Quelle est la vision du sport du Rassemblement national ?

Alors que la France se prépare à accueillir les Jeux olympiques à Paris, les élections législatives occupent l’actualité. Pourtant, le Rassemblement national, en tête des intentions de vote, ne formule aujourd’hui aucune proposition sur la question sportive. Richard Bouigue et Pierre Rondeau, codirecteurs de l’Observatoire du sport de la Fondation, montrent qu’il opère pourtant dans les villes qu’il administre une politisation du sport en conditionnant ses actions en faveur de sa propre idéologie.

Après la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République et l’organisation de nouvelles élections législatives, le Rassemblement national (RN) apparaît comme le grand favori et pourrait l’emporter, former une majorité et constituer un nouveau gouvernement. Pour la première fois dans l’histoire de la République, un mouvement ouvertement nationaliste, raciste et xénophobe prendrait le pouvoir et les rênes du destin politique français.

Et si sur certains points, nous savons précisément ce que propose le parti de Jordan Bardella, un en particulier n’a pas la moindre citation ou trace dans les lignes programmatiques du RN : le sport.

Personne ne sait ce que pense le RN à propos du sport

Alors que ce secteur pèse plus de 2% du PIB français et génère 400 000 emplois directs et indirects, le RN semble n’avoir aucune vision pour le sport1« La filière sport : les challenges d’une championne », BPCE L’Observatoire, économie du sport, janvier 2023.. Aucune personnalité ne se dégage dans ce camp pour porter haut les valeurs sportives, pour défendre un modèle typique du Rassemblement national. Lorsque le RN avait obtenu des députés et, comme en 2022, constitué un groupe parlementaire, les élus extrémistes étaient, lors des travaux à l’Assemblée nationale, aux abonnés absents en commission ou en audition. Ils n’ont pas participé au vote du projet de loi pour la démocratisation du sport, en 2022, qui actait le développement et l’aide au secteur amateur et, en même temps, la modernisation de la structuration des ligues professionnelles (avec l’autorisation d’une création d’une société commerciale).

Globalement, c’est factuel, on ne sait rien du RN en matière sportive. Sur la question de la redistribution et du ruissellement, sont-ils pour les taxes affectées, pour la taxe Buffet, la taxe sur les paris sportifs et la taxe sur les jeux de hasard ? Sont-ils pour les supprimer ? Pour les déplafonner ? Pour les augmenter ? Et quel fléchage ? Sont-ils pour donner plus au secteur amateur ? Au secteur sportif d’élite ? Pour imposer un choix et des critères ou redistribuer de manière universelle ? Sur la question du fléchage du budget de l’Agence nationale du sport (ANS), faut-il intégrer le critère de médaillabilité ou soutenir le plus grand nombre de sportifs de haut niveau ? De même, l’ANS ? Sont-ils pour la délégation au profit du mouvement sportif ou préféraient-ils un retour à une planification étatique ? Et quid des compétitions sportives d’importance majeure ? Veulent-ils maintenir le régime fiscal spécifique accordé à ces événements, ce qui a permis à la France d’obtenir l’organisation de l’Euro 2016 de football, de la Coupe du monde féminine de football 2019, de la Coupe du monde de rugby 2023 ou encore des Jeux olympiques et paralympiques 2024, et bientôt une candidature pour les Jeux olympiques 2030, ou souhaitent-ils sa suppression ? D’ailleurs, ces jeux d’hiver 2030, les veulent-ils sur le territoire ? On n’a jamais entendu personne du RN en parler, pour applaudir ou critiquer. Et que dire encore de la parité et de la défense du sport féminin ? Le RN veut-il imposer l’égalisation des primes des joueuses et des joueurs en sélection, dès lors qu’une fédération est une délégation de service public, ou faire confiance aux lois du marché ? Et concernant la médiatisation, le parti d’extrême droite escompte-t-il modifier le décret de 2004 imposant la diffusion en clair des événements sportifs d’importance majeure afin de favoriser la visibilité du sport féminin, ou ne veut-il pas y toucher ? Puis d’ailleurs, le RN a-t-il une opinion sur la question des droits TV, sur leur modalité de redistribution et de partage, sur les problématiques de renégociation et de distribution ?

