Allemagne : quel scénario pour les élections en 2017 ?

À l’approche de l’élection fédérale et des législatives en 2017, Angela Merkel sera-t-elle réélue pour un quatrième mandat? Gabriel Richard-Molard se penche sur le paysage politique qui se reconfigurerait à l’issue des scrutins, aussi bien du côté des conservateurs de la CDU/CSU, menés par Angela Merkel, que des sociaux-démocrates du SPD autour de Sigmar Gabriel et Martin Schulz, tandis que l’AfD pourrait entrer au Parlement.

L’année 2016 aura été une année mouvementée pour la politique allemande et pour son gouvernement de grande coalition. À peine remise des agapes de la fin d’année, elle aura débuté avec les événements de la Saint-Sylvestre à Cologne et le durcissement de la contestation, au sein de la société et des partis politiques, de la politique migratoire d’Angela Merkel. Comme si cela ne suffisait pas, l’attentat du marché de Noël devant l’église du Souvenir à Berlin le 19 décembre boucle tristement l’année. D’un point de vue politique, ces derniers mois marquent également le retour programmé à la politique allemande de Martin Schulz, président du Parlement européen de 2012 à 2016, et la confirmation de la candidature de la Chancelière pour son quatrième mandat consécutif à la tête de la République fédérale. Elle préfigure ainsi une année charnière de la politique allemande et une possible rupture politique, avec l’entrée de l’extrême droite au Bundestag. Que pourrait-il se passer en 2017 sur la rive droite du Rhin ?

Lutte des trois roses chez les sociaux-démocrates

Martin Schulz a été sobre comme à son habitude. Le 24 novembre 2016, le président en exercice du Parlement européen annonce depuis Strasbourg dans une courte allocution à la presse qu’il ne se représentera pas à la tête de l’institution parlementaire européenne. Il met ainsi un terme aux spéculations qui courent depuis des mois dans les capitales européennes sur son retour possible à la politique allemande.

En 2016, le Parti social-démocrate allemand, créé il y a 153 ans, n’est pas au meilleur de sa forme. La participation des sociaux-démocrates aux gouvernements du troisième mandat d’Angela Merkel a précipité la perte de vitesse du parti auprès de la population allemande. Le parti de Willy Brandt, qui récoltait dans les années 1970 40% du vote populaire, a péniblement rassemblé 25,7 % des suffrages en 2013 autour de la candidature de Peer Steinbrück, ancien ministre des Finances du premier gouvernement d’Angela Merkel. De 2013 à 2016, malgré des succès politiques notoires tant aux élections régionales que dans la pratique gouvernementale (salaire minimum, politique familiale, politique migratoire), le parti peine à capitaliser sur ses succès et ce à l’inverse de la Chancelière, qui semble obtenir tous les bénéfices d’une politique intérieure et extérieure (notamment sur le plan européen) particulièrement volontariste.

En outre, Frank-Walter Steinmeier, ministre des Affaires étrangères de 2013 à 2016, est désigné le 14 novembre 2016 par les partenaires de la coalition pour succéder à Joachim Gauck comme président de la République fédérale, à l’occasion de la réunion du Congrès fédéral (Bundesversammlung), le 12 février 2017. Ce faisant, Angela Merkel réussit à nouveau à éloigner du pouvoir le ministre social-démocrate le plus populaire de son gouvernement et évite ainsi une confrontation pour les élections législatives de septembre 2017.

Le retour de Martin Schulz à la politique allemande s’inscrit dans ce contexte. La suite pourrait sembler toute tracée. Nommé ministre des Affaires étrangères en février 2017 suite au départ de Frank-Walter Steinmeier, Martin Schulz serait désigné par le SPD, réuni en Congrès fédéral au printemps 2017, candidat à la chancellerie et pourrait faire bénéficier le parti de sa très grande popularité au sein de la population allemande pour ainsi se hisser au niveau des conservateurs dans l’électorat.

