L’interview récente du Premier ministre Édouard Philippe lui a permis de revenir sur la nette augmentation du nombre d’arrêts maladies à la SNCF et à la RATP depuis le début du mouvement social en décembre 2019. Il y a jugé illégale la démarche qui consisterait à se mettre en arrêt maladie pour faire grève, mettant ainsi en doute la sincérité d’une partie de ces arrêts. Une position offensante pour la profession médicale, selon Michel Debout, professeur émérite de médecine légale et du droit de la santé, ancien membre du Conseil économique, social et environnemental et membre fondateur de la Fondation Jean-Jaurès.
Décidément le Premier ministre ne recule devant aucun argument, même les plus éculés, pour tenter de discréditer le mouvement de grève des agents de la SNCF et de la RATP, celui qui gêne le quotidien des Parisiens, et donc qu’il croit être le moins populaire.
Dans son interview sur RTL le 8 janvier 2020, Édouard Philippe a cru pouvoir déclarer : « ceux qui souhaiteraient se placer en arrêt maladie pour faire grève se placeraient dans une situation qui est illégale », le chef du gouvernement feignant d’ignorer que ce n’est jamais un salarié qui se met en arrêt de travail, qui « se met en caisse » (selon une formule erronée mais souvent utilisée). L’arrêt de travail est obligatoirement lié à une prescription médicale, au même titre que la délivrance de médicaments, ce que le médecin décide conformément à sa déontologie et dans l’intérêt de son patient.
Par cette déclaration, le Premier ministre porte ainsi une grave suspicion sur toute une profession ; il serait souhaitable que l’Ordre national des médecins – instance chargée justement du respect de la déontologie – proteste officiellement contre ces propos qui ne s’appuient de plus sur aucune étude sérieuse ni argumentée.
Les médecins qui subissent de plein fouet la dégradation de leur exercice dans les hôpitaux et les déserts médicaux, auxquels les pouvoirs publics n’apportent aucune réponse satisfaisante, sont en droit d’attendre d’autres compliments de ceux qui les gouvernent !
Édouard Philippe traite ainsi les grévistes de fraudeurs potentiels après avoir expliqué avec profusion qu’ils sont les profiteurs des régimes spéciaux. Pourquoi attiser le conflit par ces propos malveillants, blessants donc violents, cette même violence que le gouvernement ne cesse de reprocher aux grévistes, alors que c’est à lui qu’il revient d’assurer la paix et la concorde sociale, et non aux salariés qui défendent leurs droits et ceux de leurs enfants ?
Enfin, quel regard médical faut-il porter sur cette augmentation des arrêts de travail constatée depuis le début de la grève ? C’est la diminution de ces arrêts qui aurait été, elle, inexplicable. En prescrivant un arrêt de travail, le praticien ne fait que répondre médicalement aux effets de la grève sur l’ensemble des agents ; cet effet est connu de tous ceux qui s’intéressent à la vie réelle au travail et à la santé des salariés, et porte un nom : le conflit de loyauté.
Beaucoup d’agents vivent en effet ces périodes de grande tension psychologique et relationnelle de façon éprouvante, écartelés qu’ils sont entre leur loyauté envers leur mission de service aux usagers et leur loyauté envers tous leurs collègues grévistes. Ce conflit de loyauté peut s’exprimer alors, sur le plan psychique, par un épuisement anxieux nécessitant de protéger l’agent qui s’y trouve confronté par la prescription d’un arrêt de travail.
Aujourd’hui, ce sont les modes de production et d’organisation du travail qui confrontent beaucoup trop de salariés à ces conflits de loyauté, comme faire vite et bien, faire du chiffre plutôt que de la qualité, défendre la santé financière de l’entreprise plutôt que s’occuper des usagers !
Le discours du Premier ministre n’est qu’un discours de classe qu’il développe contre les grévistes auxquels, de plus, il reproche des « positions marxistes » d’un autre âge. On attend toujours de ce gouvernement, artisan autoproclamé du « nouveau monde », une loi de reconnaissance des troubles psycho-sociaux au travail en maladies professionnelles, pour prévenir les harcèlements, burn-out et sur-stress, et permettre ainsi à beaucoup de travailleurs de notre pays d’arriver à l’âge de la retraite… en bonne santé !