Le 14 juillet dernier, les droits de diffusion de la Ligue 1 ont été attribués au duo DAZN-beIN pour près de 500 millions d’euros. Pierre Rondeau, codirecteur de l’Observatoire du sport de la Fondation Jean-Jaurès et économiste, revient sur l’histoire des choix ubuesques faits par les dirigeants du football français ces dernières années, malgré les alertes et les inquiétudes. Il formule également plusieurs propositions pour changer de paradigme, sortir de cette dépendance aux droits TV et, de nouveau, donner envie de regarder du football à la télévision.
Il y a six ans, avec Richard Bouigue, nous publions le livre Le foot va-t-il exploser ?1Richard Bouigue, Pierre Rondeau, Le foot va-t-il exploser ?, La Tour-d’Aigues, L’Aube/Fondation Jean-Jaurès, 2018. qui, en plus de proposer des solutions de régulation pour un meilleur football, plus inclusif et équilibré, alertait contre un risque d’implosion, d’éclatement de l’économie du sport numéro un sur Terre. Il présentait, à l’époque, des déséquilibres financiers et sportifs, et semblait, de plus en plus, échapper aux principaux concernés, les fans.
Trois ans plus tard, en 2021, sortait la suite avec Fin de partie pour le foot ?. Nous y mettions en avant que rien, absolument rien n’avait été fait pour changer les choses et les faire avancer positivement. Malgré nos appels et nos craintes, les dirigeants du football français étaient partis tête baissée vers des choix absurdes et ubuesques, misant sur une économie déconnectée des réalités, avec des contrats de diffusion ubuesques et intenables. Résultat, ce secteur avait frôlé la faillite durant la crise liée à la pandémie de Covid-19, en connaissant la défaillance de son principal diffuseur, Mediapro, et les conséquences de la pandémie.
Au total, les pertes, pour la seule première division professionnelle, avaient été estimées à 1,3 milliard d’euros et les dirigeants s’étaient imposés un nouveau cap, une nouvelle voie à suivre, une nouvelle trajectoire, quitte à voir véritablement le football exploser. Lors d’une audition devant les députés, l’ancien président de la Ligue de football professionnel (LFP) entre 2016 et 2020, Didier Quillot, parlait même de « croisée des chemins » : « Nous sommes à un croisement. Deux chemins s’offrent au football. D’un côté, celui de la régulation, de l’apaisement, du rééquilibrage, de la reconnexion. D’un autre côté, celui de la dérégulation, de la financiarisation, de la déconnexion totale avec les fans de football. Espérons que nous ne prenions pas ce chemin ». Malheureusement, il n’a pas été écouté.
Aujourd’hui, le football français apparaît exsangue, relégué, raccourci. Il n’a pas réussi à remonter la pente et a l’air d’être encore plus faible qui ne l’était il y a quelques années, malgré les investissements colossaux des Qataris au Paris Saint-Germain depuis 2011, malgré les performances de son équipe de France, malgré la reconnaissance, à l’international, de sa formation. Pour comprendre ce constat, il faut reprendre, point par point, tout ce qu’il s’est passé et observer les erreurs multiples qui ont été commises, malgré les alertes et les inquiétudes. C’est dans la petite histoire que nous allons comprendre ici la grande histoire.
Recevez chaque semaine toutes nos analyses dans votre boîte mail
Abonnez-vousUne très longue histoire
Revenons plusieurs années en arrière. L’économie du football professionnel s’est constituée, depuis les années 2000, autour d’un triptyque constitué par les droits de retransmission des rencontres, le trading de joueurs et le sponsoring. Nous sommes loin du modèle ancestral basé sur les subventions, la billetterie et le partenariat, encore dominant jusque dans les années 1980. Mais passé l’arrivée de la quatrième chaîne Canal+ et la normalisation des rencontres sportives à la télévision, ces droits de diffusion ont pris de plus en plus d’importance. De 800 000 euros en 1984, ils se retrouvent valorisés à plus de 200 millions d’euros au début des années 2000.
