Entre France insoumise et Front national, de solides divergences

Deux idées ont fait florès tout au long de la séquence politique qui s’achève : les soutiens de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon seraient, d’une part, électoralement poreux et, d’autre part, idéologiquement convergents. Dans une tribune pour Le Monde, Gilles Finchelstein et Brice Teinturier, à travers l’analyse des données de la nouvelle vague de l’enquête « Fractures françaises », battent en brèche ces deux postulats.

Retrouvez l’intégralité des résultats de l’enquête « Fractures françaises 2017« 

L’analyse des comportements réels a montré que la première idée était fausse. Avant le 23 avril, si la mobilité électorale a été très élevée, la mobilité entre le Front national et la France insoumise a relevé de l’anecdote. Et le 7 mai, seuls 7% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ont apporté leur suffrage à Marine Le Pen. La seconde idée est tout aussi erronée. La cinquième vague de l’enquête sur les fractures françaises montre que ces deux électorats ne sont d’accord sur rien ou presque.

La première série de divergences concerne la façon de se projeter dans l’avenir ou le passé. Les électeurs de Marine Le Pen sont massivement convaincus que la France est en déclin (94%) et qu’il est irréversible (47%) quand ceux de Jean-Luc Mélenchon se singularisent par leur refus de même accepter l’idée que la France soit en déclin. Individuellement, la quasi-totalité (91%) des frontistes déclarent également « s’inspirer de plus en plus dans leur vie des valeurs du passé » quand tel n’est le cas que de la moitié des Insoumis (52%).

La deuxième série de divergences, spectaculaire également, porte sur le rapport à l’autre en général et à l’immigration en particulier. 38% des sympathisants de la France insoumise estiment que l’on « peut faire confiance à la plupart des gens » contre 22% dans la population générale et 7% seulement chez les sympathisants du Front national. De même, 30% des sympathisants de la France insoumise estiment qu’il « y a trop d’étrangers en France » – c’est cinq points de moins que la moyenne nationale – contre… 95% pour ceux du Front national. Enfin, 58% des premiers jugent l’islam « compatible avec les valeurs de la société française » – c’est dix-huit points au-dessus de la moyenne nationale – quand il n’y en a que 9% des seconds. Si cette divergence est évidemment attendue,  son ampleur n’en reste pas moins spectaculaire sur un sujet fondamental dans les relations interpersonnelles et structurant pour chacun de ces électorats. 

La troisième série de divergences touche à la culture politique – en dépit d’une critique partagée du système politique. Pour le reste, l’intensité de la demande d’autorité, l’attachement au principe du système démocratique comme le soutien aux corps intermédiaires distinguent largement les uns et les autres. La demande d’autorité, si on la compare à la moyenne des Français, est plus forte au Front national – 98% partagent l’idée que l’on a « besoin d’un vrai chef pour remettre de l’ordre » – et plus faible chez les Insoumis – même si elle progresse davantage qu’ailleurs. L’idée qu’un « autre système pourrait fonctionner aussi bien que la démocratie » est défendue par le quart des Insoumis – c’est huit points de moins que la moyenne des Français – alors qu’elle est majoritaire (55%) chez les frontistes – avec une progression notable de quinze points sur les trois dernières années. Le rôle des associations est qualifié « d’important » par 44% des premiers et seulement 13% des seconds – les chiffres sont proches s’agissant des syndicats. 

La quatrième série de divergences a trait au système économique et social. Certes, la défense de la redistribution ou de la priorité à la protection des salariés dans la réforme du droit du travail rapprochent ces électorats. Mais, une nouvelle fois, tout le reste les éloigne. C’est vrai du cadre international : 59% des Insoumis contre 10% des frontistes souhaitent que la France « s’ouvre davantage au monde d’aujourd’hui ». C’est vrai du choix européen : 88% des Insoumis contre 44% des frontistes veulent que la France reste dans l’euro ; mieux encore, 59% des premiers contre 17% des seconds estiment que l’appartenance de la France à l’Union européenne est « une bonne chose ». C’est vrai enfin du rapport à l’État-Providence : les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ne considèrent ni que les « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment » ni qu’il y a « trop d’assistanat » à la différence de plus des deux tiers des électeurs de Marine Le Pen.

En définitive, l’enquête sur les fractures françaises témoigne de ce que, en dépit des bouleversements auxquels nous avons assisté, les cultures politiques demeurent profondément ancrées – la question du rétablissement de la peine de mort, approuvée par 87% des frontistes et seulement 18% des Insoumis, en constituant un symbole éclatant. Elle montre aussi que la fonction tribunicienne exercée par Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ne joue pas sur les mêmes ressorts et ne fait pas appel à la même vision du peuple ; et enfin, conséquemment, que la jonction des populismes n’est pas à l’ordre du jour. 

 

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