Martin Schulz est triomphalement élu, le 19 mars 2017, à la tête du SPD, le parti social-démocrate allemand. L’ancien président du Parlement européen entre ainsi, sous les meilleurs auspices, dans la course à la chancellerie fédérale. Gabriel Richard-Molard suit, pour la Fondation Jean-Jaurès, les débuts de cette campagne.
Spectaculaires 100% ! 100% des suffrages exprimés pour Martin Schulz, l’ancien président du Parlement européen qui a été élu ce 19 mars nouveau président du SPD, la « veille dame » qui fête cette année plus de 150 ans d’existence. Les esprits chagrins ou facétieux ne manqueront pas de faire des comparaisons audacieuses. Même la figure de la résistance sociale-démocrate durant le nazisme, Kurt Schumacher, président du parti entre 1948 et 1952, n’avait récolté que l’assentiment de 244 sur les 245 délégués du parti, soit 99,71%. Historique victoire donc pour Martin Schulz qui contribue ainsi à un climat euphorique au sein de son parti et qui laisse la perspective de remporter la chancellerie fédérale se rapprocher.
La grande réconciliation
L’enfant prodige de Würselen est revenu. Martin Schulz en campagne en 2009 pour les élections européennes commençait souvent ses discours par une boutade en disant : « Je suis un enfant de Würselen, ce nom sonne bizarrement et non, ce n’est pas une ville de la côte turque mais bien un petit bourg aux frontières de la Hollande, de la Belgique et du Luxembourg ». Schulz l’Européen, l’ancien président du Parlement européen et le candidat de la gauche européenne pour la Commission européenne, revient en Allemagne pour gagner l’élection fédérale contre la chancelière Merkel. Cette perspective qui pouvait paraître il y a quelques mois comme fantasque s’imprime petit à petit dans l’esprit de la gauche allemande comme une possibilité solide. Avec des sondages très positifs, qui affichent le SPD à la hauteur du parti d’Angela Merkel depuis plus de trois semaines, le vent semble tourner et l’élection de Martin Schulz arrive à un moment de confluence entre ces bons sondages et des militants soudés et motivés derrière un candidat qui profite très largement de leur soutien.
Le SPD a cette grande qualité que, indépendamment du candidat ou même de son secrétaire général (actuellement Katharina Barley, reconduite également à Berlin dimanche 19 mars), sa structure et ses administrateurs procèdent de manière extrêmement professionnelle et ne fluctuent pas au gré des changements de majorité interne. Ce professionnalisme mis au service des candidats fait indubitablement la différence par rapport à des candidats dans d’autres États membres s’appuyant d’abord sur leurs anciens collaborateurs politiques. Soutenu massivement par la structure du parti pour effectuer un retour en politique allemande, Martin Schulz est au cœur de la stratégie de communication que le parti a mis en place, communiquant très largement depuis son retour annoncé le 24 novembre dernier sur les « dizaines de milliers de nouveaux adhérents » suscités directement par Martin Schulz et sur le fait que le parti est en phase de redevenir un « parti de masse », marqueur essentiel pour le SPD afin de continuer à asseoir sa légitimité dans le paysage politique allemand. La stratégie de long terme autour du retour de Martin Schulz à la politique nationale porte clairement ses fruits avec un gain net de 12% d’intentions de vote entre novembre 2016 et mars 2017.
À Berlin-Treptow, ce 19 mars, Martin Schulz a été officiellement élu président du SPD et candidat à l’élection pour la chancellerie fédérale. Après un discours d’adieu de Sigmar Gabriel, président sortant, Martin Schulz a entamé son intervention sur l’axe principal de mobilisation au sein de son parti qui est celui de la réconciliation et du vivre-ensemble, notamment dans son parti toujours déchiré par les conséquences économiques de l’agenda 2010 initié par Gerhard Schröder. Cet agenda, qui est vu par une grande majorité d’économistes comme la raison de l’augmentation de la compétitivité de la République fédérale, est surtout très critiqué pour être la principale cause de l’aggravation de la précarité de l’emploi et la de flexibilisation des contrats de travail qui amène aujourd’hui l’Allemagne à un niveau de pauvreté historiquement haut (une personnes sur quatre vivant sous le seuil de pauvreté quand le même indice est en France d’une personne sur sept). Martin Schulz ne veut pas raviver les vieux démons de la gauche allemande mais propose une extension des indemnités de chômage longue durée à deux ans, l’ouverture de parcours facilités pour la réinsertion professionnelle et la formation continue et un nouveau dialogue avec les syndicats dont le SPD s’était peu à peu distancé pendant les années de grande coalition. Malgré le ménagement des susceptibilités social-libérales au sein du parti et notamment du célèbre groupe des « Seeheimer », il met donc la barre à gauche pour ramener au sein du parti les travailleurs pauvres, laissés pour comptes de l’agenda 2010.
Habile. En clôturant ainsi une parenthèse difficile au sein du SPD, Martin Schulz fait œuvre de rassembleur et place le curseur de la campagne à gauche, s’assurant ainsi le soutien de larges pans du parti qui étaient devenus ouvertement critiques face à la direction du parti incarnée par Sigmar Gabriel. Les adversaires politiques de Martin Schulz l’aident par ailleurs dans sa démarche de rassemblement à sa gauche puisque la critique de Wolfgang Schäuble, qui le qualifie ouvertement de populiste, fin janvier 2017, en l’affublant du titre de « Trump allemand », aura eu finalement comme effet de rassembler encore plus la gauche derrière l’ancien président du Parlement européen.
