À l’approche des élections européennes, la Fondation et ses partenaires publient les résultats de la première vague de l’Enquête électorale française 2024, menée auprès de près de 12 000 personnes1Enquête Ipsos pour le Cevipof, Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, menée auprès de 11 770 personnes, constituant un échantillon national représentatif de la population française, inscrite sur listes électorales, âgée de 18 ans et plus. Terrain : du 1er au 6 mars 2024. Échantillon interrogé par internet via l’Access Panel Online d’Ipsos. sexe, âge, profession de la personne interrogée, catégorie d’agglomération, région.. Gilles Finchelstein, secrétaire général de la Fondation, en tire les enseignements pour la majorité présidentielle et montre l’actuelle rétraction du macronisme sur son cœur, quand il parvenait précédemment à rayonner au-delà.
Pour la majorité présidentielle, à moins de cent jours du scrutin du 9 juin, la face la plus visible des résultats du panel électoral peut se résumer en trois données très simples : un score de 18% ; un écart de 13 points avec le Rassemblement national ; un recul de 5 points par rapport à 2019. Nul doute que si les résultats de juin étaient conformes aux intentions de vote de mars, ces données écraseraient toute autre analyse pour être interprétées comme une lourde défaite pour le président de la République.
L’analyse approfondie des résultats témoigne pourtant de ce que la face invisible de ces résultats mérite une plus grande attention encore. Du point de vue démographique d’abord, et en dépit de la nomination de Gabriel Attal comme Premier ministre, la majorité a disparu dans la jeunesse : 4% chez les 18-24 ans contre 29% chez les plus de 70 ans – aucun parti ne connaît un tel grand écart. Le chiffre est édifiant : sur 100 électeurs de la majorité, les deux tiers ont aujourd’hui plus de 60 ans. Du point de vue sociologique ensuite, et en dépit de la priorité donnée à l’emploi depuis l’élection d’Emmanuel Macron, la majorité est marginalisée dans le salariat : 12% chez les salariés du public ; 14% chez les salariés du privé. Même chez les cadres supérieurs où, avec 21%, elle réalise son meilleur score, la liste de Valérie Hayer ne devance le Rassemblement national que de deux points. Du point de vue politique enfin, la liste Renaissance-Horizons-MoDem est attaquée sur ses deux flancs. En raison de la droitisation accentuée du second quinquennat, elle perd sur sa gauche : 20% des électeurs qui ont voté pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 devraient voter pour une liste de gauche – principalement pour celle conduite par Raphaël Glucksmann. Mais, en dépit de cette même droitisation, elle peine à rassembler pleinement sur sa droite : sur une échelle gauche-droite de 0 à 10, les électeurs se positionnant à 7 ou 8 sont plus nombreux à voter pour la liste de Jordan Bardella.
Si on regarde vers le passé, la comparaison avec les résultats obtenus exactement à la même période de la campagne européenne et avec le même panel électoral montre que tout se passe comme s’il y avait une rétraction du macronisme sur son cœur quand il parvenait précédemment à rayonner au-delà. Pour n’en prendre que deux exemples, on a assisté, entre mars 2019 et mars 2024, à un recul de 16 points chez les 18-24 ans ou de 10 points chez les salariés du privé. La majorité n’arrive plus en tête que dans des catégories très minoritaires dans la population : celles dont le revenu mensuel net du foyer est supérieur à 5 000 euros ou dont le niveau de scolarité se situe à bac +5. Elle rassemble ce faisant des électeurs qui se distinguent sur bien des points du reste de la population. Ils sont hyper satisfaits de la vie qu’ils mènent (70%, soit 27 points de plus que la moyenne). Ils sont hyper favorables à la construction européenne : 90% éprouveraient des regrets si la construction européenne était abandonnée (43 points au-dessus de la moyenne) ; 76% pensent qu’à l’avenir l’Union européenne sera plus puissante (34 points au-dessus de la moyenne). D’original parti central attrape-tout, Renaissance est devenue un classique parti bourgeois et âgé de centre-droit – un peu à l’instar de l’UDF des années 1980, l’implantation locale en moins.
Si on se projette pour finir dans l’avenir immédiat de la majorité, il faut distinguer l’improbable du possible.
Un bouleversement est improbable. Il ne devrait pas y avoir d’affaissement d’ici juin car les électeurs âgés sont fidèles : 70% d’entre eux déclarent d’ailleurs que leur choix est « définitif ». Il ne devrait pas davantage y avoir de percée spectaculaire comme on a pu en voir dans la ligne droite de la dernière élection présidentielle : le « vote utile » d’électeurs stratèges est moins courant dans une élection perçue comme secondaire avec, qui plus est, un scrutin proportionnel à un tour.
Des évolutions sont en revanche évidemment possibles – même si, il faut le noter, tel n’a pas été le cas pour La République en marche en 2019 : les intentions de vote de mars 2019 ont correspondu au vote de juin 2019. À 42%, la participation est aujourd’hui faible et beaucoup d’électeurs ne sont pas entrés dans la campagne. Il y a là une mobilisation à organiser. Ce n’est pas illusoire car, en 2019, la participation avait progressé de 9 points dans les deux derniers mois. Et puis il y a une campagne à mener, avec ses imprévus et ses incertitudes. Là encore, dans les deux derniers mois de la campagne de 2019, certains avaient progressé de 5 points (Europe Écologie-Les Verts) quand d’autres avaient reculé de 4 points (Les Républicains). Reste à savoir, pour la majorité, si une évolution se ferait à la hausse ou à la baisse…
- 1Enquête Ipsos pour le Cevipof, Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, menée auprès de 11 770 personnes, constituant un échantillon national représentatif de la population française, inscrite sur listes électorales, âgée de 18 ans et plus. Terrain : du 1er au 6 mars 2024. Échantillon interrogé par internet via l’Access Panel Online d’Ipsos. sexe, âge, profession de la personne interrogée, catégorie d’agglomération, région.