Dans le cadre du festival Et maintenant ?, la Fondation Jean-Jaurès et ARTE s’intéressent cette année à un sujet essentiel : la santé mentale des Français. Comment les Français vont-ils ? Sont-ils si mal dans leur peau que ce qu’on peut l’entendre parfois ? Quelles sont les raisons de ce malaise et que font-ils pour aller mieux ? Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, analyse les résultats de cette enquête.
Constituée de 50 questions, l’enquête avait pour but de connaître l’état psychique des Français, ce qui influe le plus sur leur moral et les pratiques qu’ils mettent en place pour protéger ou réparer leur santé mentale. Plus de 11 000 participants ont accepté d’y répondre. Bien sûr, cet échantillon n’est pas représentatif de la population française, mais une telle enquête permet néanmoins de donner la parole à un nombre beaucoup plus important de personnes que dans les sondages traditionnels. Ce sont les principaux résultats de cette étude que nous décrivons dans cette note.
Conception du questionnaire : Alexandre Kouchner (journaliste et analyste politique) avec l’aide de Marie Durrieu (journaliste et réalisatrice)
La santé mentale, un vrai sujet de société
Le premier point qui ressort de cette étude est à quel point la santé mentale est un vrai sujet de société. Interrogés sur la façon dont va leur vie actuellement, et ce de manière générale, 34% des répondants déclarent « bien » ou « plutôt bien », quand 42% déclarent aller « mal », 9% déclarant même « être au bout du rouleau ». Fait également intéressant bien qu’au combien inquiétant, les jeunes (18-25 ans) éprouvent un malaise tout particulier, 11% déclarant ainsi être « au bout du rouleau ». Cet état mental a des manifestations bien identifiées. 68% des répondants disent être concernés par des problèmes de stress, viennent ensuite la fatigue (65%) puis la déprime (57%). Ces problématiques de santé mentale sont par ailleurs à même d’avoir des effets concrets et graves : 54% des répondants déclarent ainsi avoir déjà eu des pensées suicidaires, un chiffre qui monte à 61% chez les 18-24 ans. Avant ces pensées extrêmes, les problématiques de santé mentale, le fait que « ça ne va pas fort », se matérialisent de différentes manières : le fait d’être débordé par ses émotions (57%), de mal dormir (53%), de ne plus avoir la force de faire quoi que ce soit (48%) ou encore de s’isoler (45%).
Il est important de noter que si la santé mentale est bien un sujet de société, il semblerait que les femmes sont plus enclines à répondre à un questionnaire sur le sujet : à la date d’extraction des données, sur les 11 000 personnes ayant répondu, plus de 9000 sont des femmes.
La santé mentale, entre facteurs individuels et facteurs collectifs
Quels sont les facteurs de ce mal-être ? D’après les résultats de l’enquête, il ne s’agit pas d’une mode ou un d’un esprit du temps : 65% des participants n’ont pas l’impression « d’être devenus plus fragiles ». À bien des égards, les raisons de ce mal-être sont à la croisée de problématiques purement individuelles et de problématiques collectives. Ainsi, lorsqu’on demande aux répondants ce qui les inquiète le plus dans leur vie personnelle, 23% citent « leur avenir », 18% « leur vie amoureuse » et 12% « leur travail ». Au niveau collectif, « l’injustice » est l’élément qui déclenche la réaction la plus vive. Le futur n’est pas perçu avec un réel optimisme, c’est le moins que l’on puisse dire : 65% des répondants se disent angoissés quand ils pensent au futur. Ce chiffre varie très peu selon l’âge et le genre des répondants : 66% des 18-25 ans se disent angoissés par le futur pour 60% des plus de 45 ans ; les hommes sont 63% à l’être et les femmes 65%. Le futur est d’ailleurs pourvoyeur d’angoisses individuelles et d’angoisses collectives. Ainsi, seulement 2% des répondants déclarent ainsi que « ce qui se passe dans le monde ne les atteint pas ». Au contraire, la crise climatique (32%) et les guerres (22%) sont les événement qui les touchent le plus. 72% déclarent d’ailleurs avec beaucoup de franchise que l’état de la planète joue sur leur santé mentale, phénomène désormais connu sous le nom d’« éco-anxiété1Eddy Fougier, « Éco-anxiété : analyse d’une angoisse contemporaine », Fondation Jean-Jaurès, 2 novembre 2021. ». Les problématiques de santé mentale ne peuvent donc pas se réduire à un seul événement, à une seule cause, mais sont au contraire la résultante d’une pluralité de situations, allant du « très grand » au « très petit » : les répondants expriment un stress lorsqu’ils pensent à l’état de la planète et ils expriment également un stress de se retrouver dans un transport en commun bondé.