Les clubs devinent rapidement l’intérêt. Les rencontres attirent des téléspectateurs, bonifient les audiences, sont des produits d’appel pour les chaînes de télévision à péage. Il y a une logique gagnant-gagnant, les chaînes de télévision payent les clubs, diffusent les matchs, attirent des abonnés. Canal+ se place en position de quasi-monopole et devient partenaire historique. Il y a bien eu les tentatives, vaines, de TPS, du groupe TF1, à la fin des années 1990, ou de Orange, mais Canal+ garde la main. Seulement, sa suprématie ne soutient pas la valorisation des droits. Seul sur le marché, il a la primeur sur les propositions et la vente aux enchères n’est pas toujours très concluante. Durant les années 2000, alors que la plupart des droits des championnats européens, notamment anglais, espagnol et italien, explosent, la Ligue 1 stagne autour des 400 / 500 millions d’euros. Il faut alors attendre l’arrivée, en 2012, de la chaîne beIN Sports, du groupe télévisuel qatari Al Jazeera, pour redensifier la concurrence. D’un coup, sur l’appel d’offres 2012-2016, les droits dépassent les 600 millions d’euros. Ajoutez à cela la reprise du Paris Saint-Germain par le fonds souverain qatari QSI et le début d’une nouvelle ère pour le club de la capitale, les dirigeants du football français ont le sentiment qu’un avenir glorieux va subvenir.
Ainsi, beIN Sports s’impose rapidement dans le paysage audiovisuel français, récupère, à coût de centaines de millions d’euros, des droits sur de nombreuses compétitions, s’offre un catalogue conséquent et dépense sans compter. À l’époque, ses premières offres d’abonnement ne sont que de sept euros par mois, la chaîne réussit sans trop de difficulté à atteindre et pérenniser les trois millions d’abonnés. Quant à Canal+, présent dans l’Hexagone depuis 1984, avec une pluralité dans son offre, des séries, des films, du sport, il compte plus de sept millions d’abonnés.
En 2014, nouveau chapitre dans cette histoire : beIN veut récupérer l’intégralité des droits de la Ligue 1. Alors que jusqu’ici, il y avait un partage de diffusion entre les deux acteurs, Canal+ et beIN, le groupe qatari veut tout récupérer, avoir le monopole. Ils sont prêts à mettre 900 millions d’euros sur la table. Seulement, comme le révèlent les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, il faut attendre une intervention directe de l’Élysée, du président François Hollande, pour que le Qatar recule : « Il fallait protéger le cinéma français »2Gérard Davet, Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça. Les secrets d’un quinquennat, Paris, Points, 2017.. En effet, le modèle économique de Canal+ est intimement lié à celui du financement du cinéma français. Canal+ produit une grande partie des productions cinématographiques françaises, afin d’en être un diffuseur exclusif sur ses antennes, quelques mois après. Or, s’il perd le foot, il risque de perdre des abonnés donc des liquidités pour le cinéma. Sans l’apport de Canal+, c’est l’exception culturelle française qui peut être altérée. Le président Hollande décide alors de protéger la chaîne cryptée et, selon Gérard Davet et Fabrice Lhomme, a appelé directement l’émir du Qatar pour que beIN retire son offre intégrale.
Conséquence, alors que les droits auraient pu atteindre 900 millions d’euros dès 2016, ils ne montent qu’à 750 millions d’euros, avec co-diffusion entre Canal+ et beIN. Pourtant, dans l’esprit des dirigeants du football français, une petite musique commence à se faire entendre : « les droits peuvent valoir 900 millions d’euros voire, avec l’inflation, atteindre le milliard dès le prochain appel d’offres ». L’objectif, dorénavant, va être celui-là. Il faudra atteindre la barre fatidique du milliard, et tout va être fait pour que, sur la période 2020-2024, les droits du football français dépassent cette somme symbolique.