Pour Sigmar Gabriel, vice-chancelier d’Angela Merkel et président du SPD depuis 2009, ce retour représente une chance et un problème à la fois. Une chance car il permet au parti de gagner en popularité grâce à la personnalité charismatique et relativement neuve que représente Martin Schulz au niveau national. C’est également un problème pour lui car Martin Schulz pourrait, s’il en avait la volonté, lui ravir la nomination du parti pour la candidature à la chancellerie alors même qu’il se sait ne pas être le candidat le plus populaire au sein de son parti. En tenant compte de cela, il déclare le 28 novembre 2016 depuis Duisburg que les journalistes ne doivent pas oublier qu’il n’y a pas que Martin Schulz et lui-même comme potentiels candidats à la chancellerie, mais bien aussi Olaf Scholz, actuel ministre-président social-démocrate de la région de Hambourg.

Sigmar Gabriel tente certainement par là de mettre en place une élection interne avec trois candidatures et ce dans l’optique de diviser les voix qui iraient à Martin Schulz qui, s’étant déclaré comme possible candidat dès l’été 2016, est donné régulièrement par la presse comme favori à cette élection interne.

Le fait est que le Congrès fédéral de nomination du candidat qui devait initialement intervenir en janvier 2017 a été repoussé à mai par le bureau national du Parti, et ce pour attendre l’élection régionale en Rhénanie du Nord-Westphalie (NRW en allemand) qui est le plus grand État régional du pays. Cela implique donc par voie de conséquence, tout comme en France en 2016 dans l’incertitude de la candidature du président Hollande, une longue campagne interne qui risque de laisser des traces sur les candidats. Plusieurs scénarios se présentent alors. Le premier cas de figure serait que Sigmar Gabriel et Martin Schulz décident de concert d’une candidature de l’un ou de l’autre, éventuellement alors pour laisser Sigmar Gabriel enfin être le candidat qu’il n’a pas voulu être en 2009 et en 2013 et ainsi permettre à Martin Schulz de prendre ses marques en tant que ministre des Affaires étrangères et ensuite en tant qu’éventuel président du Parti. Cela permettrait à Martin Schulz de devenir le candidat naturel pour l’élection législative de « l’après-Merkel », en 2021. Deuxième cas de figure : les deux hommes, qui s’estiment mais se craignent, pourraient se lancer dès janvier dans une campagne en interne pour obtenir le soutien le plus large au sein du parti et régler cela, après l’élection en NRW, à l’occasion du Congrès fédéral de nomination. Que fera Martin Schulz dans ce cas-là ? Mystère. Ce dernier n’a pas encore confirmé les propos de Sigmar Gabriel et, en cette fin d’année 2016, il ne s’est pas encore officiellement déclaré.

Quand bien même – si l’on suit les courbes de popularité actuelles – Martin Schulz serait le candidat du SPD pour la chancellerie, le parti, qui est actuellement à 22% d’intentions de vote contre environ 35% pour la CDU/CSU, aura très fort à faire afin de se hisser au niveau des conservateurs et ainsi être en mesure de bâtir une coalition soit avec les conservateurs soit, et ce sera certainement la préférence de Martin Schulz comme de Sigmar Gabriel, avec les verts et les anciens communistes de la Linke.

Rupture programmée chez les conservateurs

La politique migratoire d’Angela Merkel est depuis 2015 un élément de tension extrêmement important dans l’unité de la CDU avec son parti frère bavarois de la CSU. Les multiples déclarations de son chef de file, Horst Seehofer en témoignent.

Plusieurs sujets thématiques viennent jeter une ombre sur la réélection de la Chancelière à la tête de la CDU, le 9 décembre dernier, avec près de 90% des voix. Au-delà du fait que ses 89,2% soient le plus mauvais score qu’elle enregistre depuis sa première élection en 2000, plus de 400 délégués du parti ont fait ouvertement état de leur mécontentement sur une politique migratoire qu’ils jugent trop laxiste. La CSU appelle ainsi à ce qu’un plafond migratoire pour l’année 2017 soit établi à 200 000 migrants par an. La formation politique conditionne même son alliance au sein de la coalition conservatrice à cet élément. Cela se retrouve clairement dans les propos du secrétaire général de la CSU, Andreas Scheuer, ou de Daniel Günther, chef du groupe conservateur dans l’État-région du Schleswig-Holstein, qui veulent par ailleurs que la question de la double nationalité soit, elle aussi, mise à l’agenda de la campagne législative afin ainsi de revenir sur la disposition arrachée par les sociaux-démocrates en 2014 qui établissait que les enfants nés en Allemagne de parents étrangers puissent bénéficier de la double nationalité.