La nécessité d’être accompagné pour s’en sortir
Comment faire pour s’en sortir dans un moment difficile ? Sur cette question, les répondants sont assez partagés : 52% déclarent qu’ils arrivent à se prendre en main et 48% déclarent au contraire qu’ils ont plutôt tendance à plonger dans la déprime. D’ailleurs, lors des épisodes de déprime, les phrases volontaristes de l’entourage, du type « secoue-toi » ou « t’en fais pas un peu trop là ? », sont particulièrement mal perçues. Dans ces phases de déprime néanmoins, la solitude est certainement ce qui est le plus mal vécu par les répondants : en premier lieu, c’est le fait de « voir des amis » qui fait le plus de bien. D’ailleurs, en cas de coup de mou plus ou moins violent, c’est d’abord aux amis que l’on va se confier (57%). Si vous cherchez une chanson pour vous remonter le moral, Happy de Pharrell Williams a les faveurs de la plus grande partie des répondants.
Se soigner n’est plus un tabou
Malgré ce tableau, somme toute assez noir, que nous faisons de la santé mentale des Français, il existe des facteurs d’optimisme, notamment la déstigmatisation des troubles de la santé mentale et leur traitement. Si les problématiques de santé mentale touchent largement les Français, ceux-ci sont également de plus en plus nombreux à considérer qu’il s’agit bel et bien d’une maladie, qui peut être traitée et qu’il n’y a aucune honte à cela. Ainsi, 58% des répondants déclarent avoir déjà eu recours à une psychothérapie et 61% d’entre eux déclarent ne pas avoir plus de réticence à consulter un médecin psychiatre qu’un autre médecin. De la même manière, à 56%, un ou une célibataire rencontrant une personne qui lui indique qu’elle voit un « psy » trouve cela rassurant, 39% trouve que cela n’a pas d’importance et 4% trouve cela inquiétant. Le fait de soigner ses problèmes de santé mentale en se faisant aider par des professionnels est donc de plus en plus accepté. 81% des répondants jugent également que si un ou une de leur collègue prend un traitement pour soigner ou préserver sa santé mentale, elle n’a aucune raison de cacher cette information.
Pour une meilleure prise en compte de la santé mentale dans la société
Pour autant, la prise en charge de la santé mentale dans notre société est loin d’être parfaite et nombre de nos répondants s’en désolent : 77% jugent ainsi qu’il faudrait mieux rembourser les consultations « psy » et 72% qu’il faudrait allouer plus de moyens à la psychiatrie publique2Boris Nicolle, Réinvestir la psychiatrie : une urgence sanitaire, un défi démocratique, Fondation Jean-Jaurès, 6 mai 2022.. Si les pouvoirs publics sont donc pointés du doigt pour leur manque de volontarisme sur le sujet de la santé mentale, il en est de même pour les employeurs : 67% des répondants déclarent ainsi que sur leur lieu de travail ils ne sont pas sensibilisés à la santé mentale.
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Abonnez-vous- 1Eddy Fougier, « Éco-anxiété : analyse d’une angoisse contemporaine », Fondation Jean-Jaurès, 2 novembre 2021.
- 2Boris Nicolle, Réinvestir la psychiatrie : une urgence sanitaire, un défi démocratique, Fondation Jean-Jaurès, 6 mai 2022.