Nouvelle étape, en 2016 : Canal+ et beIN signent un accord de distribution exclusif. De concurrents, ils deviennent partenaires. Bien que l’autorité de la concurrence retoque cet accord – il ne sera définitif qu’en 2019 –, la Ligue de football professionnel s’inquiète et voit la concurrence, lors du prochain appel d’offres, prévu pour 2018, s’effriter. Il faut impérativement faire entrer un nouvel acteur, au risque de ne jamais pouvoir atteindre l’objectif du milliard. Pendant deux ans, la LFP va sonder de nombreux acteurs, va s’approcher de RMC Sport, nouvel entrant dans l’achat de droits, avec la Premier League et la Ligue des champions, ou de Discovery, à travers sa chaîne Eurosport. Mais pas grand monde n’a les moyens de poser le milliard. Un acteur, inconnu en France, va pourtant pointer le bout de son nez, le sino-espagnol Mediapro, déjà largement positionné en Espagne et propriétaire des droits internationaux de la Liga. Il est prêt à s’imposer en France et vient avec des garanties de son actionnaire chinois. Seulement, il n’a pas de chaîne en France, pas de réputation, pas de notoriété et aucun accord de distribution avec les opérateurs téléphoniques, Bouygues, SFR, Orange et Free. Qu’à cela ne tienne, il faut de la concurrence pour faire croître le montant des droits, la LFP va alléger ses contraintes qualitatives et faire entrer en grande pompe Mediapro sur la vente aux enchères de ses droits. Ces derniers, pleins de confiance, posent 780 millions d’euros sur les premiers lots et raflent 80% de la diffusion, au nez et à la barbe de Canal+ et de beIN. Le groupe qatari se positionnera sur un dernier lot, deux matchs par journée, pour 332 millions. Conséquence, en ajoutant les droits numériques de 42 millions d’euros, la Ligue 1 se retrouve valorisée à 1,15 milliard d’euros. Champagne ! Ils ont réussi, le football français devient le deuxième championnat le plus cher du monde, derrière l’Angleterre, mais devant l’Espagne ou l’Italie.
Seulement, rien ne va se passer comme prévu et c’est le début des problèmes. Mediapro, qui a les droits pour 2020-2024, et ce dès 2018, ne va pas vraiment chercher à les valoriser. Au départ, il compte les céder en sous-licence à Canal +, voire créer une chaîne en collaboration avec le groupe, comme il a toujours fait de l’autre côté des Pyrénées. Mais Canal+, qui n’a pas supporté de perdre ces droits, ne veut pas collaborer avec le groupe sino-espagnol et refuse toute entente, tout accord de distribution ou accord de sous-licence. Mediapro n’attendra que le mois de janvier 2020 pour commencer à travailler sur une chaîne indépendante, qu’il faudra lancer dès août 2020, avec le début de la saison 2020-2021. Malheureusement, dès mars 2020, la pandémie de Covid-19 commence et ses nombreux confinements. Les accords de distribution sont alors difficiles à mener et à conduire, comme le précisera son patron de l’époque, Jaume Roures, lors d’une audition devant des sénateurs. Finalement, la chaîne de Mediapro, Téléfoot, sera lancée dans l’indifférence générale, à l’été 2020, en pleine période de confinement, avec des rencontres sans spectateurs et des bars fermés, sans ferveur populaire.
En septembre 2020, Mediapro ne peut plus payer. En octobre, Jaume Roures annonce qu’il veut revoir le contrat. Le football français ne vaut plus un milliard, il n’est pas rentable, les ayants droit ne peuvent pas payer. Seulement 400 000 foyers se sont abonnés à Téléfoot, avec une offre à 25 euros par mois pour 80% de la Ligue 1 et 100% de la Ligue 2. Le groupe sino-espagnol profite même des mesures liées au Covid-19 d’aides aux entreprises pour maintenir la diffusion, entre octobre et janvier, sans s’acquitter du moindre versement. Il faudra attendre la décision du tribunal de commerce de Nanterre pour mettre fin au contrat et donner la diffusion du reste de la saison à Canal+, de retour dans la danse, pour moins de quarante millions d’euros. Entre-temps, un appel d’offres est de nouveau organisé, concernant les saisons 2021 à 2024, les trois dernières, sur les lots détenus alors par Mediapro. Canal+ se positionne, en collaboration avec beIN Sports, sur une offre fixe à 570 millions d’euros, plus une offre variable dépendante du nombre d’abonnés, permettant ainsi de monter jusqu’à 640 millions d’euros, en cas d’objectif atteint. Canal+, qui est revenu, dès janvier 2021, comme le sauveur, s’imagine qu’il sera écouté. Il a une expérience, un passif positif avec le football français, une notoriété, une image de marque et surtout plus de sept millions d’abonnés.
Pourtant, la LFP va (encore) lui faire faux bond et privilégier l’offre d’un nouvel acteur, l’Américain Amazon, venu récupérer les lots de Mediapro contre un chèque de 250 millions d’euros. Au total, avec Amazon, la Ligue se retrouve valorisée à 624 millions d’euros (332 millions payés par beIN Sports, 250 millions payés par Amazon et 42 millions d’euros pour les droits numériques payés par Free). Nous étions à 1,15 milliard en 2020, une piteuse déflation de 45%.