La Chancelière fait la sourde oreille à ces revendications, convaincue de tenir son parti solidement. Elle sait que la volonté de rupture programmatique de la CSU vient principalement du fait que cette formation politique, traditionnellement plus à droite que la CDU, craint tout d’abord de voir son électorat vampirisé par le nouveau parti d’extrême droite AFD. En effet, sur cinq élections régionales en 2016, ce parti a obtenu des résultats qui sont cinq fois au dessus de 10% (Rhénanie-Palatinat 12,6% ; Berlin 14,2%), trois fois au dessus de 15 % (Bade-Wurtemberg 15,1%) et deux fois au dessus de 20% (Mecklembourg Poméranie 20,8% ; Saxe-Anhalt 24,2%). Angela Merkel fait donc le calcul que la CSU ne mettra pas ses menaces à exécution, sous peine de ne pas bénéficier de « l’effet Chancelier » lié à l’alliance des deux partis et donc in fine de voir une partie de son électorat rallier les rangs de l’électorat AfD. La deuxième carte de la Chancelière dans ses négociations est l’illusion savamment orchestrée de sa part depuis plusieurs mois qu’une coalition avec les verts, et notamment sa nouvelle génération dirigeante beaucoup plus conservatrice, est possible. Cela met la CSU sous pression et permet à Angela Merkel de garder une certaine distance avec son principal partenaire de coalition.

La dernière incertitude pour la Chancelière est le score de l’AfD. Fort de 4,8% en 2013, le nouveau parti d’extrême droite aura raté de 0,2% son entrée au Bundestag (le système parlementaire allemand ayant un seuil de 5% pour l’obtention du premier siège). Il y a fort à parier que l’AfD, après les événements de Cologne, l’attentat de Berlin en décembre 2016 et les multiples agressions contre les migrants durant l’année (notamment des incendies volontaires contre des foyers de migrants), sera en mesure en 2017 de rassembler au moins 10% de l’électorat national, étant ainsi pour la première fois depuis 1949 la première formation d’extrême droite à pouvoir siéger au sein de la représentation nationale. Largement prévisible, cette situation n’en provoquera pas moins une petite révolution politique et institutionnelle, d’une part en intégrant un cinquième voire un sixième groupe parlementaire (là où traditionnellement il n’y en avait que quatre). Premièrement politiquement, car la République fédérale est construite sur le principe du rejet des formations d’extrême droite et de la protection des droits fondamentaux. Cela provoquera assurément une crise existentielle de la démocratie allemande. Deuxièmement institutionnellement, car l’AfD profitera alors de subsides publics conséquents afin de pouvoir pérenniser ses activités et continuera par voie de conséquence à bouleverser durablement la politique nationale et européenne.

Selon la Loi fondamentale allemande, le parti qui gagne la majorité des sièges lors de l’élection législative est celui qui est en mesure de constituer le gouvernement et donc, puisque le régime électoral semi-proportionnel allemand l’impose, de constituer une coalition. Pour Angela Merkel qui apparaît être, en cette fin 2016, celle qui aura les meilleures chances de bénéficier de cette majorité, s’imposera alors un choix difficile. Devra-t-elle proposer à nouveau une grande coalition avec les sociaux-démocrates, ce qui aurait certainement les faveurs de ses alliés de la CSU ? Ou alors devra-t-elle composer avec les verts ? Ce qui est certain, c’est qu’elle devra composer et mener ces négociations dans un climat politique compliqué où la presse sera principalement focalisée sur l’entrée de l’extrême droite au Bundestag.

Par ailleurs, sur un plan international et européen, la Chancelière, si elle est réélue, devra arriver à travailler avec la nouvelle présidence française qui, d’après les sondages, serait conservatrice et modérément européenne. Tout cela dans un contexte de tensions internationales certainement croissantes avec une Russie renforcée par la défaite démocrate américaine, son succès diplomatique et militaire en Syrie et une croissance européenne et mondiale en berne en 2017 alors même qu’elle est le moteur du réacteur de sa politique intérieure.

2017, année jubilaire pour l’Europe et son traité de Rome qui aura soixante ans, va donc être une année charnière tant pour l’Allemagne, la France et le reste du monde. Reste à savoir maintenant si l’aphorisme de François Mitterrand – il y a toujours un avenir pour ceux qui pensent à l’avenir – se réalisera effectivement.

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