Les visions de chaque camp politique étaient jusqu’ici identifiables

Sur tous ces points, nous n’avons aucune réponse. Avec tous les autres partis, de La France insoumise aux Républicains, il est possible d’apporter des éléments, de percevoir les prémisses d’un modèle, d’un idéal. Nous savons, par exemple, que la droite française, après différentes propositions de loi ou amendements déposés à l’Assemblée nationale ou au Sénat, soutient la baisse voire la suppression des taxes affectées pour le sport, le renforcement des critères d’élitisme et d’excellence dans le fléchage des fonds dédiés au sport ou encore le maintien des régimes fiscaux spécifiques pour les compétitions sportives. Ce camp adhère à l’idée de l’indépendance financière du sport, le sport financerait directement le sport, sans passer par la tutelle ou la dépendance publique. De l’autre côté, la gauche française fait apparaître un modèle de redistribution et de partage, avec un déplafonnement des taxes affectées, défendu notamment par l’ancien député socialiste Régis Juanico, un rehaussement des aides accordées au sport, une modification des critères de redistribution en faveur d’un universalisme avant un élitisme couplé à un soutien des athlètes de haut niveau, avec un régime de cotisation retraite spécifique et un statut spécifique. Encore plus à gauche, avec La France insoumise, certains militent pour le plafonnement des salaires des footballeurs ou encore pour une diffusion gratuite et en clair à la télévision d’un plus grand nombre de rencontres sportives, notamment du championnat de France de football.

Dans le camp de la majorité présidentielle, le sport a une importance toute particulière, avec un maintien inchangé des taux et des plafonds des taxes affectées pour le sport mais une augmentation de la part publique, à travers une augmentation du budget de l’ANS et du ministère des Sports. Entre 2017 et 2024, le budget du ministère des Sports, sous la présidence d’Emmanuel Macron, est passé de 480 millions d’euros par an à 1,2 milliard d’euros. Un proche de l’Élysée reconnaît qu’il s’agit là d’une volonté claire et assumée : « Nous refusons l’idée d’un financement du sport par le sport, y compris à travers les taxes affectées. […] Déplafonner la taxe Buffet ou faire croître le montant prélevé des paris sportifs, pour répondre à l’injonction du CNOSF notamment, reviendrait à dire que l’État n’a plus à financer directement le sport français. […] La logique solidaire se transformerait en une logique verticale, du sport professionnel vers le sport amateur. Mais cela reviendrait aussi à supprimer la part de financement majoritaire de l’État, qui ne sera pas compensée par le déplafonnement de la taxe Buffet ou la hausse des prélèvements du sport français ».

Seulement, cette vision est aussi celle de l’excellence. Si l’État donne, l’État doit aussi recevoir. Pour Emmanuel Macron, certes le décideur public aide et protège les athlètes portant haut les couleurs de la France, mais pas gratuitement. Depuis 2019, l’ANS a intégré des critères de médaillabilité et impose dorénavant des résultats, lors des compétitions sportives internationales, en échange de subventions. Comme un des auteurs de cette note l’écrivait sur Slate, « c’est cela la philosophie politique du président Macron : l’État reste fort, mais ses décisions sont pragmatiques et anticipées, réfléchies et ciblées, conditionnées et délimitées. Ça n’est pas du néolibéralisme mais une forme d’interventionnisme choisi, du libéralisme pragmatique ».

Si l’on peut résumer en quelques mots, la vision sportive de la droite serait : « il ne faut pas trop donner et trop taxer afin de ne pas altérer les finances publiques. Seuls les meilleurs sportifs peuvent recevoir ». La gauche dirait : « il faut favoriser la redistribution et le partage des forces en présence. Aider le plus grand nombre afin de bénéficier d’un effet de ruissellement à terme ». Et le centre répondrait : « d’accord pour aider, et aider plus car le sport est un bienfaiteur positif à impact sociétal fort, mais à une seule condition : celle de gagner ». Et du côté du RN, rien. On n’en sait pas plus.