Ajoutez à cela la pandémie de Covid-19, les matchs à huis clos et le ralentissement économique, les pertes sont colossales pour le football français. Il faut trouver une solution et éviter la faillite. La solution viendra de Vincent Labrune, nouveau président de la LFP, élu en 2020. Dès 2021, il propose la création d’une société commerciale, afin de sortir de la dépendance de la Fédération française de football, et de vendre des parts de cette société commerciale à des investisseurs afin de récupérer une certaine somme. Comme n’importe quel acteur qui vendrait des actions de sa société afin de dégager des ressources de financement. Le choix se portera sur le fonds d’investissement luxembourgeois CVC Partners qui, contre 1,5 milliard d’euros, récupérera 13% des parts de la société commerciale de la LFP. Les clubs récupèrent une grande partie afin de faire face à leurs dettes et leurs créanciers. Mais à partir de 2024, soit dès la saison prochaine (qui débute dans un mois, le 16 août 2024), le fonds luxembourgeois va récupérer, sur une durée indéterminée, 13% de l’intégralité des revenus de la LFP. Il fallait sauver le soldat Ligue 1. Beaucoup critiquent ce deal, beaucoup s’insurgent contre ce contrat « à vie » qui garantit, sans aucune deadline, des revenus au fonds CVC, sur le dos des clubs. Oui, mais via leur prise de participation ils deviennent ce qu’on appelle, dans le milieu des affaires, des active partners, des acteurs participatifs et intéressés par la valorisation des revenus de la Ligue 1. Ils ne sont pas des sleeping partners qui, à travers un crédit, n’auraient été que des créanciers attendant simplement que les remboursements aient lieu. En devenant des active partners, ils deviennent des acteurs impliqués dans le développement du championnat de France et annoncent apporter tout leur savoir-faire et leur compétence pour fructifier le football français.
Depuis la pandémie, rien n’a changé
De nouveau, la confiance règne. Malgré la pandémie, malgré la déflation des droits, malgré l’épisode Mediapro, la gouvernance du football se dit que des jours meilleurs sont devant eux, ils ont dorénavant l’aide d’un fonds d’investissement richissime, cela ne pouvait pas mieux se passer. En juin 2023, dans la préparation de l’appel d’offres 2024-2029, Vincent Labrune annonce la couleur : « on vise aux alentours du milliard d’euros ». En septembre 2023, un appel d’offres est lancé, avec un prix de réserve sur les droits nationaux, fixé à 800 millions d’euros, et l’espérance de droits internationaux à 200 millions d’euros. En octobre 2023, l’appel d’offres est déclaré infructueux. Personne ne s’est positionné, personne. Littéralement personne.
Personne ne croit en la rentabilité d’un football français à 800 millions d’euros. Canal+ ne veut plus y aller. Après avoir été relégué par la LFP comme simple acteur secondaire, le groupe s’est positionné sur le football anglais et les compétitions européennes. Aux dires de son président, Maxime Saada, ils n’ont plus les moyens d’investir dans le foot français. Quant à beIN Sports, il ne veut plus dépenser sans compter. Et Amazon, nouvel acteur, s’est rendu compte que même avec une offre mensuelle à 12,90 euros pour son Pass Ligue 1, il n’a jamais réussi à dépasser les 1,8 million d’abonnés. Entre octobre 2023 et juillet 2024, il ne se passe rien. Hormis le groupe britannique DAZN (prononcez « Da Zone »), personne ne veut y aller, personne ne croit en la capacité de dégager des bénéfices par l’intermédiaire du football français. Les clubs ne peuvent pas construire de budget prévisionnel, ne peuvent pas dégager des fonds pour le mercato, tout est au point mort, rien n’avance.
En mai 2024, alors que rien ne bouge, la LFP révèle travailler à la création d’une chaîne indépendante, autonome, directement gérée par la société commerciale, afin de dépasser le blocage contractuel avec les diffuseurs. Plutôt que de signer un contrat avec une chaîne de télévision, la ligue gérerait directement la production et la diffusion des matchs et s’occuperait de la commercialisation. En retour, son chiffre d’affaires sera fluctuant et dépendra uniquement du nombre d’abonnés potentiels. Selon différents experts interrogés, ce système sera l’avenir de la télévision. Or, il est extrêmement risqué et intimement lié au succès du championnat : s’il attire, il y a un certain nombre d’abonnés et le chiffre d’affaires de la chaîne gonfle. S’il ne soulève pas les foules, c’est un flop, et les revenus sont faibles. L’avantage aussi est de sensibiliser directement les acteurs, qu’ils soient parties prenantes de l’écosystème, actionnaires directs, et donc doivent travailler en bonne intelligence pour soutenir et médiatiser le championnat. Qu’ils ne soient pas juste des sleeping partners à attendre que le diffuseur fasse son travail. Mais les dirigeants n’ont pas besoin de cela, ils ont besoin de certitudes, de rentrées financières, de cash, ils ont bien trop souffert des crises successives et ne veulent pas imposer une révolution dans la commercialisation et la médiatisation du football. L’idée ne prend pas.