Maturité de la responsabilité politique
Certains commentateurs s’interrogent sur le nouveau style Schulz. Très flou sur son programme, il donne pour certains l’impression de capitaliser des nouveaux soutiens principalement par son style : charismatique, proche des gens, empathique et volontaire. D’autres voient là une adaptation au style de la chancelière, souvent caricaturée de chancelière en « téflon » en référence à sa capacité ne pas être « accrochée » par les sujets politiques majeurs et d’importance. Pour eux, Martin Schulz en serait devenu le pendant social-démocrate, ne proposant pas d’évolutions majeures mais survolant avec flamme les sujets politiques majeurs.
Ce regard sur la candidature du social-démocrate fait écho au moment difficile que la chancelière et son parti sont en train de vivre. En la fin de ce troisième mandat, bien que très largement désignée par son parti comme candidate et présidente de son parti, Angela Merkel est présente sur plusieurs fronts en même temps, ce qui n’arrange en rien son entrée officielle en campagne.
Sur le front international et européen tout d’abord, Angela Merkel semble avoir progressivement endossée seule (le gouvernement français étant jusqu’ici plutôt discret) la responsabilité de la gouvernance politique européenne dans son ensemble, en effectuant un déplacement à Washington pour rencontrer le nouveau président américain, en s’entretenant avec Vladimir Poutine le 2 mai prochain, ou en ayant été la cheville ouvrière de l’accord de prolongation de Donald Tusk à la présidence du Conseil européen. Pour parachever ce tableau, Angela Merkel est en première ligne des critiques extrêmement violentes venant de la Turquie de la part du camp Erdogan qui l’acccuse directement d’avoir soutenu la tentative de putsch et d’avoir utilisé des méthodes « nazies ». L’interdiction pour l’État turc d’organiser des meetings de soutien au président Erdogan, sur le territoire de certains Länder allemands, n’ayant ici rien arrangé.
À ce front extérieur s’ajoute le front intérieur, où de nombreuses critiques s’élèvent dans son propre camp sur le fait que la chancelière apparaît ne pas encore être en campagne, au moment même où l’engouement pour Martin Schulz fait planer de très mauvais résultats sur les élections régionales organisées en Sarre (le week-end du 25 mars), au Schleswig-Holstein (le 7 mai) et surtout dans le plus grand Land d’Allemagne, la Rhénanie du Nord-Westphalie (le 14 mai), où le SPD est à plus de 15 points dans les sondages devant la CDU. Plusieurs victoires de la SPD dans ces Länder très importants auraient pour conséquence directe une majorité encore solidifiée au Bundesrat (Chambre haute) et un précédent politique immédiat de mauvais augure pour le parti de la chancelière à l’horizon de l’élection législative. La chancelière temporise comme elle le fait souvent et aurait déclaré au bureau politique de la CDU se réjouir d’une « saine compétition politique ». Angela Merkel agit là, fidèle à elle-même, comme en 2013 et 2009 où elle n’était entrée que très tardivement en campagne.
Une nouvelle campagne
À six mois de l’élection, il est à l’évidence difficile de prévoir avec exactitude les équilibres politiques de septembre prochain à l’issue de l’élection législative. Plusieurs inconnues demeurent et le resteront encore pour quelques semaines. Malgré les nouvelles attaques frontales de Martin Schulz contre le parti d’extrême-droite AfD qu’il a taxé lors de son discours d’investiture de « honte pour l’Allemagne », l’AfD reste stable dans les sondages depuis plusieurs semaines autour de 12%. Le seuil électoral étant fixé à 5%, il est aujourd’hui certain que le parti pourra faire son entrée au Bundestag et constituer un groupe politique. Cela sera selon toute évidence un séisme politique, dans un Allemagne construite sur le rejet de l’extrême droite. Quelle sera alors la stratégie développée par la CDU dans un contexte où les éléments qui ont fait gagné Angela Merkel en 2014 (notamment l’empiètement sur les thèmes de campagne historiques du SPD) ne pourront plus fonctionner ? En effet, si Martin Schulz place le curseur politique beaucoup plus à gauche que son prédécesseur Steinbrück en 2012 et que, parallèlement à cela, la CDU doit (pour consolider son électorat) avoir des positions beaucoup plus fermes en matière notamment de politique migratoire, la droite va avoir de grandes difficultés à rassembler au centre, comme elle l’a fait ces dernières années. Ce fut pour l’anecdote l’objet affiché du déplacement d’Angela Merkel début mars en Égypte et en Tunisie : limiter l’immigration par un soutien aux pays de départ des flux migratoires. C’est vraisemblablement là que réside le pari de Martin Schulz et la stratégie du SPD : créer l’image d’un renouveau à gauche dans le pays avec un candidat très volontaire et ce afin de ressouder l’électorat et ainsi empêcher la chancelière de se faire encore une fois la porte-parole d’une Allemagne du centre, besogneuse et pro-européenne.
Rendez-vous est donc pris dans quelques semaines pour voir comment ces stratégies vont se développer et quelles alliances les deux grands partis pourront arriver à mettre sur pied, afin de s’assurer une majorité qui pour le moment échappe encore à la gauche sociale-démocrate comme à la droite chrétienne-démocrate.