Le local apporte des éléments d’analyse

Peut-être qu’à un échelon plus local, là où le RN a déjà occupé des postes à responsabilité avec des gestions de villes de plus de 10 000 habitants pendant plusieurs mandatures, on pourrait voir apparaître une vision, une méthode. C’est en tout cas tout le travail de Valentin Guéry, docteur en STAPS et rattaché à l’Institut des sciences sociales du politique. Dans sa thèse2Valentin Guéry, Usages politiques de l’apolitisme sportif : entre institution partisane et institution municipale : une socio-histoire de la prise en charge des activités physiques et sportives par le Front national-Rassemblement national (1972-2022), 2023. publiée en 2023, il s’intéresse à « la manière dont sont pensées et qualifiées politiquement les activités physiques et sportives par le Front national/Rassemblement national, parti qui place la défense de la nation au cœur de son corpus idéologique, depuis 1972 ». Le chercheur montre le caractère dichotomique de la pensée FN/RN entre ce que devrait être la politique locale sportive, supposément apolitique, neutre, subventionnant sans contrainte les clubs et les associations sportives, et le caractère choisi de l’action locale des maires et des élus FN/RN. À chaque fois, depuis 1972, le sport – mais aussi la culture – devient une variable d’ajustement dans les décisions budgétaires et contraint les acteurs à respecter un dogme politique très particulier : on ne critique pas, on ne fait pas l’apologie ou on ne défend pas telle ou telle idéologie, qu’elle soit sociale, politique ou religieuse. Les sections s’affichant ouvertement vers tel ou tel parti, comme des associations sportives à but social, d’inclusion et d’ouverture, voient leur subvention être coupée du jour au lendemain.

Localement, le RN politise le sport en conditionnant ses actions en faveur de sa propre idéologie. Les idéaux d’universalisme et de neutralité, d’apolitisme sportif, sont donc bafoués au profit d’une rhétorique ségrégationniste. Avec le RN, on tend vers « une difficile conciliation entre deux registres contradictoires, à savoir d’un côté une conformation à des pratiques, des représentations et des discours inhérents aux activités physiques et sportives largement partagés au sein du champ politique, et de l’autre une démarcation qui se caractérise par des entreprises de politisation et une remise en cause de la frontière entre espaces politique et sportif, autrement dit par une rupture du consensus de l’apolitisme sportif »3Ibid..

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Localement, le RN broie et détruit le mouvement associatif sportif

Dans son Livre noir des villes FN publié en décembre 2015, le Parti socialiste recensait plusieurs exemples de clubs sportifs qui avaient vu leurs subventions diminuées. À Cogolin (Var), la subvention allouée au club de basket-ball était passée de 20 000 à 3 000 euros (en baisse de -85%). À Fréjus (Var), celle du club nautique de voile avait diminué de 30%. Ou encore à Hayange (Moselle), la subvention au club de football de la ville s’établissait à 10 700 euros contre 30 000 euros précédemment.

Les relations tumultueuses entre le Rassemblement national et le football ne sont pas récentes. Le parti d’extrême droite s’en est toujours pris à l’équipe de France, d’abord accusée d’être trop colorée car il est « artificiel qu’on fasse venir des joueurs de l’étranger en les baptisant équipe de France »4Rémy Fièvre, « Bleus de France : union multicolore contre les discriminations de Le Pen », Libération, 25 juin 1996. ou remettant en cause le caractère français de certains internationaux. « Karim Benzema est un Français de papier, mais se dit lui-même Algérien par le cœur : il n’a qu’à jouer pour l’équipe algérienne. Mais les salaires sont bien moins importants en Algérie », avait par exemple tweeté le sénateur RN Stéphane Ravier, passé aujourd’hui dans le camp de Reconquête ! d’Éric Zemmour. « Le football, qui s’est toujours adressé aux classes populaires, aux populations issues de l’immigration, ne représente pas la nation telle que le [RN] l’imagine », selon Paul Dietschy, historien du sport5Alexis Delcambre, « Entre l’équipe de France de football et l’extrême droite, trois décennies d’attaques et de ripostes », Le Monde, 17 juin 2024..  

Ces tensions sont à l’œuvre dans les villes conquises par le FN en 2014. À Mantes-la-Ville (Yvelines), le maire s’acharne contre le club de football local, le FC Mantois, qui avec près de 1000 licenciés et une équipe qui évolue en CFA est l’un des plus grands clubs des Yvelines et de la région parisienne. Avec l’arrivée du maire d’extrême droite, la subvention de la ville est passée en deux ans de 77 500 euros à…15 112 euros – soit une baisse de près de 80% ! Pour justifier ses décisions, le maire frontiste n’a ainsi pu s’empêcher de reprocher aux dirigeants du FC Mantois de parler comme des « z’y-va de banlieue »6Éric Farel, Maxime Fieschi, Mehdi Gherdane, Pascal Wallart, Ma ville couleur bleu marine, Paris, Flammarion, 2015, p. 269..

