Marianne est déchaînée

Marianne est déchaînée, Marlène Schiappa, Stock, mai 2016, 336 pages.

Ce roman de 330 pages signé Marlène Schiappa, jeune (et récente) élue locale d’une ville de province de 200 000 habitants (Le Mans, 55 minutes de TGV de Paris, 2 heures de voiture en partant de Boulogne-Billancourt), semble au départ suivre les traces de l’entreprise initiée par Zoé Shepard en 2010 avec la publication de son Absolument dé-bor-dée, ou le paradoxe du fonctionnaire – suivi ensuite de deux autres tomes – qui fut un livre remarqué, maintes et maintes fois commenté, dans lequel elle relate avec une ironie fracassante les méandres d’une collectivité territoriale française (en l’occurrence l’ancien Conseil régional d’Aquitaine, dans lequel elle officie alors comme chargée de mission à la délégation européenne et internationale), torpillant la médiocrité de la vie quotidienne dans une administration locale, sans pitié pour son entourage professionnel.

S’arrêter à ce genre de commentaires serait le signe que le lecteur n’a pas vraiment lu le roman de Schiappa, ou bien lui en veut, ou considère que le contenu est grossier (« Les gens sont-ils si grossiers pour dire la vérité ? » selon l’adage célèbre). Car son dessein n’est pas de dénoncer dans ces pages l’absurdité du fonctionnement d’une mairie, ni de faire la part belle à l’expression d’un quelconque ennui ou d’un éventuel dégoût de la vie politique locale. Bien au contraire même, ce roman remet les mairies de provinces françaises à la hauteur de ce qu’elles sont : des lieux où la vie politique n’a rien à envier à Paris, où la place de la stratégie et de la séduction est tout aussi grande que sous les dorures élyséennes, et où les violences et les coups bas pleuvent tout autant que dans nos ministères ici-bas.

Sur la forme d’abord : l’ouvrage est pensé telle une pièce de théâtre (avec ses pages qui présentent les personnages dans leur ordre d’apparition : l’ami Facebook ; le maire de Bolène-sur-Sarthe ; la femme du garagiste ; le ministre, la conseillère, le directeur de cabinet, le sénateur-maire, etc.), et raconte de façon chronologique deux ans de mandat de Marianne, jeune novice en politique, adjointe au maire déléguée à l’égalité, « issue de la société civile » (cette expression est en soi tout un programme), des premières élections jusqu’aux premiers éléments de bilan, de la célébration des premiers mariages jusqu’aux premiers discours.

Les chapitres sont bâtis comme des scènes (qui peuvent d’ailleurs se lire chacune de façon autonome pour les fainéants), introduites à chaque fois par des citations (« En tuer un pour en terrifier un millier », Sun Tzu ; « Les femmes qui veulent être les égales des hommes manquent sérieusement d’ambition », Jean-Marc Reiser ; « J’ai toujours pardonné à ceux qui m’ont offensé, mais j’ai la liste », Sempé, etc.), citations qui doivent être prises comme des collages, pour reprendre l’expression de Philippe Sollers (« Ce ne sont pas des citations, mais des collages. Une citation vient à l’appui d’un discours faible. Le collage sert juste à montrer. Notamment à montrer qu’on sait lire ! »).

Sur le fond ensuite : les adeptes du milieu politique, en particulier de la vie politique locale, s’amuseront à la lecture de scènes qu’ils connaissent à la perfection, décrites sans filtres, parfois avec ironie, mais sans animosité ni mépris aucun : les attributions de commissions, les délibérations, les négociations de budgets et les relations avec les services, les visites de quartiers et la tenue des permanences. L’arrivée de la popularité, fragile. La crainte de la solitude, souvent.

Ils souriront ensuite face à la description des quelques – nombreuses ? minimes ? fatigantes ? – vanités de tous les jours (de l’importance des cartons d’invitation pour un déjeuner jusqu’aux difficultés rencontrées pour poster une offre d’emploi, du jeu de posture des « équipes » politiques aux subtilités sémantiques – ne pas dire « gratuit » mais « autofinancé »). Ils acquiesceront à la lecture de l’énergie dépensée par certains pour négocier la place et la taille de leur bureau, ne pourront contredire l’hypocrisie et la lassitude face au discours – populiste – tenu sur les vacances (« En politique, vous devez montrer que vous passez des vacances calmes, modestes, pas des vacances de privilégiés. Que vous aimez souffrir un peu, éventuellement, et ne pas dépenser beaucoup d’argent (…) ; vous restez en France : + 10 points ; vous restez dans votre ville de province : + 25 points ; vous restez dans votre ville de province et vous faites venir des gens : + 30 points »).

Enfin, ils jugeront je crois le livre distrayant, et utile. Sur trois points.

D’abord car ils verront peut-être ce livre comme une sorte de « guide pratique à l’usage de jeunes personnes voulant se lancer en politique mais n’ayant ni le langage ni les armes pour combattre ». Car la vie politique est d’abord une affaire de relations humaines, et deux ou trois conseils peuvent suffire à ne pas se faire détester.

Ensuite car il tord le cou aux discours méprisants sur la province et lui redonne ses lettres de noblesse.

Enfin, car il rappelle que les discours – nécessaires – sur l’ouverture de la vie politique et des partis politiques à de nouvelles têtes donnent à voir une réalité concrète plus complexe et moins rose derrière les portes, réalité qu’il convient pourtant de rendre possible.

On peut regretter le manque de ragots et l’absence de coucheries, le manque de sales coups, d’insultes, d’histoires d’argent et de corruption, rien sur la distribution de pots de vin et de trafics d’élections.

En fait, c’est peut-être ça, finalement, l’un des aspects les plus réalistes du roman. Montrer le fantasque et non pas le fantasme.

Et si vous ne voyez rien de tout cela, alors vous passerez quand même un bon moment. Et si vous êtes vous-même élu, alors cela vous renforcera dans votre opinion, celle qui vous fait dire que, au fond, il ne faut pas se prendre trop au sérieux.

« L’homme est le seul animal qui rit, car c’est le seul animal qui sait qu’il va mourir. En étant le seul à savoir qu’il doit mourir, je crois qu’il a inventé le rire pour sortir de ça, pour ne pas se prendre trop au sérieux » (Umberto Eco, Derrière les portes).

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