Être ou ne pas être Mila ?

Depuis une dizaine de jours et la médiatisation d’une vidéo mettant en scène une jeune lycéenne tenant des propos critiques sur l’islam, de nombreuses réactions fusent. Michel Debout, professeur émérite de médecine légale et du droit de la santé, ancien membre du Conseil économique, social et environnemental et membre fondateur de la Fondation, souligne dans cette tribune la violence toute particulière de certaines de ses réactions et en appelle à une mobilisation forte de l’exécutif pour les condamner.

Depuis dix jours, les réseaux sociaux se sont enflammés à partir de la situation d’une jeune lycéenne de l’Isère prénommée Mila au point que, parce qu’il y a des proximités avec le déclenchement de la tragédie de Charlie Hebdo, les réactions notamment des personnes publiques se sont partagées entre les « je suis Mila » ou « je ne suis pas Mila ».

Beaucoup d’explications, peut-être même trop, ont été données concernant ce qui est devenu ainsi, au fil des jours, l’affaire Mila pour que je centre mon propos sur deux éléments qui n’ont pas été au cœur des réactions, et qui éclairent cette affaire d’un jour spécifique.

La jeune Mila n’a pas blasphémé pour exprimer une opinion « ex abrupto » mais elle a répondu à un mail particulièrement violent, machiste et sexiste la traitant de « sale p… sale g », le tout en se référant à la religion musulmane. 

Certains ont voulu voir dans les propos de Mila une violence envers les croyants de cette religion musulmane. La violence s’adresse toujours à une personne ou à un groupe de personnes, qu’il s’agit de dénigrer, de menacer, de discriminer ; à aucun moment Mila n’est donc violente ; elle se contente de critiquer, avec ses mots qu’elle a qualifiés de vulgaires, une religion ; c’est un blasphème, qui dans notre république laïque ne saurait être reproché à son auteure.

L’internaute à l’origine de cette réaction était d’une rare salacité, c’est souvent le cas des hommes qui se permettent d’insulter et de dévaloriser les femmes qui ne répondent pas favorablement à leurs attentes.

Comment ne pas comprendre que, en répondant par des propos vulgaires, Mila s’est située au même niveau sémantique que son agresseur ? C’est ce qui a peut-être choqué ses contempteurs : une jeune fille qui utilise le même langage salace qu’un garçon ! Seuls « les mecs » peuvent se permettre l’usage d’un tel vocabulaire, alors que les filles doivent, elles, montrer sagesse et obéissance.

Le cyberharcèlement s’est alors répandu par milliers de propos haineux et menaçants de mort. Tous les adultes qui se préoccupent de l’avenir des jeunes devraient faire front commun pour dénoncer ces agressions intolérables. Mila est une victime, rien qu’une victime, deux fois victime. La seule réponse qui vaille, c’est de la soutenir totalement et de sanctionner les auteurs, tous les auteurs. On voudrait que le ministre de l’Intérieur mette autant d’ardeur et de diligence à les retrouver qu’il ne le fait lorsqu’il s’agit de poursuivre des manifestants prétendument violents !

Alors comment accepter la réaction de Nicole Belloubet, juriste, ministre de la Justice, qui a reproché à la victime ses propos insultant les musulmans, même si elle a regretté par la suite avoir tenu une telle critique ? Il est inacceptable qu’une ministre qui, alors qu’elle se prétend féministe et de gauche, ait pu oublier qu’elle est la Garde des Sceaux et la gardienne des libertés publiques.

Comment accepter aussi les propos de Ségolène Royal, ancienne ministre chargée de la jeunesse, qui a traité Mila comme une adolescente immature, malgré ses seize ans, incapable d’avoir un raisonnement politique et philosophique sur les affres d’une religion ? Ségolène Royal, mère de famille, sait combien les collégiennes et les lycéennes sont fréquemment victimes de harcèlement et de cyberharcèlement, et que le devoir de tous les parents est de les soutenir sans faille. 

Ne pas être résolument Mila est la porte ouverte à tous les débordements des harceleurs (cyber ou non) qui verront là un encouragement à leur toute-puissance destructrice. Quant aux victimes, celles qui n’ont pas encore été médiatisées, elles vivent au quotidien dans la solitude ce harcèlement à la connotation souvent sexuelle pour s’enfermer dans la honte, la culpabilité, et se figer dans un silence mortifère. Plutôt que de parler, parce qu’elles perdent confiance dans le monde des adultes, elles s’isolent jusqu’au geste suicidaire. Au moment où l’Assemblée nationale cherche à soutenir les parents d’enfants décédés, comment ne pas rappeler que la deuxième cause de mort chez les jeunes de moins de 20 ans est le suicide ! La prévention du suicide doit être une priorité de la politique de santé publique.

Les jeunes attendent des adultes, citoyennes et citoyens de notre république laïque, un soutien sans faille, une attention à leur souffrance et non une leçon de bonne conduite. « Je suis Mila » est la seule position qui vaille pour ceux qui défendent la liberté, la santé et la vie des adolescentes et adolescents. 

On attend toujours un discours fort de la ministre de la Santé, du Premier ministre et du président de la République pour dire avec tous les autres « Je suis Mila ».

 

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