À Beaucaire (Gard), le Stade beaucairois, modeste pensionnaire de division d’honneur régionale (7e division nationale), a vu sa subvention municipale baisser de moitié. L’enveloppe financière est passée de 80 500 euros à 40 000 euros sur un budget global de 130 000 euros. Une mesure drastique qui met en péril l’un des plus anciens clubs du Gard, fondé en 1908. Laurent Quinto, son secrétaire général, n’a pu que constater qu’« apparemment, le FN n’aime pas trop le ballon, on est peut-être un peu trop cosmopolite… »7Adrien Pécout, « À Beaucaire, aussi, la mairie FN s’en prend au club de football », Le Monde, 14 avril 2015.. À Fréjus (Var), en deux ans, il y a eu une baisse de 110 000 euros (soit -22%) de la subvention au club de l’Étoile sportive fréjusienne qui évolue en national ; la promesse du maire de construire un nouveau stade s’est assortie d’une nouvelle condition : la montée de l’équipe en ligue 2 – une manière de dégager en touche…8Ibid..

Le constat est simple. Le RN ne place pas le sport au centre de ses politiques locales, ne le considère pas comme partie intégrante de la politique de la ville et lui attribue un rôle secondaire de variable d’ajustement au service de sa vision raciste, xénophobe et islamophobe. Une fois élus, les cadres du parti méprisent et méjugent le sport, le renvoyant à une image biaisée, caricaturale et fausse. Aucun ténor ne perçoit pourtant le caractère profondément important du sport local, assurant l’intégration, la fraternité et soutenant le vivre-ensemble. Aux manettes à échelle nationale, le risque est grand de voir opérer un détricotage inquiétant du tissu associatif du sport français.

Le monde du sport s’inquiète du RN au pouvoir

Pour résumer, personne ne sait ce que le RN souhaite faire pour soutenir le sport amateur, le sport d’élite, le sport de haut niveau. Voudraient-ils vraiment agir ? Continueront-ils à soutenir l’excellence de la formation française reconnue à travers le monde ? Maintiendront-ils les taxes affectées, les budgets de l’ANS et du ministère des Sports ou détruiront-ils le fonctionnement du système sportif français, facteur de ruissellement, de performance et de fierté nationale ? Autant de questions pour lesquelles nous n’avons pas de réponse.

D’ailleurs, en avril 2022, durant l’entre-deux tours de la présidentielle, une cinquantaine d’acteurs du sport et d’athlètes de haut niveau, comme Marie-José Pérec, Tony Parker, Clarisse Agbegnenou ou Nikola Karabatic s’étaient ouvertement déclarés, dans Le Parisien, opposés à la victoire du RN et de Marine Le Pen : « Nous, sportives et sportifs français de tous horizons et de toutes disciplines, ne pouvons imaginer que ce moment historique soit marqué du sceau d’une présidence d’extrême droite. Si nous sommes pleinement conscients des difficultés que traversent de nombreux Français, nous avons la conviction que le vote pour un parti qui mettrait en danger les valeurs républicaines serait le pire des remèdes. Le sport auquel nous croyons, celui des valeurs de l’olympisme, est fait d’amitié et de respect ; il est le lieu de la mixité. Il refuse toutes les discriminations. Partout sur le territoire, dans nos villes, nos banlieues et nos campagnes, le sport est un remède puissant à l’exclusion. […] C’est parce que nous croyons en ce sport-là, fraternel et inclusif, que nous nous engageons pour éviter que notre nation place à sa tête une présidente qui incarne tout le contraire, la stigmatisation de l’autre, le repli sur soi, le nationalisme ».

Dans le camp adverse, aucun sportif, aucun acteur de ce secteur ne s’est ou s’était déclaré en faveur de l’extrême droite et du Rassemblement national. Tout le monde admet qu’une victoire du RN aux législatives serait un grand danger et que le monde du sport pourrait être bouleversé négativement et durablement.

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