Vive la réforme (de l’entreprise) !

Pierre Victoria, administrateur-salarié de Veolia et co-auteur du rapport Entreprises engagées. Comment concilier l’entreprise et les citoyens de la Fondation Jean-Jaurès, revient sur le rôle des conseils d’administration et leur nécessaire réorientation.

Le président Macron a souhaité que le vaste chantier de la réforme dans laquelle il a engagé le pays embrasse aussi le champ de l’entreprise. En déclarant sur TFI, le 18 octobre 2017, sa volonté de redéfinir le statut de l’entreprise («l’entreprise ne peut être seulement un rassemblement d’actionnaires») et de faire reconnaître la place des salariés («c’est un lieu où des femmes et des hommes se sont engagés ; certains mettent du capital ; d’autres du travail»), le président ouvrait une voie que le ministre Macron avait lui-même arpentée en 2015 en proposant en vain l’ajout d’un alinéa à l’article 1833 du code civil stipulant «la société doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental».

Dépoussiérer le code civil s’impose. Les articles 1832 et 1833 qui définissent la société commerciale (et non l’entreprise) en donnent une vision étroite, désuète et anachronique au regard de ce qui se passe dans les autres pays. Elle ne reconnaît que l’intérêt des «associés» sans référence aux salariés, ni aux parties prenantes impactées par le comportement de l’entreprise : clients, fournisseurs, territoires, acteurs de la société civile. Parce qu’on ne construit pas un avenir sur des définitions juridiques d’un autre temps, il faut mettre fin à ce décalage entre un statut et une réalité qui est celle d’une responsabilité accrue de l’entreprise sur le plan social, sociétale et environnementale et se traduit par de nouvelles règlementations : responsabilité climatique avec la loi de transition énergétique de 2016 ; responsabilité à l’égard de sa chaîne d’approvisionnement avec la loi sur le devoir de vigilance de 2017 ; responsabilité à l’égard de l’opinion publique avec l’application dès 2017 de la directive européenne sur l’information extra-financière.

Revoir le code civil pour prendre en compte les finalités sociales et environnementales de l’entreprise, rééquilibrer les pouvoirs entre actionnaires et salariés, adapter la gouvernance afin de prendre en compte l’avis des parties prenantes: tels sont les enjeux de cette réforme qui dispose d’une base de soutien très large et très cosmopolite, patrons progressistes, syndicats, politiques, juristes, chercheurs, militants des associations de développement et de plaidoyers…

Le bilan que nous avons réalisé, au sein de la Fondation Jean-Jaurès, de l’application des lois de 2013 et 2015 sur la représentation des salariés au sein des conseils d’administration a nourri une évidence : c’est en réorientant le rôle des conseils d’administration vers la stratégie et la durabilité que cette réforme répondra aux attentes de son époque et rendra plus utile la présence, que nous souhaitons plus large, des salariés au sein du conseil d’administration. Nous voulons que le conseil passe moins de temps à analyser et contrôler les résultats financiers et se concentre sur  quatre fonctions majeures :

  • Définir la stratégie de long terme ;
  • Étudier la performance globale de l’entreprise, y compris sociale et environnementale, sur la base d’indicateurs partagés ; 
  • Veiller à la cohérence entre les décisions du conseil et son application sur le terrain ;
  • Organiser le dialogue avec les parties prenantes – sur ce dernier point, nous proposons que chaque grande entreprise dispose d’un comité des parties prenantes et que son président soit membre du conseil d’administration.

Conformément à notre vision de l’entreprise comme collectif humain ayant pour objet la création de valeur partagée, nous demandons que le conseil d’administration ne se prononce sur les engagements auprès des marchés financiers qu’après étude et approbation des incidences sur le plan social et ses impacts sur les territoires. Nous demandons également que les administrateurs salariés soient autorisés à rendre compte de leur action auprès des instances représentatives du personnel, condition nécessaire d’un dialogue social constructif et apaisé.

«Il n’est rien au monde de plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue», disait Victor Hugo. Et pourtant, les opposants à la réforme de l’entreprise sont nombreux et les forces du conservatisme autour du principe «pourquoi changer ce qui évolue dans le bon sens» avancent leurs pions pour que rien ne change, surtout pas l’absolutisme actionnarial. À ceux-là, nous devons rappeler qu’aucune activité économique ne perdure si elle ne répond aux attentes de son époque. Or les citoyens veulent de l’éthique, du dialogue, de la codécision, de la solidarité avec les territoires.

Les prospérités de demain se construiront sur la réponse à ses attentes. C’est sur ces bases que se fera l’indispensable réconciliation entre l’entreprise et la société.

 

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