Suite à l’élection présidentielle en Équateur – et les incertitudes de l’issue du premier tour – et la victoire du candidat conservateur Guillermo Lasso, Christophe Bieber, Florian Lafarge et Pierre Lebret analysent les défis qui attendent le nouveau président et la situation de la gauche « corréiste ».
Les urnes ont finalement parlé malgré les contraintes sanitaires : l’Équateur vient d’élire le candidat conservateur, Guillermo Lasso, comme nouveau président de cette République sud-américaine face au « corréiste » Andres Arauz. Ce sont 13,1 millions d’électeurs qui étaient appelés à se prononcer sur le futur de leur pays après un premier tour rocambolesque où deux recomptages auront été nécessaires pour départager le candidat indigéniste Yaku Pérez du candidat des droites pour la deuxième place, la faute à un écart de seulement 0,35%. La persévérance aura finalement payé. Trois fois candidat à l’élection présidentielle équatorienne, Guillermo Lasso a bien failli ne pas accéder au second tour de cette élection et ne jamais être élu président. Mais cette victoire est en demi-teinte et se fait au prix d’une légitimité déjà contestée. En effet, Yaku Pérez, candidat malheureux de gauche indigène, a annoncé ne pas vouloir prendre part au vote du second tour, s’estimant lésé par les institutions électorales. Dès lors, c’est sous les feux de la contestation que Guillermo Lasso a accédé au second tour, puis à la présidence.
Il succédera ainsi à Lenin Moreno, ancien dauphin de Rafael Correa qui a rapidement pris ses distances avec son mentor. « Décorréisations » politiques, économiques puis internationales ont ponctué sa présidence. Mais ce virage aux accents sociaux-démocrates n’aura pas marqué l’opinion. Cette voie médiane aura été décriée, tant par les corréistes qui la jugeaient trop libérale, que par la droite qui n’y voyait que des réformes en demi-teinte et un programme insuffisamment conservateur. Sous pression sur sa gauche comme sur sa droite, Lenin Moreno ne sera pas parvenu à imposer ses vues et à dépasser le clivage politique ambiant en Équateur. Quatre ans après son accession au pouvoir, son parti politique a complètement disparu et son héritage n’est revendiqué par aucun bord.
Il hérite d’un pays en quasi situation de faillite. La dette extérieure publique est passée de 27% du PIB en 2017 à 45% du PIB en janvier 2021, tandis que la dette globale atteint 63% du PIB, bien au-delà de ce qu’une économie dollarisée peut tolérer. Sans outil monétaire pour mener à bien une politique volontariste, le nouveau président élu aura bien du mal à respecter sa promesse de campagne de zéro déficit public alors même que les relais de croissance paraissent bien maigres. Tant et si bien que le dilemme est déjà présent dans toutes les têtes : approfondir les politiques de rigueur au risque de briser la reprise et de fragiliser encore davantage des services publics déjà aux abois, ou laisser filer l’endettement temporairement du fait de la crise liée à la Covid-19. Dans un pays désemparé par la gestion chaotique de la crise sanitaire et marqué par près de 331 000 cas et plus de 17 100 morts, force est de constater que les politiques d’austérité ont montré leurs limites. Des politiques qui représentent un véritable danger pour les plus vulnérables de la société équatorienne, dans un pays où le taux de pauvreté atteignait 32,4% en décembre dernier selon l’Institut national des statistiques (en 2010 ce chiffre était de 32,8%). À la fin de son mandat, Rafael Correa affichait un taux de pauvreté de 21%. C’est donc une régression considérable en termes de pauvreté et d’inégalités sociales. Après quatre années de bilan catastrophique, la majorité du peuple équatorien ne pourra pas supporter les vielles recettes néolibérales. .
Reste que l’Équateur est pris dans le piège de la dette, et que des négociations avec le FMI s’imposeront pour alléger une nouvelle fois le programme en cours de négociation. Le FMI comme l’Équateur n’ont d’autre choix que de trouver un accord. Pour le premier, il en va de sa réputation en Amérique latine, tandis qu’il en va de la survie économique du second, dépendant des moindres liquidités disponibles. La Chine, qui a œuvré cyniquement à cet endettement sans fin, devra sans doute elle aussi faire enfin un pas vers un réaménagement de la dette équatorienne.
Ces élections n’élucident pas tout et deux questions restent en suspens : la marge de manœuvre de ce nouveau président et le devenir du corréisme après cette défaite électorale.
Sur le premier point, il y a fort à parier que l’instabilité politique sera une constante des quatre prochaines années. Avec seulement 12 sièges de députés pour le parti présidentiel et 19 pour son allié social-chrétien, contre une cinquantaine pour le corréisme sur 137 sièges, Guillermo Lasso devra composer pour contrebalancer la majorité législative corréiste. Pour faire face à un exécutif traditionnellement fort, c’est à l’Assemblée que se cristallisent les tensions politiques. La « guérilla » parlementaire n’a pas encore commencé, mais il y a fort à parier que le parti corréiste ne laissera pas le conservateur imposer son virage libéral sans réagir. L’ombre de la paralysie institutionnelle plane déjà sur l’Équateur.
Enfin, sur le devenir du corréisme, si certains estiment que cette défaite est un coup fatal porté à la gauche équatorienne, d’autres plus avisés y verront un socle électoral corréiste ressuscité. Les troubles dans la majorité issus de la scission de Lenin Moreno avec son mentor sont relégués au passé. Rafael Correa est parvenu à remobiliser ses réseaux et à reconstruire un parti à son image. Peut-être a-t-il surestimé Andres Arauz, jeune arrivant en politique qui n’a pas eu le temps d’imposer sa marque, ni de se distancier de l’image trop « collante » des affaires de corruptions – et de lawfare – liées à son mentor. Peut-être a-t-il sous-estimé le rejet toujours très présent à son encontre. Le corréisme renaît certes de ses cendres et sa base électorale est bien présente, les élections législatives l’ont démontré, mais il faut maintenant faire émerger une nouvelle génération. Cette première tentative avortée n’est peut-être que la première étape vers un corréisme renouvelé et porteur de victoires électorales.