On se dirige alors tout droit vers une conclusion standard, avec des diffuseurs. Et c’est chose faite le 14 juillet dernier, avec l’annonce d’un co-diffusion entre le britannique DAZN avec huit matchs sur neuf pour 400 millions d’euros, et beIN Sports avec l’affiche par journée (une fois sur deux, le reste du temps beIN n’aura que le deuxième choix) pour 100 millions d’euros. Les droits nationaux de la Ligue 1 française tombent à 500 millions d’euros, alors que tous les dirigeants espéraient le milliard. Et sur cette somme, 13% seront ponctionnés par CVC, en tant qu’actionnaire de la société commerciale. Vous ajoutez à cela la taxe Buffet de 5% en faveur du sport amateur, la taxe FAFA (Fonds d’aide pour le foot amateur) de 2,5%, le reversement de solidarité vers les clubs de Ligue 2 et le financement des syndicats, ce sont seulement 300 millions d’euros que devront se partager les 18 clubs de Ligue 1 dès la saison 2024-2025. Quel succès…
Mais ce n’est pas tout. Au-delà de la déflation subie de la valeur des droits, une nouvelle inquiétude se présente : celle du succès du modèle économique de DAZN. Une fois l’annonce faite, la presse a dévoilé le projet de chaîne du groupe britannique : 35 à 40 euros par mois pour huit matchs de Ligue 1 sur neuf, les droits de la Ligue des champions féminine, du championnat de France de basket, de quelques combats de MMA, de sports automobiles, etc. Autant d’argent pour un catalogue relativement peu attractif. Avec la comparaison des échecs de Téléfoot, à 400 000 abonnés pour 25 euros par mois et le Pass Ligue 1 d’Amazon, à 12,90 euros et seulement 1,8 million d’abonnés. Si l’on ajoute l’offre de beIN Sports, il faudra donc dépenser environ 50 euros par mois pour regarder la Ligue 1 française.
Les dirigeants de la LFP sont en train de tuer le football français, de l’invisibiliser. Ils ont perdu tout sens commun, n’ont pas conscience que les fans n’en peuvent plus de payer, n’en peuvent plus de changer d’abonnement tous les ans, n’en peuvent plus d’être pris pour des vaches à lait. Il faut résolument changer de logiciel, changer de paradigme, sortir de cette dépendance aux droits TV et, de nouveau, donner envie de regarder du football à la télévision.
Le football doit changer. Quelques propositions
Certes, l’idée d’une chaîne LFP autonome était intéressante et aurait pu permettre de responsabiliser les dirigeants des clubs, de les forcer à participer au développement, à la médiatisation et à la popularité du football. Un expert interrogé, en coulisses, pariait même sur l’idée d’un abonnement à la carte, club par club, permettant ainsi de rendre accessible à peu de frais les rencontres de son équipe. « Imaginez que pour 15 euros par mois, vous n’ayez accès qu’aux rencontres de votre équipe préférée. Mais si vous voulez un service sans publicité, avec du contenu premium, pouvoir voir d’autres rencontres, il faudra payer plus, avec de multiples abonnements différenciés ». Mais le contexte n’y était pas favorable. Inversement, cela n’est pas en cédant pour cinq ans des droits à un acteur inconnu et au modèle économique plus que douteux que l’on va pouvoir redonner le goût du football. Il faut une action globale, collective, qui va dans le sens du bien commun et du progrès. En 2021, les députés Régis Juanico et Cédric Roussel avaient présenté leur rapport, après une mission d’enquête parlementaire, sur les droits de retransmission du football. Ils avaient fait état de plusieurs propositions, comme la création de rencontres d’importance régionale, sur le même registre que les rencontres d’importance majeure qui ont l’obligation d’être diffusées en clair à la télévision. Cela revenait à considérer moins d’une dizaine de matchs par saison obligatoirement diffusables en clair, pas forcément les plus grandes affiches, comme le classico PSG-OM ou un OM-Lyon, mais des matchs ayant un intérêt régional, comme des derbys Lens-Lille, Lyon-Saint-Étienne ou Rennes-Nantes. Et ce dans le but de favoriser la visibilité et donc la popularité du football français.
