes écoles d’ingénieurs et les associations comme Femmes et mathématiques, Femmes et sciences, Femmes ingénieurs, Elles bougent ou Femmes@numérique qui interviennent depuis des années maintenant en milieu scolaire, notamment dans les lycées, avec l’objectif d’encourager, chez les jeunes filles, les vocations pour les carrières scientifiques et technologiques. Ces actions doivent aider les enseignants à dépasser les stéréotypes de genre trop présents encore dans le milieu scolaire et universitaire et encourager les jeunes filles à intégrer les filières scientifiques qui seront les métiers de demain et qui, pour être performants, devront réunir de façon égalitaire les femmes et les hommes. De même, le rôle des parents dans le soutien de leurs filles à choisir ces filières reste essentiel. 

Pour y parvenir, il apparaît nécessaire de mieux faire connaître l’histoire des femmes scientifiques depuis l’Antiquité, largement méconnues, on l’a vu, du grand public, pour que les jeunes filles puissent s’identifier à ces femmes exceptionnelles et qu’elles leur donnent confiance en elles. C’est tout le projet des « 40 soeurs d’Hypatie » d’inscrire le nom de quarante femmes scientifiques au second étage de la Tour Eiffel, aux côtés des soixante-douze noms d’hommes scientifiques ! Notons aussi l’ouverture, en septembre 2023, à Paris, de la maison Poincaré, premier musée consacré aux mathématiques, situé au sein de l’Institut Henri Poincaré (IHP), le centre de recherches mathématiques du CNRS et de Sorbonne Université.

Il est important aussi que les femmes de science actuelles en France soient mieux connues des lycéennes, comme Anne Charmantier, médaille d’argent 2024 du CNRS, Sylvie Manguin, lauréate 2023 du prix Tremplin ASEAN de l’Académie des sciences, Sonia Garel, neurobiologiste, Anne-Laure Dalibard, professeure au département de mathématiques et applications de l’ENS-PSL, médaille de mathématiques de l’Académie des sciences, et beaucoup d’autres, sans oublier Esther DufloEmmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna (déjà citées) et les cinq prix Irène Joliot-Curie 2023 : Anne Canteaut (déjà citée), Marilena Radoiu, directrice de recherche en génie chimique, Virginie Galland Ehrlacher, chercheuse et professeure au CERMICS, laboratoire de mathématiques appliquées de l’École nationale des ponts et chaussées, Claire de March, chargée de recherche CNRS en chimie du vivant, et Laurette Piani, chargée de recherche CNRS en géologie et cosmochimie au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy (CNRS/université de Lorraine). Cela permettrait en effet de mettre en avant d’autres modèles de représentation et de lutter ainsi contre les stéréotypes de genre qui sont rattachés à ces métiers.

On le voit, l’enjeu est important. Le thème retenu pour la Journée internationale des femmes du 8 mars 2024 y fait écho : « Investir en faveur des femmes : accélérer le rythme ». Le combat s’annonce encore difficile pour parvenir à une place égalitaire des filles et des femmes dans les domaines scientifique, du numérique et de l’intelligence artificielle. Mais il est déterminant compte tenu du poids que ces secteurs ont déjà et auront encore plus à l’avenir au niveau mondial. Il faut le poursuivre sans cesse. La Fondation Jean-Jaurès, qui, depuis sa création par Pierre Mauroy en 1992, a toujours affirmé sa vocation féministe, entend y prendre toute sa part.

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    Le 22 décembre 2015, l’Assemblée générale a adopté la résolution A/RES/70/212 par laquelle elle décide de proclamer le 11 février de chaque année Journée internationale des femmes et des filles de science. L’initiative est mise en œuvre par l’Unesco et ONU-Femmes, en collaboration avec des institutions et des partenaires de la société civile qui visent à promouvoir les femmes et les filles.
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    Ce rappel historique a pour source quelques ouvrages dont Les Découvreuses. 20 destins de femmes pour la science de Marie Moinard et Christelle Pécout, préfacé par Marie-Sophie Pawlak, présidente de Elles bougent (21g, 2019) ; Les femmes et la science de Gérard Chazal (Ellipses, 2015) et un article de Wikipédia, « Place des femmes en sciences ».
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    Ce phénomène a été décrit pour la première fois par la suffragette et abolitionniste Matilda Joslyn Gage (1826-1898) dans son essai Woman as Inventor (publié pour la première fois sous forme de tract en 1870 et dans la North American Review en 1883). Le terme « effet Matilda » a été inventé en 1993 par l’historienne des sciences Margaret W. Rossiter.
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    Lire Claudine Monteil, Marie Curie et ses filles. Libres, géniales, pionnières, inspirantes, puissantes, Paris, Poche Harpercollins, 8 mars 2023.
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    Selon les données de la Fondation Nobel, seuls 6,3% des lauréats des prix Nobel décernés entre 1901 et 2022 étaient des femmes. Durant cette période, 60 femmes ont reçu la prestigieuse distinction contre 894 hommes. Marie Curie reste la seule personne, à ce jour, à avoir été récompensée dans deux domaines scientifiques différents : en physique, avec son mari, Pierre Curie, en 1903, et en chimie en 1911.
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    Cette année, la 68e session de la Commission sur le statut des femmes aux Nations unies aura pour thème prioritaire : « Accélérer la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes et l’autonomisation de toutes les femmes et de toutes les filles en s’attaquant à la pauvreté et en renforçant les institutions et le financement dans une perspective de genre ».
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    Depuis 2001, un prix promeut la place des femmes dans la recherche et la technologie en France, le prix Irène Joliot-Curie. Il met en avant l’excellence scientifique de femmes aux parcours exemplaires, afin de lutter contre les stéréotypes de genre et l’autocensure.

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