Dans la lignée des députés Roussel et Juanico, pourquoi ne pas imposer un lot d’un match en clair par journée, toujours dans l’idée d’assurer la visibilité du football ? Pas forcément la plus grande affiche, mais garantir que l’intégralité des téléspectateurs puissent avoir accès, chaque semaine, à des rencontres de la première division du championnat de France, assurer à ce que tous les clubs soient diffusés sur toute la saison et négocier ce lot auprès de chaînes de la TNT.
Aussi, il faut sortir de la télé-dépendance et fixer des ratios à ne pas dépasser lors des dépôts de budget prévisionnel devant la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG). Il ne faut pas qu’un club soit dépendant à plus d’un tiers des seuls gains des droits TV, au risque de faire face à de lourdes déconvenues en cas d’échec du diffuseur ou de déflation des droits. Afin de soutenir ces ratios, il conviendrait aussi d’améliorer le partage et la dotation et de tendre vers une redistribution plus égalitaire, sur le modèle de la Premier League anglaise. Permettre à ce que tout un chacun ait suffisamment de dotation et soutenir l’intensité compétitive. Il ne faut pas, notamment, que l’écart de dotation entre le premier et le dernier du classement soit supérieur à trois mais tendre vers un écart de deux, voire de 1,5, comme c’est le cas en Angleterre.
De même, tout le principe du droit et de la mise en vente de ces droits doit être revu. Il date de 2003 et de la loi Lammour3La loi Lammour, du nom du ministre des Sports Jean-François Lammour, sous la présidence de Jacques Chirac, entre 2004 et 2007, est une loi qui fixe et définit les modalités de mise en vente des droits de retransmission et de diffusion des compétitions sportives professionnelles. Cette loi avait été demandée par une majorité de clubs, à la fin des années 1990, lorsque le Paris Saint-Germain, l’Olympique de Marseille et le RC Lens souhaitaient organiser eux-mêmes la cession de leur droit de diffusion (cf. Christophe Bouchet, Main basse sur l’argent du foot français, Paris, Éditions Robert Laffont 2024) et sortir de l’autorité de la LFP. et n’a pas été remis à plat depuis. Il est trop contraignant vis-à-vis des acteurs, avec l’obligation de séquencer les compétitions en de multiples lots, empêche les discussions directes, au nom de la protection de la concurrence, et ne permet pas de signer des contrats de plus de cinq ans. Outre-Atlantique, aux États-Unis, les contrats peuvent être négociés sur dix ans maximum, ce qui rassure les investisseurs. Résultat, les droits des sports nord-américains sont parmi les plus élevés au monde, dix milliards de dollars par saison pour la NFL et 6,9 milliards de dollars pour la NBA.
Il y a beaucoup de propositions à mettre en place et de choses à réaliser. Il faut réfléchir et étayer les mesures à prendre, définir un plan d’attaque, projeter un business model et un cahier des charges. Le travail est lourd car le football n’est pas sauvé, loin de là. Nous avions déjà alerté en 2018, pas grand-chose a changé. Et cette fois-ci, si cela ne fonctionne pas sur la cession 2024-2029, pas sûr que le foot puisse de nouveau s’en sortir…
- 1Richard Bouigue, Pierre Rondeau, Le foot va-t-il exploser ?, La Tour-d’Aigues, L’Aube/Fondation Jean-Jaurès, 2018.
- 2Gérard Davet, Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça. Les secrets d’un quinquennat, Paris, Points, 2017.
- 3La loi Lammour, du nom du ministre des Sports Jean-François Lammour, sous la présidence de Jacques Chirac, entre 2004 et 2007, est une loi qui fixe et définit les modalités de mise en vente des droits de retransmission et de diffusion des compétitions sportives professionnelles. Cette loi avait été demandée par une majorité de clubs, à la fin des années 1990, lorsque le Paris Saint-Germain, l’Olympique de Marseille et le RC Lens souhaitaient organiser eux-mêmes la cession de leur droit de diffusion (cf. Christophe Bouchet, Main basse sur l’argent du foot français, Paris, Éditions Robert Laffont 2024) et sortir de l’autorité de la LFP.